Oui, pourquoi pas, tant qu’à faire. x)
Les claquements des sabots du destrier retentirent sur la petite allée blanche dont les graviers s’éparpillèrent aux quatre vents, et le son diminua en intensité alors que le coursier s’en allait au loin, en direction de la capitale. Il avait été quelque peu retardé par ces quelques gaillards, faits prisonniers par les forces de la baronne, alors que la question leur était donnée. Lucretia n’avait pas eu besoin d’y mettre le ton pour tenter d’extraire le peu d’informations que les soldats feuerbach détenaient peut-être ; sa milice éprouvait tant de grief et de rancœur à leur encontre que, lorsque la jeune femme avait donné l’ordre de leur faire avouer leur connaissance, une étrange lueur de sadisme avait brûlé au fond des prunelles de certains au point qu’il fallût réfréner les ardeurs malveillantes de ces derniers. Mais rien à en faire. Ils gisaient là, en piteux état, le visage sanglant, l’œil tuméfié, lèvres éclatées, la bouche sèche que d’avoir trop crié. Crié beaucoup de souffrances, mais très peu de renseignements utiles, et tout ce qu’ils parvenaient à avouer, en réalité, se composait de tout autant de choses dont la baronne avait déjà connaissance.
Le discours qu’elle leur avait tenu à tous avait fait ses preuves, chacun l’acclamant à sa manière dans une légère euphorie qui faisait toujours chaud au cœur après ces derniers instants de doutes et de tueries. Et après avoir donné ses différentes directives, la jeune femme se retrouva avec une petite armée composée de ses miliciens encore en état de guerroyer, petite armée d’une trentaine d’hommes. Lucretia ignorait encore la puissance des restes des feuerbach au sein de son village, mais espérait que sa petite troupe parviendrait à triompher aisément de ces dernières poches de résistance, et cela sans pour autant menacer la sécurité et la vie des habitants qui y demeuraient toujours.
Aucune difficulté pour cette petite armée. Si la jeune femme soupçonnait quelque résistance que ce fût, les évènements la détrompèrent, ce qui n’était pas pour la messoir. Les trois brigands qui se cachaient au sein des habitations furent rapidement démasqués, et il ne fallut qu’une seconde avant qu’ils n’implorassent grâce. Aucune chance pour eux que de fuir, eu égard au nombre dix fois supérieurs des troupes de la baronne, et toutes leurs velléités belliqueuse se brisèrent en un clin d’œil. Des liens leur furent passés au niveau des poignets, mains dans le dos, et on les traita durement, n’hésitant pas à les pousser violemment s’ils n’avançaient pas assez vite alors que l’on remontait en direction du manoir. Et Rosen, le maire, fut ajouté à ces trois prisonniers.
Il fallait qu’elle décidât de ce qu’elle allait faire de ses hommes. Rosen ne pouvait aucunement assurer la fonction de maire, pingre qu’il était, en sus d’avoir tenté de la fourvoyer et de s’allier à ses ennemis. Il croupirait au fond d’un ergastule pour ses méfaits, ce qui, en un sens, valait mieux pour lui. Ses activités interlopes étaient désormais connues de la populace, tout autant que ses extractions et ses accointances avec les mauvaises personnes, lesquelles n’étaient pas autre que les Feuerbach, et, ainsi, l’on lui en voulait beaucoup, dans Bratian.
Mascher. L’homme avait ainsi donc été à la botte des Feuerbach, mais, dans le sens où celui-ci s’avérait respecté de la milice et des habitants de Bratian, il n’était peut-être pas très indiqué que de le destituer soudainement, d’autant plus qu’il avait ouvertement pris part au combat contre l’ennemi commun avant de se faire sévèrement blesser par ces derniers. Non, aux yeux du vulgum pecus, l’homme était un soi-disant héros, probablement, un martyr qui avait vaillamment combattu et que seules son éloquence ainsi que sa réputation lui permettaient de rester aux côtés de la jeune femme sans rejoindre Rosen dans sa geôle.
Si la jeune femme avait ainsi besoin d’aucun nouveau prêtre pour le culte de Sigmar qu’elle n’approuvait pas, il en allait tout autrement concernant le poste de maire à pouvoir. Si elle devait à voyager çà et là et à laisser son village et ses terres, il lui faudrait quelqu’un de compétent pour prendre à sa charge tout ce qui lui incombait d’ordinaire concernant la gestion de Bratian. Mais qui placer à un tel poste… Elle ne connaissait pas encore véritablement assez bien les villageois pour savoir qui colloquer à ce poste désormais vaquant. Il était fortement possible, en revanche, que les intéressées le sussent, eux qui se fréquentaient depuis des années, buvaient dans les mêmes godets à la taverne et partageaient les différents alcools que l’on pouvait y servir. Demander leur avis, organiser une sorte de vote ? Si cela pouvait être sage, la jeune femme n’en aimait pas l’idée. Elle souhaitait que ce fût quelqu’un non pas en qui elle pouvait avoir confiance, mais quelqu’un qui lui était redevable pour l’avoir élevé au rang de maire. Quelqu’un qu’elle avait elle-même placé là et qui ne lui ferait pas faux bond, à l’égard de Rosen. Et Mascher, qui fréquentait aussi tous ces gens depuis quelques temps déjà, devait certainement avoir une idée sur la personne.
C’était pour cela qu’elle lui avait demandé conseil à ce sujet-là, et que, après s’être quelque peu informé de la véracité de ses propos et de la confiance que l’on pouvait apporter en la personne indiquée, Lucretia s’était rendue elle-même au domicile de l’heureux élu pour aller lui proposer ce nouveau poste.
Quant au chef de la milice, étant donné que Mascher s’était occupé de ses membres et de leur entraînement, il semblait en tout point indiqué pour être placé à son tour à ce poste une fois qu’il serait rétabli.
Entre temps, la jeune femme s’était faite une petite place dans l’un des petits bâtiments mitoyens à son ancienne demeure dans l’attente de sa reconstruction qui avait déjà débuté. Elle avait levé des fonds concernant cette dernière opération, et, dans la mesure où cet argent lui appartenait et où il n’y avait plus aucun pingre pour tenter de lui tenir tête, plus rien n’était venu se mettre en travers de sa route.
Et même si, il y avait encore quelque jours de cela, elle avait été déclamée et décriée comme étant une sorcière ou quelque démon que ce fût, tout le monde s’était soudainement tu lorsque l’on avait compris qu’elle s’était démenée de la sorte pour une unique raison : protéger ses terres et, par la même occasion, les gens qui y vivaient.
Il y avait de ces fois où les choses coïncidaient étrangement bien et d’une manière pour le moins convenante.
Et la reconstruction de son domaine allait peut-être être créditée par les prisonniers Feuerbach. Lucretia s’était emparée de sa plus belle plume et, s’étant isolée quelque temps, avait mis beaucoup d’application à la rédaction de plusieurs lettres. L’on pouvait y lire à quel point cette petite échauffourée sur ses propres terres avait été sanglante, à quel point bon nombre de ses hommes avaient été mutilés. Ils avaient perdu un œil, un bras, des doigts, une jambe, une oreille, des proches et leur fierté ; l’on avait entendu, sur le champ de bataille, les cris des mourants, leurs hurlements d’agonie qui hantaient encore le sommeil de certains et dont les spectres venaient tourmenter les nuits des autres, l’on avait vu le sang qui giclait çà et là, tachant de rouge une herbe noircie par les déflagrations. Et les mousquets dont les défauts avaient arraché la joue d’un soldat, broyé les dents et la gencive d’un autre. Et des fournaises calcinant la peau et faisant fondre les yeux de certains tandis que l’air embaumait une délicieuse odeur de viande rôtie qui vous faisait dégueuler sitôt que vous contempliez ce triste spectacle que votre esprit pervers tout autant que votre odorat avaient amalgamé à une source potentiel de nourriture.
Et l’on pouvait y lire, aussi, à quel point les villageois de Bratian demeuraient furieux de tous ces affronts qui avaient bouleversé leur vie, à quel point leur soif de vengeance était alouvie et qu’ils rongeaient leur frein, difficilement, n’ayant pas encore trouvé de victime à qui faire payer en quadruple toutes les horreurs décrites ci-dessus dans les lettres.
Mais ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils finissent par tomber, malencontreusement, sur les prisonniers que la baronne avait faits. Et si les femmes voulaient revoir leur mari, si les fillettes voulaient revoir leurs pères et les grand-mères leurs fils adorés que la guerre avait, malgré eux, bronzés jusqu’à pouvoir donner la mort, il leur faudrait rapidement payer une somme assez rondelette, laquelle garantissait le renvoi immédiat des prisonniers auprès de leur famille.
Rapidement, sans quoi n’y aurait-il que des colis contenant le corps d’un macchabé non reconnaissable, au visage déformé par la douleur et aux chairs bouffies par la putréfaction. Un anonyme dont le nom inconnu hanterait longtemps la famille Feuerbach dans laquelle il aurait été envoyé au hasard, laissant planer un doute enraciné au plus profond de leur esprit quant à la perte ou non d’un être cher qui, en réalité, n’était peut-être pas encore rentré de campagne. Ou simplement déjà mort et rongé par la vermine.
Envoie de ces lettres aux Feuerbach en l’attente de la réponse d’Elise.