-"A table dans trente minutes, va m'falloir deux volontaires pour tenir l'feu, bande de gnoblars!!"
Ces derniers, pullulant d'on ne savait où, tentaient désespérément d'arracher quelques morceaux des précieux corps avant qu'ils ne rejoignent la soupe avec les autres restes ramenés de la jungle. Voulant tester le mélange le cuisinier en plongea une paire dans la marmite au contenu bouillant, en prenant bien soin de les tuer avant évidemment... Non pas par générosité, comme de bien entendu, mais parce que leurs yeux étaient son péché mignon.
A côté, autour du grand feu de camp qui rayonnait dans l'obscurité tombante, le tyran racontait pour la cinquième fois son aventure:
-"Donc on arrive au niveau de l'espèce de pont en arbre là... Et v'la pas que deux fois les doigts des mains nous tombent dessus, comme ça, sans prévenir! Alors les humains ils ont paniqués, hein, normal quoi, des humains quoi! Mais moi j'me suis pas laissé démonter, foi de Rosbif! J'en ai bouffé quatre à moi tout seul et découpé quat' pareil, facile! Les autres y s'sont enfuis comme des lâches! Du coup avec les gars on a ramassé la rocaille dorée et v'la le travail!"
A ses doigts de nombreux bijoux en or et joyaux, rutilant et renvoyant des reflets chauds au gré des flammes. Il en avait même accroché certains à ses dents ce qui lui offrait un sourire valant un petit trésor. Autour chacun y allait de son anecdote en se glorifiant au passage. A ce petit jeu, le fameux Thurgot, l'ogre engoncé dans une armure elfe noire, mettait la barre haute.
-"Elle est trop facile à piller c'te jungle, j'vous l'dis! Rien que pendant la balad' de t''aleur j'ai plaqué au sol trois lézards géants, tout seul ouaip! Celui d'après je lui ai j'té un gnoblard dessus tellement fort qu'il en est tombé raide mort! J'suis com' ça moi, imbattable!"
Les réserves d'alcool fort, sorties des cales depuis l'installation du camp, rendaient les têtes créatives et échauffaient les esprits. Plus d'une fois des mercenaires ogres se traitèrent mutuellement de menteurs et menacèrent d'en venir aux mains pour se départager. Rousbif régla ces désagréments à coups de baffes, dont une si forte qu'elle propulsa sa cible, un benêt du nom de Molos, dans un profond sommeil. Ce fût le signal implicite qu'il était temps d'éteindre les feux, de laisser les sentinelles organiser les tours de garde et de coucher les gnoblards puis les Gros-Gens. En allant dormir sous sa tente, Darn put apercevoir Volding revenir avec des fruits durs, bruns et poilus qu'il avait volé à un groupe de mercenaires. D'ailleurs les humains avaient stratégiquement laissé une zone d'exclusion entre eux et les ogres, sans doute à cause de l'odeur de charogne et la crasse ambiante. C'était cocasse.
Avec Al-Sharuk déjà endormi à côté de lui, notre héros put profiter d'un sommeil réparateur, bien mérité après cette dure journée à crapahuter à se battre! Et puis comme disait le proverbe ogre: "Qui dort bien dînera demain!". Au-dessus d'eux les deux lunes continuaient leur course infinie sous une nuit étoilée si belle que les constellations apparaissaient à l'oeil comme de grandes tâches de lait et de couleur s'étendant dans des espaces si grand qu'aucun humain n'en saisirait jamais la mesure.
Des bruits à l'extérieur finirent par le réveiller cependant. Des bruits de pas sur le sable, très particulier car bref et secs, loin des piétinement lourds des Obèses, des pas nonchalants des hommes ou des courses pressées des gnoblards. Le manège dura un temps indéfini que Darn passa entre endormissement et réveil soudain, jusqu'à sentir quelque gratter à la tente, suivie d'un bruit de déchirure...