Et puis, il y avait la personnalité des deux hommes qui plaisait beaucoup à Catuvolcos. Il n'aurait su dire ni comment, ni pourquoi mais il se sentait connecté avec eux. Chaque fois qu'il interrogeait son familier à ce propos, celui-ci se contentait de fixer Catuvolcos et de lui sourire en répétant :
- Danu est multiple et universelle, ovate.
Mis à part les repas partagés avec les gens du hameau et les quelques conversations concernant le lac, Catuvolcos méditait seul, attendant un signe supplémentaire de la part de Danu pour savoir ce qui se passait dans ce lac. Ce lac qui l'inquiétait car il n'arrivait pas à déterminé ce qui provoquait cette turbidité étrange autour de l'île. Il avait d'abord pensé que la présence du chevalier mort-vivant en avait corrompu les abords immédiats mais malgré sa disparition rien n'avait changé. Il avait alors réfléchi à l'éventualité que ce soit un des effets secondaires de la Pourriture de Neiglish contenue dans l'orbe que Wilhelm et ses compagnons avaient trouvée dans le tombeau mais, là non plus, ça ne semblait pas coller. L'orbe renfermait une maladie virulente et non un poison insidieux. Non, le mal était autre ; mais quel était-il ?
- Alors ? Toujours en pleine méditation, l'ami ? l'interrompit Roderick en venant s'asseoir à côté de Catuvolcos.
L'homme soupira en regardant le lac sur lequel l'ovate gardait les yeux fixés.
- Tu sais, d'aussi loin que je me souvienne, les eaux autour de l'île ont toujours eu cet aspect ; impossible de voir sa main à trois doigts sous la surface mais, si tu veux mon avis, y a rien de dangereux là-dessous... Pour sûr, y a un truc. Mais ça peut pas être dangereux... On vit ici depuis plusieurs générations et s'il y avait eu le moindre danger, je peux te dire que les anciens en auraient parlé à un moment ou un autre.
Depuis que le vieux Brähan est mort, j'ai la charge de continuer à faire en sorte qu'on puisse vivre ici en sécurité. Roderick, sans se départir de son sourire en coin, leva la main comme pour empêcher Catuvolcos de l'interrompre. Je te l'accorde, c'est une sécurité toute relative et dans un endroit loin d'être parmi les plus accueillants. Mais c'est le Westerland ici, les Wastelands comme ils disent dans l'Empire, rien n'y a jamais été facile depuis que les Elfes des Mers ont abandonné leur citadelle sur les ruines de laquelle nous autres, Jutones, avons bâti Marienburg. Ce pays est un tas de cailloux constamment couvert d'un brouillard poisseux plus ou moins épais ; plus une forêt, plus de belle végétation, plus rien de vraiment vivant depuis que les Fimirs et les Hommes-rats se sont entre-tués pour dominer ce territoire avec dans l'idée de le modeler à leur image. Taal s'est rebellé, la terre s'est ébrouée, a secoué tout ça comme un cheval finit par chasser les mouches qui s'accumulent autour de ses yeux et ses nasaux, et a fait table rase de ces deux races pour ne laisser qu'une terre dévastée. C'est ce que le vieux nous racontait quand on était enfant. Une légende aux yeux de ceux qui vivent loin mais, pour nous, c'est l'histoire de notre pays, nos racines et notre quotidien. On y croit sans même y penser. C'est ancré en nous et ça nous rattache à cette terre inhospitalière sans quoi on serait parti depuis des lustres. On n'est plus très nombreux mais on est toujours là. On s'accroche car on n'a rien d'autre et on ne saurait pas vivre ailleurs et autrement.
Roderick s'interrompit un instant. Il regardait avec affection le paysage autour de lui, les collines, la végétation moribonde, les quelques pins tortueux qui poussaient de l'autre côté du lac, les ruines séculaires sur l'île.