Adelbrand von Kresinger marchait à l'arrière-garde de la colonne aux côtés de son confrère et maître, Antonius Eilenbecker, frère assermenté de l'Ordre du Marteau d'Argent. En tant qu'initié de l'Ordre, Adelbrand avait pour tâche de suivre Frère Antonius et de lui obéir au doigt et à l’œil, en plus de prendre soin de son équipement. Quant au prêtre-guerrier, qui était de dix ans l’aîné d'Adelbrand, sa mission était de prodiguer les enseignements théologiques indispensables à l'apprentissage du novice. Cependant, le parcours de l'initié était pour le moins particulier : il fut proche d'être ordonné prêtre au sein de l'Ordre de la Torche avant de renoncer à ses vœux pour rejoindre celui du Marteau d'Argent. Probablement souhaitait-il servir le même dieu et avec la même ferveur mais de manière différente. Les connaissances d'Adelbrand relatives au dogme de l'Eglise sigmarite étaient par conséquent bien supérieures à celle d'un simple novice. Il pouvait réciter les Douze Prières de la Droiture sans hésitation et connaissait par cœur les dix-huit Cantiques de Sigmar. Constatant cela, Frère Antonius avait relégué l'apprentissage théorique au second plan pour privilégier l'entraînement physique de son élève. Les exercices étaient quotidiens et les prières matinales étaient invariablement suivies de passes d'arme aussi intenses qu'épuisantes.
Antonius était un maître sévère mais juste. Taciturne, il tranchait avec l'imagerie populaire du prêtre-guerrier en cela qu'il préférait les silences méditatifs aux diatribes enflammées et le recueillement à l'excitation fervente qui agitait parfois les dévots de Sigmar. Son visage était couturé de cicatrices et il portait lui aussi un cache-œil en cuir, témoin d'un des nombreux combats qu'il avait livré au nom de l'Empire et de son Père fondateur. Ses cheveux gris encadraient généralement son visage aux traits durs ou étaient parfois attachés en un chignon martial et son armure était toujours lustrée et brillante. Une cape argentée lui couvrait les épaules, symbole de sa position au sein du troisième cercle de l'Ordre, et il ne quittait jamais son imposante bible aux enluminures travaillées.
Traditionaliste sans être conservateur, Frère Antonius avait une position saine et désintéressée. Seul lui importait de servir Sigmar et l'Empire et il ne se souciait guère des remous qui agitaient l'Eglise sigmarite. Les intrigues et les ronds de jambe obséquieux qui avaient cours dans la capitale n'étaient pas à son goût. Il préférait éprouver sa foi marteau en main, prodiguant prières et coups rédempteurs auprès des armées de l'Empereur. Selon lui, il n'y avait nulle mission plus sainte que celle d'affronter sans relâche les forces de la Damnation et la méditation était le seul repos qu'un prêtre-guerrier pouvait s'accorder. Tolérant, il estimait que l'unité de l'Empire se trouvait dans la dévotion de ses citoyens, qu'ils soient fidèles d'Ulric le dieu de l'Hiver ou encore de Taal, Rhya ou Shallya. Rien ne pouvait entamer la conviction d'un peuple unit par la spiritualité et le devoir commun de défendre sa patrie.
Voilà maintenant trois semaines qu'Antonius et Adelbrand avaient quitté Altdorf aux côtés du VIème bataillon du Reikland. Leur longue marche devait les amener non loin à l'Est d'Aarnau, sur la côte occidentale du Nordland. A la suite de la terrible Tempête du Chaos qui avait eu lieu quelques années auparavant, les raids estivaux des barbares du Norsca s'étaient plus violents et fréquents que jamais. Des sauvages aux allégeances impies traversaient la Mer des Griffes en nombre pour venir piller le Nord du Vieux Monde jusqu'à l'automne, saison à laquelle ils rentraient dans leurs terres inhospitalières avec leur butin avant que les eaux ne gèlent. Ils ne laissaient que mort et destruction dans leur sillage, réduisant la population en esclavage et brûlant les villages qu'ils traversaient avec tout ce qu'ils ne pouvaient pas emporter. La flotte impériale était trop réduite pour réussir à contenir ces incursions, les côtes du Nordland étaient désormais ravagées et les maraudeurs menaient leurs raids toujours plus loin dans les terres pour s'adonner au meurtre et au saccage. Pour aggraver les choses, les différentes bandes qui débarquaient sur les côtes au cours des mois de Sigmarzeit et Sommerzeit avaient tendance à se réunir peu à peu sous une seule bannière pour former une vaste force extrêmement mobile qui ravageait tout sur son passage. Les troupes éparses du Nordland étaient alors dépassées et il ne restait plus qu'à accueillir le flot de réfugiés dans les quelques villes fortifiées de la province jusqu'à ce que les pillards se retirent.
Mais les choses s'étaient passées différemment cette année là. Aussitôt les barbares repartis avec leur butin, le Comte Électeur Theoderic Gausser, Grand Baron du Nordland et Prince de Salzenmund, s'était appliqué à mettre mettre sur pied une nouvelle armée fonctionnelle en prévision de l'invasion suivante. Des dizaines de recruteurs furent envoyés tambours battant dans tous les bourgs de la province et même au-delà. Le Grand Baron fit jouer toutes les alliances qu'il pu et vida les coffres de la province pour équiper et entraîner les nouvelles recrues dès l'automne. Son objectif était de créer un corps d'armée dynamique dont la souplesse et la versatilité seraient capable de faire échec aux bandes désorganisées des maraudeurs. Ses efforts s’avérèrent payant car, cet été là, de nombreux partis de pillards furent prit en tenaille et massacrés avant de se rendre compte de ce qui leur arrivait. Mais l'hiver précédent avait été rude dans le Norsca et l'invasion de cette année s'annonçait particulièrement brutale. Les premières vagues anéanties par la nouvelle armée du Comte Électeur n'étaient que le prémice de ce qui arrivait, et des rapports alarmants parlaient de centaines de navires prêts à déverser leurs hordes avides sur les rives de l'Empire. C'est ainsi que Theoderic Gausser avait fait appel à son suzerain et à ses pairs, les implorant d'envoyer des renforts dans le Nordland pour faire face au raz-de-marée qui s'annonçait.
C'est ainsi que l'Empereur Karl-Franz en personne ordonna qu'un détachement à la livrée blanche de l'armée du Reikland marche sans tarder vers Aarnau. Le VIème bataillon était composé de deux compagnies de hallebardiers, une compagnie de lanciers, une compagnie d'épéistes -les célèbres Hâbleurs de Weissbruck- et deux compagnies d'arquebusiers. Les fantassins étaient appuyés par une unité de pistoliers déployée en avant-garde. Cette force était dirigée par le baron Hansfelt van Leens dont l'état-major était composé d'un escadron de la Reiksguard. Après trois semaine de marche, le VIème devait faire jonction avec le Nordmarshall Clemens August von Galen qui dirigeait une partie des troupes du Comte Électeur Theoderic Gausser.
Suivant la volonté de l'Empereur et désireux de participer à la défense de la nation, le chapitre altdorfer de l'Ordre du Marteau d'Argent décida d'envoyer certains de ses membres pour accompagner l'effort de guerre. Des prêtres-guerriers furent dépêchés à Salzenmund et à Dietershafen tandis qu'Antonius et Adelbrand furent affectés au VIème bataillon, se plaçant ainsi directement sous les ordres du baron Hansfelt van Leens. Leur mission étaient de soutenir les troupes au combat ainsi que d'occuper le rôle d'aumônier et d'assurer les services liturgiques. La présence de ces deux imposants hommes de foi renforçait le cœur des soldats et maintenait leur courage face aux combats qui s'annonçaient et dont les fermes brûlées qu'ils croisaient sur la route n'étaient qu'un avant-goût.
Tandis que le soleil se couchait derrière la chape de nuage, le VIème arriva en vue du campement du Nordmarshall. Le vent froid soufflait des embruns salés, annonçant la côte toute proche. Adelbrand pouvait voir des centaines de tentes alignées avec plus ou moins de discipline entre les bosquets de pins et les carrés de chariots. La colonne de reiklanders s'approchait de cette ville de toile alors que le cor d'une vigie résonna pour annoncer leur arrivée.
Les soldats en livrée bleu et jaune du Nordland se levèrent de leurs bivouacs pour voir les renforts arriver mais il n'y eut nulle acclamation ni cri de joie. Les visages étaient fermés, les yeux cernés et les joues mangées par la barbe. Beaucoup d'entre eux avec l'uniforme déchiré ou la cuirasse cabossée par endroits. En s'avançant dans le camp, Adelbrand pu voir des prêtresses de Shallya se presser ça et là vers des tentes d'où résonnaient les plaintes des blessés. Des brancardiers passèrent non loin, portant un corps recouvert d'un drap taché de sang, et Frère Antonius posa sur eux un regard silencieux. Ca et là, de grandes bannières claquaient au vent, portant les insignes ternis du Nordland : des aigles, des navires, des ancres.
Un officier subalterne vint prendre en charge la colonne et leur désigna leur emplacement de cantonnement. Les hommes prirent un peu de repos après ces trois semaines de marche, restant entre eux et évitant de se mélanger avec les nordlanders au regard si inquiétants. Les pistoliers, les chevaliers de la Reiksguard et le baron Hansfelt van Leens confièrent leurs destriers à des valets de camp tandis qu'un autre laquais guidait le prêtre-guerrier et son élève jusqu'à la tente qu'ils allaient partager.
Lorsque le jeune garçon fut parti, Antonius entreprit de retirer sa lourde armure. Pour tout lit, ils n'avaient que des litières de paille recouvertes de fourrure mais cela ne semblait pas gêner le maître d'Adelbrand. Il n'avait rien prononcé depuis de longues heures maintenant et ce n'est qu'une fois débarrassé de sa cuirasse et de ses gantelets qu'il prit la parole.
- "Ces hommes tremblent de peur, Adelbrand. Le courage leur fait défaut." dit-il ouvrant une besace à sa ceinture pour en sortir un petit encensoir. "Demain, la tâche nous reviendra de raviver leur flamme. La victoire sur les forces du Mal ne dépend pas que de l'acier. C'est par l'esprit que nous gagnerons. Sans foi, tout combat est vain. Sans notre dévotion et notre amour pour Sigmar, nous ne valons pas mieux que ceux que nous allons châtier." Il disait tout cela sans regarder son apprenti, bien conscient que c'était inutile. Il émietta de la résine dans l'encensoir et fit prendre le tout. L'odeur capiteuse ne tarda pas à envelopper l'intérieur de la tente. "Prions, maintenant. Ensuite nous nous reposerons. Demain sera une journée éprouvante."
Frère Antonius mit un genou à terre et récita ses prières du soir à voix basse avant de se signer du signe du marteau.