Le garde à qui je parlais fit un pas sur le côté et me regarda de pied en cape, ainsi que mon "ami" aux paroles si agréables à mon égard. Je l'ignorais, après presque vingt ans sur les routes, j'étais habituée à ce traitement de la part des humains, mais plus dans les petits villages en fait. J'y avais déjà entendu maintes fois les insultes qu'il me lançait et les trouvait plutôt insipides tout compte fait.
Je lui posais quelque question d'un ton aimable, mais il lui semblait difficile d'ignorer les insultes de l'autre comme je le faisais moi-même. Durant un instant, je crus qu'il allait répondre à mes questions, mais il changea d'avis et posa la main sur le pommeau de son épée. Manifestement, nous l'agacions. Mais avant qu'il ne puisse faire montre de son autorité et ramener l'ordre, une voix me fit sursauter.
"Allons, allons monsieur le garde ! Veuillez excusez mes amis pour tout ce raffut. Le bruit du vent contre les volets les a empêchés de dormir la nuit dernière."
Je sentis que l'on m'agrippait le bras gauche. Une jeune et jolie humaine surgit entre moi et l'infatigable casse-pied quelle attrapa aussi, mais lui par le bras droit. Il me sembla plus sage de me laisser tirer en arrière, même si j'eusse préférée m'éloigner de cet idiot au langage plutôt limité.
Une fois loin de la foule, elle se stoppa et s'en pris au jeune homme. Je reculais prudemment d'un pas, pour ne pas attirer son attention.
"Idiot ! Crétin ! Coquebert ! Pourquoi faut-il toujours que tu te fasses remarquer ?!"
Elle semblait vraiment furieuse. La colère déformait son joli minois.
"Mais enfin, je pensais que tu..." tenta-t-il de se défendre.
"Tais-toi !" hurla-t-elle. Et le jeune homme se tût. Je fus favorablement impressionné par sa capacité à se faire obéir de l'autre. Surtout que tout ce que j'avais vu de lui m'incitait à croire, peut-être à tord, qu'il ne se taisait pas souvent.
Elle se tourna vers moi en souriant comme si de rien n'était. Il me semblait évident qu'ils se connaissaient bien, même si le jeune homme agaçait visiblement la jeune fille. Une jeune fille qui me semblait plus jeune que lui, bien que je ne fusse pas plus sûre de moi que cela. Le ruban qu'elle portait attira mon attention, il était très joli bien que fort simple.
"Excusez Kleist, c'est un idiot. Je suis Hannah. Nous sommes tous les deux membres de la compagnie des Renards fallacieux. Moi non plus je ne sais pas ce que fallacieux veut dire, mais notre chef, Wolfo, semble l'apprécier." Dit-t-elle en me jetant un clin d'oeil complice.
Fallacieux ne veut pas dire mensonger ? Pensais-je pris d'un très sérieux doute. Mais la jeune Hannah me semblait bien avenante et comme elle continuait de parler, cette pensée fugace s'enfuit dans le flot de ses paroles.
"Comme tu l'as sans doute compris, un concours de talents a lieu dans une ou deux petites heures sur l'estrade et nous comptons y participer. Kleist est persuadé d'être le meilleur, mais nous ne sommes pas si bons. Essaye de nous ménager hahaha !"
Son rire était charmant, mais je ne pus m'empêcher de remarquer le passage au tutoiement. Cela ne me plaisait pas vraiment, mais je n'avais pas vraiment de raison de le lui faire remarquée. Après tout, elle venait de calmer son ami.
"A moins que tu ne veuilles plus participer ?" Tenta Hannah avec espoir. Un espoir que je comptais bien décevoir, Kleist m'avais assez agacée pour que rien ne puisse me convaincre d'y renoncer. Et puis chanter ici ne pourrait que faire du bien à ma réputation.
"Ton discours a fait forte impression. J'attends avec impatience de t'écouter !"
Elle semblait honnête et n'avait jamais cessé de sourire ce qui la rendait sympathique.
"Si tu veux t'inscrire, va à la table près de l'estrade. C'est la table du jury. Les juges ne sont pas encore arrivés ,mais il y a un scribe qui inscrit les participants. Les modalités du concours sont simples : tu as trois minutes pour effectuer une performance de ton choix et impressionner les juges. Lorsque tout le monde sera passé et après délibération, le gagnant est annoncé et gagne le grand prix. 10 couronnes d'or ! Tu te rends compte !"
Derrière elle, Kleist maugréait en balayant le sol enneigé du bout de son pied. Je souris à la jeune fille. Elle était bien aimable de me donner tous ces renseignements. Je lui dis alors joyeusement :
"10 couronnes d'or ? Voilà qui est un beau prix. Bien sûr que je vais participer. Quel bateleur digne de ce nom refuserait un tel concours ? " J'eu un rictus satisfait en regardant Kleist et dit de manière tout à fait audible pour celui-ci en me penchant vers Hannah :
"Je vais te dire un secret, je n'étais pas du tout au courant pour ce concours. Sans ton ami Kleist ici présent, je n'aurais pu y participer."
L'humain fit une grimace écoeurée en entendant cela. Le sourire d'Hannah ne bougea pas, mais ses yeux s'écartèrent légèrement de surprise. Je fis un petit signe de la main à la jeune fille et me dirigeait vers la table du scribe d'un pas légèrement sautillant, le sourire aux lèvres.
Tout en louvoyant dans la foule compacte, je pensais à ce qu'Hannah m'avait dit. Ils faisaient donc partie de la troupe des "Renards Fallacieux". Ce qui voulait dire que la jeune fille était elle aussi une amuseuse. N'ayant vu aucun outil ou instrument sur elle, je ne savais pas trop quelle discipline elle pratiquait, mais quelque chose me disait qu'elle chantait aussi. Je n'étais donc plus aussi sûre de l'emporter sans problème. Je m'inscris pourtant, l'appât du gain était puissant.
Après les formalités d'usage, je décidais d'aller faire des emplettes. L'hiver arrivant, il me fallait des vêtements plus chauds. Je flânais un peu, regardant les articles sur les étals du marcher. Les vendeurs me lançaient parfois des regards suspicieux, mais je les ignorais.
Au bout d'un moment, je vis un étal couvert de manteaux en tous genres. L'un d'entre eux attira particulièrement mon attention. Ce dernier était un beau manteau en tissus épais d'un beau gris foncé. Il devait tenir bien chaud et semblait pouvoir raisonnablement repousser les averses. Le devant se fermait avec des boutons en bois sombre. Et il avait deux larges poches extérieures ainsi qu'une poche plus discrète à l'intérieur. Devant mon intérêt pour sa marchandise, l'humain derrière l'étal, une brute facilement deux fois plus large que moi et au visage peu amène braqua son regard perçant sur moi. Il plissa les yeux en regardant mes oreilles, mais ne me chassa pas.
Quand je lui demandais le prix du manteau, il se gratta la barbe, aussi noire que ses cheveux et grogna :
"Ca fait deux couronnes et demi"
Je me penchais en avant et lui demandais alors, tout souriant et en battant des cils.
"Il ne serait pas possible d'avoir une petite ristourne ? Après tout, c'est jour de fête. " je tentais de le charmer par mon air innocent pour l'inciter à se montrer généreux.
Après avoir payé le prix convenu, j'enfilais l'habit avec plaisir, il tenait vraiment chaud. Mieux encore : la coupe était presque bonne pour moi, fait rare avec des vêtements prévus pour les humains. Il était un peu large, mais pas assez pour laisser passer le vent et froid, ni même pour que je me prenne les mains dans les manches. J'avais fait un bon choix.
Je continuais à flâner dans les allées du marcher et vis plusieurs étuis qui auraient pu convenir pour mon luth, mais décidait d'attendre la fin du concours pour en acheter un, espérant avoir plus de fonds.
Je regardais les gants avec envie, protéger mes mains du froid me permettrait de mieux jouer de mon instrument. Mais de nouveau je reportais cet achat.
Après avoir acheté et surtout presque entièrement dévoré une miche de pain, je mis ce qu'il en restait dans mon sac pour plus tard. J'avisais alors que le temps avant le concours était presque écoulé. Je me dirigeais donc vers le centre de la place. Progresser était de plus en plus dur, la foule commençant à se rassembler pour voir le spectacle.
L'heure du concours
Trois hommes et une femme, les juges, étaient assis à la table. Ils discutaient entre eux pour le moment sans faire attention aux participants.
On pouvait sentir la tension monter. Chaque artiste se concentrait sur sa propre performance. Certains discutaient pour éviter le stress, d'autres répétaient leurs mouvements ou la chanson qu'ils allaient présenter. Etant la dernière à passer j'avais donc du temps pour me préparer. Et un net avantage, car on se souvenait bien plus du dernier à passer. J'observais mes opposants, en accordant mon luth, un peu à l'écart. Il y avait une trentaine de ménestrels et autres bardes de toutes les origines. Parmi eux, beaucoup de musiciens et de chanteurs, mais aussi des jongleurs et des comédiens. Beaucoup me semblaient insipides, mais certains, pour l'une ou l'autre raison, sortaient du lot.
Je repérais Hannah et Kleist dans la foule d'artistes qui s'entassaient au bas de la scène. Tous les deux étaient occupés à parler avec un vieil homme bedonnant.
Je pu voir un dresseur d'ours qui se tenait lui aussi à l'écart. J'observais la bête avec curiosité, n'en ayant jamais vu avant. L'animal était bien plus grand et volumineux que le kislévite qui lui servait de dresseur, pourtant immense par rapport aux autres humains présents. L'homme portait des fourrures lui donnant un air féroce. Son impressionnante musculature n'adoucissait pas cette impression, pas plus que la barbe hirsute qu'il portait. Mais en l'observant bien, il titubait un peu fort, probablement à cause de la flasque qu'il n'arrêtait pas de porter à ses lèvres. Il ferait certainement forte impression, mais je n'étais pas sûr que cela suffise à sa victoire. Ni qui saurait tenir l'animal dans son état. J'espérais vraiment qu'il n'y aurait pas de problème.
Parmi mes autres rivaux je ne vis que peu de femmes. Je n'en comptais que six, Hannah inclue. Les autres étaient visiblement plus vieilles qu'elles. L'une d'entre elle, probablement l'aînée qui portait une robe brune ayant connu des jours meilleurs, était même ridée avec des longs cheveux blancs et crasseux, je me demandais quel pouvait être son talent. D'ailleurs c'était la seule qui avait l'air si déraillée, les autres s'étaient tous mis sur leur trente et un.
Une autre de ces femmes dansait. Elle était plus grande que la vieille dame, mais avait le même visage, sans les rides néanmoins et ses cheveux étaient blonds. Au vu de leurs yeux identiques, j'en déduisis qu'il devait s'agir de la fille de la première. Elle portait une robe serrée qui s'évasait à partir de la taille et qui formait comme une corole de fleur tandis que le tissu tournoyait autour de la femme. Ses pieds bougeaient si vite qu'ils en devenaient flous. Je dois admettre qu'il était difficile de détourner les yeux de sa danse.
Plusieurs jongleurs s'entraînaient avec plus ou moins de quilles dans divers costumes, allant du sobre au ridicule. L'un d'entre eux, un homme petit habillé d'un costume multicolore, en maniait... Je n'arrivais pas bien à les compter en mouvement, mais j'étais prête à jurer qu'il y en avait plus de sept. Et en plus elles étaient étranges, le bout de chacune d'entre elles était noirci, comme une torche qui avait déjà servi. Le mouvement des quilles était lui aussi plus original fessant des sortes de papillons en l'air. Cela me surprit tellement que j'en oubliais de regarder son visage.
Parmi les musiciens, l'un d'entre eux, un homme portant de riches vêtements rouges et bleus, jouait de la lyre. Tout en lui criait la richesse. De son maintien arrogant aux beaux motifs de fleurs brodés dans ses vêtements de velours. Sa tenue était belle et attirait l'attention, même parmi tous ces gens bariolés qui l'entouraient. Et son instrument valait le détour, je pouvais le voir d'où j'étais. Dommage que son talent ne soit pas à la hauteur. Il avait un fort accent Bretonnien, mais ce qui me faisait vraiment grimacer, c'étaient toutes ses fausses notes. Les autres jouaient et chantaient juste. Pas lui.
Le seul autre participant à ne pas être un humain était un petit halfling joufflus à l'air heureux. Il tournait joyeusement autour de plusieurs paniers fumant dans le froid. S'arrêtant pour caresser le tissu recouvrant l'un ou l'autre d'un air attendri. Le vent m'apporta une odeur de viande. Le petit être allait probablement se livrer à une démonstration de gloutonnerie. A la manière dont il regardait ses paniers, ils devaient contenir plusieurs des célèbres tourtes à la viande si chère aux petites gens. Mais à la lueur qui animait son regard, je n'étais pas sûre que les tourtes survivent jusqu'à ce que son tour vienne..