La tension était palpable. On écoute, on observe, on avance et on se perd…
La gorge d’Adémar était nouée par l’angoisse à un point que même déglutir en était devenu difficile. Ses tripes le serraient si fort que s’il y avait mis un rondin de bois. Il eu été broyé en un instant.
L’inquiétude de Safran commença à faire douter Adémar de la justesse de leur décision. Au moment de lui répondre, il entendit quelque chose.
« Partez… Retournez d’où vous venez ».
Le trio stoppa net son avance et en périphérie de leur vision une forme s’enfuit.
Le groupe s’élança immédiatement à sa poursuite. Brisant les branches basses et sautant au-dessus des buissons. Malgré tous leurs efforts. La distance entre la forme et eux ne se réduisait pas. Pire, elle augmentait.
Après une course-poursuite dans l’obscurité partielle des bois. Ils débouchèrent sur une clairière.
En face d’eux, se dressait un Homme-Bête constitué par des jambes et une tête de bouc avec un torse d’homme particulièrement poilu et malodorant. Le mutant possédait des crocs afin de déchirer la chair de sa proie. Ainsi que d’un corps musclé, robuste en plus d’être infesté de parasites parfaitement adaptés à satisfaire ses instincts meurtriers. Cependant, au lieu d’un mugissement bestial, si caractéristique à ses monstres, de sa bouche sortait la phrase qui avait poussé le trio à le poursuivre.
À coté de lui gisait un corps abîmé et porteur de multiples blessures. Il avait encore une étincelle de vie dans cet amas de chair ravagé.
Quand Adémar réalisa qu’ils venaient de se faire avoir avec une méthode aussi grossière et le traitement infligé à l’individu par l’homme-bête.
Son sang ne fit qu’un tour.
Safran et lui s’élancèrent l'épée brandi en hurlant sur la créature. Finis le temps de la dissimulation et de la tromperie. Place au langage des armes.
En quelques enjambées et les deux hommes sont à porté de lame. Sans attendre Adémar abattait son épée d’un coup vers le bas. Sa lame perça le cuir puant de la créature. Aussitôt, un liquide noir et nauséabond jaillit de la blessure pour recouvrir l’acier de l’épée.
« Une fois de plus, tu goûtes au sang des mutants. Je compte bien faire en sorte que ce ne soit pas la dernière. » Dit-il en raffermissant sa prise sur la poignée.
La bête répliqua en assénant un coup de lame vers le ventre du jeune homme. Plaçant dans un mouvement fluide son arme sur le chemin de celle de la créature. Adémar bloqua le coup du moins, c’est ce qu’il pensait. Il avait sous-estimé la force du mutant qui enfonça sa garde pour venir mordre la chair. Heureusement, la cotte de maille résista au choc, protégeant son porteur qui eu néanmoins le souffle coupé par le choc.
Brandissant son autre arme, l’homme-bête prépara un autre assaut. Malheureusement pour lui et heureusement pour son opposant. Sa prise glissa sur le manche de l’arme qui fut projetée hors d’atteinte.
Grognant sous l’effort. Adémar porta un autre coup de sa main gauche avec sa dague. Le coup fut assez rapide pour passer outre la garde du monstre. La sensation d’un liquide chaud sur sa main indiqua qu’il avait touché au but. Risquant un rapide coup d’œil, l’écuyer vit que sa petite lame de 25 cm venait de faire connaissance avec la joue de la créature et non-contente de cette rencontre, avait laissé une vilaine balafre jusqu’à l’os de la mâchoire durant sa course.
Avant de trouver la surface de chair assez tendre pour s’y engouffrer. Tailladant joyeusement dans ce qui servait de bouche. La douleur devait être indicible pour le gor à l’écoute du grognement qui sortit de sa gorge. Le son était néanmoins bizarre, car l’air expulsé sortait à la fois de sa bouche et du trou formé par le passage de la dague.
Satisfait, l’écuyer extirpa prestement la lame pour se replacer dans une position favorable à l’attaque.
L’arrivé des deux monstres sans cornes venait de rendre la situation encore plus dangereuse qu’elle ne l’était déjà. Préférant laisser au forestier le soin de s’occuper des nouveaux arrivants. Les deux soldats continuèrent de s’occuper de leur adversaire.
Le monstre se tint face à Adémar de toute sa stature faite de muscles et de violence. Il parvenait même à dépasser le mètre quatre-vingt-deux de l’écuyer par sa taille. Son regard de bête enragée croisa celui de son adversaire et ce dernier lui rendit son regard. Dans ce regard humain, il n’y avait aucune place pour la peur. Juste une grande concentration et une détermination brûlante. Celle de tuer son adversaire certes, mais bien plus celle de survivre. On lui avait appris très jeune durant son entraînement au château que, en combat la peur est une ennemie mortelle. Il faut la tenir le plus loin possible de son esprit. L’étouffée par d’autres émotions. Adémar avait fait le choix d’utiliser sa détermination de vivre. Cet entraînement psychologique semblait apparemment porter ses fruits en ce moment.
Voyant que l’humain en face de lui ne bronchait pas. L’homme-bête leva haut son arme afin de porter un coup descendant. Alors que l’écuyer se préparait à encaisser le choc. Un sifflement aigue retentit puis le visage de la créature se crispa d’un coup avec une expression de surprise mêlée de haine. Avant de s’effondrer au sol, sous le regard étonné d’Adémar.
Contemplant le corps de la créature, il vit une hampe de carreau dépasser du corps. Il se retourna vers Qu’un Coup qui baissait son arme.
«
Très joli coup. Merci » Fut, la seule phrase qu’il prononça avant qu’un des mutants dépourvu de corne ne se précipite vers lui avec une lame pointé vers son dos.
Il était trop tard pour parer ou esquiver. Safran tenta de s’interposer entre les deux, mais échoua. Tout était aligné pour que l’écuyer essuie un coup en traître, mais le monstre dérapa un peu dans la boue formée par le mélange de terre et de neige fondue. Ce léger décalage lui fit finalement manquer sa cible.
Alors que l’écuyer et Safran se préparaient à riposter, des cors de guerre retentirent entre les arbres ainsi que des beuglements.
« On va crever si on reste ici les gars ! On se tire suivez moi ! » Cria Qu’un Coup avant de s’élancer dans la direction supposée être celle par laquelle ils étaient venus.
Dans un juron, les deux compagnons le suivirent, mais Adémar ressenti une vive douleur dans son flanc gauche suivit de la sensation qu’un liquide chaud lui coulait sur le flanc. La créature avait profité de sa fuite pour lui porter un coup en oblique et ainsi avait partiellement ignoré la cotte de maille.
Lâchant un juron sous le coup de la douleur. L’écuyer pressa le pas pour rattraper le forestier. Derrière lui, il entendait la course de Safran qui peinait à suivre le rythme.
Débuta alors la fuite la plus désespérée d’Adémar. Si jamais il se faisait attraper par les hommes-bête, il ne donnait pas cher de sa peau. Les bruits de sabots et les beuglements les talonnaient, les rattrapaient.
"À droite !" Cria Qu’un Coup avant de prendre un virage très serré dans la direction annoncée. L’écuyer l’imita en manquant de peu de trébucher sur une racine au sol. Il dérapa une demi-seconde dans la boue avant de retrouver un appui et de reprendre sa course.
"
À Gauche !" Cria cette fois-ci le forestier avant de joindre le geste à la parole. Von Phumtar s’exécuta, mais trois secondes après qu’il eut tourné. Un grand fracas retentit suivit du son de la chute d’un arbre. Un des mutants avait quasiment réussi à rattraper Adémar, mais n’avait pas anticiper le changement de direction de sa cible. Incapable de freiner, il finit sa course dans un sapin qui tomba sous le choc subi.
Ses jambes lui faisaient mal, la tête lui tournait et ses poumons criaient pitié. Mais il fallait continuer à courir. S’arrêter signifiait mourir donc il suffisait de ne pas s’arrêter pour pouvoir vivre.
Finalement quand les cris, le martèlement de sabots et la chute des arbres s’arrêtèrent de résonner. Qu’un Coup ralenti pour ensuite s’arrêter en haletant et s’appuya contre un arbre pour reprendre son souffle.
« Tu… Tu crois qu’ont les as perdus ? » Demanda Adémar.
"Eux, je crois, mais je pense qu’on n'a pas semé qu’eux. Où est Safran ?" S’inquiéta le forestier.
« Je ne sais pas, il nous suivait et puis… Là ! Il est là ! » S’exclama l’écuyer en pointant une direction du doigt.
Effectivement, c’était Safran qui haletait comme un cheval ayant galopé toute une journée. Adémar se précipita pour lui offrir une épaule pour le soutenir, la blessure de son compagnon devait lui faire subir un calvaire.
Préférant ne pas faire attention à la dispute qui éclata entre les deux hommes sur le sens du mot perdu. L’écuyer préféra examiner son environnement pour tenter de repérer quelque chose, n’importe quoi qui aurait pu les aider à se repérer dans cette maudite forêt.
Finalement, un léger scintillement attira son regard. Comme hypnotisé par la lumière, Adémar se rapprocha et finalement dans un rayon de lumière passager, il le vit. Un colifichet ! Un de ses maudits colifichets.
Reprenant sa recherche, il en trouva d’autres disséminés dans les branches des arbres. Leur placement formant comme un chemin dans la pénombre ambiante.
Adémar prévint immédiatement les autres de sa découverte. Bien que le forestier soit contre l’idée de suivre le chemin proposé. Faute d’alternative valable le groupe se remit en route.
Après quelques minutes de marches, la pénombre déjà présente sembla s’intensifier jusqu’à rendre la forêt complétement sombre. Puis en quelques pas elle disparut subitement pour laisser la place à…
Une palissade en bois, une porte gardée et une sentinelle dont la mâchoire semblait sur le point de tomber au sol.
« On est… Au camp ? Mais c’est impossible. On n’a pas pu marcher aussi vite et dans la bonne direction en plus. » S’exclama qu’un coup qui n’en revenait pas comme les autres d'ailleurs.
Le trio fut immédiatement conduit vers la bâtisse qui servait de quartier général. Un Arbercrombie perplexe et un Ursuf incrédule en sortirent presque immédiatement quand le groupe fut visible à travers la fenêtre.
Bien que complétement épuisés, incrédules et meurtris pour deux d’entre eux. Chacun fit son rapport en n’omettant aucun détail. Complétant les dires des autres en cas de besoin.
Une fois, cela fait. Ursuf commença à s’énerver contre eux, mais fut interrompus par le capitaine qui les congédia non sans faire comprendre que toutes autres nouvelles initiatives de ce genre seront suivies de lourdes conséquences.
Sur le chemin de l’auberge Adémar indiqua à Safran et à Qu’un Coup de ne pas l’attendre. Il devait faire un détour pour s’assurer de quelque chose.
Le soleil n’était plus qu’un mince point à l’horizon et la nuit commençait à prendre ses marques.
L’écuyer se précipita vers les écuries afin de voir si la troupe avait ramené Sturm avec eux. Arrivé devant le bâtiment, il sentit immédiatement que quelque chose clochait. Il ne percevait pas la fragrance caractéristique de son ami. De plus en plus inquiet, à chaque pas vers le box qu’on lui avait attribué, il vit que le responsable des lieux. Le chef palefrenier ainsi qu’un membre de la troupe qui se tenaient devant l’entrée du box.
Quand ils le virent, l’homme en armure murmura ce qui semblait être un « Ulric merci, ils s’en sont tirés » puis les deux hommes s’approchèrent. Ils avaient un air grave.
« Tu es bien le jeune écuyer Adémar ? » S’enquit le palefrenier.
« Ou… Oui, c’est bien moi. Qu'est-ce qui se passe ? » Répondit hésitant le concerné de plus en plus inquiet.
Le chevalier s’approcha plus près, lui prit l’épaule et lui annonça des mots qui allaient longtemps rester dans l’esprit d’Adémar :
« Quand nous étions dans le village, ton cheval s'est mis tout à coup à se cabrer, à hennir et à tirer de toutes ses forces sur ses attaches. Il avait le regard paniqué et avant que quiconque puisse intervenir. Il a rompu ses liens et c’est élancé dans les bois. Avec les autres ont à voulu t’appeler pour te prévenir mais on s'est rendu compte à ce moment-là que toi, Safran et Qu’un coup aviez disparu. Ta monture à du sentir que quelque chose allait mal pour toi et à voulu te rejoindre. Maintenant, il est sûrement mort… Par ta faute. » Annonça le soldat avec un ton grave.
Après un lourd silence, il se décida à laisser sortir ce qui le travaillait.
« Putain ! Mais qu’est-ce que vous avez foutu ? Vous pensiez à quoi ? Avec les autres ont…» Commença-t-il en s’énervant. Cependant, Adémar ne l’écoutait plus. Son regard était vide. Aucune vie n’y était présente. Il resta immobile devant le soldat qui le tenait par l’épaule. Ce dernier finit par croiser le regard éteint de l’écuyer et, comprenant qu’Adémar encaissait quelque chose de terrible.
Il se tut. Lui mit sa deuxième main sur les épaules et dit :
« La première fois ca fait très mal. Ne te laisse pas engloutir gamin. On voit crever tout le monde autour de nous, mais on s’accroche. » Avant de partir avec le chef palefrenier.
L’écuyer resta debout quelques minutes. Perdu dans ses souvenirs et la douleur que lui causait cette perte. Il venait par sa faute, de détruire le lien le plus tangible qui le reliait à sa famille et à son ancienne vie. Cette révélation brisa quelque chose en lui et ca faisait mal.
Tourmenté, Adémar s’avança et ouvrit le box.
Bientôt, sûrement, demain, cet endroit sera attribué à un autre cheval. Il sera nettoyé et toutes traces de l’ancien occupant disparaîtra.
Alors avant que cela ne se fasse. L’écuyer tomba à genoux dans la paille qui était étendu au sol.
Pour la première fois, depuis qu’il était parti de chez lui.
Il pleurait.
Deux minces filets de larmes coulèrent le long de ses joues. Leurs chutes entrecoupées de légers soubresauts causés par ses sanglots.
Il se balançait d’avant en arrière en serrant ses bras autour de lui. Comme pour se rassurer, se protéger de façon illusoire de l’injustice du monde.
Adémar resta prostré dans cette position durant une demi-heure.
Finalement le froid le saisi et il éternua. Se rendant soudain compte qu’il était en retard et qu'avec ses exploits de la journée. De plus, une disparition supplémentaire serait une très mauvaise idée.
L’écuyer se leva difficilement, essuya ses larmes dans sa manche et repartit vers l’auberge complétement exténué d’avoir pleuré, de son combat, de sa blessure et de la fuite dans les bois.
Le chemin boueux tracé par le passage quotidien de la population passait devant la porte du camp. En passant devant, dans un espoir fou. Adémar siffla l’air qui lui permettait de rappeler son ami. La seule réponse qu’il obtenu fut le souffle glacé du vent qui porta les notes de son appel dans les recoins lugubres de la forêt. Baissant la tête et ignorant le regard interrogateur de la sentinelle. Il reprit son chemin d’un pas lourd.
La chaleur de la taverne, le repas chaud et la bière ne changea rien à son humeur. Autour d’eux, l’ambiance était calme. En jetant un regard autour de lui, Adémar voyait des regards pleins de mépris, mais néanmoins teintés de quelque chose d’autre. Une sorte… D’admiration ? Impossible de savoir. Un soldat leva sa chope en scandant
« À nos Ulricains déchainés » , peu suivirent son mouvement. Néanmoins, Adémar tourna la tête vers lui et lui adressa un sourire. Un sourire triste, mais un sourire quand même.
Après le repas et dans la chambre commune. On se déshabille et on soigne les blessures. Safran banda les blessures du jeune homme, mais l’inverse fut plus difficile. N’ayant jamais manipulé de bandages, l’entreprise fut ardue pour l’écuyer. Safran remarqua les yeux rougis de son compagnon, mais ne dit rien.
C’est une fois couché et ressassant les souvenirs ainsi que les mots d’Ursuf, ceux dans l’écurie, d’Arbercrombie et du soldat au toast. Qu’une pensée germa dans l’esprit du garçon. Avec la tristesse, vint s’ajouter un sentiment de colère et de revanche. Empoignant son épée. Adémar la nettoya soigneusement et prit sa pierre à aiguiser.
« Ainsi donc nous sommes déchaînés ? Alors je compte bien le faire comprendre à ses monstres. » Se répétait l’écuyer à chaque passage de la pierre sur l’acier. Il continua obstinément son ouvrage jusqu’à obtenir un résultat satisfaisant à ses yeux. Finalement, la fatigue l’emporta dans les bras de Morr pour un sommeil sans rêve.
Le lendemain s’annonçait rude.