Ce dernier se trouvait alité dans le troisième chariot, seulement semi-conscient, entouré par ce qui semblait être un homme et un nain, qui discutaient avec plus ou moins de véhémence en fonction de l'interlocuteur. Aucun des deux ne semblait avoir remarqué que le malalite venait de se réveiller, et ce dernier en revenant à la raison se fit un bref récapitulatif mental de ce qui s'était passé ces derniers temps. C'était dur pour lui de se concentrer à cause de ses vertiges, de ses chaînes, de ses blessures pas encore entièrement cicatrisés et d'un sorte d'engourdissement généralisé, mais malgré tout la mémoire revint peu à peu au guerrier.
Après avoir vaincu le Bête qui terrorisait cette partie de l'Ostand depuis la Tempête du Chaos il y a de cela quatre ans, il s'était évanoui pour se réveiller un temps inconnu plus tard enchaîné à un arbre, quatre de ses ravisseurs devant lui, dont le nain, tous encapuchonnés qui semblaient le jauger de la tête au pied. Mais avant même d'avoir eu le temps d'ouvrir la bouche, il avait de nouveau subi une douleur sourde puis était retombé dans l'inconscience. La suite ne fut pour lui que souffrance, puisque durant les jours (ou semaines ?) qui suivirent, Ar'Karan passa la majeure partie de son temps évanoui, et n'était réveillé que sporadiquement pour qu'on lui fasse ingurgiter une sorte de mélasse beige qui semblait-il suffisait à le tenir en vie.
Le mutant profitait de ces trop rares moments pour observer les alentours malgré son état, et c'est ainsi qu'il put distinguer que le chariot où il se trouvait, qui n'était pas bâché au début, était sans cesse en mouvement, les paysages de forêts se succédant, le malalite ayant pu jurer apercevoir à un moment les alentours de la cachette du nécromancien. Il lui semblait qu'ensuite le convoi était reparti vers le sud, mais il ne put en déterminer plus, puisque son chariot ne tarda pas à être couvert à l'approche de la civilisation. Finalement, à cause de son coma Ar'Karan ne put déterminer ni le temps total passé alité ni le trajet effectué, mais il y avait fort à parier que l'Ostland était derrière lui.
Durant tout ce temps l'adepte de Malal ne fut jamais seul, au moins un inconnu dissimulant son visage étant à ses côtés, voir plusieurs à certains moment, durant les repas par exemple, et ceux-ci restaient invariablement silencieux, ignorant royalement toutes les demandes ou sollicitation du mutant, si ce n'est le nain qui un jour cracha par terre tout en lui lançant un regard méprisant, après que le guerrier lui ait simplement demandé où ils se trouvaient. Le voyage ne fut donc pas de tout repos pour Ar'Karan, qui en plus de la douleur pouvait presque sentir la haine que lui vouaient la plupart de ses ravisseurs, sans oublier les étranges cauchemars dont étaient ponctués ses phases de sommeil.
Ces derniers avaient traits le plus souvent à sa vie récentes, étaient récurrents, mais ils étaient surtout particulièrement réels. Il avait revécu l'attaque de son village, provoquant chez lui quelque chose de quasiment oublié, les larmes, l'enlèvement de sa bien-aimée, l'obtention de ses dons, la rencontre avec le nécromancien et la découverte de son repaire, la bataille contre la Bête, et même d'autres scènes qu'il avait oublié. L'alternance entre ces rêves quasiment lucides et la fièvre inconsciente occupait tout son sommeil et ne manquait d'ailleurs pas de l'étonner. Était-ce un message de son subconscient ? Quoi qu'il en soit cela n'avait pas l'air bien naturel aux yeux du malalite.
Il se retrouvait ainsi dans ce chariot en mouvement avec les deux hommes qui parlaient à côté sans le voir, attaché par des chaines d'acier placées autour de ses bras, ses jambes et son cou aux planches de soutient du chariot, et leur discussion devenant de plus en plus audible à la troisième personne présente, qui était maintenant complètement réveillée suite à son introspection mentale, et commençait à écouter en toute discrétion :
-...vrait s'en occuper avant d'arriver au camp de réfugié, on sait tout sur lui maintenant ! Ouais il a pas encore tué d'humains, mais ce type est clairement pas bien, le chaos l'a pas touché de la même manière que nous aut's ! Imagine qu'il fasse du mal à l'un d'entre nous, ou pire si il divulgue notre identité...
C'est un risque que je suis prêt à prendre. De toute façon je ne le soignerai complètement qu'une fois arrivés sur place, et en attendant il aurait bien du mal à blesser l'un d'entre nous. Mais dans tous les cas il ne retrouvera pas sa liberté avant qu'on puisse avoir au moins un peu confiance en lui, du moins si il la retrouve un jour. Quoi qu'il en soit, nous avons besoin de lui, et même si tu cherches à t'en débarrasser, c'est au moins pour cette raison qu'il est toujours en vie. Mais bref, sortons, nous arriverons au campement de Bek dans quelques heures seulement.
Une fois qu'ils furent sortis, un autre homme encapuchonné entra dans le chariot pour reprendre sa garde habituelle. Il ne prêta pas plus attention au détenu que les autres, et Ar'Karan, pour la première fois depuis le début du voyage totalement conscient, put enfin réfléchir à la situation.