-Quelques jours ? J'sais plus bien Hecker... J'sais juste qu'avant y avait Reth avec moi...Puis elles l'ont emmené. Et cesses de cailler des miches, personne ne passe par ici.
"Je suis désolé Roger... Si vous êtes ici c'est de ma faute. J'ai croisé Monsieur Flint... Il... Il m'a dit que vous vous étiez pas laissé faire contre les Amazones. Que vous vouliez vous enfuir pour tenter de me retrouver dans le village... Putain... Et vous vous retrouvez là... Par ma faute."
-La seule faute ici c'est d'avoir écouté cet ivrogne de Tiléen. C'est comme cela qu'on se retrouve dans une jungle pourrie avec des putains d'insectes gros comme le bras et... Il cracha avant de tousser. Reprenant, Tout le reste, grognasses à plumes en tête... Il va en falloir du cran pour s'en sortir cette fois. Et j'ai fait deux fois Rijker niveau taule j'ai autant de bouteille que l'autre affreux en descendait.
Il grogna un peu avant de poser un regard fatigué et trouble sur le jeune homme.
-Il doit y avoir une pierre ou deux qui traîne. Détache ces infortunés avant que les fourmis ou les vautours ne picorent notre viande cuite à point veux-tu...
Les poignets à vif des malheureux rappelaient de trop proches souvenirs à celui qui quelques jours avant, marinait dans une case, entre fièvre et moiteur équatoriale. Les Norses étaient cadavériques, hâves, puant. Ceux qui alimentaient les histoires pour enfants, les monstres qui avaient attaqué l'Empire et le Kislev quelques années avant, ici ils n'étaient que des carcasses amaigries et des prisonniers comme les autres. Pourtant l'un d'eux murmura un mot dans la langue commune : Merci.
Tout en se redressant contre le poteau. Roger soupira. -Par les poches pleines de Ranald. Merci...Bordel j'ai les épaules retournées depuis trop de temps...T'en fait pas plus pour nous gamin...On va se débrouiller. Il ajouta peu après. Surtout, avise toi bien de rentrer en vie. On a assez de légendes à raconter pour dix siècles.
En repartant à la recherche de Nasha et de sa dague, le jeune mousse ne pouvait que se sentir nerveux, scruté, épié. La Jungle jouait avec ses nerfs. Encore.
Le soleil traçait son chemin céleste, d'Est en Ouest, mais lui ne trouvait pas la fille des Dieux et ses cheveux blancs. Ni près des enclos, ni dans les grandes places défrichées. Il passa des heures à arpenter les ruines réoccupées, se perdant entre les Ekents des guerrières ou les quartiers des esclaves. Il y avait des hommes de tous bords, des Amazones grandes, brunes, blondes, athlétiques ou musculeuses, des gamines à peine formées qui observaient ce jeune qhari avec curiosité. Il n'était pas de ces gaillards échevelés qui ramassaient les légumes et s'échinaient aux basses œuvres.
Mais Nasha restait introuvable. Au bout d'un moment, il ne restait qu'un seul endroit où chercher. L'imposant édifice pyramidale et ses annexe. Le Temple lui-même.
Rien qu'à le fixer trop longtemps il sentait comme un poids sur ses épaules. Cet endroit recelait de choses qui dépassaient sa compréhension du monde, de choses qu'il n'avait pas envie de connaître, mais il était irrémédiablement attiré par ce qu'il ne connaissait pas. Il voulait savoir, elles le voulaient, lui.
Ses pas le conduisirent jusqu'au perron. La roche des marches était encroutée de lichens, de mousses, et de sang séché. L'entrée était béante, un gouffre sans lumière qui n'attendait que de l'aspirer. Pourquoi personne ne surveillait l'entrée ? Le moindre lieu d'importance de sa désormais si lointaine Remas était gardé par des soudards aussi lourdauds qu'intimidants. Pourquoi il n'y avait personne ? Il se sentait pourtant observé. Comme toujours, la Jungle...
La Jungle rivait toujours ses milliers d'yeux sur lui.
-Ne la lâchez pas des yeux, elle avance quand on ne la regarde pas...La Jungle, la jungle ! Tous tous...
Puerto Reina...C'était il y a deux semaines ? Un mois ? Un siècle ?
Et il s'engouffra dans le temple lugubre.
Il lui fallait s'habituer à l'obscurité. Il n'y avait que de vagues lueurs dans l'ombre. Les murs étaient étrangement froids. Une roche poisseuse sous le doigt. Marcher à tâtons, ne pas se fouler le pied sur un obstacle. Quelque chose sifflait. Sotek ? Un simple serpent ? Le jeu de son esprit ? L'infortuné survivant de l'expédition de Tulio n'avait peut être pas vrillé sans raison. Et pourquoi les murs devenaient chauds ? Pourquoi on sifflait. N'y avait-il personne dans ce foutu temple ?
Mais même sa voix était étouffée, un silence de plomb. Un silence de mort. Pourtant quelque chose vivait là. Des gens venaient dans ce temple, des gens en sortaient-ils ? Avait-il vu quelqu'un sortir ? Sortirait-il de la jungle ? Sortirait-il de ce temple ? Y était-il seulement rentré ?
Tour à tour il passait devant des salles qui n'existaient qu'un battement de cil. Dans l'une il voyait des serpents grouillants, dans l'autre il ne voyait rien mais entendait assez de bruits pour savoir qu'une chose humaine avait élu domicile ici. Là une femme se baignait. Là il n'y avait qu'une lueur dorée, celle de l'or. Mais c'était toujours pour mieux disparaitre. Dans quelle maison impossible s'était-il rué ? Pourquoi avait-il l'impression d'y avoir passé une minute et une heure ?
Un bruit. De la lumière. Des torches. Une salle, mais pas en galerie, le chemin débouchait dans une antique pièce ronde. Et elle s'approcha alors.
Lui était venu. Et elle avançait vers lui, impassible. Elle était de ces choses. C'était elle qui le terrifiait. Elle qui l'observait. Depuis qu'il avait vu disparaître le soleil derrière la canopée. Elle. Toujours. Pourquoi ? Pourquoi la Jungle approchait quand on ne le regardait pas. Pourquoi-approchait-elle alors qu'il ne détachait pas ses yeux de son corps et de ses haillons.
Elle approcha sa main de lui. La referma, l'ouvrit à nouveau. Et sur sa main à plat était apparu une poudre. La prêtresse souffla. À l'instant où il inspira, il pouvait jurer que ses iris s'étaient fendues. Et il se sentait affreusement lourd. Pataud...Fatigué...