Un problème résidait toutefois... plusieurs même.
D'abord, les finances: comme tout bon noble impérial le sait, un héritage et un enterrement de baron, cela coûte! L'Empire aime tant taxer ses nobles ouailles, et cela notamment sur un recompte de leurs propriétés au moment, tiens! et bien oui, d'une mort et d'une succession - tout cela dépassant toutefois les maigres connaissances de notre héroïne en matières légales, cela est clair - et du reste, enterrer le satané baronnet qu'était son paternel sans y mettre un peu de forme eût été impossible, voire, en poussant loin, un aveu de culpabilité...
Du moins était-ce ainsi que les choses s'étaient passées, un bel enterrement, des taxes abusives, et Dokhara découvrit bien vite que les finances de la famille Soya avaient été plutôt mises à mal... ne lui restait plus qu'une vingtaine de couronnes d'or, c'était le comble!
Ensuite, et c'était peut-être encore plus important - d'autant que c'était lié - il y avait la question du titre de Baron de feu papa...
Dokhara avait appris il y a peu qu'on voulait lui infliger une sorte de "régent impérial", c'est à dire un sagouin d'administrateur pour gérer ses propriétés et à terme, aviser si elle pouvait être seule pour les diriger : "pour le bien de l'empire", évidemment!
Bien sûr, il y avait des recours c'était sûr, il fallait aller "courtiser", "finasser à la cour d'Altdorf", "lécher des derrières", pour être plus cru... Tout ce que notre aventurière des ruelles sombres adorait quoi!
Au final, Dokhara n'était donc plus très riche, se devait sûrement d'aller s'ennuyer chez ses bouseux proche de Priestlisheim pour se montrer, et allait sûrement se faire infliger un austère "régent" pour remplacer papa - du fait d'obscures mais nobles magouilles n'en doutons pas! - la joie quoi!
Néanmoins, pourquoi ne pas tout lâcher pour aller courir simplement l'aventure? (arg! tout perdre? Non, c'était inenvisageable n'est-il pas? On dira ce qu'on voudra, aller rapiner et faire la catin puis pouvoir ensuite dormir dans des draps de satin, cela avait tellement plus de charme que si l'on enlevait le satin de l'équation, non pas?)
Fort heureusement, un événement inattendu donna à la belle un espoir de tout garder des plaisirs de sa vie sans se donner trop de mal auprès de la noblesse d'Altdorf ou de Priestlisheim (lesquelles étaient sans contexte contre elle, voulant la chaperonner à tout prix... et à quelles fins? la duper? la voler?):
Ce fut une invitation épistolaire de la Comtesse Électrice Kreiglitz-Untern, actuelle dirigeante de Talabheim; elle était à peu près rédigée ainsi:
Dame Baronne De Soya,
Oui, moi, votre amie, au contraire de certains intrigants, je vous nomme Baronne sans faire de simagrées,
Car vous l'êtes de droit de sang, sans tutelle impériale ni droits d'impôts abusifs,
Et je vous fais la promesse solennelle de vous faire rendre ce qui vous revient de droit, votre or comme votre titre indiscutable, et plus encore, de vous renforcer dans vos acquis et de vous appuyer pour les faire prospérer, de vous soutenir toujours dans l'irrécusable et digne souveraineté qui doit être vôtre.
Vous n'êtes pas sans savoir l'influence qui est la mienne, tant est que les laquais de l'Empereur en pâlissent eux-mêmes.
Mon appui sera déterminant pour vos affaires.
Je vous invite à me rejoindre au plus vite à Talabheim, ma chère cité, où vous serez reçue comme la Baronne que vous êtes, et plus encore...
N'hésitez pas une seconde, sans moi les crocs avides des envieux se refermeront sur vous, avec moi c'est la liberté et la richesse que vous obtiendrez.
Et s'il y a besoin d'achever de vous convaincre, renseignez vous donc sur moi, mon amie, car je suis celle qui donne le pouvoir aux femmes.
Avec tout mon amour, quoi que vous décidiez.
Comtesse Kreiglitz-Untern
Dokhara se renseigna peut-être sur cette puissante comtesse, comme enjoint dans la lettre, et ce qu'il en ressortit fut tel qu'elle l'avait écrit: depuis son avènement, nombre de femmes avaient hérités de titres dans son entourage, qui comme baronne, qui comme marquise, et toutes étaient solidement renforcées dans leurs positions... et enrichies...
Fallait-il voir un piège dans cette invitation?... en tout cas cela semblait bien moins piégeux que d'être environnée par toutes ces nobles crapules d'Altdorf qui en voulait à ses biens familiaux, non pas?
Et surtout... surtout... Dokhara avait accepté... hé! Talabheim, c'était aussi une grande ville, et de fait pleine de canailles et d'amusements!
An XXXX .L'Automne. Un temps maussade.
Sur la route de Talabheim, Dokhara, après avoir accru son équipage en passant sur les terres De Soya, n'était plus qu'à quelques étapes de la capitale du Talabeccland...
Mais peut-être regrettait-elle son choix de voyage?
Plus elle allait au nord le long du fleuve Talabec, plus les nuages s’amoncelaient, baignés de bruines incessantes, en même temps que le froid vous glaçait...
Elle était dans une auberge de trajet, reçue comme l'hôte de marque qu'elle était.
Outre les quatre servants et servantes de bas étage qui l'accompagnaient, il y avait:
-Alda, sa fidèle femme de chambre: une femme qui dût être très accorte, mais que les ans avaient un peu trop rondis, une mère de substitution qui pourtant jamais n'était irrespectueuse, dont les conseils étaient souvent précieux... une femme qui adorait sa maîtresse De Soya.
-Harold, le valet en chef: un homme brun assez jeune, bien bâti, presque un colosse. Celui là était aussi aux petits soins pour elle, la beauté de la belle Dokhara n'y étant toutefois sans doute pas pour rien.
-Rhomgar, surnommé seulement "Rhom", le chef de deux gardes: rouquin trapu poilu barbu, taciturne et râleur... mais très concentré sur son travail... les deux autres gardes, des abrutis peu chers, se nommaient Horst et William, ce dernier étant plutôt mignonnet, si l'on aimait les jouvenceaux crétins.
-Gart, le cocher et palefrenier en chef: jovial, rieur, assez âgé; le genre qui ne pose jamais de problème et qui s'excuse des blagues douteuses qu'il proférait en présence de la Baronne.
-Et enfin, et surtout, le plus présent : Rolff Offramm DesBoisdugué; le chevalier attitré de la Maison Soya, un homme pédant dont les seules possessions valables étaient sûrement son épée luisante, son armure d'acier vert feuilleté, et son vieillard de destrier... C'était un barbu hautain, mysogine, coincé dans ses principes, qui se prenait pour plus qu'il n'était et faisait volontiers des remontrances.
Dans l'auberge actuelle, il y avait d'intéressant:
-une grosse tavernière qui menait ses employés à la gueulante et à la baguette.
-une jolie serveuse qu'Harold draguait déjà des yeux et que le chevalier Rolff avait déjà traité en catimini de "gouge provocante qui devrait labourer au lieu de remuer son séant devant les clients"
-Un bourgeois à la bourse bien garnie, escorté de deux gardes du corps en cuirs cloutés armés de haches.
-un musicien beau garçon aux très longs cheveux blonds, sans doute demi elfe, qui grattait dans un coin une mandoline avec des chants doucereux.
-Un prêtre errant de sigmar, bedonnant et tatoué, porteur d'un beau marteau argenté à deux mains, qui éclusait du vin en blaguant avec la grosse tenancière.
-et... bon... des paysans en voyage... mais ceux là étaient-ils intéressants?