Décidément, plus le temps passait, plus cette Lutzen commençait à devenir de plus en plus louche aux yeux d’Erik. Sous prétexte que le gamin était plutôt bien fait de sa personne, il était mis à l’écart ! C’était l’excuse la plus ridicule qu’Erik ait jamais entendu, et pourtant, il avait connu quelques précédents qui valaient leurs pesants de couronnes, mais à ce point là, jamais. Quant à la supposée aura divine, le magister aurait voulu la voir pour le croire, parce qu’il en restait franchement sceptique. Comme si l’enfant pouvait s’être baladé avec une auréole sur la tête sans être remarqué. Et pour l’interrogation de la mère abbesse, Erik estimait que dans les fonds de Marienburg, certains personnages fort peu recommandables auraient effectivement tué pour obtenir un valet agréable à l’œil, sans être forcément des esclaves des Puissances de la Corruption. Et pour couronner le tableau, voilà que le fameux Père Helmut était à la tête de la Croisade, comme par hasard ! Une coïncidence, on pouvait penser à un coup de Ranald, mais toute une horde, là, c’était pour le moins improbable. Surtout que le jeune homme avait la très nette impression que tous les protagonistes de cette affaire étaient liés, mais par quelque chose qui lui échappait.
Au vu de la tournure de l’entrevue, Erik ne fut que très modérément surpris par le refus de la mère Abbesse de le laisser visiter les appartements de Karl. Au moins, cela confirmait ses soupçons : cette histoire ne tenait pas debout, il y avait quelque chose qui clochait. Plus intéressante fut l’information que laissa échapper Lutzen. Des sœurs, susceptibles de se laisser aller à des commérages… comme cette chère Sœur Kuhn ? Donc, la supérieure bâillonnait ses prêtresses pout les empêcher de parler, ce qui signifiait que certaines avaient déjà dû être interrogées et livrer des informations dérangeantes pour la vieille femme ! Mais par qui ? Lui était envoyé par les Collèges, son collègue venait sans doute de la pègre locale, et ils étaient accrédités par un noble, quelle institution pouvait bien vouloir enquêter ? Peut-être des répurgateurs ou des membres d’autres cultes. En tout cas, lui et Sigmund avait un mystère de plus sur les bras, à croire qu’ils fleurissaient comme des roses au printemps en ce moment.
Erik sortit à la suite de son compagnon du bureau de Lutzen, et fut accueilli par la Sœur Kuhn, qui se révélait très présente autour de ce bureau. Elle les raccompagna jusqu’à la cour, et le pyromancien avait la désagréable d’être escorté comme un élément indésirable pouvant causer de nombreux ennuis. Manifestement, l’orphelinat et sa supérieure n’aimaient pas les questions des visiteurs, et au niveau hospitalité légendaire des shalléennes, il allait falloir repasser. Lorsqu’ils repassèrent devant les enfants en train de chanter à l’entrée, le magister parvint à saisir quelques bribes de paroles qui le laissèrent hautement perplexe. Déjà que ce temple shalléen lui inspirait très clairement une méfiance qui s’accroissait d’instant en instant, voilà maintenant qu’on apprenait des chants en l’honneur de Sigmar aux orphelins. Et cela, Erik en était absolument certain, ce n’était pas du tout normal. Du reste, ce n’étaient pas les prières habituelles que les gamins entonnaient, mais une version sévèrement réactualisée qui parlait d’une Réincarnation. Lutzen n’avait pas trainé pour répandre la nouvelle apparemment, ce qui était une fois encore très étrange, un tel zèle sigmarite chez une shalléenne… vraiment très suspect. Tout portait à croire que cet orphelinat était dévoué à Sigmar, mais qu’il était tenu par des shalléennes, dans un mélange des cultes des plus étonnants.
Un dernier détail attira l’attention d’Erik. Une petite fille en train de construire ce qu’il avait pris au premier abord pour une estrade, se plaignit de ce travail qui était en réalité l’érection d’un autel en l’honneur de Karl ! Voilà maintenant que les sœurs obligeaient les orphelins à construire des autels pour le prétendu Miracle, c’était de plus en plus inquiétant comme comportement. Surtout quand la jeune prêtresse envoya une solide gifle dans la figure de l’enfant, un acte violent totalement contraire aux prescriptions de la Déesse de la Compassion. D’ailleurs, la gamine n’avait pas l’air de l’apprécier beaucoup, « l’être noble et beau » de cette chère Lutzen, ne put s’empêcher de penser ironiquement Erik. Au moins une affirmation de vrai dans le discours de cette charmante mégère : le Miracle n’était guère apprécié par les autres pensionnaires de l’orphelinat, ce que le jeune homme trouvait assez compréhensible, au vu du traitement de faveur accordé à ce garçon par la mère Abbesse.
Arrivés au portail, Sœur Kuhn leur rendit leurs armes, et Erik referma sa main sur le manche de son bâton, retrouvant avec un certain plaisir ce compagnon familier, tandis que Sigmund rangeait prestement ses dagues. L’escroc essaya de déployer sa verve pour amadouer la sœur, qui semblait très nerveuse et leur intima l’ordre de partir, avant de s’en aller elle-même, visiblement nerveuse. Alors qu’ils s’éloignaient de l’orphelinat, Erik constata que le jour baissait et décida de ne pas se laisser surprendre par la tombée de la nuit, cette visite l’ayant rendu légèrement nerveux. Silencieusement, il invoqua les Vents de Magie et prononça les mots idoines pour lancer un sort mineur lui permettant de voir dans la nuit comme en plein jour. Sans doute mis en confiance par ses deux précédentes réussites, le jeune magister réussit facilement à puiser dans Aqshy et se sentit comme traversé par l’énergie aethyrique qu’il avait dégagé. Il cligna des yeux et eut l’impression de voir aussi clairement que sous la plus pure lumière du soleil.
Soudain, Sigmund l’attira dans une ruelle adjacente, afin selon ses dires de se sustenter après toutes ces heures sans la moindre bouchée de nourriture. Mais son compagnon s’arreta au bout d’un moment dans un recoin à l’abri des regards, et lui présenta un petit papier sur lequel était inscrit quelque chose. Rapidement, l’escroc lui passa le message, et Erik comprit soudain pourquoi : Sigmund ne devait pas savoir lire ! De ce coté-à, le pyromancien n’avait aucun problème : fils de noble, élevé dans un temple vérénen puis envoyé au Collège Flamboyant, toute sa vie avait été bercée par les livres et la lecture était un de ses passe-temps favoris, en ayant pris l’habitude depuis son plus jeune âge. Nullement gêné par le manque de lumière, il commença de son regard vif à déchiffrer les quelques lignes qu’il lut à voix basse à son comparse.
Croisant le regard de Sigmund, le magister flamboyant hocha la tête et murmura :
« Je pense que nous serons tous deux d’accord pour convenir du fait que notre prochaine étape semble être cet ancien temple de Sigmar. La mère Abbesse a eu un comportement des plus suspects, et je ne m’étonnerai pas que certaines sœurs aient répondu à certaines questions de quelques autres enquêteurs. Qui, je l’ignore, mais cela corroborerait son refus de nous faire visiter les quartiers du Miracle, et ses allégations sur les dires des sœurs. Du reste, j’ai pu surprendre quelques paroles d’une fillette qui me font penser que ce Karl n’était guère apprécié, comme l’a dit Lutzen, par les autres enfants. Ce qui contraste d’autant plus avec le portrait flatteur que cette mère supérieure en a fait… C’est comme s’il l’avait envouté… Bref, ce ne sont que des suppositions, et le plus urgent est à mon sens d’aller voir ce fameux temple. » Manifestement, Sigmund était de son avis, leur prochaine destination était toute trouvée.