Lorsque le soleil commença enfin à se coucher, dans une grande lueur orangée qui submergeait la berge, Rekhilve et les hommes placés sous son commandement ressurgirent. La jeune Ombre fit son rapport, et il fut enfin décidé de se mettre en route.
Kovus resterait donc sur le navire. Avant qu’Akisha ne termine de nouer son paquetage de rations et de passer trois grandes outres d’eaux autour de son cou, le pilote vint la trouver avec un petit sourire.
« Le Karybde attendra votre retour, maîtresse. Je veillerai bien sur elle, n’ayez crainte.
Je sacrifierai quelques-uns des esclaves de votre sœur aux Dieux. Mieux que de les laisser crever de soif. »
Le pilote serra fièrement la main de son capitaine, et enfin, le long chemin vers le vide pouvait commencer.
Il faisait froid. C’était ça la chose qui mordait le plus. Si en journée, l’atmosphère était plus-ou-moins réchauffée par un soleil et une météo de printemps, à présent, l’air marin bien humide forçait les Corsaires à légèrement grelotter. Un tout petit peu de buée se formait avec chacune de leurs respirations.
Ils entraient dans un territoire qui n’était pas le leur. Naggaroth avait beau être un continent inhospitalier, bon à endurcir ses habitants, la Norsca était la terre de leurs ennemis. Ils marchaient à présent sous des arbres hostiles, qui se mettaient à écumer les cieux de leurs branchages bourgeonnants. Ils étaient sur la Terre des démons, des esprits errants, et d’animaux sauvages qui rivalisaient bien en horreur et hostilité avec ceux de leur patrie natale.
Alors qu’ils grimpaient lentement un petit talus, Akisha put découvrir avec les dernières lueurs du jour la beauté et l’immensité de ce qui les attendait. Un immense relief de montagnes, de rivières et de toundra. Rekhilve pointa à l’horizon une colonne de fumée et quelques flammes très éloignées, probablement à des heures de marche. Une sorte de petit campement sauvage, d’autant plus visible qu’il n’était pas couvert par de la forêt.
« C’est là-bas qu’est votre sœur. »
Vateci grimpa aux côtés de l’Ombre. Elle était bien plus dubitative que l’éclaireuse.
« Qu’est-ce qui te rends si sûre ?
– Je le sens, c’est tout. Je suis prête à parier ma tête.
– C’est bien, ton minois fera joli comme presse-papier. J’attends un peu plus qu’une intuition pour aller risquer ma peau. »
Kehem grimpa le talus pour se poster aux côtés des femmes, tandis que tous les Corsaires choisis pour aller au combat attendaient patiemment qu’on leur donne l’ordre de bouger, sans se plaindre, en contrebas.
« Vous… Vous trouvez pas ça carrément flippant ? »
Vateci et Rekhilve se retournaient pour observer l’interprète qui, décidément, ne savait jamais quand la fermer.
« Je veux dire… C’est le seul feu à des heures, voire des jours de marche à la ronde. Y a personne d’autre. Pas d’autres foyers.
On dirait… On dirait que personne vit ici. »
Vateci haussa les épaules. Rekhilve, elle cracha par terre.
« Non. Le plus louche, à mon avis, c’est qu’on a pas croisé une bestiole. Pas de loup, pas de manticore. Même pas un putain de lemming au sol.
Y a rien de vivant ici. Rien. À part les arbres.
Ouais. T’as raison ducon. C’est flippant. »
Kehem agita la tête. Vateci, qui jusqu’ici semblait bien déterminée, eut un regard un peu vide, qui se perdait vers l’horizon.
« J’avoue que…
J’avoue que ça pue.
Sur la plage... Je jure qu'on a bien vu des poissons, et des oiseaux, mais...
Bordel. »