Lorsqu'elle comprit la nature de l'évènement qui se déroulait dans les bois, Dokhara fut à deux doigts de perdre tout contrôle, son regard fou jonglant entre les deux mariés tandis que sans s'en rendre compte, elle jouait du poignet pour s'assurer de la présence de la lame dans sa manche.
Un mariage, un foutu mariage.
Ranald t'a fait passer le mot Rhya, toi aussi tu tiens à te foutre de ma gueule, c'est ça ? Très ironique, très drôle, je suis pliée de rire, pétasse...
Mais alors que dans ses pensées se mêlaient un vocabulaire et des propos peu dignes d'une baronne, sa colère commença à décroitre tandis qu'elle écoutait plus en détails la cérémonie.
C'était un mariage de serviteurs. Loin des bruyants échanges de politiciens, tous les puissants se contrefichaient bien d'une telle union. Il n'y avait pas d'enjeu économique ou diplomatique. C'était un mariage niais, qui avait pour seul thème l'amour de deux êtres. Pas de promesses idiotes qui ne pouvaient assumer les dommages du temps sur un couple, juste une cérémonie fleurie pour fêter leur bonheur actuel. Fêter le moment présent.
L'amour hein ?
Dokhara se mordit une lèvre. Peu importait le baratin qu'elle avait servi à Pollmar et Lucrétia, elle n'était plus une gamine naïve qui rêvait du prince charmant. Son innocence avait cédé sous les coups répétés de ses exactions nocturnes, et avait explosé en morceaux lorsque, regardant son père mourir, elle lui avait souri de toutes ses dents, sans ressentir le moindre regret sur ce parricide. Encore aujourd'hui, pas une seule seconde elle ne ressentait de remords.
Ingrid... Ingrid semblait attachée à elle. Amoureuse peut-être ? A en voir son regard, sa gestuelle, tout trahissait un attachement véritable pour la baronne, qui ne le méritait sûrement pas. Elle ne voyait en la prêtresse de Rhya que de la chair à plaisir, un outil de détente pour sa personne, voire une potentielle victime de ses idées déviantes. Rien de bien romantique là-dedans.
Dokhara regardait le couple, et la colère s'était muée en jalousie. Elle n'arrivait pas à se voir à la place de la mariée. Elle voyait leur bonheur, leur émotion, l'importance de ce moment pour eux. Mais elle était incapable de l'envier. Elle percevait, mais ne comprenait pas. Toujours cette sensation de vide.
La cérémonie se terminait, permettant à la jeune noble de quitter ses sombres pensées, pour revenir à la réalité, qui prit la forme d'une belle prêtresse un peu inquiète.
-Je, oui, je... bredouilla t-elle, prise au dépourvu d'avoir été ainsi percée à jour. Était-elle si facile à déchiffrer, elle qui se vantait de si bien porter le masque neutre d'une parfaite politicienne ? Après une longue respiration qui lui servit à retrouver une contenance, elle put répondre à la déclaration d'Ingrid, lui offrant un sourire complice, bien que trahissant sa faiblesse.
- Le repas a été difficile. Trop de politique, pas assez de ravissantes prêtresses de Rhya. Tu m'as manqué également.
Elle ignorait délibérément la forme plurielle qu'avait employé Ingrid. Si elle parlait de sa déesse, Dokhara comptait bien faire semblant de ne pas avoir compris l'allusion : c'est la femme et son corps qui l'intéressait, certainement pas sa compagne mystique.
Alors qu'elle parlait du violon qui pourrait apaiser sa colère, Dokhara ne put s'empêcher d'appuyer un autre sourire fatigué. La femme avait vite compris l'utilité de l'instrument de musique dans le quotidien de Dokhara. S'oublier un peu, pour laisser place à un art qui n'a besoin de souffrir d'aucun mot.
Pour seule réponse à la proposition de la prêtresse, Dokhara prit sa main dans la sienne et la serra doucement, avant de l'inviter à la guider dans la forêt pour un endroit plus discret.
Une fois assurée d'être seule, Dokhara n'attendit pas une seconde pour enrouler ses deux bras autour du cou de la prêtresse et l'embrasser farouchement. C'était un baiser vorace, mué par encore trop de sentiments mêlés, qui ne cherchait non pas la tendresse et le réconfort mais qui transcrivait toute la rage qui avait précédemment habité Dokhara, et qui se changeait maintenant en un désir qui la submergeait, une envie de posséder chaque parcelle du corps de la prêtresse, de la faire sienne. Des appétits brûlants qu'elle espérait transmettre à Ingrid, avant de conclure cet échange en mordillant avidement sa lèvre inférieure.
Alors qu'elle relâchait son étreinte et reculait de quelques pas, Dokhara brouilla les pistes au sujet des émotions transmises dans son baiser, décidant de cacher son désir pour mieux en jouer. Elle posa son étui sur le sol, et en sortit son violon et son archet. S'installant pour jouer, elle vérifia rapidement qu'il était toujours accordé.
- J'ai beaucoup réfléchi au type de morceau qui te serait adapté. Il y a une certaine majesté chez toi, différente des nobliaux. Une prêtresse qui impose le respect - mais pas celui accompagné de la crainte, seulement celui qui va avec l'admiration. Du calme aussi, de la confiance en soi. Et de la beauté, bien sûr.
Dokhara vérifie chaque corde une dernière fois en tirant de son archet sur chacune. Après quelques sons dissonants et derniers ajustements de cordes, elle était enfin satisfaite du résultat. Une vague douleur au ventre vint la taquiner - un léger trac ? Qu'importe. Elle ferma les yeux, et laissa la mélodie qu'elle avait imaginé emplir sa tête. Elle n'avait qu'un violon, mais tous les autres instruments d'un chœur entier l'accompagnaient dans sa tête. Ceux qui l'écoutaient n'entendaient qu'un solo, mais elle, elle vivait sa musique comme un tout.
Musique !
Les premières notes glissent doucement, tandis que dans son esprit la prêtresse marche d'un pas dansant dans sa forêt. Le ton est léger, calme, tandis qu'une véritable communion existe entre l'Ingrid de son esprit et la nature qui l'entoure.
Plus d'explications. Juste une mélodie qui glisse, et Dokhara qui se fait emporter par un univers où elle sait pouvoir s'abandonner. Son corps tout comme le violon ne sont plus que des outils au service d'un art. Son esprit s'efface, ses pensées, ses peurs, tout disparait et Dokhara de Soya n'existe plus tandis que les notes s'enchainent.
Ses yeux se rouvrent, doucement, comme si elle se réveillait. Elle offrit un sourire à Ingrid, en espérant que le morceau lui avait plu. Pendant sa transe musicale, elle perdait pied avec la réalité. Sa musique était comme tout le reste chez Dokhara : égoïste. Elle jouait pour son plaisir, pour s'échapper, mais jamais pour faire plaisir à autrui. Si elle affirmait que ce morceau était pour Ingrid et qu'elle avait crée une mélodie qu'elle pensait adaptée à la prêtresse, elle n'en voyait néanmoins pas son morceau comme un cadeau - uniquement un moyen de laisser son esprit virevolter... ailleurs.
- Celui-là était pour toi... le prochain est pour nous.
Musique !
Sans attendre une seconde de plus, l'archet se meut à nouveau. Mais cette fois, les paupières de Dokhara ne se ferment pas. Son regard se focalise sur Ingrid, et son esprit, sur ses fantasmes. Langoureusement et alors qu'elle met la mélodie en place, elle s'approche pas à pas de la prêtresse, pour ensuite sensuellement danser autour d'elle. Ses mouvements sont lents, et chacun accompagne le thème musical pour transcrire avec quelle ardeur elle désire le corps d'Ingrid.
Loin de l'effet cathartique qu'avait eu son violon lors de la nuit avec Ruud, il éveilla cette fois ses pulsions les plus bestiales pour les faire progressivement monter à leur paroxysme.
Plus rien n'existait pour Dokhara maintenant, en dehors d'elle, d'Ingrid, et de ce besoin insatiable de sexe. Si la prêtresse n'était pas sensible à cette mélodie, si elle ne s'abandonnait pas totalement au plaisir et à la luxure, Dokhara ne le supporterait pas. Elle en avait BESOIN. Il lui fallait la POSSEDER, la PERVERTIR, la SALIR.
MAINTENANT.
Inconsciemment, un nom s'insinua dans son esprit, une entité dont elle ne connaissait rien mais qui avait accompagné sa nuit de luxure la plus totale avec les meurtriers de son père. Une partie d'elle avait peur de ce nom, mais Dokhara n'était plus en état de réfléchir.
Le vide devait être comblé. Il avait faim. Faim de sensations.
Alors, au cœur de sa mélodie, elle pria muettement l'entité de l'aider à pervertir la Waldmutter Ingrid, afin qu'elle devienne sa chose.
Et lorsque la mélodie se finit, Dokhara posa lentement son violon au sol, puis ouvrit les bras comme pour s'offrir à la prêtresse, se faisant violence pour attendre fébrilement qu'elle fasse le premier pas vers elle.
Il est rare que je joigne des musiques à mes posts, surtout en fin de post car faut avoir 8 minutes à perdre pour vraiment les écouter sans rien lire avec, mais je pense qu'elles font, pour le coup, partie intégrante de mon roleplay sur ce message. C'est pour cela que j'ai évité de détailler les musiques par écrit - elles se suffisent en elles-mêmes je pense. A chaque éventuel lecteur de ce fil de se faire son opinion ensuite sur ce que les mélodies transmettent ^^