Le Nordland, une des provinces les plus dangereuses de l'Empire. Ses forêts profondes et obscures sont l'un de ces endroits où le voyageur impudent risque plus de croiser une harde d'homme-bêtes qu'un hameau, et bien plus encore qu'un hameau encore peuplé. Pour autant, c’était là que se trouvait Calen, l’optimiste asur. Certes, il n’était pas au cœur des sombres boisages, mais même les routes impériales, si tant est que l’on puisse appeler ainsi ces chemins de terre tassée, parfois pavés sur quelques centaines de mètres. Pourtant, Calen s’y sentait bien, mieux assurément que dans le port de Marienburg, encore que le quartier des elfes y ait été habitable, puisque, à défaut d’être en territoire ami, il était en territoire elfique. Cela faisait bientôt une journée et demie qu’il errait sous les frondaisons de Laurelorn et sur les chemins la longeant, la nourriture comme l’eau commençait à se faire rare. Il y avait certes un cours d’eau non loin, glougloutant joyeusement dans l’air matinal, mais les villageois l’avait prévenu, de ne jamais se servir dans la forêt sans demander auparavant l’autorisation à ses maîtres. En attendant l’air frais commençait à se rafraîchir sous les premiers rayons blafards de l’aube, les chênes et les sapins s’agitaient doucement sous le vent qui soufflait dans leur cime, pointant vertigineusement haut, à trente ou quarante mètres à vue d’œil. La vue perçante de Calen pouvait apercevoir du coin de l’œil quelque oiseau nocturne, tandis que bruissaient au loin les chouettes et les hiboux revenant de leur chasse, fructueuse à entendre les couinement de rongeur en divers endroits. Dans de tel endroits, les elfes pouvaient percevoir toute la magie de la vie, dans son état le plus pur, loin du brouhaha sale des villes puantes des humains. Quant au vacarme des citadelles naines et bien, très peu d’elfes y avaient mis les pieds ces derniers siècles, et ce n’était sans doute pas plus mal pour leur fine ouïe...
C’était là l’une des plus grandes faiblesses des elfes, leur esprits supérieurs ne cessaient de se perdre en circonvolutions tortueuses et les doux matins en forêt les égaraient tout aussi bien que la contemplation d’une calme praire ellyrienne. Et ce matin-ci ne faisait guère exception, avec sa douce blancheur ouatée et ses premières gelées qui se mélangeait à la rosée éphémère. Il faisait encore sombre, le jour pointant à peine, peinant à chasser les brumes matinales. Calen avait pris le pari de voyager discrètement jusque là, les asurs apprenant très tôt le goût de leurs « cousins » pour le parchemin en peau de haut elfe. Aujourd’hui, il était quasiment sûr de les avoir semé, mais il s’était pour cela éloigné de la grande route du nord, lui qui voulait se diriger vers le sud pour traquer les chiens galeux l’ayant trompé. Si Calen voulait se venger, la troupe de mercenaires était désormais loin devant, et lui n’avait guère d’argent en poche pour continuer...