Voilà le genre d'endroit dans lequel les gardes-paix, aux longs cheveux couverts par leurs casques coniques, internèrent finalement Surcouf ; ils le laissèrent là, sans un mot, avant de repartir d'un pas rapide, fermant bien évidemment la porte, à double tour, lorsqu'ils quittèrent cette salle un peu particulière.
Maintenant qu'il était laissé à lui-même, le bordelais pouvait remarquer qu'il était enfermé entre quatre murs, faits en pierre finement taillée ; collé contre l'un de ces murs se trouvait un grand divan, au tissu et aux coussins moelleux, mais rouges comme le sang, et brodés de fils dorés sur les bordures ; à l'opposé, apposée contre la paroi d'en face, une bibliothèque, pas plus grande qu'un homme et à peine plus large qu'un nain, affichait sur ses trois étagères toute une série de livres ainsi que des feuillets manuscrits ; juste à côté se tenait un bureau, accompagné d'une chaise assez haute, dont le dossier était capitonné ; tous deux étaient faits en bois de bouleau, et maintenant que Dan le remarquait, les pieds de ces deux meubles avaient été sculptés, visiblement avec beaucoup de minutie et d'application, pour prendre l'apparence et la forme des serres d'un grand aigle.
Mais si Surcouf pouvait observer tout ce décor -dont l'encrier ainsi que la fine plume d'oie qui traînaient sur le bureau, c'est grâce au chandelier en bronze qui se situait à côté de la porte ; ses cinq branches, supportant autant de bougies à la cire et aux flammèches bleutées, éclairaient toute la pièce, leurs lumières azurées venant se refléter contre les murs et les meubles.
L'atmosphère qui planait dans cette salle était plutôt tempérée, voire agréable, au point que si le marin voudrait s'endormir sur le divan, il n'aurait même pas besoin de couverture.
Difficile de croire à ce stade-là que Dan se trouvait dans les souterrains d'Elfeville ; l'air y était sec, pas une goutte d'humidité ne perlait sur les murs ou ne dégoulinait du plafond, et hormis une certaine couche de poussière qui recouvrait le canapé comme les meubles, cette salle, dans laquelle régnait un silence absolu, était plus ou moins propre, bien qu'assez désaffectée. Cela faisait des décennies, au moins, que quelqu'un n'avait pas mis les pieds dans cette pièce.
Toutefois, vraiment, on ne pouvait pas dire que Surcouf se trouvait dans une cellule de prison.
Mais il y eut une chose que cet endroit, aussi confortable soit-il, n'épargna pas à ce bordelais au grand cœur: l'attente.
Attendre. Attendre une nouvelle visite de ses geôliers aux longues oreilles ; attendre, le temps que ces fières créatures se décident sur son sort. Après tout, lors de son évasion de l'enclave elfique, "Sifflevent'' l'avait avertit sur ce sujet: pour avoir aidé cet infâme esclavagiste à s'échapper d'Elfeville, Dan risquait bel et bien la peine de mort...
Mais il fallait patienter, en attendant. Alors, petit à petit, avec une lenteur terriblement agaçante pour l'impatient, les instants s'allongent pour devenir des minutes ; les minutes s'étendent pour devenir des heures ; et les heures s'étalent pour faire place aux jou...à vrai dire, le contrebandier, enfermé au cœur de ces souterrains, ne peut même plus savoir qui du soleil ou de la lune plane maintenant au-dessus de Marienbourg...
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Dans un grincement aigu, la porte s'ouvre, laissant passer deux grandes créatures dans la salle. L'une d'entre elles se déplace aussi discrètement que possible, elle porte un pot-de-chambre ainsi qu'un petit panier en osier, recouvert par un bout de tissu blanc.
Quant à l'autre de ces êtres, une elfette en l'occurrence, elle se dirige vers Surcouf, d'un pas sûr et ferme.
Elle est revêtue d'une ample robe, à l'étoffe verte comme la jade, et aux liserés en soie, aussi blancs que son cou et son visage fin ; celui-ci est d'ailleurs encadré par de longs cheveux sombres, cachant en partie ses oreilles pointues, ils sont tressés en deux grandes nattes, qui retombent et rebondissent sur ses épaules ainsi que sur sa poitrine.
Ses deux yeux en amande, sa face, le regard qu'elle adresse au bretonien: tout chez elle affiche une réserve, une froideur, mais aussi une certaine politesse, sans même parler de la lueur d'orgueil, si typique des enfants d'Isha, qui brille au fond de ses pupilles.
"Bonsoir, humain,commença-t'elle, sur le ton d'une mère qui s'adressait à un petit enfant,Veuillez vous allonger sur ce divan, et ne pas bouger pendant que je vous traite. Cela ne prendra pas longtemps, si la Vierge le veut bien.''