le bairn du prince sera.
Généreux et jovial, tout homme se montrera,
jusqu'à ce qu'Il souffre la mort.
Le lâche croit qu'il vivra toujours,
s'il se garde des conflits :
Mais l'âge lui laissera peu de paix,
même si le fer l'épargne.
Le fol s'étonnera d'un ami,
s'il ne fait que ruminer ou se morfondre;
Passez-lui la corne et dans l'instant,
le vrai-esprit s'éveillera ;
Lui seul sait qui a erré,
et qui est loin sur son chemin;
Car Il sait quel esprit garde l'homme,
qui est sage de tête et fort de coeur;
Edda de Wodan N'a-qu'un-Oeil, dit "Le Juste", traduite par le Cercle de Salzenmund
***
L'eau bouillonnante, glacée, profonde.
Et pourtant, aucun cri de détresse.
Aucune larme, aucun remords.
Rien qu'une chose : Le silence des hommes-lige.
Le navire était petit, et en même temps immense.
Une seule voile blanche, un seul mât central, deux rangées de rames longues et de javelots, quelques cordages, quelques sacs de provisions - de la nourriture sèche, dure, âpre en bouche -, et quelques couches pour les plus importants. Il y avait une douzaine de rangs sur ce bateau, chacun étant pourvu de bancs et de travées sous-jacentes, permettant à tous de dormir, s'asseoir ou se déplacer librement quelle que soit l'humeur des eaux. Aucun confort, aucune fioriture qui dépasse, aucune faiblesse. De l'intérieur, le vaisseau était imprenable, inébranlable.
Thorolf le savait, il avait participé à sa construction, de la recherche d'arbres assez haut jusqu'à l'entretien de la tête-fétiche. Car oui, en extérieur, le glabre laissait place à la peur, l'horreur, et l'émotion : toutes les longes et les bordés se rejoignaient en une étrave sculptée, gravée de symboles sacrés et d'offrandes aux esprits des mers, et au sommet régnait une tête farouche, bardée de crocs et d'ossements, dont deux larges et courtes défenses symbolisant le navire de tête.
Même si son regard avait trahi sa pensée, le chaman Baldr avait été obligé de sanctifier le navire avant le départ, comme le voulait la tradition, lors du premier jour de dégel. S'il avait protesté, le Jarl aurait eu les pleins pouvoirs sur sa personne, et aucun homme-lige n'aurait été tendre avec le frêle et solitaire homme-médecine, pas même Thorolf.
Car oui, Thorolf "Loup-Blafard", son propre fils, était un homme-lige lui aussi. Il aurait pu apprendre la forge, la menuiserie - et ainsi devenir un fier constructeur naval, comme l'étaient de nombreux homme-libres de Norsca - mais Thorolf n'était pas libre : en réussissant les défis de son Jarl, il avait ainsi donné sa parole, son honneur d'homme et sa voix à Hvitserk. Et pour être honnête, Hvitserk "Sang-courage" l'était, un homme d'honneur. Durant les deux ans qui avaient précédés ce départ, pendant les huit saisons de préparation, Hvitserk avait été correct avec chacun de ses homme-liges. Jamais un mot de trop, ni de coup en retrait, ni de repas esseulé.
Le Jarl avait hérité son titre après la disparition de son prédécesseur il y a maintenant une décennie. La Wergild, antique et suprême loi des Norses, autorisait les villages à considérer un dirigeant comme "mort" au bout de 4 ans sans réponse - qu'elle soit issue d'un message, d'un navire-bûcher, ou d'un songe des Viktis ; l'ancien Jarl, Honrik, avait répondu à l'appel des Vents et à la Grande Descente des Flots sur le Sud ; la rumeur voulait qu'un Roi-Champion eût été nommé, et qu'il rameutait des braves pour la guerre. Et après 4 ans de mutisme, d'absence et de rumeurs, aucun homme ou femme ayant répondu à l'appel n'était revenu.
Hvitserk gagna son titre à la loyale, en tuant chaque autre prétendant (au combat), ou en les battant lors des concours d'ambition. Et depuis, le clan avait survécu, reclus dans sa minuscule enclave fertile, perdu entre les Monts de l'Aigle. Mais cette année, les choses avaient changé. Les jeunes étaient adultes désormais, leur sang s'était enorgueilli, leurs mains durcies. Maintenant, ils étaient prêts.
Proclamant l'ère des pillages, le village s'était préparé longuement à la tâche nouvelle : plutôt que d'attendre mollement dans le froid et la rudesse du Vrai-Nord, les braves seraient nommés, armés, et Hvitserk les mènerait en personne jusqu'aux riches terres du Sud. Là, ils pourraient se repaître copieusement des traîtres qui les avaient abandonnés, ainsi que des gras et grotesques individus paresseux qui osaient s'appeler "hommes" ou "impériaux".
Mais actuellement, l'heure n'était pas au combat. Pas encore.
Hvitserk était à la proue du navire, assis face à la voile et au vent, guettant son équipage en silence. Seuls les hommes-lige et le clan du Jarl avaient le droit de monter sur son navire durant les voyages. Telle était la Wergild. Et aucun homme-lige n'aurait eu l'audace de refuser ce privilège. Tels étaient les Norses.
La Wergild était un code, un énoncé de lois et de principes moraux qu'il incombait aux Jarls, Karls et chef de clans de faire respecter sur leurs terres et leurs sujets. Évidemment, le code n'était écrit nulle part, la tradition voulant que chaque homme-de-loi connaisse les préceptes par cœur, et puisse les énoncer selon le bon vouloir du dirigeant.
Mais ce qui importait vraiment était que le Jarl devait et pouvait à tout instant partager avec ses hommes-lige, qu'il s'agisse d'esclaves, de biens, ou d'un foyer. Et ainsi, lorsque le pillage viendrait, Thorolf serait en première ligne pour le partage du butin.
C'est alors qu'un cor puissant retentit, tel un appel des cieux. Tous se redressèrent sur leur séant, guettant l'horizon. Hvitserk tourna le regard vers l'eau, et tendit une main vers l'équipage.
- "Levez-vous, et gardez-vous de vos hantises. Une île est à portée. Nous honorerons les dieux, puis nous attaquerons la terre fertile. Styrfjal a été généreux aujourd'hui."
Puis il posa ses yeux sur le jeune Norse, et lui fit signe d'approcher. Une fois à portée de voix, il lui attrapa le coude, et l'attira plus près. Hvitserk empestait le sel et la graisse de phoque. Plaquant son front contre le sien, il répliqua :
- "Tu es agité. Quelque chose à me dire, Loup-Blafard ?"