Je ne dis pas, les malentendus ça peut arriver. Non, vraiment. Je comprends.
« Vous reprendre bien un peu de ce thé, mmmh ? » « Oh non, si fait, je préférerais encore une part de ce délicieux gâteau à la crème ! » « Mes excuses, très chère ! » Ce genre de choses. Des choses agréables, sucrées, savoureuses, gentilles.
MAIS NON.
Moi c'était des chemins de traverse à n'en plus finir, des empaffés en uniforme qui ne savent même pas qui doit aller où, et une pluie grincheuse qui se paie ma tête en sus ! C'était à croire que quelque entité maléfique veillait à ce que ma route se compose en majeure partie de déboires et délits de faciès. Si je mettais un jour la main sur cette saloper-...
-"Ah ben ça! Si je m'attendais à vous revoir avant l'année prochaine! Qu'Est-ce que vous fichez là?"
« Nan mais au pire on repart d'où on vient hein ! » grinçai-je de ma voix falsifiée de fluet.
« Un... malentendu. Une troupe était... »
« Genre ils veulent pas de nous là-bas, pas de nous ici non plus ! »
« Déjà en chemin pour... »
« Y en a marre ! À quoi ça sert un officier si en plus de pas savoir lire une carte, ça sait pas lire une liste de déplacements, 'pouvez me dire ? »
« Marienbourg, on l'a croisée sur... »
« Parce qu'autant j'aime bien la randonnée, je ne dis pas, mais si ça pouvait au moins être utile à autre chose que travailler mon souffle...! »
Une tape bien sentie à l'arrière de ma tête me coupa promptement la parole.
« ...bien mieux. Je disais donc qu'on avait croisé la troupe supposée faire notre office sur la route, alors on est revenu dare-dare. »
-"J'vois le genre. Bon, allez chez l'habitant et récupérez ce qui pourrait aider à améliorer les défenses de c't'endroit. On est mal barrés, j'vous le dit, vl'à que les bretonniens veulent nous réduire en miettes."
Les bretonniens ? Me massant la nuque pour le principe de signaler que je n'avais pas apprécié la remontrance du plat de la lourde main de mon camarade, mon esprit se mit à réfléchir à toute vitesse. Certes, les relations n'étaient jamais au beau fixe aux régions frontalières -
j'en savais quelque chose - mais de là à... Minute. Ils sont en train de fortifier Hautchemin ?
Finalement je reprendrais bien la route pour Marienbourg, moi...
***
Je repensais aux derniers jours tout en taillant, du tranchant d'une dague bien affûtée, la pointe épaisse de ce qui ne tarderait pas à devenir un pieu. Un long copeau retournait à la terre entre mes pieds pour chaque souvenir traversant mon esprit ; je revoyais le grand griffon et le pégase étendre leurs ailes avant de prendre leur essor dans l'infini du ciel. Fugitivement, je me demandais ce que pouvait bien être la sensation de voler...
Affranchie des lois des hommes, peut-être même de celles des dieux. Un bref sourire intérieur, plein de cynisme : nul n'échappait à l'autorité de mon dieu tutélaire, qu'on nommait Morr et qui était le gardien de vastes jardins mortifères étant également des cimetières. Car tout, un jour ou l'autre, revenait entre ses mains... du moins fallait-il le souhaiter, car les sorts différents du trépas ne pouvaient qu'être plus funestes encore.
La vive langue d'acier que je promenais sur la fibre boisée s'immobilisa un instant tandis que je dardais mon regard saphir en direction des nuages du lointain. Que nous réservait l'avenir ? Distraite, je laissais retomber mon bras et commençais à graver un motif sur ce qui, normalement, devait devenir un élément de défense du bourg.
Baissant les yeux sur ce que mes doigts faisaient, comme doués de leur propre volonté, je m'aperçus qu'une lettre majuscule prenait lentement forme, et pas n'importe laquelle.
Un sourire candide se dessina sur mes lèvres.
***
« Katz ! Ça avance ces pieux ? »
« J'aimerais autant qu'ils ne prennent pas la poudre d'escampette, si tu vois ce que je veux dire. J'ai assez sué avec les autres pour les tailler ! » répliquai-je en indiquant du doigt le tas de piques qui attendait d'être mis en terre, au niveau des portes principales.
« Ah, bah voilà ! »
L'engagé, répondant au nom d'Aldrick, se pencha pour examiner le fruit de notre travail. Je l'observais faire, assise sur une bûche trop épaisse pour en tirer quelque chose, adossée au mur d'une bâtisse et les doigts sagement croisés entre mes cuisses.
« Pourquoi y a un K taillé à leur base ? » s'enquit le soldat au bout d'un moment, dubitatif.
Je lui décochai un clin d’œil malicieux en guise de réponse, avant de me lever et m'éloigner en retenant un rire.
L'après-midi tirait à sa fin et je ne me sentais pas de rejoindre le gros de la troupe maintenant - bien que, et c'était un solide argument en faveur du rassemblement, l'heure du repas approchait également. Au lieu de ça, je m'aventurais au travers des ruelles étroites en laissant le hasard guider mes pas. Il semblerait d'ailleurs qu'il fît bien les choses, puisqu'il m'amena juste devant la silhouette massive de la chapelle bretonienne dont je m'étais faite la réflexion que j'aimerais en découvrir l'intérieur, tout en l'ayant oublié en cours de route.
La bâtisse était imposante, bien que je ne lui trouvais pas l'aspect sévère que possédaient à mes yeux les temples de l'Empire. C'est presque timidement que j'en poussai l'huis, lequel pivota avec un imperceptible grincement. Les gens du cru venaient-ils régulièrement rendre grâce à la divinité du roy des contrées voisines de Bretonnie ?
Discrètement, je me glissais à l'intérieur.