« Je sais de quel bijou tu parles, une belle chaîne avec une émeraude en pendentif. Tu vas devoir m’accompagner par contre, je peux te montrer où se cache le bijou, mais pas le prendre moi-même, il est dans une boite fermé sous verrou. Mon père le laisse traîner au sous-sol, allez, viens, je te montre. On doit faire attention de ne pas être entendu lorsqu’on va descendre. Pendant la journée, c’est interdit de se balader. » |
Lucy acquiesça sans trop hésiter. Hermine ramassa un châle bourgogne qu’elle passa autour de ses épaules. La porte entrouverte, le corridor de l’étage était complètement vide et presque silencieux si on oubliait les murmures lointains de Sir Frederick et de Seigneur Mannfred. Ils devaient encore discuter affaires, espérons-le. La draperie était toujours sur le sol suite au léger accident de la courtisane un peu plus tôt. Son hôtesse n’en fit guère de remarques et se dirigea vers les escaliers menant à l’arrière de la résidence. De nombreuses portes étaient fermées sur le chemin, probablement les chambres des sœurs Ueblingen.
Un portail était grand ouvert, c’était la bibliothèque familiale, elle devait contenir plusieurs centaines de livres. Au centre de la pièce se tenait une grande table en bois, marqué par l’âge et le temps. Le vernis ne réfléchissait pas également partout la lumière du soleil qui traversait les longues fenêtres. Juste par-dessus flottait dans l’air, un magnifique chandelier brillant de mille feux. Chaque rayon provenant de l’extérieur se reflétait par cent fois sur les cristaux suspendus et illuminait les livres de miniatures arc-en-ciel. L’odeur de la pièce et la poussière qui s’en émanait était un rêve devenu réalité pour tout passionné de lectures.
Encore quelques portes fermées et puis une entrouverte qui donnait sur la chambre principale, le lit n’était pas fait, des vêtements traînait sur le sol, les rideaux à moitié tirés. Finalement, un dédale de marches menait à la salle à manger du premier étage. La cage d’escalier pleine de portraits de famille, de toiles d’ancêtres et des membres actuelles de la famille observait avec jugement les agissements de la cadette. Elle qui apparemment trahissait sa famille pour une bouffée d’air frais avec une pure inconnue.
Dans les toiles, on y voyait bien certainement Mannfred Ueblingen avec ses 4 filles dans un cadre austère. L’homme entouré de ses enfants, sans la présence d’une matriarche, rendait chaque portrait de famille douloureux, un immense vide qui ne pourrait jamais être comblé. Il n’y avait qu’une seule peinture de Mannfred accompagné de sa jeune épouse Irma. La peinture était si vieille qu’il était difficile de reconnaître le patriarche. Les couleurs utilisées, jaunies par le temps. La lueur du soleil donnait une teinte maladive aux portraits. Une chose attira particulièrement l’attention de Lucy, un bijou, le médaillon porté en pendentif autour du cou d’Irma dans son unique représentation. Il était pourtant représenté plus d’une fois. Sur une peinture datant de plus de 2 siècles, une dame aux traits tirés et fatigués portant de longs habits pourpres portait sur sa flasque poitrine l’émeraude. Une autre image plus récente, une femme enceinte entourée de nombreux enfants, deux filles et quatre garçons. En arrière-plan de l’œuvre, la toile suspendue d’un homme affaibli par l’âge. La pierre de jade était cette fois tenue dans les mains de la femme. Plus Lucy observait l’arrangement, plus elle le retrouvait en la possession de nombreuses personnes.
Hermine rappela à l’ordre son invitée, il ne fallait pas qu’elle s’égare trop loin dans le manoir. Lucy vit la jeune Ueblingen un étage plus bas, alors qu’elle était toujours au centre des escaliers à admirer les toiles. D’un signe de mains, elle invita la courtisane à la rejoindre plus bas. Une porte dans la cuisine était déjà ouverte. L’humidité de la cave, la noirceur terrifiante, rien qui n’attirait l’attention, mais c’était bien par là que les deux filles se dirigeaient. Les marches grinçantes brisaient le silence qui gardait cet endroit.
Quelques rayons de lumières traversaient l’atmosphère poussiéreuse et offraient une certaine illumination à ce caveau normalement réservé aux tonneaux de viande salée ou sacs de farines. La jeune fille se dirigeait familièrement vers une porte fermée au fond de la pièce. Quelques chandelles et allumettes étaient disposées dans une alcôve de pierre sur le bord de la porte. L’odeur un peu rancie de viande oubliée dans l’ombre vint s’ajouter à l’eau stagnante qui coulait le long des murs. Dans les recoins sombres couraient rats aux formes hideuses, ajoutant un petit grattement et un couinement intermittent. Leur présence n’avait rien de rassurant. Cette vermine porteuse des mille maux pourrait infecter quiconque serait mordu.
La lourde porte en bois n’était pas verrouillée. Armé d’une faible chandelle vacillante, Hermine se glissait dans l’embrasure et invita Lucy à la suivre d’un petit signe de la main rapide.
« Nous y sommes presque ! » |
Elle disait cela avec le ton le plus léger du monde, comme si cet endroit n’était pas un nid cauchemardesque duquel on aurait pu imaginer une créature des ténèbres en ressortir. L’Ueblingen se glissa dans l’obscurité en refermant la porte derrière elle, laissant Lucy seule avec les rats.
À peine quelques secondes plus tard, la porte s’ouvrit pour offrir une vision terrifiante. Avec une dizaine de chandelles illuminant le sépulcre, de nombreuses statues aux formes humaines peuplaient l’endroit. L’odeur était plus que répugnante, elle était nauséabonde. Chaque statue était allongée sur une stalle de marbre. Surement dans un de ces tombeaux se trouvait la défunte matriarche Irma suivie de très près par sa fille Lucinda. Le cadavre encore chaud, enfermé dans un tombeau si froid.
« Le bijou est dans le coffret sur l’autel là-bas, vas-y je t’attendrais ici. Je vais aller prier un peu. » |
En pointant d’une main désintéressée, elle se rapprocha d’un tombeau qui logeait, semblerait-il, sa sœur ainée à en juger la sculpture aux allures jeunes et vivantes. À l’autre bout de la pièce, se trouvait un piédestal recouvert d’une serviette usée par le temps. Sur sa surface, un petit coffret plat fait de bois y était fixé solidement par deux lamelles de fer forgé. Le bois verni portait nombreuses gravures, un langage ancien que Lucy ne saurait déchiffrer. Sur l’avant du coffret, un simple verrou attendant une invitation pour s'ouvrir.