Plusieurs jours s’étaient écoulés depuis que le mangeur d’hommes avait quitté l'hostile Drakwald pour se retrouver dans les terres inhospitalières du Pays Perdu. Gastrak ne fit que remplir son contrat : escorter un convoi de marchandises avec d’autres mercenaires et s'assurer que le tout arrive bien à destination. La paye n’était pas exceptionnelle, tout en restant correcte pour un membre du gros-peuple, mais le voyage était d’un ennui quasi-mortel. Pas un seul bandit ou bête sauvage n’avait essayé de les attaquer et de s’offrir en quatre-heures pour l’ogre. Et il ne fallait pas s’attendre à ce que le paysage offrît une quelconque vue plaisante pour le voyage. Mise à part quelques collines dépourvues de végétation et de minuscules villages à l’horizon, on pouvait résumer ce pays à un marécage sans fin sans âme qui vive, même s’ils firent la rencontre de quelques diligences pressées et patrouilleurs sécurisant le chemin. Cela rendait les humains quelque peu nerveux durant le trajet, mais pour le fils de la Gueule, cela voulait dire rien à se mettre sous la dent ou à cogner pour tuer le temps. Pourtant Gastrak savait pertinemment que ce pénible voyage allait bientôt se terminer et que sa destination aura bien valu toutes ces peines.
À l’aube du cinquième jour, la troupe vit à l’ouest l'étape finale de leur voyage. S'élevant au-dessus de la fange des marais, d’immenses murailles de pierre dominaient les alentours stériles. La majestueuse Marienburg était enfin en vue. En suivant la route, le convoi se trouva au pied des immenses défenses de la ville, sous la grande porte d’Oostenpoort. Ici, plusieurs groupes venaient et partaient de la grande cité sous les regards attentifs des collecteurs d’impôts. Heureusement pour lui, Gastrak n’avait pas à dépenser un seul guilder pour passer, le tout étant généreusement payé par le commanditaire du voyage. Mais là encore, l’attente fut interminable. Le souci n’étant pas l’espace pour passer, mais plutôt les quelques marchands qui s’offusquaient du prix de passage demandé pour leurs marchandises. Néanmoins, la garde intervint très vite et après quelques “négociations”, les enquiquineurs cessèrent de contester et le trafic reprit de plus belle.
Avant d’arriver dans le cœur de Marienburg, il fallait traverser le pont reliant la porte aux différents quartiers. Celui-ci était des plus impressionnants tant il était haut, au point que des navires le passaient par dessous en permanence. Il y avait de tout, de la simple embarcation transportant les habitants des lieux aux gigantesques navires marchands aux formes diverses et avec des pavillons inconnus à l’ogre. De l'autre côté du fleuve, on ne distinguait que des bâtiments entassés les uns sur les autres, rendant impossible de voir ce qui animaient le quartier. On pouvait tout de même entendre le raffut d'ici, malgré la distance et les autres convois qui passaient à côté d’eux. Après avoir traversé le pont, le convoi de Gastrak entra dans le fameux quartier de Messteeg.
Ce qui frappait d’abord les nouveaux venus, c’étaient les couleurs éblouissantes des lieux. Les murs des bâtiments étaient peints avec plusieurs variétés de couleurs pastel. Les volets et portes des habitations étaient toute d'une couleur différente de celle de leur voisin. Même les tentes des marchands étaient faites avec des tissus aux tons flamboyants. De plus, le quartier était bien agité. Alors que le convoi fit son mieux pour avancer, on pouvait voir des foules de citoyens s’atteler aux différents marchands des rues, des pièces de théâtre improvisées dans des ruelles adjacentes, et même quelques hommes jouer de leurs instruments à cordes pour séduire les jolies jeunes dames qui passait à côté. Mais Gastrak fut surtout attiré par ce que son nez lui révéla.
Sur les étals se trouvaient bien des produits communs. Quelques sacs de grain, des bouteilles de vin de qualité variable, de la viande d’animaux du coin... Mais certains marchands vendaient des aliments bien étranges et invraisemblables. Certains fruits étaient d’un rouge très vif, dont l’odeur épicée chatouillait les narines. D’autres encore étaient vert et recouverts de piquants. Le plus étonnant fut de voir des espèces de fèves brunes que certains commerçants broyaient pour les vendre sous forme de boisson. Or il n’y avait pas que des aliments crus sur le marché. Toute sorte d’étals proposait des plats à leurs clients. On pouvait sentir les odeurs des épices flotter dans l’air, accompagnées du doux son du crépitement de l’huile. Les tiléens faisaient frire beaucoup de produits venant de la mer, allant du poulpe au poisson, en passant par les crevettes. Mais la grande surprise fut de voir la gigantesque poêle d’une échoppe qui devait contenir tout ce que le quartier pouvait vendre. Un mélange de blé, de viande, de légume et de fruits de mer cuisait joyeusement dedans, tout en dégageant un incroyable mélange d’odeurs qui se complétaient avec harmonie.
Mais avant de pouvoir manger, il fallait d’abord remplir le contrat. Au final le convoi ne fut que ralenti par les habitants circulant dans le quartier, mais il arriva tout de même à bon port. Un grand entrepôt se trouvant dans le quartier voisin, d'où plusieurs marchandises de toute sorte allaient et venaient sans arrêt. Après avoir aidé au débarquement, l'employeur de Gastrak lui donna sa paye et le congédia sans plus de cérémonie. Il ne restait plus qu’à trouver quoi faire. Le Messteeg devait encore vendre de quoi se rassasier, et il serait dommage de ne pas profiter des coutumes locales. Pour ce qui était de trouver d’autres contrats, il parait qu’un quartier voisin était réputé pour ses mercenaires et que les offres étaient nombreuses pour ceux qui avait plus de muscle que de cervelle. Et puis il restait les autres quartiers en ville, tous autant uniques les uns que les autres.