En tout cas, cela expliquait la provenance de l’accent si étrange d’Erilys Datsluïn, un accent très marqué et très différent de tous ceux que Deathshade avait entendu. Il doutait même que les elfes des colonies très lointaines, ou ceux des bois en avaient un aussi bizarre. Aussi étrange que cela puisse paraître, Erilys parlait l’eltharin avec un accent bretonnien. Evidemment, le simple fait qu’elle dise « aimer » vivre parmi les humains et être considérée comme l’une des leurs était plus qu’incompréhensible aux yeux de l’assassin : c’était sacrilège, ignominieux. C’était comme si une personne -déjà par ailleurs traitresse à sa race- voulait librement se rabaisser encore plus bas, au rang de bétail.
Enfin bon, Deathshade avait pu se défouler sur le pauvre paysan, qui ne sut pas apitoyer le cruel druchii. Quand il se réveilla, le lendemain matin, on lui apporta le petit déjeuner, puis Erilys frappa à la porte, pour l’emmener à la salle où le seigneur l’attendait, une petite pièce intérieure aux murs épais, dont la seule entrée était la lourde porte de chêne renforcé que l’assassin et son interprète venaient de franchir et de refermer derrière eux. Le seigneur accueillit l’elfe à bras ouverts. Il parla, et Erilys se chargea de la traduction instantanée :
-Le comte désire que vous rendiez visite à un vieil ami qui habite un château voisin, et que vous lui transmettiez ses salutations, puis que vous remplissiez une mission pour son compte. Afin d’être plus explicite sur votre mission, il vous a préparé… Hein ?
L’elfe ne comprenait visiblement pas bien où le seigneur voulait en venir, mais celui s’énerva et répéta sa phrase. Il semblait considérer que l’interprète n’avait pas à comprendre ce qu’il disait, qu’elle devait se contenter de traduire. Un peu vexée, Erilys accepta néanmoins la remontrance avec humilité et reprit :
-Heu. Bon, le seigneur vous donne cette lettre contenant vos instructions. Il veut que vous seul la lisiez, puis que vous la lui rendiez immédiatement. Mais je ne comprends pas, à ma connaissance, il ne sait pas écrire en elfique, et moi non plus d’ailleurs, d’où ma perplexité.
En réalité, la haute-elfe ne soupçonnait pas que certains messages se passaient de mots. Quand Deathshade entrouvrit la lettre à l’abri du regard de son interprète, il vit simplement une tache de sang. Il put alors la rendre à son propriétaire, sous le regard étonné de son interprète qui ne comprenait pas, et ne soupçonnait même pas le contenu du pli. Adrien de Pierreneuve continua :
-Cette mission est vraiment importante pour lui. Il doit « améliorer sa position avec ce vieil et si cher ami de la cour royale, sans liguer mes ennemis contre lui ». Vous êtes la personne idéale dont il a besoin, et si vous réussissez, vous serez rétribué à la hauteur du service rendu. Il m’ordonne de vous accompagner et de vous servir… Et… C’est assez gênant à dire, ça me touche beaucoup, mais il vous demande de faire attention à moi, et de me ramener saine et sauve. En fait, j’ai été élevée par son père, j’étais un peu comme sa grande sœur, même si j’ai toujours eu conscience de lui être hiérarchiquement inférieure, bien sûr. Il vous donne libre accès à ses équipements pour mener à bien votre mission. Il vous permet de vous servir, puisque vous savez où cela est situé dans le château. Si vous êtes d’accord, il vous suggère de partir au plus tôt, en prenant votre cheval.
Je vais pour ma part aussi aller me préparer : les routes de Bretonnie ne sont pas sûres pour deux cavaliers isolés, fussent-ils elfes…