[Le Coësre] Bateau-mouche

Irmfried parut étonné de l’objection de Reinhard, mais pour toute réponse, il se contenta d’opiner franchement du chef, un poing contre son cœur.

« Désirs deviennent ordres, on rejettera le dîner de l’échevin si tu veux pas qu'on mange chez lui. »

Après avoir fait un détour pour aller traumatiser Lise, qui se contentait de rester là, prostrée, les yeux rivés vers l’eau du Reik, sans même daigner bouger sa tête pour oser regarder le Coësre, Reinhard décida de ne pas perdre son temps à la forcer à le regarder – Irmfried fut d’ailleurs bien mis dans l’embarras, lui qui souriait nerveusement tandis qu’avec une petite voix doucerette il s’obstinait à la convaincre de montrer un peu de politesse envers le capitaine du navire.
Lise avait imploré à Reinhard de la tuer. Peut-être se laisserait-elle dépérir par la faim – Reinhard ne l’avait jamais vue manger, mais elle devait bien se sustenter à un moment ou un autre, autrement, elle serait décédée depuis fort longtemps déjà.

Un petit détour plus tard, et voilà que Reinhard quittait le village pour aller près des champs d’houblon de début d’automne. Il chercha Sigrid en passant à travers un petit verger. Il ne croisa pas grand monde dehors – avec la fin des moissons, peut-être que les gueux travaillaient en intérieur. Mais il y avait une sorte de langueur assez inhabituelle.
Il tomba sur la petite sorcière qui se tenait vers la sortie du village. Il y avait là un épouvantail qui représentait le Grand Taal, maître des forêts, avec ses grandes cornes sur la tête, et qui marquait un carrefour séparant la route. La petite blonde avait la tête nue, mais un gros manteau de cuir sur les épaules. Elle semblait interpellée par l’insigne du Dieu paysan, mais surtout, elle était entourée d’un petit gosse qui lui arrivait à la poitrine – un jeune garçon tout freluquet, et trop sautillant pour son bien, qui pointait un Reinhard encore sous son charme avec un grand sourire.

« C’est vous l’m’sieur qu’est v’nu de Nuln ?! Ça doit êt’ ben, Nuln ! C’est grand, Nuln ? »

Sigrid se tourna en voyant Reinhard. Elle le regarda de la tête aux pieds, avec un rictus joyeux.

« Je ne vous avais jamais vu comme ça !
Vous êtes… Beau ! »

Le gamin regarda la sorcière, puis à nouveau Reinhard.

« Vous allez où après Nuln ? Vous allez queque part d’grand aussi ? Zallez où, hein, dites ?
– Faites attention à vous, Reinhard. Ce mioche est collant et me saoule de questions depuis au moins un quart d’heures.
– C’est d’où qu’vous vous connaissez, hein ? Zêtes d’la même famille ? Qu’est-ce vous avez dans l’bateau, hein, dites ? J’peux monter dans l’bateau, m’sieur ? »

Message par **Reinhard Faul** » 31 oct. 2020, 14:35

Je rejoins Sigrid en traversant un verger. Elle se tient devant une icône de Taal, avec un enfant. Emmerdant, ça. Le petit commence à courir vers moi et à crier des trucs. Il est pas timide celui là ! Il faut s'en débarrasser. Pour ce que j'en sais c'est peut être mon petit neveu. Je me sens comme engourdi de tristesse, donc je veux arracher cette croûte vite et bien, sans chichi. La sorcière me raconte quelques conneries, je n'écoute pas vraiment. Je m'accroupis devant l'enfant, lui dis :

« Tu veux voir un truc de Nuln ? »

Et j'ouvre grand la bouche, bien grand comme je sais faire. Le petit peut observer à hauteur d'yeux les centaines de mouches qui se pressent au fond de ma gorge, empêchées de sortir par la magie de l'anneau. Je vois son visage s'effondrer, puis l'enfant s'enfuit en hurlant de terreur.

Je me remets debout en me massant la mâchoire ; Sigrid me fixe d'un air choqué. J'explique froidement :

« Tu m'as dit pendant Morrslieb que ça t'embêtait un peu d'être avec les méchants qui tuent les bébés. Là, je suis en train de sauver ce petit. Il est bien mieux chez sa mère. »

Je lève les yeux vers l'effigie de Taal. Un crâne de cerf planté sur un épouvantail. Je ne sais pas pour les oiseaux, mais moi ça me donne envie de partir. C'est un des faux-dieux, donc sa présence m'est désagréable. Pas de la même façon qu'en ville, néanmoins. Ici, l'énergie de Grand Père se... se dissout. Ici, la mort et la maladie ne sont qu'une partie du cycle.
Je me frotte le visage avec les mains. Sur tous les champs aux alentours, il fallait que la petite sorcière aille ici ? Et pourquoi pas le temple de Sigmar ?!

Pourtant, je ne peux pas engueuler Sigrid sur tous les sujets imaginables. Je veux encore qu'elle reste et qu'elle devienne ma copine. L'odeur de sa magie m'attire. J'essaye d'arrondir les angles :

« Tu peux pas te barrer, laisser Kurt nettoyer tout, tout seul et aller te promener... moi non plus d'ailleurs. Je vais pas tarder à retrouver ma vraie forme. Tu veux pas qu'on retourne au bateau ? Irmfried il a un jeu de cartes, y a de l'alcool... »

Le petit gosse était tout sourire. Tout guilleret. Tout ravi de voir des étrangers arriver dans son bled si mal aménagé que même les péniches ne devaient pas trop vouloir s’arrêter. Alors, Reinhard n’eut pas grand mal à le faire s’approcher. Posant un genou à terre, il invita le bout d’homme à avancer tout près de lui.

« Tu veux voir un truc de Nuln ? »

Reinhard lui attrapa le col, et ouvrit grand sa bouche dans un sourire dément. Et il put contempler ses mouches. Ses jolies mouches d’aethyr, papillonnant autour de lui dans quelque bal pestilent, des sortes de petits liens individuels avec l’horreur indicible de l’Autre-Monde. Elles ne cessaient de bouger, les mouches, se reproduisant sur son larynx où elles plantaient leurs œufs. Dissimulées par le fin voile d’Ulgu de la bague, elles se tenaient au chaud, mais continuaient de vrombir en agitant leurs petites ailes le long de son palais, et derrière ses gencives décollées.
L’enfant hurla. Il hurla strident. Il hurla à agiter ses mains, à griffer Reinhard pour s’enfuir. Il hurla aux larmes, en devenant rouge. Il hurla à bondir, à se battre dans tous les sens ; le serviteur de Nurgle le lâchant, l’enfant couru, trébucha, s’écrasa au sol, et, sans cesser de hurler dans un cri de garçon pré-pubère, pas encore mué, il coursa jusqu’à son village comme il n’avait peut-être jamais couru de toute sa vie.

Sigrid regarda faire avec des gros yeux. Et elle haussa les épaules.

« Vous avez le chic avec les gosses.
Il avait l’air tellement terrifié, je suis même pas sûr qu’il sera capable de raconter ce qui vient de se passer. Mais oui, ne traînons pas tout de même… »

Rejetant la proposition des cartes et de l’alcool, elle se retourna à nouveau vers l’autel de Taal. Elle l’étudiait, prenant une pose de méditation, les bras croisés devant elle.

« La religion et la magie ont des liens étranges… Des milliers et des milliers de gens prient chaque jour sans rien en tirer à part des convictions personnelles, un peu comme un placebo.
Mais ce n’est pas le cas ici… Il y a une véritable trame qui enserre ce bourg… Vous le sentez, non ? Je ne délire pas ? »

Reinhard fit un pas en avant vers l’épouvantail. Sur deux gros bâtons de bois mort, on avait tressé une armure de paille, et placé un crâne de cerf enserré de dix cors accrochés par des lanières de cuir. Au sol, on avait laissé des offrandes : deux grosses citrouilles, un beau chou, des raisins des vendanges toutes récentes de ce début d’automne. Ça ressemblait à ces petits autels de Taal comme on en trouvait partout dans l’Empire.
Et pourtant. Et pourtant…
Oui, Reinhard sentait bien quelque chose. La religion était pétrie de magie, mais de la magie bizarre, abâtardie, difficile à communiquer, subtile à repérer… Ce n’était pas la magie des vents, dont on pouvait séparer les huit influences, les repérer au milieu de l’environnement, même si Reinhard se contentait de les torturer au bout de ses doigts aux escarres pour y apposer de force la corruption avilissante de Nurgle. En fait, la magie de Reinhard elle aussi était un mélange de religion et de magie, de foi en Grand-Père et de perception savante.
Reinhard se concentra fort. Et il repéra bien la présence d’une forme de Taal. Est-ce qu’il existait réellement et avait décidé de marquer cet autel ? Ou bien était-ce la dévotion très pieuse des habitants qui l’avait formé ? Est-ce que c’était le bois forestier, ou le crâne de cerf prélevés au plus profond de son domaine qui tranchaient ? L’Empire était couvert de forêts, de ce qu’on en disait, mais Reinhard ne pouvait pas vrament s'en rendre trop compte ; le Wissenland était une province élaguée, défrichée par la plus brutale des coupes claires, et le rationalisme de ses princes mêlé au ravage de l’industrie avaient blessé Taal et réduit son influence.
Mais pas dans ce village. Pas dans ce petit village peu peuplé.

Et c’est là que Reinhard se souvenait. Des bribes de moments de quand il était gosse. À cette époque, il ne comprenait pas la magie. Il ne saisissait pas son don, pas plus qu’il ne le contrôlait. Il ne comprenait pas qu’il y avait des choses que seul lui pouvait voir.
Cet épouvantail, c’était son grand-papa qui l’avait construit. Reinhard ne l’avait pas beaucoup connu : il était mort quand il avait cinq ans, mais on lui avait raconté que c’était un immense et solide bonhomme. Cet épouvantail, Reinhard passait devant en allant se promener avec ses cousins et ses voisins. Et il se souvenait que son père l’avait engueulé avec beaucoup de véhémence, et l’avait donné la fessée et envoyé dans son lit sans manger, car Reinhard avait fait peur au village en racontant qu’il voyait un grand homme, immense, barbu, des fleurs dans ses cheveux, et deux cornes sur la tête, qui passait tout son temps près de l’épouvantail – il était le seul à voir cet homme.

On avait créé un autel de Taal d’après son témoignage. Il avait indirectement créé ce lien religieux.

« Le crâne semble… Pulser…
Ouais, ça me fait peur. Rentrons au bateau. »

Message par **Reinhard Faul** » 02 nov. 2020, 15:05

« Ah bon ? J'ai pas une grosse expérience en matière de forêt, je pensais que c'était comme ça partout où il y a des arbres. »

Je prête attention à la magie environnante – en général je mets plutôt ça de coté, sinon je passe pour un barjot et on y perd un temps fou. C'est vrai que l'ambiance est bizarre. Je renifle une feuille, je lèche un peu de poussière dans le creux de ma main – avec précaution, parce que je voudrais pas bouffer de la terre bénie par Taal sans faire exprès.

C'est plutôt la mémoire qui vient me titiller. Mon grand père (pas celui de d'habitude, un autre), ma vision, la fessée qui s'en est suivie. C'est vrai que j'ai passé un paquet d'années ici à faire des bricolages magiques sans m'en rendre compte. Je me souviens de l'homme cornu. Il était juste à traîner là, avec pour seuls vêtements des fleurs dans les cheveux. Il avait un énorme... enfin tu vois quoi. Quand on est un symbole de vie et de fertilité, il faut faire les choses en grand. J'étais trop jeune pour saisir l'ampleur de la chose, bien sûr, mais mon père a dû être très surpris par ma description (ce qui explique la fessée). Je réfléchis à voix haute :

« Ouais ça sent... le rythme des moissons, le brame du cerf, les fleurs et les abeilles, toutes ces conneries. » Je mets un coup de pied dans une taupinière, qui explose de façon satisfaisante. « T'as raison, c'est que du placebo, des mensonges. »

Je lève les yeux vers le crâne de cerf. Certes, il pulse de magie. Pour quoi foutre ? Ça me tape sur le système. Je dis à Sigrid, sur une impulsion :

« Je vais piquer ce truc. C'est mon crâne. Surveille que personne vienne, et si tu vois un grand type à poil tu cries. »

Je m'avance vers l'autel. Des lanières en cuir antiques soutiennent la structure.

« Ça a l'air lourd cette merde. »

C'était un très gros animal. Avec des bois immenses ! Je ne sais pas ce que ça va faire quand je vais y toucher. Rien, sans doute,vu que c'est juste un pauvre type mort y a longtemps qui a planté ce... cette balise à emmerdes. Des mensonges de faux-dieux. J'ai demandé à personne de voir des barbus dans la forêt, c'est pas juste.

« Comment ça vous allez le prendre ?
Vous voulez dire… Comme ça, là, maintenant ? »

Elle regarda tout autour d’elle, posant ses yeux à l’horizon vers les champs moissonnés, vers la route terreuse, vers les toits de chaume du hameau où Reinhard avait vu le jour. Sa question semblait de prime abord bien futile – oui, pourquoi pas prendre le crâne ici et maintenant ? Il n’y avait personne pour en être témoin. Pas de chevalier menaçant, pas de foule hargneuse. Pas même de force divine prête à foudroyer le Coësre sur place, si tant soit peu c’était la crainte qui viendrait naturellement en menaçant à la légère de s’attaquer à un autel de Taal. Et s’il s’agissait de ce dernier obstacle, comment la magie de Nurgle ne pourrait pas s’écraser et déchaîner sa grande supériorité face aux bribes du génie de Taal ?

Mais cela semblait être plutôt autre chose que tout ceci qui la gênait. Elle grimaça, avant de faire un geste de la main pour tenter d’indiquer à Reinhard de cesser son mouvement.

« Écoutez… Je ne suis pas complètement demeurée non plus, je sais ce dont vous êtes capables, et ce que vous représentez.
Mais… Je pense pas être taillée pour tout ça. Je vous ai suivi pour me casser de Nuln en douce, pas risquer de…
Pas risquer de me mettre en travers de puissances divines. Vous comprenez ? »

Elle commença à faire un pas en arrière, en levant ses mains.

« Mettons que vous avoir indiqué ce crâne c’était un remboursement pour m’avoir sauvé la vie – on est quittes ? Vous…
Vous me laissez partir ? »

Elle semblait étrangement inquiète. Y avait quelque chose qui tremblait dans sa voix, une marque un peu fugace – Reinhard n’était pas de l’espèce de ceux qui parvenaient à identifier facilement un signe ou un sous-entendu chez autrui.
Mais elle semblait bien prête à juste tourner les talons et partir immédiatement, si elle le pouvait.

Message par **Reinhard Faul** » 08 nov. 2020, 20:40

J'étais tout entier à ma profanation d'autel divin quand Sigrid annonce qu'elle veut partir.

« Hein ? Quoi ? Attends ! »

Je ne comprends pas comment la situation m'a échappée si vite. Pourquoi décrocher un vieux crâne d'un bâton c'est hors limite, alors qu'on peut dormir sur ses deux oreilles après avoir massacré toute une auberge ? Mystère.

« Rôh allez c'est qu'un crâne quoi. »

Ce n'est pas la bonne réponse, mais je suis pris au dépourvu. Je ne veux pas qu'elle parte ! Surtout pas ici ! Je ne veux pas reprendre le bateau en laissant une telle bombe à retardement derrière moi, pas alors que je viens de croiser mon cousin chéri et que je sais que mon papa vit ici quelque part. La petite sorcière va forcément exploser, à un moment où à un autre. Je me prends la tête à deux mains, parce que je suis dans la merde.

« Tu peux pas... pas ici... tu peux pas... »

Je suis à court de mot. En réalité, c'est plus simple de discuter avec des démons. C'est moins sentimental, les démons. Ça fait pas des cacas nerveux parce qu'on tue des bébés (un seul !) et qu'on blasphème. Je n'ai aucune, mais alors aucune compétence pour convaincre une jeune fille tout droit sortie du collège gris que c'est génial de rester sur un bateau nurglite. Maintenant que j'y réfléchis, qu'on m'a mis comme qui dirait au pied du mur, je ne vois pas par quelle sorcellerie je ferais avaler à quelqu'un une énormité pareille. On notera que je ne l'ai même pas tenté auparavant. J'y ai pensé, évidemment. Elle sort d'un endroit avec des bouquins, du préchi précha, de la vaisselle propre. Même si elle a détesté des choses, c'est sa normalité. Forcément qu'elle voit floue sur la croisière magique là...
Je fais ce que je fais toujours dans ces cas là, raconter absolument tout ce qui me passe par la tête :

« Écoute, déjà, ça m'arrange pas trop de te lâcher ici... pas si près de Nuln. Pas discret. Tu vas faire quoi après, concrètement ? Tu connais un sort qui change la bouse en or ? Non ? Donc tu vas vagabonder vers une autre grande ville en faisant n'importe quoi. Tu vas pas me faire ça quand même ? »

J'ai un ton énervé, j'aurais voulu la jouer plus apaisant. Je me frotte les yeux avec le pouce et l'index. Bordel, comment lui expliquer ? Je tente du mieux que je peux, en faisant le vieux con :

« Je vais pas te raconter ma vie, mais je te jure sur la tête de Kurt que partir au hasard tout seul et dormir dans les fossés au bord des routes c'est une vie de merde. Bon, et mettons que tu chies de l'or, là en ce moment c'est un peu tendu dans la région. Si tu fous la merde avec ta magie ça va fouiner comme pas possible. Tu veux pas au moins attendre qu'on soit plus loin au moins ? S'il te plaît ? »

J'essaye de gagner du temps pour prendre son âme, c'est le mieux que je puisse faire.

Sigrid était étonnamment silencieuse. Et, Reinhard nota un petit détail étrange ;
Elle le regardait droit dans les yeux.

L’instant d’avant, elle avait l’air un peu paniquée. Prête à s’enfuir. Mais à présent, son expression corporelle venait de changer du tout au tout. Elle l’observait simplement, droit dans les yeux, les lèvres scellées, dans une curieuse posture bien altière. Droite comme un « i ». On aurait dit qu’elle méditait silencieusement. Elle restait comme ça, en se taisant totalement.
Puis, elle haussa les épaules.

« Non. Vous avez raison.
Pardonnez-moi. Je resterai avec vous tant que vous le jugez nécessaire. »

Et alors, sans rien dire de plus, elle tourna les talons et, d’un pas rapide, repris la route vers le navire.
C’est là que Reinhard comprit ce qui venait juste de se passer – dans son dos, elle avait commencé une incantation silencieuse. Elle était prête à l’attaquer pour s’enfuir.

Enfin seul, Reinhard approcha ses mains du crâne. Il sentait la magie divine de Taal l’entourer. Peut-être que cela aurait pu le convaincre d’hésiter l’espace d’un instant. Violer un sanctuaire d’un Dieu aussi important que lui ne pouvait pas être si simple. Comment le Père allait-il pouvoir se faire entendre ? Allait-il invoquer un cerf pour le charger ? Allait-il commander les oiseaux pour qu’ils se jettent sur lui et le lacèrent avec leurs becs ?
Silence. Les mains douces et fines d’un Reinhard caché derrière un charme attrapèrent le crâne. Il résistait un peu, il dut y mettre du sien pour le détacher de l’épouvantail…
…et soudain…

Rien.

La magie divine toute entière se dissipa. Il entendit un chuchotement. Un râle d’une voix rauque. Et ensuite, plus rien.
Juste lui avec cet énigmatique crâne, qui chatouillait le bout de ses doigts alors qu’il le tenait dans ses paumes.

Refusant de rester dans ce village pour apprendre ce qui était arrivé à sa famille, il décida lui aussi de retourner au bateau. À mi-chemin du Pellagra, il sentit l’amulette d’Ulgu faiblir. Il était décidément bien temps de rentrer.
Il remonta sur le navire, alla réveiller l’Interlope qui se tira de sa parodie de sieste. Le pauvre batelier aurait peut-être préféré dormir, mais il comprit l’empressement de son maître, et lui proposa de s’arrêter en chemin dans un coin plus calme pour camper un instant.

Il était temps pour Reinhard Faul de laisser ces souvenirs derrière lui.

L’interlope était avachi sur sa barre. L’énigmatique borgne scrutait l’horizon de son seul œil bien distrait, tandis que le Pellagra n’avait qu’à suivre le vent et le courant, sans nécessiter beaucoup de surveillance de sa part.
Pendant la grande partie du trajet, il fallait se faire petits. Juste à l’embouchure de Nuln, il y avait du monde. Le navire rencontrait d’autres cogues, et Irmfried Brandt, torse-nu pour bosser sur le pont, leur lançait quelques grandes salutations de la main avant de lancer quelques balivernes sur les nouvelles actuelles pour faire de courtes discussions. Le pistolier avait l’air de savoir s’y prendre pour parler le langage des bateliers.

Au bout d’un moment pourtant, la navigation fut beaucoup plus calme. L’interlope expliquait qu’il préférait emprunter un confluent moins aisé de navigation, de manière à croiser moins de monde. Une prudence qui était peut-être compréhensible.

Heidemarie et Sigrid, elles, étaient en train de tranquillement jouer aux cartes dans un coin. Elles avaient invité Reinhard à venir les rejoindre, et proposaient à leur Coësre de parier un peu d’argent autour d’un rapide brelan pour tuer le temps.

Alors que tout le monde faisait sa vie, le petit Oswin descendit du pont pour aller alpaguer son maître.

« Pardonnez-moi m’sieur Coësre, mais on approche de Grissenwald.
Va falloir s'arrêter et payer le péage si on veut mouiller dans la ville ; mais vous préférez peut-être qu'on s'arrête avant et qu'on dorme dans la nature ? »

Message par **Reinhard Faul** » 16 nov. 2020, 16:23

J'étais déprimé par la visite de mon village natal, j'ai donc fait ce que tout homme adulte digne de ce nom ferait en pareille circonstance : boire. Je ne suis pas encore malade, mais les cartes commencent à se dédoubler devant mes yeux larmoyants d'alcool. Je suis enroulé comme dans un châle dans une couverture à grosses fleurs fushia qui a dû appartenir à Mémé Gâteuse, parce que j'ai froid. Je perds de l'argent aux cartes mais je m'en fiche, j'espère juste que Sigrid se fait pas un pécule pour pouvoir se barrer.

Parlons de Sigrid, justement.

J'ai réfléchis très fort, et dans le fin fond de ce qui me reste de cervelle, j'ai trouvé une solution pour la faire rester. Parce que je me vois pas convaincre une jeune femme en pleine possession de ses moyens de venir chez Grand Père, je ne le tenterai même pas. C'est le problème avec Nurgle, il est pas aussi attirant que... mettons Slaanesh ou Khorne. Évidemment que tout le monde veut être un grand malabar guerrier chaud de la bite, personne veut être malade et faible. Le secret c'est d'être déjà de l'autre coté de la barrière, celui des ratés.
Ce soir, quand je serais tranquille, je demanderai à Furuga'th comment filer la tuberculose à Sigrid. Ça a marché pour moi !

Alors que je suis en train de loucher sur mes cartes en essayant de me rappeler à quel jeu on joue, Oswin se pointe pour proposer de lui même des finitions à mon plan. Bien sûr qu'on va camper dans la nature. Je serais tranquille dans les bois pour discuter avec le démon (c'est compliqué la magie noire dans une auberge). Je lui répond d'un ton aviné :

« Ben on va aller dormir dans la nature ! Même si on se pèle le cul dans un espèce de marais. Je peux pas garder mon apparence de vieux beau en permanence. »

Petite pause.

« Hein Heidemarie que je suis moche ? »

Heidemarie maîtrise l'art du bavardage mondain comme personne, mais même là je l'accule dans la détresse. Elle prend un air de bête traquée. Me contredire serait trop aberrant. La vérité toute nue serait malpolie. Elle commence à bredouiller :

« Vous... vous ressemblez à la vision de notre Seigneur des mouches euh...

- Tu me trouves moche quoi.

- Mais non !

- Bon, on va camper dans les bois alors hein ? »

Je me lève maladroitement, la bouteille à la main, fier d'avoir aussi bien noyé le poisson. Maintenant Heidemarie est terrassé par les convenances sociales et ne posera plus de question, elle est totalement neutralisée. Je suis tellement intelligent.

Je titube jusqu'au pont du navire (sous les récriminations de Sigrid qui voulait finir la partie). Je vais observer le paysage, en agrippant la couverture parce qu'il fait frisquet. Des arbres, de l'eau, de la boue. On est beaucoup sur des tons marrons et gris, ça se voit qu'on approche du Stirland. J'ai aucune idée de à quoi ça ressemble, mais c'est pile l'image que je m'en faisais. Je commente pour moi même :

« Ce pays aussi il est moche. »

Puis je glousse comme un ivrogne en me bavant dans la barbe.

« Là ? C’est parfait, non ? »

L’interlope était crevé. Avachi contre la barre, le borgne levait un œil distrait vers l’horizon, tandis que Irmfried se chargeait de remplir médiocrement la fonction de contre-maître – à défaut d’avoir une longue vue, il se contentait de placer une main horizontale au-dessus de ses yeux.
L’interlope grogna, tout en tapotant le bois de la barre.

« J’ai pas envie d’ensabler le navire… Faut un lieu assez profond…
– Heureusement on est encore dans un lieu où la Loi se fait entendre. On risque pas d’être braqués.
– Y a cinq-six ans c’était pas la même… D’la soldatesque partout, oui-da. »

Finalement, ils trouvèrent un arbre devant un petit talus, une espèce de terre herbeuse.

« C’est un bel endroit pour pêcher, là…
– Alors adjugé, vendu. On pieute ici. »

Il fallut dix bonnes minutes pour que l’interlope ordonne ses matelots débutants de rentrer les voiles, en sautant sur le toit du château central pour leur montrer comment faire. Ensuite, vint le moment d’attendre un long moment qu’il stabilise son vaisseau, et jette l’ancre ; et enfin, le Pellagra était plus-ou-moins arrimé à de la solide vase tapie sous l’eau.
Oswin jeta une corde et descendit lentement le premier. Il vit que de l’eau lui arriva jusqu’aux hanches, ce qui était tolérable. Ils pouvaient sans nul doute débarquer rapidement un peu de matériel. Plein de motivation, Irmfried se proposa pour préparer un feu de camp, après quoi il avait très envie de se fabriquer une canne à pêche. Heidemarie, toute heureuse de vouloir elle aussi mettre la main à la pâte, se proposa pour monter des tentes avec Kurt – Kurt qui semblait de toute manière toujours très volontaire, à en croire ses « agagagaga » répétitifs.
Il n’y avait que Sigrid pour rester les mains dans les poches, en observant le talus d’un mauvais œil. D’une petite voix assez peu assurée, elle demanda comment pouvait-elle se rendre utile ; Une Heidemarie tout sourire lui demanda de la suivre, afin qu’elles placent des paillasses.

Tout le monde allait pouvoir roupiller à la bonne étoile. Si Irmfried parvenait à pêcher quelques poissons d’eau douce, il y aurait de quoi rajouter un peu de subsistance à la cervoise aqueuse et au gruau salé. Nul doute qu’avec le pactole accumulé chez les Sansovino, ils pourraient acheter de la nourriture d’un peu meilleure qualité à la prochaine ville où ils s’arrêteraient – mais ça, les autres pouvaient bien s’en charger, Reinhard ayant quelques problèmes pour présenter en public depuis sa transformation…

Reinhard attendit que l’interlope aille se coucher dans un hamac sur la cale. Il faisait encore jour, mais il était éveillé depuis un moment. Rapidement, tout le monde étant au boulot, il se retrouva tout seul. Il descendit vers la cabine du navire, où il n’avait pas encore eu trop le temps de ranger ses affaires bouclées par Max’ et Steiner.

Décor de bois. L’endroit ne payait pas de mine. La lumière passait à travers quelques fins hublots à la verrerie sale – on avait pas nettoyé les vitres depuis fort longtemps. Une paillasse dans un coin. Un bureau contre le mur au bout, avec un coffret ferré posé dessus. Dans un coin, un alambic acheté pour pas cher au marché noir, et des dizaines de tubes alignés sur un râtelier de bois. Des livres, beaucoup de grimoires, cachés dans le coffret que Reinhard déverrouilla avec une petite clé attachée autour de son cou.
L’endroit était bien glauque. On entendait un léger craquement du bois vieillissant, alors qu’un très léger roulis fluvial faisait tanguer les jambes avec une langueur peu perceptible, mais qui à force changeait un peu de la terre ferme.
Reinhard trouva du sel, dans un pochon dont il défit le nœud. Il le répandit au sol dans un cercle. S’agenouilla malgré son dos qui lui faisait mal, et posa le bâton devant lui.

Il récita une longue litanie en langue noire – des promesses de bubons explosant et de larmes d’orphelins malingres. Puis, il sentit une espèce de chaleur envahir la pièce, l’atmosphère ayant pris quelques degrés, et une puanteur nauséabonde chatouillant ses narines.

Il y eut un souffle. Le sel se répandit dans la pièce. Et il vit une forme spectrale, d’un grand bonhomme à la jolie barbe et au cache-œil sur sa trogne de truand. Vitale Candiano était condamné pour l’éternité, mais visiblement, sa chair plaisait beaucoup trop à Furug’ath pour ne pas le ressortir et s’amuser avec sa peau.

Il ricana tout en se grattant le ventre.

« Il semblerait que tu souhaites infecter un de tes matelots avec une maladie toute nouvelle !
As-tu besoin d’aide avec ça ?! »

Il ricana tout en mettant ses mains dans ses poches virtuelles – on aurait dit une ombre, une ombre verte, fugace, mais projetée par aucune lumière. Mais Furug’ath singeait de la gestuelle humaine, sans trop y parvenir réellement.
Il tenta bien de mettre un doigt dans son oreille pour la gratter, mais il avait une façon de faire qui n’avait rien de naturel.

« Je dois avouer être un petit peu déçu de ta journée, Coësre ; Je m’attendais à ce que tu fasses du mal au village dans lequel est né Reinhard Faul. Ça aurait été un bon moment de brûler les ponts derrière toi…
…Mais je ne te demanderai pas de rendre des comptes là-dessus. Je t’ai dis que je t’offrais toute ma confiance, c’est ainsi. Mettons ça sur le fait que tu ne souhaites pas trop attirer l’attention des loyalistes. C’est bien pour ça que tu as épargné ta vieille famille, oui ? »

Il fit un clin d’œil avec son seul globe encore valide.

« En revanche, voler un crâne de ce sale cornu de Taal risque de t’attirer des emmerdes… Mais ça peut être utile. Je ressens un peu de force dans cette saloperie. Le corrompre en fera un bel artefact. Je te laisse choisir ta façon de faire : Chier dessus, le recouvrir d’entrailles maudites, que sais-je encore ! C’est toujours pratique d’avoir un joli casque sur son visage ! »

Il désigna le crâne du dix-cor que Reinhard avait laissé sur le bureau.

« Bref. Trêves de plaisanteries. Tu souhaitais inventer une jolie maladie pour la petite Umbramancienne qui te suis ? Je peux t’aider à ce niveau là. En plus, j’aime les prises d’initiatives !
Tu vas avoir besoin d’un peu de matériel, par contre. Je crois que Mémé Gâteuse a la majorité de ce qu’il faut dans ces affaires… »

Il tapa dans ses mains – ça ne fit aucun bruit.

« Allez, hop hop hop ! Je suis un fantôme, booouuuuuh ! Je peux pas aller fouiller moi-même ! »

Reinhard s’approcha de l’alambic. Il fouilla dans des tubes à essai. Guidé par Furug’ath, il craqua une petite allumette pour enflammer un réchaud. Furug’ath se gratta sa fausse barbe en réfléchissant.

« Hmmm, hm hm…
Je vois…
Alors, tu as envie d’un truc rigolo ? Un truc vraiment puissant ?!
Je t’aime bien petit. Je suis ton plus grand fan, je te l’ai déjà dit ? »

Il pointa du doigt la table.

« On va faire un truc lié aux bovins ! Pire chose que l’Humanité ait jamais fait, lier son destin à des grosses vaches. Mais moi j’adore ça, elles sont tellement mignonnes et tellement pleine de saloperies !
Avant ça, tu vas avoir besoin de copains. De petits vecteurs. Et ça… Y a que toi qui peux les sortir. »

Reinhard posa ses doigts près de sa bouche. Il chanta quelque chose. Et ainsi, il sentit quelques petits insectes danser sur son palais.
Il les cracha sur le plan de travail improvisé. À nouveau, Furug’ath tapa dans ses mains sans pour autant qu’on entende un « clap ».

« Ho ho ho ! Tellement adorable !
Maintenant, il faut que tu lies tout ça avec de la mycose de bovin… C’est ce tube, là-bas. Fais-moi une jolie patte, et n’oublie pas de prier Papy ! Une petite chanson !
Ahem :

♫ Au premier jour, de l’épidémie,
J’ai reçu de mon papy :

Un, poumon encrassé !

Au deuxième jour, de l’épidémie,
J’ai reçu de mon papy :

Deux dents cariées,
Et un, poumon encrassé !

[...] »

En rythme et en chant, les deux Pestilents préparèrent la petite maladie. Reinhard écrasa dans un mortier, fit chauffer dans un alambic, reproduit les gestes que Mémé Gâteuse lui avait appris. Et au bout d’un moment, enfin, il parvint à faire ce qu’il souhaitait :

Une espèce de mélange immonde, noir, vaseux, visqueux. Un mélange alchimique, mi-magie, mi-biologie. Il était répugnant.

Alors, le crâne de Taal se fit sentir. Comme si le Dieu de la forêt hurlait de terreur en voyant la manière avec laquelle on torturait le bel équilibre du monde, Reinhard se persuada que les trous où devaient être les yeux de l’animal se mettaient à pleurer.

« Héhéhé ! Pas mal du tout Reinhard !
C’est pas non plus à la hauteur des maladies qu’on a balancés sur Nuln… Mais c’est, disons, plus… Personnel. Intime !
T’as deux doses, pratique si la sale petite mage décide de résister. Ou si tu veux rendre malade quelqu’un d’autre.
Mon conseil ? Mélange la maladie à un verre de lait. C’est pas obligé de l’infecter tout de suite ! Ça a plus de chances de réussir si elle est déjà fatiguée, ou blessée. Mais bon, tu fais ce que tu veux ! »

Message par **Reinhard Faul** » 19 nov. 2020, 15:44

Fabriquer une maladie c'est... agréable. Intense, mais agréable. Je suis encore très mal à l'aise en pratiquant la magie, mais je ne peux pas nier ça. Être bourré pendant l'opération ne pose pas d'inconvénient majeur, puisqu'on est sur une activité très animale, intime. Ça ne demande pas d'intelligence, quasiment aucune coordination motrice.

Je joue à la petite ménagère avec le contenus des fioles de Mémé Gâteuse et les insectes. Sur le plan réel, ce ne sont que des animaux et des substances plus ou moins dégueulasse. Moi, je les vois irradier de lumière verte et je les entends. Un bruit de cristal qui vibre, ou un gros pet gras. Il y a aussi mon chant. Je psalmodie pour amadouer la tuberculose. C'est une petite chose délicate, elle ne se laissera pas convaincre comme ça. Je lui dépeins toutes les merveilles qui l'attendent. Les poumons abîmés, des expectorations purulentes, des glaires plein de sang, la fièvre, la douleur, la fatigue. Une véritable fête.

Furuga'th me guide pendant l'opération. Il est là à briller vert comme un con, sous l'apparence de Candiano quand il n'était pas encore possédé. Il aime bien cette forme là - et je préfère autant que ça ne soit pas la mienne. Néanmoins il me met mal à l'aise en étant à la fois beau gosse et monstre contre-nature incapable de bien imiter les humains. C'est que je commence à bien le connaître, le Candiano, et dans son ancienne vie d'humain dénuée d'influences démoniaques, c'était bien mon type de bonhomme. Tiléen, hétérosexuel, gros connard (je suis un grand adepte de l'amour à sens unique). Dans une autre vie j'aurais pu avoir le béguin. Là j'ose à peine lui jeter des coups d’œil de temps en temps tellement il est dérangeant.

Une fois que j'ai fini et que je serre les petites fioles contre mon cœur, Furuga'th me fait un grand sourire et m'explique la suite du plan. Mon petit crâne d'amour que j'ai volé au village pleure devant l'horreur qui est en train de blobloter dans les petits récipients en verre. À quoi ça ressemble la tuberculose ? À un liquide noirâtre, épais, visqueux, qui – pour mes yeux – émet de la lumière et dégage une odeur puissamment corporelle. Si un poumon démoli sent quelque chose, c'est ça. Je dis au démon :

« C'est joli hein ? En tout cas je sais pas pour Sigrid, mais moi je suis épuisé. »

Effectivement, je suis en sueur et j'ai le cœur qui bat à cent à l'heure. La magie, ça pompe. Si j'avais conçu mon plan plus tôt, je n'aurais pas picolé avant la préparation. Mais bon, je m'en suis bien sorti non ? Tous mes sens m'indiquent que je tiens la tuberculose dans mes mains.

Avec mille précautions – parce que j'ai peur de tout péter dans ma saoûlerie – je bouche les deux petites fioles. Mémé, qui n'était pas que folle, a beaucoup de verrerie et de petites boîtes matelassées pour les ranger. Maintenant que je trimbale des trucs fragiles sur un bateau plein de cinglés, j'apprécie cette prévoyance.

J'essaye de me mettre debout, je me casse la gueule à cause du roulis du bateau et de celui de mon oreille interne, puis je parviens à mon objectif à la seconde tentative. Je me tourne vers le crâne de cerf géant, celui béni par Taal. Mon petit crâne d'amour à moi que j'ai volé de mes blanches mains. Je lui dis (parce que pourquoi pas parler à un objet inanimé, j'ai été plus malade mental que ça) :

« T'as vu ce que je sais faire ?! Sigrid elle va devenir ma co-pi-neuh ! … ou alors elle va choisir de mourir dignement. Putain, j'espère pas ! »

Je prends une gorgée à la bouteille puis je fixe mon interlocuteur, songeur. Je réfléchis à voix haute :

« Bon. Comment je vais te souiller ? Je peux pas juste te chier dessus, comme ça en passant. C'est pas original du tout ! En plus, si ça suffisait à corrompre des trucs, je te jure que la moitié de Nuln appartiendrait déjà à Grand Père. »

Une autre petite rasade pour la route.

« Faudrait un truc plus... ben mieux quoi. Chépa, je suis crevé. Je vais demander aux autres leur avis tiens. »

Je produis un rôt qui me brûle le nez tellement il est chargé d'alcool, puis je me tourne vers Furuga'th :

« T'as des idées géniales toi ? T'aimes tellement le caca et les trucs dégueulasses... enfin tu m'diras, tout ce que je fais est dégueulasse... merdeux, nul... »

Je me frotte le visage, et c'est pas facile quand on tient une bouteille en même temps. Je me cogne les dents tout seul, puis poursuis mon soliloque :

« J'veux dire, j'ai raté les funérailles de ma mère. Hein qu'un type qui rate les funérailles de sa mère, il peut dégueulasser tout ce qui est pur ? Non ? Bon d'accord c'est hors sujet. C'est trop perso, on s'en fout de ma mère... Et si j'me tape une queue sur le crâne ? Taal il aime euh... les trucs printaniers là. Le cycle de la vie, les grosses triques, et on fait pas plus stérile que moi... Quoi ? C'est tiré par les cheveux ? Oui bah j'ai envie du mélop... du mélodrame ! Voilà ! C'est votre faute à tous si j'apprends des mots, j'arrête pas de voir des trucs plein de vocabulaire là... enfin je disais quoi déjà ? Que je suis un ivrogne chouineur, mais bon t'as dû remarquer tout seul... »

Le démon ne répond rien, il se contente de faire un large sourire plein de dents. Je reste quelques secondes à regarder dans le vide, le temps que mes neurones épars se retrouvent et fassent le point. Je conclus notre petite séance de travaux manuels :

« Tu sais quoi ? Je vais demander à Heidemarie de contaminer la gamine avec du lait à la tuberculose. Si ça vient de moi, Sigrid va se méfier... Bon, ben je... je sors rejoindre les autres du coup ? Je sais pas comment t'occupes ton temps, si je dois dire au revoir ou pas. Pis j'ai un peu envie de vomir. »

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