– Le Comte de Lautréamont, « les Chants de Maldoror » ; Chevalier Bretonnien condamné pour sorcellerie.
Huit nuits.
Le calvaire de Darmalion recommençait, plus horrible encore que les quatre années de solitude passées dans son antre. Perdu dans les montagnes de la Norsca, il avait encore la possibilité de se déplacer aussi loin que ses chaînes lui permettaient, et lorsque son propriétaire le décidait, l’occasion lui était offerte de ravager, ravager de pauvres esclaves sur lesquels il s’élançait avec son fléau, semant le désordre et la violence sur des crânes et des corps dont il pouvait ensuite se repaître.
On lui avait retiré ce loisir. Perdu au fond d’un trou profond, peut-être de six bons mètres, les bras reliés par de longues menottes de fer contre son torse, ses sabots collés contre eux par des bracelets ferrés reliés par une chaîne bien courte, un alganon pendant le long de son cou l’empêchant de trop tourner la tête en haut, à droite ou à gauche. Le long de la paroi du trou qui lui servait d’habitation, une longue corde bien solide remontait vers un support en bois ; S’ils le souhaitaient, ses geôliers pouvaient avaler la corde avec un levier, afin de forcer Darmalion à tomber au sol, se racler le long du mur, et se retrouver ainsi pendu à l’envers, la tête en bas. Depuis sa rencontre avec le Jarl Baldr, la torture ne s'était pas reproduite. Il n’en était pas plus mobile pour autant : La corde lui laissait tout juste assez de lest pour rester couché au sol, les sabots collés contre la paroi. Il pouvait, au mieux, se replier sur lui-même pour se mettre à genoux. Mais sitôt qu’il tentait de se relever, et le voilà qui chutait, qui tombait le museau dans la terre, en s’écorchant les membres et en saignant des naseaux.
On le nourrissait. À intervalles réguliers, un maraudeur venait, et balançait, tantôt un seau d’eau, tantôt un seau de poissons : Tout tombait ou sur sa tête, ou au sol, et pour s’alimenter, Darmalion était contraint de ramper au sol, de lécher les flaques d’eaux mélangées à la terre, de gober le poisson cru en amenant sa bouche directement vers sa bouffe, sans pouvoir la saisir avec ses mains qui refusaient de s’écarter de son torse. Voir un minotaure se contorsionner ainsi provoquait les rires de ceux chargés de le surveiller. Quelques fois, il recevait un caillou balancé à la volée, et toutes ses réactions de colère et grognements de rage ne reçurent comme toute réponse que des sifflets et des langues tirées en guise de défi.
Il était seul. Humilié. Perdu. Sans aucun espoir.
Mais au moins, on le laissait tranquille. Lorsqu’il avait atterri dans ce trou, il était aux portes de la mort. Il saignait abondement. Huit jours et huit nuits ; Il était toujours blessé. Il était devenu fiévreux. Ses blessures s’étaient en fait infectées : Alors que son corps luttait contre des ennemis invisibles, voilà qu’il souffrait de la chaleur, et qu’en même temps, il frissonnait, tout son cuir traversé de chair de poule.
Un homme serait déjà depuis longtemps décédé.
Mais Darmalion était un minotaure. Une créature née pour la guerre. Forgée par Khorne lui-même dans les chairs ignobles de corps mutés. Tout ce qui lui fallait, c’était du temps. Du temps et de la bouffe – et visiblement, Baldr s’assurait bien à ce qu’il soit soigneusement nourrit tous les jours.
Si le Jarl était aussi généreux, c’était très certainement parce qu’il attendait quelque chose du monstre. Il lui serait tellement facile, à présent, de simplement le faire tuer. Il n’aurait même pas à trop se déranger : N’importe quel maraudeur pourrait approcher, viser avec un javelot, et transpercer le crâne de Darmalion sans qu’il ne puisse se défendre. Pour une raison ou pour une autre, ce n’était pas le choix qu’il avait pris.
Huit jours. Et une neuvième nuit.
Il était tard. Dans le ciel, la lune grise brillait avec une lune verte sous forme de croissant ; Elle n’était pas pleine, pas comme ces soirs où les Hardes se rassemblaient pour célébrer les Dieux dans une orgie de sang et de violence. Mais au moins, elle était là, avec sa teinte rassurante ; Peut-être que Khorne, lui, l'observait encore.
Peut-être que Darmalion essayait de dormir. Peut-être se contentait-il de rêvasser dans son coin. En tout cas, quelqu'un perturba le silence qu’il pouvait espérer. Au-dessus de sa tête, tout en haut du trou, deux gardes s’engueulaient dans leur insupportable langage d’humains. Une troisième personne s’était approchée, et, avec une voix très grave, les rouspétait. Visiblement, les trois ne semblaient pas trop d’accord sur quelque chose.
Il y eut alors un grognement qui mit fin à la dispute. Et un aboiement. Et Darmalion put entendre deux paires de pattes s’éloigner.
Au-dessus de lui, un homme qu’il ne reconnaissait pas se dressait.
Il semblait gravement blessé. Sa jambe droite était recouverte d’une attelle de bois, et il se soutenait à l’aide d’une canne. Son œil gauche était manquant, recouvert par un cache-œil avec un étrange symbole dessus. Il avait autour du cou une grande écharpe, et sur ses épaules une épaisse peau de bête, alors que, pourtant, il était manifestement torse-nu dessous.
« Tu devrais être mort. »
Il semblait le connaître.
« T’es trop dangereux. T’as presque tué ma fille. Tu m’as presque tué moi.
Écoute-moi bien : T’as intérêt à te tenir à carreau. Si tu t’échappes à tes fers, si tu tentes de résister… Je te tuerai. Je te tuerai. »
Il serra bien fermement sa main gauche, en même temps que sa mâchoire. Et il menaçait Darmalion de son regard, droit dans les yeux.
« Ingjald ! »
Quelqu’un l’appelait. De nombreux bruits de pas : Une demi-douzaine d’humains. Le-dit Ingjald resta droit, tout droit. Au bout d’un moment, le Jarl Baldr Svensson se montrait. Il posa une main sur l’épaule d’Ingjald, et commença à lui parler en norse, un long moment. Ingjald pointa Darmalion du doigt, et dit quelque chose en foudroyant Baldr du regard. Regards en croix. Messes basses. Les deux hommes semblaient se regarder comme deux Bestigors qui vont se battre en duel pour prendre le contrôle de la Harde.
Au bout d’un moment, Ingjald cracha au sol, et s’éloigna. Qu’importe ce que Baldr avait dit, il semblait qu’il venait de vaincre.
Le Jarl s’approcha du bord du trou, afin de surveiller sa bête. Il lui offirt un petit sourire.
« Je suis un homme très occupé, mais t’inquiète pas, je t’oublie pas.
Tout va bien en bas ? On te traite bien, on te nourrit bien ? Personne ne t’embête trop j’espère ? »