« C’était y’a bien longtemps, comme je disais. Elle s’appelait Uldine, et que les Dieux m’en soient témoins, aucune femme n’était plus belle qu’elle. Magnifique, mais talentueuse aussi, oui, très talentueuse.
Elle soignait tous les maux, parfois d’un seul touché ou regard. Même la peste et ses bubons de mort ne lui résistaient. Elle faisait de drôles de choses parfois, avec beaucoup de bougies qu’elle échangeait avec le prêtre. En échange, on devait juste s’assurer de pas la déranger. »
Ses yeux deviennent embrumés. Son expression n’a pas abandonné la confusion précédente, mais un détail perturbe aussi l’ancienne magister. Bien qu’elle ne le semble pas, la femme enrobée est certaine de ses mots, elle n’a aucun doute. Son désarroi, vient plutôt d’autre chose que les faits.
« On pensait tous que c’était une sorcière, une gentille, mais une sorcière quand même. Nous, en tant que bons Sigmarites, normalement, vous voyez quoi hein. Cependant, le prêtre, lui, ainsi que m’sieur Denyn, ils pensaient autrement.
Pour eux, c’était pas une sorcière, enfin, pas comme on l’entendait. Ils savaient pas comment elle… pouvait faire ses… trucs là. Mais ils n’avaient aucun doute, c’était autre chose. C’était différent.
Quand on vit par ici, la magie, et les saloperies qu’elle provoque, on connaît. Des nécromanciens, on en a eu, des enchanteurs qui n’étaient que des vils maudisseurs aussi on en a connu. Pourtant, Uldine, c’était jamais pareil.
Ouais, j’me souviens de ce qu'avait dit le prêtre Atti un jour. Elle n’appelle pas son pouvoir, elle n’invoque pas les mauvais esprits. Ses dons sont comme le forgeron, qui dégaine son propre marteau et bas le fer.
Puis un jour, Denyn, lors d’une de nos assemblées, était furieux. Il nous a dit que nous ne reverrons plus Udine, et qu’elle était partie pour toujours, à jamais. Sa colère, n’est pas bouillante. Je vous souhaite de ne jamais le voir en colère, j’ai failli avoir une attaque et pourtant, j’l’es avais fermé mes yeux. »
Elle commence un peu à trembler avant de se reprendre. Elle secoue la tête et récupère ses affaires, et invite poliment de la main Breitenbach à se diriger vers la sortie. Lui souhaitant la bonne journée, elle referme la porte derrière. Le sol ne va pas se nettoyer tout seul, après tout.
En dehors de la bâtisse, le village est plutôt calme. Deux petites dizaines de personnes vaquent à leur occupation, marchant, discutant, travaillant ensemble. Le ciel est gris, mais il fait pourtant plus que clair. La balade d’Isabelle lui montre les différents établissements. Le village n’a pas eu du mal à faire de l’étalement, les maisons ne sont pas cloîtrées les unes aux autres, une preuve de qualité. Cependant, le sol de terre boueuse ne ment pas, ici, le concept de trottoir est inexistant. Le temple, ou plutôt une grande chapelle, est dédié à plusieurs dieux impériaux. Des autels, plaqués contre la surface extérieure, sont couverts de symboles, d’offrandes, et de petites œuvres d’art faites localement. Elle y reconnaît Morr, Shallya, Taal et Rhya et quelques autres. L’intérieur doit probablement être dévoué à Sigmar Heldenhammer.
Il y a un forgeron, un espace pour le chamoisage et la mégisserie, plusieurs cabanes dédiées à la traite du bois. Quelques agriculteurs spécialisés dans les légumes ont des fermes juste à côté. Un élevage de poulet ainsi que deux porcs sont de l’autre côté de Pluie du Corbeau. Il y a aussi un marchand généraliste. Au moins cinq huttes, au nord, sont pour les chasseurs. Enfin, un charpentier-maçon à l’air d’avoir une petite maison, dans un coin du centre. Une de ces habitations à de grosses fenêtres en bois, ouverte avec des planches formant un étale devant. Des symboles d’herbes et de plantes sont peints en vert foncé dessus. Derrière, une drôle de personne s’y tient, debout sur un tonneau.
Un visage aussi rond qu’une citrouille, un triple menton, ainsi que des feuilles dans les cheveux courts ébouriffés. Sa tignasse, désordonnée, est presque noire. Ses yeux émeraude, eux, brillent fortement. Sa taille est celle d’un jeune enfant. Son gros nez, et ses lèvres petites mais pulpeuses lui donnent un drôle d’air. Elle est particulièrement ridée. Ce n’est pas la première fois que la Dame d’argent voit une halfeline. Ses habits sont plutôt colorés, particulièrement le jaune et l’orange. Devant elle, un énorme livre est ouvert pendant qu’elle utilise un mortier et pilon, pour pilonner une plante. De nombreux bocaux sont sur des étagères derrière elle. En plus du tonneau, elle a une escabelle. Occupée à travailler, elle ne prête que bien peu d’attention à la nouvelle arrivée.
Écourtant sa balade, elle se rend au bureau du shérif. Celui-ci est un peu surpris de la voir aussitôt, il lève un sourcil, et l’invite à nouveau à l’intérieur. Il se place en face, sur sa chaise. Un énorme morceau de pain est posé sur un petit drap, et du fromage aussi juste à côté. Il était probablement en train de commencer à manger car un couteau est enfoncé en plein dans le fromage. Il écoute calmement, impassible, comme toujours.
« Je pensais que lorsque je vous ai appelé madame Estemer… vous auriez compris que la discrétion… est une politique que j’apprécie. »
Un coin de sa bouche se relève, montrant des canines acérées. Cet étrange sourire, complice, est difficile à imaginer sur le visage du colosse, alors le voir est un véritable choc. Il écoute la suite de la tirade de la magicienne, et en profite pour commencer son repas avec quelques bouchées de frometon et de pain, les deux à la fois. Surpris par la longueur de l’explication de la sorcière, il continue de manger, mais au fur et à mesure de celle-ci, ses yeux s’ouvrent de plus en plus. Il arrête de manger, et pose d’une main son pouce sur sa joue, et son index sur sa tempe. Par trois fois, il fait la moue avec ses lèvres. Il cligne plusieurs fois des yeux et attend quelques secondes de plus avant de répondre. Sa voix est ferme, mais détendue.
« Un Jacques de tous les métiers n’en maîtrise aucun… mais est souvent plus utile qu’un maître d’un.
Je n’ai pas de doutes sur vos compétences. Ni sur votre capacité à les exploiter. Cependant… vous présumez beaucoup. Vous présumez sur nos ressources. Que peut faire un forgeron… s’il n’a pas assez de métaux ? Que peut faire un alchimiste… sans ses ingrédients rares ?
Cela implique un suivi constant… et des efforts préparatoires. Le fruit est juteux… mais je ne suis pas inconscient des risques. Lors des kampanie wojskowe, j’ai vu des sorciers impériaux se vider les intestins simplement par… accidents imprévisibles. Très similaire à la poudre à canon… quand j’y pense. Même bien dosée… les choses vont vite.
Vous n’êtes pas Uldine, je n’ai donc pas à vous comparez à elle. De même dans l’autre sens… pour vous. »
Il continue tranquillement son repas, lentement entre chaque pause. Chacune de ses bouchées, et des mastications qui les suivent, ajoutent de la tension dans l’air. Malgré son air de gargouille de pierre, il semble que cela cogite beaucoup derrière cette face cicatrisée.
« Nous n’avons aucun bâtiment libre. Tous occupés… ou trop endommagés pour servir à nouveau.
Je vous croyais plus raisonnable à propos du garçon. Vous croyez sérieusement qu’il peut travailler avec nous… et être votre apprenti en même temps ? Je ne sais pas comment vous enseigner… à Altdorf… mais la destruction des plus jeunes me parait… fou. Exercer deux métiers, c’est un moyen de réduire son espérance de vie… par deux.
Soit... les détails plus tard.
Estemer, j’accepte avec joie votre présence dans ce village. Ainsi que du jeune homme qui vous accompagne. Pour l’instant, vous logerez à l’auberge. Nous effectuerons la cérémonie… de citoyenneté, demain. Trouvez-vous un prénom entier entier. Madame Estemer n'est pas un nom... entier. »
Il tend sa main, énorme et musclée. Ses ongles sont courts, et justes en dessous de leur limite, une fine couche de terre. Enfin, pour la Dame d’Argent, elle n’a plus besoin de fuir. La poignée échangée, le maître des lieux approuve en hochant de la tête. La journée continue, et elle retrouve son apprenti. Il aidait à dépecer un sanglier avec une femme locale. Réunie à la taverne avec plusieurs des locaux, Arwin, l’aubergiste, lui présente plusieurs des occupants des autres chambres.
Un homme, à la moustache extrêmement impressionnante, se trouve dans la chambre trois. Sa moustache mérite plus de détails. Aussi longue que trois nez, et aussi pointue qu’un clou de pont, elle, elle montre un goût d’une mode passée. Ses yeux sont marron comme le reste de ses poils et cheveux. Il porte cependant par-dessus ceux-ci une perruque blanche de juriste. De plus, sa toge est assortie à des habitudes académiques. Herr Reignach était un professeur en droit impérial à Nuln. Cependant, d’après ses propres mots, sa dernière thèse lui a valu de très nombreux soucis. Il a suggéré, logiquement d’après-lui, que les Tiléens et les Estaliens faisaient partie d’un même peuple autrefois. Les uns étant vicieusement violents, et les autres violemment vicieux était une preuve irréfutable selon lui. Alors qu’il vivait encore au chef-lieu du Wissenland, chaque jour, au moins une bombe était posée sur son chemin. Il a dû donc rejoindre une partie de sa famille ici.
Madame Gozhit-Husina, est tout le contraire. Elle a grandi ici, et se passe bien de savoir lire et écrire. Ses cernes noires sont devenues permanentes, ainsi que du maquillage mauve qu’elle applique dessus . Ses cheveux noirs et huileux sont en catogan, et sa peau est couverte de grains de beauté. Sa tenue est cependant très stylisée, et dans un état remarquablement bien entretenu. Elle exerce la fonction d'équarrissage pour les animaux, ainsi que parfois des autopsies pour le reste. Sur ses poches, des crochets, scalpels, couteaux, serpes et autres outils essentiels à sa tâche se flânent. Elle parle encore moins que le shérif, sauf quand quelqu’un à le malheur de mentionner sa lignée de sang.
La soirée à bien commencer, la nourriture est toujours aussi bonne, même si les quantités sont moins copieuses qu’avant. Seuls les occupants de l’auberge, ainsi que le couple gérant l’établissement, sont présents. Bien sûr, l’apprenti d’Isabelle, le fameux “Aaron”, est à ses côtés. Les discussions sont variées, mais presque toutes tournent autour de l’hiver qui approche. Les prévisions sont-elles bonnes ? Le bois est-il entreposé correctement ? Rien de bien anodin. Le feu crépite dans la cheminée, tandis qu’une bûchette est ajoutée dans son cœur enflammé. Frau Gozhit se tourne vers les deux inconnus.
« Mais dites moi, madame Estemer. Je suis assez curieuse, vous et le garçon qui venez de la grande ville, c’est comment là-bas ? Je me dis que cela doit être bien compliqué, surtout pour les cadavres. Il doit y en avoir tellement… »
Pensive, elle ne remarque même pas qu’Ingulf à posé son verre et reprend le crachoir à son tour.
« Ben ouais ! Ils font comment d’ailleurs avec toutes les saletés de bêtes et de monstres dedans ? S’ils mettent un piège, ils auront autant de chance de choper un colporteur ou un clodo plutôt que la bonne proie ! »