En passant près du Temple de Sigmar, Albrecht s’arrêta. Il se signa rapidement en observant le clocher, inclinant bien la tête, mais se détourna bien vite pour rejoindre Galfric. Le chasseur de primes préféra ne pas perdre trop de temps – leur proie était peut-être déjà très loin. Il n’avait pas filé depuis longtemps, mais il fallait chercher des traces.
Alors, ils se rapprochèrent des palissades de Löwitz, et, à pied, ils commencèrent une longue marche pour redescendre le chemin de terre, et s’appliquer pour aller jusqu’à la ferme qu’on leur avait indiquée.
« Quel pays de merde, putain. »
Albrecht avait trahi la monotonie de la route d’automne sur laquelle ils repartaient avec ce juron.
« Sérieux, regardons autour de nous ; Y a que de la boue bordel. Rah, on aurait dû passer une nuit dans ce bled paumé au moins, j’aurais bien aimé me laver un coup, au lieu de ça on va encore roupiller je sais pas où !
– Il vaut peut-être mieux finir cette prime le plus vite possible, après les gens de Löwitz seront peut-être plus accueillants, et-
– Et qu’est-ce que t’y connais Hilda ?! Allez, oui, j’espère que ce type est pas déjà à l’autre bout de la Province, ou qu’il a franchi la frontière pour le Kislev – sinon ça va être encore bien joyeux pour nous. »
L’Ostland n’avait jamais été la plus riche des régions de l’Empire. Depuis le Déluge, elle avait été réduite à un état des plus misérables. La Marche que Galfric était en train de traverser était notable par une seule caractéristique : Son vide. Loin des forêts, loin de la côte de la Mer des Griffes, la steppe de l’Ostland n’était qu’une immense terre de rien. Du rien absolu. Les pâturages avaient été vidés de leur bétail, les champs laissés à l’abandon, les fortins explosés et désarmés. Peut-être y avait-il des animaux sauvages qui gambadaient le long de ces étendues – peut-être était-ce l’automne, peut-être était-ce la souillure que les hordes du Nord avaient laissé dans leur sillage, mais le trio ne croisa pour tout signe de vie qu’un putois écrasé sous une roue de charrette le long de la route.
« Quel pays de merde… »
À la forteresse de Bohsenfels, on avait donné à Galfric une description de ce à quoi s’attendre en errant vers l’est de l’Ostland : C’était là où la destruction avait été la plus douloureuse, avant que les forces d’Archaon ne décident de continuer de suivre la route jusqu’à Middenheim, où il serait enfin défait par les armées coalisées du Vieux Monde. Il y avait autrefois peut-être plus d’une trentaine de bourgades aux tailles diverses, qui formaient un maillage de commerce et un tissu de production d’élevage et de houblon.
Tout le monde avait fui. Ceux qui étaient trop lents avaient été attrapés pour être réduits en esclaves ou sacrifices par l’Ost Noir. Et maintenant, il fallait reconstruire.
Alors que le soleil commençait à péricliter, indiquant la fin de la journée, quelques signes d'habitations apparaissaient au loin.
« C’est cet endroit qu’on nous a indiqué ? »
Question rhétorique de Hilda. Ça y ressemblait. À l’horizon se dressait un vieux Temple de Sigmar – il semblait y avoir des temples du Kaiser partout dans ce pays, tant il était le Dieu incarnant l’hénothéisme impérial du coin. Mais le Temple était explosé. Son clocher avait été arraché par quelque force, et pourtant, ça ne ressemblait pas au dégât causé par une canonnade – c’était plus tranché, net, comme si un géant avait brandi une épée pouvant découper de la pierre comme un couteau tranche un fruit.
Les chaumières en dessous avaient été calcinées. Il restait des toits à la paille manquante, peut-être parce que des chevaux avaient grignoté les toits. Et tout autour, des morceaux de bois cendreux, qui peinaient à faire tenir debout des restes de chaumières.
Et au fur et à mesure qu’ils approchaient, ils découvraient comment des labours et des semailles avaient été laissés à l’abandon. Des clôtures délimitant des jardins étaient éclatés. Tout le long de la route, des poteaux, pour certains couchés au sol.
Pourquoi des poteaux alignés ainsi, de chaque côté de la chaussée ?
« Putaiiiin de merde…
Cet endroit fout les jetons. »
C’était un village fantôme. Et plus ils s’approchaient, plus ils se rendaient compte à quel point il était grand. Peut-être que cent, deux cents personnes vivaient ici à une époque – il n’y avait plus l’air d’avoir personne. Albrecht et Hilda marchaient très lentement, en regardant par tout. Une espèce de pesanteur commençait à les gagner.
Galfric sursauta lorsque le vent fit couiner un ancien volé qui ne tenait plus qu’à un clou. Et c’est là qu’il crut comprendre pourquoi il pouvait déceler un peu de sang séché sur l’un de ces poteaux :
C'étaient en fait des pieux. Des gens avaient été empalés ici. Des villageois. On en avait attrapé pour les mettre dessus, et les torturer.
Et Galfric se mit à lentement perdre son rythme respiratoire, à s’étouffer sur place. Il sentait quelque force oppressante comprimer sa gorge, et l'empêcher de bien prendre son souffle.
Est-ce qu’il y avait encore des âmes errantes ici ?
Au loin, on entendit un chien aboyer et férocement grogner. Un jeune homme apparut alors à une cinquantaine de pas, ce qui figea Hilda et Albrecht sur place. Un bonhomme tout malingre, très mince, les joues anormalement creusées par la faim, les yeux entourés de cernes, apparut aux côtés d’un solide dogue à la gueule dégoulinante de salive. Il tenait dans sa main un long bâton, et, à distance, il se mit à siffler et à crier pour se faire entendre :
« Qu’est-ce vous venez faire ici, gens ?!
Y a rien à voler, j’ai rien, vous perdez votre temps ! Vous allez pas vous faire mordre le cul pour deux sous de cuivre et un poulet, quand même ?! »
Le chien paraissait anormalement agressif. Il ne cessa d’aboyer à tue-tête, en affichant ses crocs aux trois intrus.