[Anton] La Complainte du Solland

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[MJ] Le Grand Duc
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par [MJ] Le Grand Duc »

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Le regard du prince, si distant et froid de prime abord, s'illuminait à mesure qu'Anton faisait son exposé. Les mots du baron de Terre-Noire semblaient attiser la curiosité et l'ardeur de Falco. Ce visage de marbre, glabre et juvénile, laissait maintenant paraître une étincelle d'excitation contenue. Les lendemains évoqués par le sudenlander assouvissaient peut-être la soif de gloire et d'aventure d'un jeune homme qui s'était montré bien las depuis son arrivée à Pfeildorf.

- "Vos paroles sont pleines de sens, mon cousin." dit Falco en inclinant la tête, un coude posé sur le dossier de son siège, son verre de vin en main. "Je vous remercie mille fois pour ces nouvelles, et je suis heureux de vous savoir à mon côté car votre science nous sera précieuse dans les temps qui suivront. Aussi, je salue votre dévouement et votre renoncement. Mon oreille vous sera attentive, toujours, cela je vous le jure." Il s'avança au rebord de son siège et saisit les mains d'Anton entre les siennes, blanches et ornées de bagues. "Je nous crois amis maintenant et je place ma confiance en vous. Ensemble nous ferons de cette terre une terre libre, habitée par un peuple libre. La route que nous allons emprunter vous et moi est tortueuse mais juste. Et les dieux sourient à ceux dont l'entreprise est juste. Je me fie à votre jugement et j'agirais selon ce que vous pensez pertinent. Pour l'heure, à moi la gloire et à vous les manigances." glissa-t-il enfin non sans un sourire facétieux avant de boire une gorgée de vin. "Et n'ayez crainte concernant mon rôle dans notre association. Je suis né pour rayonner, j'ai été élevé et éduqué pour cela. C'est ce que je sais faire de mieux. Si notre peuple a besoin d'un héros, ce héros ne sera autre que moi."

De cela, il n'y avait pas à douter. Falco était un jeune homme beau et bien fait. Princier et détaché, il dégageait pourtant cette aura de fascination dont le peuple raffolait tant. Son maintien, ses gestes, ses regards lents et profonds ... Il avait tous les attraits des paladins glorieux et intrépides qui peuplaient le folklore impérial.

Le jeune homme se leva et raccompagna son cousin à l'intérieur de l'appartement. Là, il lui demanda de lui faire parvenir ses instructions et recommandations par écrit, lui donna sa bénédiction pour la session du Conseil à venir et le salua chaudement. L'éloquence d'Anton semblait avoir placé Falco sous son entière confiance, mais il était sûrement trop tôt pour savoir si le prince tiléen était déjà aveuglé par la perspective de se couvrir de gloire et de l'amour du peuple ou si il déplaçait lui-même ses pions en parallèle de ceux du baron de Terre-Noire.

Anton quitta la suite du prince, passa entre les deux chevaliers ornés de crinières de fauves qui gardaient l'entrée et s'engagea dans le grand escalier de marbre. Il descendait les marches quatre à quatre lorsque quelqu'un le rappela derrière lui. C'était le père Benito qui s'approcha à sa hauteur. Il avait un sourire bienveillant, mais son regard était celui d'un homme rusé et la cicatrice qui lui barrait la gauche du visage laissait imaginer bien des choses quant à son parcours.


- "Le soutien que vous apportez aux prétention du prince Falco est grandement apprécié, Herr Adeldoch." dit l'ecclésiastique à voix basse. "Sachez que l'Ordre de l'Aigle est profondément intéressé par les événements qui se déroulent dans le Sudenland. Sa Grâce Lorenzo di Marco se juge prêt à fournir bien des efforts pour le bien du culte et de ses fidèles." Le père Benito marqua une pause pour laisser son sous-entendu former des pensées concrètes dans l'esprit d'Anton. "Je vous prie de considérer cette nouvelle avec la plus grande attention car j'ai la certitude que nous partageons des intérêts communs. Il peut être imprudent de se passer d'alliés en ces temps troublés. Si vous souhaitez vous entretenir sur ce sujet plus avant, adressez un pli au temple de Myrmidia, dans le Sollhafen."

Ces noms n'étaient pas inconnus d'Anton. De part ses voyages en Tilée il avait une connaissance beaucoup plus pointue du culte de Myrmidia que la grande majorité de ses compatriotes impériaux. La plupart de ces derniers considéraient la déesse comme une figure essentiellement guerrière et vengeresse, figure par ailleurs déjà occupée par Sigmar et Ulric. Les rares fidèles impériaux de Myrmida étaient vus, pour beaucoup, comme des nobles rêveurs en quête d'exotisme ou des intellectuels désabusés. Ne l'appelait-on pas "la Déesse des Officiers" ? Qui plus est, ses statues à la limite de l'indécence choquaient les mœurs des plus conservateurs. Tous ces éléments convergeaient pour faire du culte de Myrmidia un culte mineur, voir inexistant dans les provinces du Nord de l'Empire. Pourtant, Myrmidia était peut être la figure divine la plus vénérée du Vieux Monde. L'Estalie et la Tilée lui étaient entièrement dévouées et on invoquait son nom à chaque instant du quotidien. Ses préceptes pleins de sagesse et de bon sens étaient applicables à chaque aspect de la vie, pour l'agriculteur comme pour l'artiste, pour le marchand comme pour le soldat.

Cependant, Myrmidia pouvait compter de plus en plus d'adeptes dans le Sud de l'Empire, notamment après la grande Tempête du Chaos et les terribles dévastations qu'elle avait entraînée. Pour certains, et sans qu'ils ne se l'avouent, Sigmar s’était révélé trop faible pour tenir les Puissances de la Ruine à distance et qui plus est son culte était secoué par des querelles incessantes. Ulric, trop brutal, était de moins en moins bien accepté par la classe moyenne urbaine en plein développement. Les soldats voyaient en Myrmidia une présence capable de raffermir réellement les cœurs et d'encourager les vertueux pour qu’ils anéantissent leurs ennemis. Elle était l’art et la science de la guerre, là où Sigmar et Ulric n'étaient que la force du combat et la furie de la bataille. Le bain de sang qui avait suivi la terrible invasion venue du Nord avait profondément marqué les survivants, dont certains préféraient désormais se tourner vers d'habiles stratégies ou des moyens d'éviter les conflits inutiles. En effet, peu d'hommes se délectaient des horreurs de la guerre après les avoir connues. Les ulricains et les sigmarites les plus exaltés y voyaient de la lâcheté. Les myrmidéens n’y voyaient que de la circonspection.

Myrmidia gagnait aussi en popularité auprès des femmes dont les fils et les maris étaient à la guerre. Elles priaient la déesse pour que celle-ci inspire des choix judicieux aux officiers dans l’espoir que cela permette aux êtres qui leur étaient chers de survivre. Un adage désormais répandu disait d'ailleurs "Sigmar vous conduit à la guerre, mais c’est Myrmidia qui vous permet d’en revenir." Les femmes avaient également le sentiment que Myrmidia, en tant que femme elle-même, était mieux à même de comprendre les craintes et les peines qu’elles ressentaient pour leurs hommes. Ces croyances étaient ouvertement désapprouvées par le culte de Sigmar.

Pour ce qui était de l'Ordre de l'Aigle, Anton le connaissait comme étant l'un des ordres les plus importants et les plus influents du culte de la déesse guerrière. La majorité des membres du clergé en faisaient partie et son organisation suivait une hiérarchie militaire dans la plus pure tradition myrmidéenne. Lorenzo di Marco était celui que l'on appelait l'Aigle du Nord, basé à Nuln et en charge de la l'administration de l'ordre dans l'Empire et au Kislev. Aussi mineur soit le culte de Myrmidia dans ces contrées, Lorenzo di Marco était certainement un personnage très puissant et influent.


Il était temps pour Anton de se rendre à la Maison du Chêne pour assister à la seconde session du Conseil des Pairs. Le baron descendit ce qu'il restait des marches et s'avança dans le hall d'entrée luxueux de l'auberge. Ses bottes claquaient sur les dalles en pierre vernie tandis que le tapage provenant de la Schloss Strasse lui arrivait déjà aux oreilles. Il passa le portail du Siège Doré et se retrouva immédiatement plongé dans une foule dense et bruyante. Ce soir là avaient lieu les très attendues et dernières festivités du 18 Sigmarzeit, date qui marquait le début de l'été. La fête et les prières devaient bientôt atteindre leur paroxysme avec la grande messe de l'Ascension qui allait être célébrée devant un essaim compact de fidèles sur le parvis l'église de Sigmar. Des centaines de milliers de personnes à travers l'Empire allaient prier au même instant, s'agenouillant côte à côte pour glorifier le jour où le protecteur de la nation accéda au statut de dieu immortel. La grande majorité de ces pieux citoyens allaient ensuite festoyer, s'ennivrer et danser jusqu'à tomber de fatigue pour, le lendemain, regretter d'avoir trop bu la veille.

La perspective d'une telle fête pressait les légions de pèlerins et de passants à se masser dans les rues. On se disputait les meilleures places où on allait ensuite attendre des heures sous un soleil de plomb pour être sûr de ne rien rater de la messe et de la procession qui, ce soir, ferait le tour de la ville. Des ménestrels jouaient à chaque coin de rue, des cercle de danse tournaient sans s'arrêter, des enfants de choeur formaient de pieuses chorales ça et là, chantant les louanges du glorieux Sigmar. Le soleil dardait ses rayons cruels sur cet agglomérat grouillant d'êtres humains, faisant couler les humeurs à grosse goutte sur les fronts. Des vendeurs ambulants essayaient de se frayer un chemin dans la cohue, beuglant les prix de leurs saucisses à la couenne et de leurs gobelets de bière. De nombreux arsouilles avaient commencé la fête avant l'heure et titubaient déjà. L'ébriété s'ajoutait à l'euphorie fébrile que dégageaient de telles masses humaines lorsqu'elles étaient dans l'attente de quelque grand événement. La chaleur n'arrangeait rien à tout cela. Elle faisait au contraire tourner les esprits et rendait cette marée humaine d'autant plus suffocante. Enfin, Anton remarqua la présence de nombreux gardes qui patrouillaient par deux ou trois parmi la foule. Les événements de la matinée avaient du inciter la Marte à renforcer la sécurité en ville. Plus loin, il apercevait l'Alttorplatz grouillante de monde, d'estrades où se produisaient saltimbanques et montreurs d'ours kislévites et de condamnés à des peines légères que l'on graciait devant le peuple en ce jour saint.

Le baron prit son courage à deux mains et s'enfonçant dans cet amas de chair bouillonante. La Maison du Chêne n'était pas bien loin et Anton n'avait qu'à parcourir une soixentaine de mètres pour pouvoir bifurquer dans une ruelle plus calme. C'était sans compter sur les hordes qui l'entouraient et qui étaient si compactes qu'elles le compressaient comme un linge. Il était l'esclave des mouvements et des flux du nombre et ne pouvait se déplacer qu'à leurs dépends. Les vagues et les contre-courrants se bousculaient entre eux, la chaleur était harassante. Les odeurs de sueur, de pisse et de crasse que dégageait la foule de pèlerins montaient au nez du châtelain de Terre-Noire et lui piquaient les yeux. Il commençait lui même à suer fortement. Ses mains devenaient moites à mesure que des vagues de chaleur montaient en lui tandis qu'il avançait laborieusement dans la cohue, pas après pas, mètre après mètre. Le soleil lui tappait sans pitié sur le crâne. Bientôt ses oreilles se mirent à siffler et sa vision se brouilla étrangement. Il se sentit défaillir et du s'appuyer sur une borne en pierre pour ne pas choir. Le vacarme qui régnait autour de lui était comme étouffé et les gens semblaient s'animer de manière saccadée. Anton avait l'impression d'être complètement ivre et se retrouvait sans repères, la tête lourde, le cou faible et le regard ahuri. On lui tendit un gobelet d'eau. Quelqu'un -une femme à en croire la voix- lui conseilla de faire un don au temple de Shallya pour se prévenir contre l'anémie. Un enfant des rues profita de son malaise pour lui faire la bourse.

Anton revenait peu à peu à lui lorsqu'un garde du guet le reconnu au milieu du petit cercle de curieux qui s'était formé autour du lui. Il l'aida à se redresser tandis que son collègue écartait la foule et les deux hommes escortèrent le noble jusque dans l'ombre fraîche d'une ruelle adjacente, le sauvant de la Schloss Strasse et de son délire ennivré. Anton se vit offrir une outre d'eau pour se désaltérer et reprendre ses esprits. Les gardes attendirent patiemment que le baron se redresse avant de le gratifier d'un salut militaire. L'un d'eux ferma le poing et le leva à hauteur de son épaule.


- "Sudenland libre." murmura-t-il avant de disposer.

Les deux patrouilleurs s'engouffrèrent à nouveau dans la foule qui serpentait sous le soleil cuisant et disparurent de la vue d'Anton. Ce dernier reconnu la ruelle et la remonta vers la Maison du Chêne, décidé à ne pas perdre une seconde de plus.

Il arriva finalement à destination et passa dans la traboule, franchit la cour intérieure sous l'ombre du grand chêne et pénétra dans le bâtiment principal. Le hall d'entrée et le couloir aux portraits étaient vides, aussi le baron les traversa-t-il en toute hâte et monta les marches quatre à quatre jusqu'à l'antichambre de la Salle des Entiers. Otto von Ingelfingen et Lothar von Ülmer attendaient leur complice. La grande porte de la salle de réunion était fermée mais Anton pouvait entendre les discussions étouffées des autres pairs qui attendaient les trois nobles des contreforts pour commencer.

Otto semblait légèrement anxieux à l'idée de proposer l'ordonnance orchestrée par Anton. Bien qu'il soit favorable à l'indépendance et ami intime de ceux qui la défendaient – comme feu le père d'Anton - le baron de Mendelhof n'avait jamais pris de position tranchée dans la politique du Sudenland. Il avait cependant accepté d'introduire la proposition au Conseil des Pairs, voyant probablement là une occasion opportune de faire avancer une cause qu'il croyait juste. Anton connaissait cet homme depuis toujours et se rappelait de lui et de Lothar en train de festoyer dans la salle de banquet de Terre-Noire en compagnie de son père quand ils rentraient de la chasse au sanglier. Otto était un homme honnête et honorable et peut-être était-il temps pour lui d'assumer pleinement ses devoirs et ses responsabilités en tant que noble du Sudenland. Il révisa rapidement le texte en compagnie d'Anton pour être certain de ne pas faire d'erreur au moment venu tandis que Lothar faisait les cent pas dans l'antichambre en ruminant dans sa grosse barbe, mains derrière le dos. Devoir assister à une nouvelle session du Conseil semblait contrarier Von Ülmer au plus haut point, lui qui avait un caractère orageux et qui n'aimait rien moins que les "bavasseries de ces poltrons qui pètent dans la soie", comme il ne manquait jamais de souligner. Il fit cependant savoir à Anton qu'il avait eu le temps de "s'entretenir" rapidement avec Alexander von der Goltz comme le lui avait soufflé Lazarus, qui était passé à la Maison du Chêne en coup de vent. Il fut temps de faire son entrée en scène et Otto se lissa une dernière fois les moustaches en serrant son script dans une main tandis que Lothar ouvrait la grande porte en poussant un juron à voix basse.

Tous les regards se posèrent sur le trio qui entra dans la Salle des Entiers pour aller s'installer en bout de table comme à son habitude. Le Conseil des Pairs était désormais au complet. Comme à l'ordinaire, le Secrétaire Privé Franz Walsinheim représentait officiellement l'autorité et les intérêts de la Grande-Baronne Etelka Toppenheimer qui n'avait pas mis les pieds dans cette pièce depuis plus de deux ans à ce jour. A sa droite, un vicaire du temple de Sigmar qui représentait le Grand Lecteur Loïk Birkenfeld, ce dernier étant fort occupé par les préparatifs de la messe à venir. A sa gauche le Père Max, sa toge grise et son air austère. Venaient ensuite l'ambassadeur nain, les maîtres de guilde et enfin les aristocrates. Les autres personnes présentes dans la salle faisaient partie du personnel : deux hallebardiers du Guet, le vieux scribe et son pupitre encombré, un serviteur chargé de servir les collations et, bien entendu, le Geheimwächter, l'officier de la police secrète de la Comtesse Electrice Emmanuelle von Liebwitz qui était accoudé silencieusement à son bureau d'angle.

Après une courte prière adressée à Sigmar en ce jour saint, Franz Walsinheim déclara la deuxième et dernière session du Conseil des Pairs du Sigmarzeit ouverte. Avant que quiconque n'intervienne avec quelque doléance intéressée ou délibération insipide, Otto von Ingelfingen demanda la parole. Le Secrétaire Privé la lui accorda, l'air légèrement surpris, et le baron de Mendelhof déplia ses notes. Ses mains usées tremblaient suffisament peu pour que seuls Anton et Lothar puissent s'en apercevoir. Otto fit une lecture scrupuleuse, s'exprima d'une voix forte qui se voulait pleine de conviction et réalisa l'exploit de ne buter sur aucun mot malgré l'écriture saccadée d'Anton. Il n'y eut aucun murmure tandis qu'il lisait et le baron de Terre Noire pouvait se délecter de l'évolution qu'offrait le visage de Franz Walsinheim. Narquois tout d'abord, le Secrétaire Privé sembla ensuite surpris par le manque de réaction des pairs. Ses traits finirent figés dans une expression d'effarement total lorsqu'Otto termina la lecture de l'ordonnance proposée et amendée selon les exigences discrètes de chacun. Walsinheim toussa dans son poing et se reprit.


- "Mh, très bien. Nous allons donc procéder à un vote formel comme le demande le protocole." annonça-t-il sans conviction. "Qui est contre ?"

Il leva la main, immédiatement imité par le vicaire qui avait certainement reçu la commande claire de s'aligner avec le Secretéraire quel que soit le sujet débattu. Cette fois, le manque de mobilisation ne sembla pas le frapper. C'était une tradition tenace au Conseil des Pairs que de s'abstenir, ce qui était probablement la raison pour laquelle cette assemblée était si stérile. On s'abstenait parce qu'on était corrompu, on s'abstenait par peur des représailles, on s'abstenait par engagement politique ou, principalement, on s'abstenait par pure indifférence. Walsinheim fit un tour de table du regard et hocha la tête d'un air entendu.

- "Qui est pour ?"

Anton, Lothar et Otto levèrent la main immédiatement. Jusque là, rien d'étonnant. Mais peu à peu, d'autres mains se levèrent. Celle sèche et franche de Dietrich Eberwald, le maître de la Guilde des Tanneurs. Celle rugueuse de Nôrund Noircharbon, l'ambassadeur des royaumes nains. Celles complices et potelées de Herman Zedder et Orel Stadtmüller, maîtres respectivement de la Guilde des Tailleurs et Tisserands et de la Guilde des Cordonniers. En même temps se levaient la main de Jan Möbius le délégué de la Maison des Guildes et celle, plus hésitante, de Gunther Korb le tanneur. Du côté des nobles, Alexander von der Goltz craqua en premier et leva la main avec un air meurtris, essayant d'éviter le regard de Walsinheim comme celui de Lothar. Hans von Bulöw suivit d'un geste coupable, cédant à l'âpat du gain promis par Anton. Puis se fut le jeune Frédéric von Wrangel qui leva la main, adressant un regard de conivence juvénile au baron de Terre-Noire. Plus formidable encore, Ernest "le Noir" de Lippe leva la main en dernier non sans se départir de son air sinistre.

Anton et ses comparses remportaient le vote avec treize voix contre deux et deux abstentions. Le moment était fantastique, irréel, car pour la première fois depuis longtemps les indépendantistes venaient de forcer la Marte à s'incliner.






Gerechtfeld, auberge du Renard et du Chien
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- "HA ! Je ne saurai pas dire ce qui est le mieux ! Que cette ânerie de Conseil soit enfin terminée ou bien la tête de ce crétin de Walsinheim ! Il était plus rouge qu'un joueur d'épée de Carroburg !" s'esclaffa Lothar avec sa grosse voix avant coller une bonne tape dans le dos d'Anton et de tremper les moustaches dans sa sixième chope de bière.

La soirée était déjà bien avancée et les festivités battaient leur plein. L'auberge était pleine de clients qui préféraient célébrer le jour saint loin de l'agitation de Pfeildorf. Des ménestrels jouaient, on battait les tambours, on dansait, on s’enivrait et on chantait à s'en faire crever les poumons. De temps à autres, on entendait une grande détonation et le ciel s'illuminait de rouge ou de jaune grâce aux artificiers qui faisaient feu depuis le sommet de l'Alderhorst, en ville.

Anton avait gagné son pari. L'ordonnance avait été ratifiée selon les conditions prévues avec les autres pairs. Les estimations de Jan Möbius s'étaient avérées justes et les caisses de l'indépendance allaient de remplir de deux mille marks d'or, une somme considérable qui allait permettre de financer bien des choses. Le vicomte Erwin-Kleist von Nollendorf s'était adressé à Anton à la sortie du Conseil pour répondre au courrier que lui avait remis Lazarus. Il l'avait remercié pour son approche et ses compliments et justifia son abstention par un manque de conviction concernant la question pécuniaire. Le fait que sa femme soit elle-même l'héritière d'une riche dynastie marchande de Remas ne fut pas abordé mais n'était peut-être pas totalement étranger à sa ligne de conduite lors du Conseil. Erwin-Kleist se dit cependant touché par les considérations du baron de Terre-Noire et l'invita à lui rendre visite dans son manoir de Hausern si il lui venait un jour l'envie de discuter de la Tilée ou de lettres sudenlandaises autour d'un verre de vin.

Mais pour l'heure, les esprits étaient à la fête et non aux affaires politiques. Anton était attablé avec Otto, Lothar et les deux fils de ce dernier, Karl et Ludwig. La bière montait à la tête de chacun et lorsque quelqu'un au fond de la pièce entonna les premiers vers de la Complainte du Solland dans un moment de mélancolie ivre et émue, toute la salle reprit en cœur tandis qu'on battait les tambours plus forts encore.

"Le soleil lui-même point ne brille
La lande s'est tue sous la lune..."


C'était finement joué. +5 d'xp pour le tour de force ;)
PS : je me suis très largement inspiré du contenu de la BI pour le passage sur Myrmidia. Deux ou trois phrases sont presque entièrement copiées/collées, le crédit va donc à Christer.
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

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Anton
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par Anton »

***
Le Prince Falco était un singulier garçon; et quoi que j'ai eu l'occasion de lui donner du "mon cousin", je ne peux prétendre avoir tout saisi de son étrange caractère. Il me faisait l'effet soit d'un garçon trop vert qui eut revêtu trop tôt les traits austères du monarque, soit d'un de ces nobles usés par le luxe et les affaires dont percerait par éclairs l'excitation cruelle de la nouveauté. Quoi qu'il en soit j'étais certain, lors des premiers temps de notre rencontre, que j'avais remporté sur lui une victoire des plus complètes, et qu'il ne me manquait guère que le temps pour la transformer en triomphe. C'est cette étonnante et nécessaire transformation que je tentai d'initier dès le lendemain de notre première vraie rencontre [...].
Extrait du volume 5 des Mémoires du Sieur d'Adeldoch par Lui-même



Cher Cousin,

L'âme encore toute fortifiée de nos belles résolutions d'hier, je vous écris afin de porter à votre connaissance les toutes premières recommandations de celui que vous avez bien voulu reconnaître à son grand bonheur comme votre conseiller et cousin. La belle victoire remportée hier au Conseil et dont vous devez avoir eu vent nous place dans une position avantageuse qu'il s'agit d'exploiter à fond avant que nos adversaires ne l'utilisent pour le retour de flamme qui est à craindre; ils sont sonnés, profitons-en !

La première de mes recommandations est de faire de vous un personnage public. Aussi, je vous recommande de gagner au plus vite à votre cause la jeunesse romantique de notre bonne Pfeildorf, celle qui s'ennuie et qui, quitte à briller en vain, ferait aussi bien de briller pour nous. A mon sens, voici deux noms que vous pourrez facilement vous attacher: Reiner von Nollendorf et Ingo von Foster. Ils sont jeunes comme vous [...].

La seconde de mes recommandation est votre sécurité. Vous devenez d'ores et déjà encombrant et cela ne va pas cesser de sitôt; or je crains beaucoup de la traîtrise contre laquelle vos chevaliers ne vous protégeront pas. Cette missive vous sera portée par une servante de mon domaine, que je vous propose de prendre à votre service; si elle est moins élégante que les sbires de l'auberge où vous résidez, elle aura au moins le mérite de ne pas écouter aux portes ni d'empoisonner votre vin. Je vous recommande également un gouteur [...]. Arrangez-vous pour avoir toujours un noble à vos côtés, afin que si l'on vous provoque en duel en guet-apens, ce soit lui qui aille se faire tuer pour votre honneur. Cela ne marchera pas toujours, car il est des tâches qu'on en peut que laver soi-même, mais cela compliquera toujours les intrigues de l'adversaire. [...]

La troisième recommandation est de recevoir largement pendant la semaine à venir. Voici ce qu'il faut que l'on retienne lorsqu'on vous parle: vous êtes courageux, vous aimez le Sudenland mais le connaissez mal et avez besoin des Sudenlanders pour le découvrir, vous ne voulez pas bouleverser l'ordre établi mais au contraire soulager les problèmes, vous êtes déterminé mais compréhensif, et enfin vous avez confiance en la justice de l'Empire. Pour chacun de ces points, trouvez une anecdote qui marquera les esprits: retenez des proverbes de chez nous (Suzy vous en indiquera) et enquêrez-vous auprès de vos hôtes du bon usage que vous en faites, laissez trainer une phrase sur la bonne gestion de votre fortune, lancez une anecdote sur la façon dont on punit, dans vos terres, le brigandage... Surtout, posez des questions sur la sécurité du Sudenland, et demandez-vous souvent comment on pourrait l'améliorer. De façon générale, écoutez plus que vous parlez, et montrez de la foi en un peu tous les dieux, à tout hasard.

Voici une liste de bourgmestres et de personnalités qu'il serait bon pour vous de rencontrer. Faites sentir à chacun qu'il est là chez vous car on vous l'a présenté comme une des personnes qui comptent à Pfeildorf. Faites savoir également que vous recevrez qui se présentera, quotidiennement et à heure fixe. Il faudra que le salon d'attente soit rempli de monde, et du meilleurs, quitte à ce que le Père Benito manigance pour assurer cette affluence. Et qu'au moment où vous ouvrirez vos portes pour la rencontre, on voit bien quitter vos appartements une personnalité de référence, reçue préalablement à la foule [...].

Enfin, ayez pour le peuple quelques largesses. Rendez-vous régulièrement à quelque hospice pour faire la charité, ou bien laisser voir un signe de piété dans quelque temple. Faites-vous découvrir la ville, notamment Sollhafen et Reikhafen, par des bourgeois, des prêtres, des capitaines ou des nobles, en alternance. Soyez beau et faites à l'occasion une œillade ou deux, cela vous gagnera toujours les femmes, et elles peuvent nous gagner leurs maris. Vous n'échapperez pas aux accusations d'être efféminé: vous avez la tournure fine, vous êtes élégant et vous venez de l'étranger; il faudra donc tôt ou tard trucider quelqu'un. Mais nous avons un petit peu de temps pour choisir qui.

Ces conseils, mon bon cousin, vous parviennent dans la langue que j'affectionne, celle de la franchise et de l'efficacité. En public -et ce sera l'ultime recommandation de la lettre- nous devrions manifester entre nous de l'estime, du respect mais également une distance plus grande que dans l'intimité, afin que nos adversaires soient réduits aux conjectures sur nos relations exactes.

J'ai en vous une parfaite confiance mon cousin. A très vite pour de grandes choses, je le sens.

Amitiés,

Votre cousin dévoué

Anton Von Adeldoch
***

De tous ceux qui me servirent dans la longue lutte que je dû conduire par orgueil et par honneur pendant des décennies, il en est un qui se détache avec une netteté particulière. Un sentiment partagé s'attache pour moi au souvenir de Lazarus, dont l'intelligent dévouement et l'extraordinaire probité me semblaient à l'époque des événements de "l'Affaire de l'Héritier" d'une richesse incommensurable. Il m'était d'ailleurs incroyablement malaisé d'avoir recours à ses services, tant je craignais d'user par trop de sollicitations l'acuité de cet outil tombé du ciel, dont j'aurais pu avoir un vital besoin par la suite; la répugnance que je mettais à lui confier des tâches m'évoquait alors un de ces maîtres atouts, à la valeur extrême, mais dont le joueur qui l'avait béni en le découvrant dans sa main ne se sépare jamais sans un serrement au cœur. A l'époque des événements, toutefois, cet excès de scrupules me paraissait de plus en plus hors de propos, et je fis appel à Lazarus pour des tâches dont je ne mesure qu'aujourd'hui à quel point elles pouvaient l'exposer [...]
Extrait du volume 5 des Mémoires du Sieur d'Adeldoch par Lui-même



Mon cher ami,

Nous avons rencontré tout à l'heure la plus grande de nos victoires depuis longtemps, et toi seul sait à quel point elle est la tienne autant que celle de tous ceux qui luttent avec nous. Ce mot est insuffisant pour te dire combien je suis fier de toi, d'autant que la précaution nous interdit de trop s'en réjouir, mais il me semblait nécessaire. Il me permet également de te recommander une fois encore la prudence: rien de ce que tu pourrais accomplir ne vaut à un seul instant que tu prennes le moindre risque, et mes requêtes sont caduques sitôt qu'elles te pourraient te mettre en danger.

Merci encore mon ami, et à très vite

AVA
***
Ma conviction est certaine: dans la vie, il ne sert à rien de prévoir, mais on peut être préparé. Cette nuance échappe aux esprits les plus faibles, et sont cause que les imbéciles passent tant de temps à travailler pour accomplir si peu. Il ne sert à rien de prévoir parce que rien ne se déroule jamais comme prévu, et que perdre du temps en vaines conjectures et en projections lointaines mène plus volontiers à l'échec qu'au succès. La réussite n'est qu'une suite de réactions judicieuses aux événements et aux opportunités, que rien du reste n'interdit d'avoir soi-même provoqués. En revanche, réagir juste et dans le ton, adapter sa mélodie aux changements progressifs ou brutaux du contexte, c'est-à-dire improviser, cela ne vient pas de nulle part non plus: cela demande de la préparation. On ne peut pas savoir ce qu'on va faire, mais on a le devoir de préparer ses armes pour réagir quand le destin nous aura mis au pied du mur.
Extrait du volume 5 des Mémoires du Sieur d'Adeldoch par Lui-même


Réflexions sur mon quasi-évanouissement le 21 Sigmarzeit.
Deux possibilités: accident ou incident.
Accident: je vieillis, j'ai accumulé le sommeil en retard, j'étais dans un état de forte agitation après l'immense tension ressentie lors de l'audition du Prince ET l'excitation du Conseil à venir où se jouait une partie importante de ma crédibilité. J'ai bu -très légèrement-, la chaleur et le soleil étaient d'importance, et surtout la foule qui me pressait peuvent expliquer cela.
Incident: les menaces écrites du petit papier, le verre de vin but chez le Prince. Ai-je bu avec Bülow ? Je ne crois pas. Chez les nains non plus.
Contre l'incident: qui aurait intérêt à m'étourdir si peu et mal ?
Si c'est un incident: Est-ce un avertissement ? Était-ce destiné au Prince ? Était-ce une manœuvre du Prince pour me fatiguer et me percer à jour ? Cela ne colle guère avec son discours, ni celui du Père Benito.
Interroger le Prince pour savoir si lui aussi a eu cet accès de faiblesse.
Cesser de prendre de pareils risques. Visiblement quelqu'un veut la peau du Prince et j'aurais pu y passer aussi.
Pas d'autre solution que d'ouvrir l’œil.
Et faire ouvrir l’œil à Suzy, évidemment.
***
La religion est comme un couteau très affuté; on peut s'en servir pour couper des pommes, ou pour tuer son prochain, mais dans les deux cas il faut le tenir par le manche. Si l'on est pas certain de porter une bonne armure ou d'aimer les pommes, ni d'être celui qui maniera le manche, mieux vaut s'abstenir d'agiter le couteau... Pourtant il est difficile dans nos territoires de s'en passer, car elle est partout, à tout instant de la vie et même de la conversation. Au seuil de mes quarante ans, j'avais développé pour le culte une indifférence polie qui tranchait avec l'agitation Morrienne de mes plus jeunes années, mais je me heurtais toujours dans mes projections pour l'indépendance à la douloureuse question du clergé; Sigmar et ses prêtres, qui possédaient sur nos bons paysans une autorité ultime, semblaient bien peu favorables aux changements, et je ne voyais guère comment tourner à mon avantage leur inertie, pas plus que l'indifférence des représentants de Taal, Moor ou Véréna. C'est dans ce contexte d'immobilisme latent ou la foi vacillait du fait des grandes guerres du nord que survint le Prince Falco avec, dans ses bagages, l'intéressante déesse Myrmidia.
Extrait du volume 5 des Mémoires du Sieur d'Adeldoch par Lui-même


Au plus haut gradé du Temple, saluts.

Anton Von Adeldoch, Baron de Terre-Noire et Pair du Sudenland, vous fait savoir suite à sa conversation avec le Père Benito son intérêt pour les Leçons de Stratégie dispensée en votre temple et, ne doutant pas de la bonne volonté des servants de la Déesse, souhaiterait savoir quand il sera possible de lui en produire une démonstration, afin qu'il juge de leur possible pertinence pour l'éducation de son petit cousin.

Les propositions d'heure et de jour pourront passer par le Père Benito, qui précisera avec le Baron les termes de la leçon, dont Sa Seigneurie se réjouit par avance.

Salutations respectueuses,

Anton Von Adeldoch,
Baron de Terre-Noire, Pair du Sudenland, etc.
***
Naturellement, on ne remporte pas une victoire comme celle du 21 Sigmarzeit sans qu'elle ne vous marque de façon indélébile. Le sentiment d'exaltation que j'ai senti dans mes veines ce jour-là lorsque j'ai vu l'ultime main se lever n'est compréhensible que lorsqu'on s'imagine l'excitation d'humeur et le souffle coupé qui accompagnèrent la dizaine de minutes qui le précédèrent.[...] Une victoire aussi surprenamment complète était certes un incroyable atout, parce qu'elle prouvait non seulement que l'Indépendance pouvait écraser la Marte, mais elle promettait également à ceux qui avaient accepté de nous suivre une attitude plus sereine face à la riposte du camp adverse, puisqu'ils pouvaient se prévaloir de leur nombre pour se rassurer. La peur avait changé de camp... Mais je craignais également que ce coup de force, pourtant nécessaire, en révélant un voile de notre puissance ne déclenche l'offensive de ceux qui nous croyaient jusqu'ici impotents, et que ceux-ci ne se révèlent dans leur colère et leur peur trop prompts et trop puissants pour que nous puissions leur faire face... ne dit-on pas dans nos montagnes que, pour défier le Griffon, le sage est celui qui attend de monter un Dragon ?
Extrait du volume 5 des Mémoires du Sieur d'Adeldoch par Lui-même


Cher ami,

Une courte missive pour saluer le vote courageux que vous fîtes hier, et qui rendra à la fois notre contrée plus fière et nos concitoyens plus prospères. L'intelligence et l'a-propos sont des choses que l'on n'oublie pas facilement lorsque l'on a, comme moi, la loyauté pour principe et l'ardeur comme moteur, aussi soyez assuré je vous prie que les vôtres resteront intact dans ma mémoire et me vaudront je l'espère à l'occasion le titre de

Votre Serviteur

Anton Von Adeldoch
Seigneur de Terre-Noire
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 08 janv. 2017, 02:11, modifié 1 fois.
Raison : 6 xps / Total : 66 xps
Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
Profil de combat :
FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

Détails permettant d'arriver à ce profil:
Profil: FOR 8/ END 10/ HAB 8/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 10/ PAR 9/ TIR/ 9/ PV 75/75
Compétences: Monte, Arme de prédilection (rapière +1 Att)
armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
Protections: mailles. Torse, dos et bras, protection de 9, encombrement de -1 HAB, ATT et PAR
Talisman de Gork : +1 For Att et END
Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges
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[MJ] Le Grand Duc
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par [MJ] Le Grand Duc »

Le lendemain fut marqué par un mal de crâne généralisé qui semblait s'être emparé de tous les résidents du Renard et du Chien, à Gerechtfeld. Lorsqu'Anton descendit dans la salle commune de l'auberge, il y trouva Otto von Ingelfingen, Lothar von Ülmer et les deux fils de ce dernier attablés autour de bols de lait de chèvre, de grappes de raisin blanc et d'un plateau de fromage. Au vu des cernes alourdissant leurs regards, les Von Ülmer avaient dû passer une nuit bien courte. Otto, au contraire, semblait plutôt frais et fumait tranquillement sa pipe en noyer, le regard dans le vague. La veille, il avait informé Anton qu'il rentrait dans son domaine de Mendelhof à présent que le Conseil des Pairs était terminé. Il invoqua un différend qu'il avait à régler entre deux de ses métayers mais Anton le suspectait sûrement de se sentir à l'étroit à Pfeildorf et de vouloir retourner sur ces terres où il aimait tant chasser. Les amitiés d'Otto pour les partisans de l'indépendance étaient chose connue. Cependant, et à l'inverse de Lothar ou du père d'Anton, le margrave n'avait pas pour habitude de batailler dans l'arène politique du Sudenland. Il n'était point lâche, ceci ne faisait aucun doute. Cette passivité relevait plutôt du caractère calme et détaché d'un homme qui ne s'intéressait point aux luttes de pouvoir et qui n'aspirait qu'à administrer honorablement le domaine familial et battre les forêts des journées entières en la seule compagnie de son cheval et de sa meute de limiers. L'engagement et le courage dont il avait fait preuve la veille lors du Conseil étaient d'autant plus surprenants et expliquaient certainement le souhait qu'avait Otto von Ingelfingen de rentrer chez lui. L'éclat d'hier avait probablement rappelé ses jeunes années à cet homme pragmatique qui, les pieds sur terre, se disait probablement qu'il en avait assez fait et qu'il fallait mieux qu'il garde la tête froide. Il se leva en apercevant Anton descendre les escaliers et attrapa la gibecière qu'il avait par les pieds tandis qu'un garçon d'auberge amenait la malle qui contenait les affaires du margrave.

- "Il est temps pour moi de quitter les lieux, jeune homme." dit-il en se lissant la moustache. "Je vous souhaite bien du courage, car vous venez d'ouvrir une voie périlleuse. Aussi soyez prudent. J'espère que vous nous rendrez visite sous peu, Huppert sera fort aise de vous revoir." Huppert était le fils d'Otto. Anton le connaissait depuis toujours, au même titre que Karl et Ludwig von Ülmer. "Sigmar soit avec vous."


C'est sur ces mots qu'Otto sortit de l'auberge. Anton s'attabla probablement avec Lothar et ses fils pour partager leur déjeuner et le baron lui apprit qu'ils allaient encore rester une petite semaine à Pfeildorf. Ce n'était pas pour plaire au vieil ours mais il était en train de faire réparer son armure par un forgeron du Neusüdentor et la commande avait pris du retard. Lothar grognait et râlait dans sa barbe quand Lazarus, connu de tous à Pfeildorf comme "le fils du Rémikopf", fit son entrée. En loyal suppôt, il venait pour escorter le baron de Terre-Noire auprès de Suzy.

Et comme souvent, Lazarus ne s'était pas trompé. Suzy, Suzanne Zederbaum de son vrai nom, était faite de la matière dont Anton avait besoin. C'était une jeune femme tout juste sortie de l'adolescence mais à qui l'embonpoint conférait une maturité et une confiance certaines. Elle était tout en rondeurs, des hanches jusqu'à ses joues roses et parsemées de tâches de rousseurs. Son sourire était charmant et ses yeux d'un bleu pâle au reflet maternel. Le tablier passé par dessus sa robe de flanelle cachait difficilement son opulente poitrine et son fichu en laine retenait une épaisse chevelure rousse enroulées en un chignon pratique. Elle travaillait comme serveuse à la taverne du Marteau Noir, dans le Schwarzwache. L'établissement, qui s'élevait en bordure de l’Eisenhändlerplatz, servait principalement les forgerons et les apprentis du quartier après une dure journée de labeur. Il était intéressant de noter, en outre, que c'était l'un des rares débits de boissons de la ville qui n'appartenait pas tout ou en partie à la dynastie des Hôtelleries Ecclestein. Suzy avait été recrutée par le propriétaire des lieux, Lukas Erhard, peu de temps après son arrivée à Pfeildorf. Elle était originaire du piémont des Montagnes Noires, née dans le bourg d'Ummenbach qu'elle avait quitté à peine une dizaine de jours plus tôt. Lazarus, que la rente héritée de son père laissait désœuvré et la bourse pleine, eut tôt fait de la rencontrer un soir car il était l'ami de Bertha Mengs, le maître brasseur du Marteau Noir, et passait de manière quasi-quotidienne à cette taverne pour rendre une petite visite de courtoisie arrosée d'ale sombre.

Suzy accepta la proposition d'Anton sans marchander. Elle avoua vouloir quitter le Marteau Noir, le patron se faisant régulièrement très envahissant lorsqu'il avait bu et qu'il n'y avait plus de clients. De plus, la perspective de travailler comme domestique au service du prince Falco lui promettait un salaire bien plus juteux que ce que lui proposait Erhard. Il fut entendu qu'elle entretiendrait une correspondance discrète et régulière concernant les fréquentations et les agissements du prétendant tiléen contre une légère rémunération.

Test de perception (basé sur Ini) : 17, raté.


Anton et Lazarus quittèrent le Schwarzwache en fin de matinée pour se rendre dans le Sollhafen, l'un des quartiers les plus animés de Pfeildorf. C'est là que transitaient la plupart des marchandises échangées en ville. Ce faubourg s'étendait de part et d'autre du mur d'enceinte dont le grand portail était fermé une fois la nuit tombée. Les quais fourmillaient d'activité, légale et illégale et les contrebandiers et autres tires-laines étaient légions dans ces ruelles étroites et ces entrepôts exigus. C'est au cœur du quartier que se trouvait la Caverne, sise au bord d'une petite place au pavé déchaussé, entre des habitations entassées les unes sur les autres et face au siège de la Compagnie des Ferry des Coureurs du Reik. La Caverne, en plus de faire office de taverne, était probablement le seul établissement de Pfeildorf a avoir l’autorisation d'organiser des combats d'hommes, de chiens et de coqs. Le grand-père de Bruno Grimm, l'actuel propriétaire des lieux, avait en effet réussi à négocier une charte spéciale auprès du conseil de la ville et fait aménager la cave de la taverne familiale en une modeste arène : un carré de sable entouré de gradins en bois. Un guichet se trouvait à l'entrée où les spectateurs prenaient leurs paris sur les combats auxquels ils venaient assister. De part son activité, la Caverne attirait dès lors une faune aussi bigarrée que perturbante. Les bourgeois en quête de frisson y côtoyaient les figures du crime pfeildorfer qui venaient miser leur argent blanchi. On y trouvait des manœuvriers et autres débardeurs des quais, des marchands, des mercenaires désœuvrés, des prostituées et toute une pléthore individus louches et peu recommandables. D'après Lazarus, la Marte s'appuyait sur la présence d'un tel public pour imposer une rente mensuelle et informelle à Bruno Grimm, lui évitant les passages des hommes du Guet mais le menaçant de fermer son établissement s'il ne payait pas. Grimm n'était pas le genre de personnage à se laisser marcher sur les pieds, mais la perspective de croupir à la prison de Saint Quintus suffisait certainement à le faire obtempérer.

C'est là, dans une salle enfumée à l'étage de la taverne, qu'Anton et Lazarus rencontrèrent Bernhard Dinkel, qu'on appelait "Döppelganger", le double-solde. Ce surnom était généralement attribué aux joueurs d'épée de l'Empire, de solides gaillards maniant la grande flamberge et dont la paye dans l'armée régulière était deux fois plus élevée que celle d'un soldat ordinaire en raison de leur expérience et de leur déploiement comme unité d'élite sur le champ de bataille. Dinkel ne dérogeait pas à l'image qu'on pouvait se faire d'un joueur d'épée : massif, il portait une longue barbe rousse taillée en fourche qui lui descendait jusqu'au plexus et d'épaisses moustaches huilées. Son large couvre-chef piqué d'une dague sertie était orné de longues plumes aux couleurs délavées. Sa chemise bouffante et ses chausses étaient, à l'image du personnage, criardes et voyantes bien que des accrocs ça et là apparaissaient comme les témoins d'une superbe depuis longtemps passée. Il portait une bague en or à sa main droite -à laquelle il manquait l'annulaire- et une chaîne pendait à son cou de taureau jusque sur son poitrail velu où Anton pouvait voir un médaillon en forme de marteau. Lorsqu'il bougeait les épaules, le col ouvert de sa chemise dévoilait un ample tatouage en forme de crâne coiffé de lauriers. C'est son regard, enfin, qui marquait. Un œil vert injecté de sang d'un côté et un cache en cuir de l'autre, barré d'une horrible cicatrice verticale qui défigurait le briscard et lui donnait un air peu rassurant.

Pendant les courtes présentations qui suivirent, Döppelganger affirma avoir servi dans la Brigade des Crânes de l'Ostermark, un bataillon irrégulier formé durant l'occupation de cette province par le terrible Vlad von Carstein. Le Brigade vit le jour à Essen, à une époque de peur et de trahisons où certains soldats particulièrement belliqueux abandonnèrent l'uniforme mauve et jaune pour porter le rouge et noir de la vengeance, résolus à résister face au joug draconien des seigneurs sylvaniens. Les membres de cette unité clandestine dissimulaient leurs visages derrière des masques en forme de crâne afin de garder leur identité secrète et protéger leurs familles des représailles. La Brigade acquit gloire et notoriété après la libération d'Essen et perdura jusqu'à la grande victoire de Hel Fenn contre les armées décrépies de Mannfred von Carstein. Mais la bataille préleva un lourd tribut sur la Brigade, dont les régiments composaient l'avant-garde des forces impériales. Les hommes en rouge et noir se retrouvèrent encerclés au milieu des marais et des brumes, assaillis par des légions infinies de zombies décérébrés. Si peu d'entre eux s'en sortirent vivants que la Brigade fut dissoute. Certains survivants s'engagèrent dans les troupes régulières, d'autres commencèrent une vie de gardes du corps ou de mercenaires, décidés à s'éloigner de ces terres maudites qui avaient vu tant de leurs camarades périr. Bernhard Dinkel disait être l'un de ces derniers et son rugueux accent de l'Ostermark semblait accréditer ses dires. Il apprit à Anton qu'il résidait à Pfeildorf depuis plusieurs années maintenant et qu'il avait sous ses ordres une petite compagnie informelle connue sous le nom de "la Drille", composée d'anciens frères d'arme et d'autres gros bras rencontrés en court de route. Sa troupe se chargeait de missions d'escorte ou de protection, généralement pour des marchands ou des personnalités de passage. Mais, part le ton désabusé du vétéran, le baron de Terre-Noire pouvait facilement deviner que son interlocuteur était nostalgique de l'action d’antan, de l'époque où lui et ses acolytes assermentés livraient bataille dans les landes lugubres et pendaient les collaborateurs aux pins tordus des marches de l'Ostermark.

Dinkel accepta de mettre sa bande au service d'Anton contre la somme de quarante-cinq marks d'or par semaine, plus une prime individuelle de vingt-cinq marks d'or pour toute blessure incapacitante reçue dans le cadre du contrat. Si le baron s'aventurait à négocier, il se verrait répondre que c'était là les tarifs habituels pour bénéficier des services de la Drille. Les associés de Dinkel résidaient dans un dortoir loué dans le Sollhafen, non loin de la Caverne, et étaient joignables à tout heure du jour ou de la nuit. De plus, ils possédaient leur propre outillage, ainsi Anton n'avait-il pas à débourser pour les équiper. Le Döppelganger serra la main du baron de Terre-Noire -manquant de lui broyer les doigts- et lui assura qu'il enverrait deux de ses gars à l'auberge du Renard et du Chien pour assurer la sécurité rapprochée d'Anton et de ses compagnons. L'imposant briscard vida sa chope avant de dire quelques mots sur le professionnalisme de son équipe : discrets et disponibles, ils se tenaient prêts. Les considérations politiques et les motivations d'Anton semblaient lui passer au dessus du chapeau. C'était un vétéran qui en avait sûrement déjà trop vu pour s'étonner de quoi que ce soit et qui n'aspirait qu'à assurer ses vieux jours à l'aide de quelques pièces d'or gagnées facilement.

Test de perception (basé sur Ini) : 15, raté.

Décidément ...


Il était maintenant temps de rencontrer celui que l'on prénommait Spengler, chef local du cartel Luciano-Lanski avec qui Lazarus avait pu organiser discrètement une entrevue grâce à ses innombrables relations. Les Luciano-Lanski étaient originaires de Wissenburg. Versés dans la contrebande, ils avaient profité de la terrible vendetta qui avait déchiré les clans Heinkel et Dornier pour étendre leur activité et s'établir confortablement dans les affaires criminelles de Pfeildorf. Le point d'appui principal du gang se trouvait quelque part dans le Mórrsfeld et c'est donc là que se rendirent Anton et son fidèle Lazarus.

Ils traversèrent le Sollhafen en sens inverse et remontèrent jusqu'à une Alttorplatz grouillante de pèlerins qui s'apprêtaient à quitter la ville au lendemain des célébrations. Les deux compères essayèrent d'éviter la foule et prirent l'Ewigruhe Weg pour descendre dans le Mórrsfeld. Ce quartier était l'un des plus lugubres de Pfeildorf, dominé par la grande tour de la prison Saint-Quintus. Les mendiants et autres estropiés battaient les caniveaux et la plupart des ruelles qui partaient de l'Ewigruhe Weg n'étaient pas pavées. D'après certains érudits, c'était à cet endroit que les Peaux-Vertes établirent leur campement lorsqu'ils assiégèrent la ville au milieu du XVIIIème siècle.

Le rendez-vous avec les Luciano-Lanski devait avoir lieu derrière le bâtiment de la Guilde des Pleureuses, sur une espèce de terrain vague boueux et plein de ronces encadré par des pâtés de maison à l'agencement chaotique. Lorsqu'Anton et Lazarus arrivèrent sur les lieux, il n'y avait personne. Ils attendirent quelques minutes jusqu'à ce qu'ils entendent des pas derrières eux. Le baron eut à peine le temps de se retourner qu'on lui enfila un sac en toile sur la tête tandis que deux personnes à la poigne solide l'immobilisaient. Ses mains furent liées dans son dos et il pu entendre la voix de Lazarus -qui prostestait- s'évanouir tandis qu'on le poussait vers l'avant, le guidant d'une main sur l'épaule. Cette marche à l'aveuglette dura longtemps. Anton manqua de trébucher à plusieurs reprises mais la main le soutenait. Au bruit des pas, il pouvait compter entre trois et cinq personnes qui l'escortaient. On l'arrêta plusieurs fois pour le faire tourner sur lui-même avant de reprendre la marche, probablement pour le désorienter. Les ravisseurs du baron ne parlaient pas et tout ce qu'on pouvait entendre était le l'écho étouffé de la ville et, parfois, l’aboiement d'un chien. Enfin, on l'arrêta et il entendu le crissement des gonds d'une porte. Une pression dans le dos lui indiqua d'avancer tandis qu'une main lui faisait baisser la tête et pour cause : il y avait une vingtaine de marches à descendre. La porte se ferma derrière eux et Anton descendit dans une pièce fraîche aux odeurs d'humidité et de suif. Encore des bruits de pas, le grincement d'une chaise qu'on tire. On le fit asseoir, une lame coupa les liens qui retenaient ses poignets et le sac qui lui masquait la vue fut enfin retiré.

Il était dans une petite cave. Les murs étaient en briques anciennes soutenues par quelques poutres d'une autre époque et la voûte s'effritait sous l'effet du temps et de l'humidité. Le seul éclairage provenait des bougies posées ça et là sur la table en chêne qui faisait face au baron. De l'autre côté, un homme l'observait, assit jambes écartées sur un tabouret. Visage taillé à la serpe, moustache en crocs, boucles d'oreille, gilet brodé sans manches : Anton faisait face à un kislévite. Ce dernier examinait le baron avec circonspection, arrangeant lentement les carnets, notes, pièces et autres figurines qui se trouvait devant lui.


- "Vous vouliez voir Spengler. Vous voyez Spengler. Maintenant parlez, vous voulez quoi." lui demanda-t-il sans équivoque, la voix tranchée par son dur accent de l'Oblast.
Image
Pour donner un ordre d'idée, je considère que le salaire mensuel d'un manœuvrier est de 3 couronnes d'or. Je me suis basé sur les prix affichés sur le wiki et notamment sur le prix de "Nourriture pour une journée (moyenne)" qui est de 4 sous.

Pour ce qui est de la Drille, ils sont 12, Dinker y compris.
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

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Anton
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par Anton »

Suzy

Ma chère Suzy, je compte sur votre intelligence et votre dévouement. Votre rôle, primordial, est de protéger le Prince de ceux qui dans son entourage pourraient vouloir lui nuire. Nous vivons dans un monde de traîtrise permanente, et il n'est rien sur lequel on puisse se fier, hors de ses racines. Je sais que vous êtes une fille intelligente et patriote, et que le Sudenland pourra compter sur vous. Vous faites désormais, avec votre charme et votre dévouement, partie au même titre que moi des soldats de l'indépendance. Vos origines, votre passé, tout cela ne regarde plus personne d'autre que vous, et nous pouvons les faire disparaître au profit d'une nouvelle Suzy ; je vous offre un nouvel avenir, où la réussite sera indissociable de la loyauté.

Si d'aventures un autre devait venir vers vous pour tenter de se gagner vos services...
le baron chassa d'un signe de la main les premiers gestes de dénégation esquissés par la jeune fille voyons, rien d'extraordinaire là-dedans. Nous sommes en guerre, et de tout temps l'ennemi a cherché à attirer dans ses filets nos plus fidèles soldats, et l'histoire ne doit pas les condamner trop jugement. Si donc un autre devait venir à vous pour vous proposer quelque chose de mirifique, promesses ou argent, questionner votre loyauté à l'aide d'un argumentaire alambiqué, vous menacer, vous questionner... si jamais vous deviez douter, venez à moi d'abord. L'indépendance s'est construite sur la fidélité totale à ses soldats Suzy. S'ils veulent vous acheter, nous doubleront nos accords, quel que soit ce qui vous aura été promis. S'ils vous menacent, quelque soit la façon, nous les détruirons. S'ils sèment le doute, nous les disperseront. Nos moyens sont illimités, plus que vous ne les soupçonnez, et notre volonté absolue. Venez à moi d'abord, vous déciderez ensuite. Le Prince a besoin d'être protégé contre ceux qui l'entourent, et contre lui-même.

Votre priorité reste la confiance, et le service du Prince. Comportez-vous comme vous le feriez normalement, ouvrez simplement les yeux et les oreilles, nous ne serons pas de trop à veiller sur son entourage.


Ils convinrent d'un procédé simple pour échanger de la correspondance, grâce à la complicité d'un marchand de tissu partisan de longue date d'Anton, que la jeune fille irait visiter une fois par semaine dans son allée très fréquentée. En cas d'urgence, il était convenu que le marchand afficherait sur son étal une belle étoffe pourpre, que la jeune fille ne saurait manquer de voir en passant dans les parages.

Une pièce importante du dispositif d'Anton se mettait en place.
Le Döppelganger

Cet homme rassura pleinement le baron. Il s'agissait d'un mercenaire de l'espèce la plus fondamentale, qui ne comprenait qu'un seul langage : l'argent.

Il était inutile de discuter avec lui plus avant. Von Adeldoch fit le maximum pour apparaître comme quelqu'un d'efficace et de loyal, direct et franc. Mais les circonstances de la rencontre gâchaient un peu cet effet. Il fallait se résigner à ne pas faire bonne impression sur cet homme et à assumer la position qu'Anton s'était choisie, celle d'employeur.

Ils se mirent rapidement d'accord sur les modalités. A nouveau, le baron se fit clair : si on faisait au Döppelganger une contre-proposition, le baron s'engageait à réévaluer son offre en conséquence. La discrétion était également un atout aux yeux du baron : son coup de force au Conseil l'avait exposé, il fallait amasser des forces en prévention du coup qui allait certainement venir, et surprendre à nouveau par la force et l'inattendu de la réponse.

Tant qu'on le croirait faible et isolé, le baron avait ses chances. La pire situation serait d'être pris au sérieux trop tôt.
Spengler

Mórrsfeld.

Mórrsfeld était pour le baron l'incarnation même de ce que "realpolitik" signifiait. En droit, l'héritier du Sudenland jugeait qu'il aurait du pouvoir se déplacer librement dans chacune des parcelles du territoire dont il se voulait le souverain légitime. La pratique, cependant, souffrait quelques exceptions, parmi lesquelles Mórrsfeld figurait en bonne place. La prudence avait jusqu'à présent largement dicté ce genre de conduite.

Cependant l'heure rendait nécessaire certaines extrémité, et prises de risques. Un politique moins avisé que le baron se serait sans doute rendu sur ces terres avec une solide escorte, mais c'eut été gravement méconnaître la psychologie de ceux qu'il souhaitait approcher. Un garde était inutile, puisqu'il se serait fait trucider tout aussi bien avec que sans lui. Dix gardes, c'était un signe de défiance absolument insupportable pour ceux qui vivent dans l'ombre et dans la menace permanente de l'autorité. Quant à 20, c'était stupide, et au mieux la rencontre n'aurait pas lieux ; au pire elle tournait au défi et au bain de sang...

Restait donc l'option de s'y rendre seul. C'était jouer selon leurs règles -la seule façon de s'approcher de ces milieux des bas-fonds, mais également une manière pour eux de le diminuer.

Le traitement qui lui fut réservé n'étonna guère le baron, même s'il ne put réprimer une vague d'inquiétude et de stress qui lui parcouru l'échine au moment où les malabars se saisirent de lui. Son sang-froid revint quasi-instantanément, du moins il essaya de s'en convaincre. Il dédaigna également sa velléité instinctive de compter ses pas ou de s'orienter dans cette étrange course, pour se concentrer sur une avance qu'il voulait digne et sereine ; il n'avait rien à gagner à paraître vouloir jouer hors des règles.

Le décors qui l'attendait était à la hauteur de ses espérances, l'homme qui lui faisait face nettement moins. Les dossiers d'Anton lui signalaient que Spengler était un Reiklander, ; hors il était hors de doute que celui qui revendiquait ce nom et qui lui faisait face venait sans aucun doute du grand nord. Le baron doutait pourtant sérieusement qu'une ville comme Pfeildorf où les malfrats ne goutaient guère à l'ingérence ait pu se plier aux désirs d'un kisleviste. Et puis une organisation aussi subtile, dirigée par un tel rustre ? Se pouvait-il qu'il y ait eu du changement dans l'organigramme de l'organisation ?

Anton, tout pétri de son importance, s'attendait à rencontrer le chef du gang, mais l'idée de se livrer à un possible sous-fifre par ailleurs étranger n'arrangeait guère ses projets.

Plusieurs options défilèrent dans l'esprit d'Anton. Présenter son offre, ou s'arranger pour rencontrer le véritable chef. Il était probable que cette rencontre n'était qu'une nouvelle étape dans le jeu auquel il avait accepté de se plier ; l'homme en face de lui n'était guère qu'un obstacle à passer, avant de rencontrer celui qui tirait les ficelles. Il doutait d'ailleurs franchement que les malfrats, en dépit de leur goût reconnu pour le glauque et l'obscurité agissent quotidiennement dans des espaces aussi insalubres.

Il choisit, comme à son habitude, de jouer un coup qui tout en l'exposant peu, lui permettrait d'avancer sans froisser personne.

Je serais rapide. Vous savez qui je suis, et je pense que vous savez également le parti que je représente. La situation politique de Pfeildorf, et du Sudenland va être amenée à changer assez brutalement dans les semaines à venir. Votre organisation et moi-même partageons trois choses : nous sommes puissants, nous sommes portés par une ambition brulante, et nous sommes des outsiders face à des adversaires divisés mais bien implantés.

Aujourd'hui la situation n'est pas favorable pour les hommes d'affaires comme vous. Le climat d'affrontement généralisé entre les quartiers laisse des traces, use l'opinion publique, et fait intervenir la milice dans des lieux où elle n'a pas forcément à se rendre.

Lorsque nous aurons pris le pouvoir, celui que je représente saura favoriser les hommes d'affaires qui savent gérer leur commerce sans heurt. L'heure sera aux visages neufs, et aux interlocuteurs intelligents pour ce futur gouvernement, quitte à se séparer une bonne fois pour toute des branches pourries.

Je pense que dans cette ère de changement, des gens pragmatiques comme ceux de votre organisation pourraient s'ils étaient bien informés, profiter admirablement des opportunités d'affaire qui vont s'ouvrir.

Nous avons nos canaux d'information, vous avez les vôtres. Ils n'entendent pas la même chose ; mais un politique et un homme d'affaire avisés connaissent tous deux la valeur d'une information pertinente. Je crois que nous pourrions bénéficier de certains échanges gagnant-gagnant ; par exemple je pourrais vous éclairer sur la future pénurie de vins tiléens suite aux récentes mesures du Conseil, ce qui pourrait intéresser un homme d'affaire comme vous, tandis que vous pourriez m'informer de toute manœuvre en cours dans vos milieux contre celui que je sers...

Ce ne sont que des exemples bien sûr. Les amis de notre mouvement ont l'habitude de se rendre divers services pour l’avènement de la cause que nous servons ; ces procédés pourraient également se rattacher aux nouveaux-venus en fonction de leurs besoins.

J'ajoute que celui que je représente n'oubliera pas ceux dont le militantisme l'aura amené au pouvoir. Mais je ne crois pas que cela soit nécessaire, vous l'avez déjà compris.


Anton se tint droit, une main à la hanche là où aurait du se trouver son fleuret, se forçant à garder l'air le plus naturel possible. Il levait des yeux calmes et interrogateurs sur celui qui lui faisait face, sans escompter de réponse immédiate, usant de tous les trucs de sa Diplomatie. Il connaissait les risques inhérents à de telles propositions, mais il n'avait guère le choix.
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par [MJ] Le Grand Duc »

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Qui me dit que tu n’es
loup qui se fait berger
et se veut d’icelui
l’allure et le portrait ?

Qui me dira le temps
que tu passes à l’étang,
te mirant, composant
trait pour trait ton reflet ?

Qui me dit que ta voix
parlant si bien au cœur
n’est point fruit de labeur
et œuvre de ton choix ?

Qui me dit que ton ciel
n’est point là pour dicter
le seul ton sur lequel
ton troupeau doit bêler ?

Qui me dit que ton verbe,
envoûtement de mots,
n’offrira point sur l’herbe
tes moutons aux corbeaux ?…

Qui me dit que tu n'es
loup qui se fait berger
et se veut d’icelui
l’allure et le portrait ?


La Chanson du Berger




22 Brauzeit, automne 2532, quelque part dans le piémont des Montagnes Noires

Anton von Adeldoch était assis sur un rocher en bordure du campement, face au ruisseau. Pensif, il tournait un couteau de chasse entre ses mains, se demandant si il ne devait pas se trancher les veines avec. La garde en corne était patinée par l’usage, mais le fil de la lame était parfaitement affûté. Il suffirait de le faire glisser sur son poignet, et tout s’arrêtait. L’Eglise sigmarite réprouvait le suicide, vu comme un défaut de courage et une faiblesse de la volonté. Mais n’était-ce pas l’apanage des héros de la Tilée antique ? Anton se souvenait de ses voyages dans les cités-états du sud, et des innombrables légendes qu’il y avait lues et entendues. Dans ces récits épiques, le brave crachait à la figure des dieux capricieux et se prenait la vie, seul seigneur de sa destinée. Le baron de Terre-Noire songeait à tout cela, fixant son reflet sur le plat du poignard.

La réponse d’Etelka Toppenheimer n’avait pas tardé à venir, et elle avait frappé fort. Trop fort.

La victoire d’Anton et de ses soutiens lors du Conseil des Pairs de Sigmarzeit n’avait fait qu’aggraver climat de troubles qui régnait alors dans le Sudenland. Ce coup d’éclat des indépendantistes, la taxe imposée par le fameux Décret des Moutons et l’apparition d’un mystérieux prétendant à la couronne ducale s’ajoutaient aux impôts exorbitants exigés par Wissenburg, aux mauvaises récoltes, aux inondations et à l’insécurité générale qui régnait dans l’ancienne province impériale. Quelques jours à peine après la fin des célébrations du 18 Sigmarzeit, des émeutes éclataient dans le Reikhafen, à Pfeildorf. Le lendemain, c’est un percepteur municipal qui était lynché par une foule en furie dans le village de Hausern.

Invisible jusqu’alors, la Martre décida que c’était à son tour d’abattre ses cartes. Elle le fit avec une nonchalance sinistre et une violence disproportionnée, comme le ferait un géant qui écrase paresseusement une mouche agaçante.

Les émeutes furent réprimées dans le sang, avec l’aide notamment de contingents wissenlanders. Les instigateurs furent pendus haut et court au gibet dressé pour l’occasion sur l'Alttorplatz. Ceux qui avaient pu fuir dans le labyrinthe des ruelles du Reikhafen avait désormais la police secrète sur les talons, et les agents de cette dernière procédait à de nombreuses arrestations et fouilles d’habitations dans toute la ville. Quiconque semblant avoir des accointances trop fortes avec les factions indépendantistes était emprisonné à St. Quintus par mesure de sécurité, à l’exception des nobles qui étaient quant à eux placés sous surveillance. Face au désordre, la loi martiale fut décrétée et un couvre-feu instauré dans Pfeildorf et ses faubourgs. La situation avait basculé en quelques jours, et Etelka Toppenheimer avait réagi avec suffisamment d’agressivité pour garder un contrôle total et sans partage.

Mais le calvaire ne s’arrêta pas là, et les choses s’envenimèrent encore lorsque les corps du prince Falco et de ses deux chevaliers de l’Ordre de la Sainte Crinière furent repêchés sur les quais du Sollhafen, lardés de dizaines de coups de poignards. Lazarus, le fidèle sbire d’Anton, fut arrêté dans la foulée. Soumis à la question pendant plusieurs heures dans les caves sordides de St. Quintus, il finit par tout avouer d’une conspiration menée par le baron de Terre-Noire pour profiter de la pagaille ambiante et éliminer son concurrent. Les tortionnaires firent si bien leur labeur que celui qu’on appelait partout le Remikopf dévoila aussi les prétendues intentions de son maître de faire assassiner la Grande-Baronne et de prendre le pouvoir à sa place. Il fut ensuite condamné à être écartelé en place publique. La Martre déclara Anton von Adeldoch coupable d’assassinat, de conspiration et de trahison, et lança ses chiens aux trousses du fugitif.

Car prévenu à temps par son réseau d’informateurs, le baron avait réussi à prendre la fuite. Peu après les premières émeutes du Reikhafen, l’un de ses agents était arrivé en trombe à l’auberge du Renard & du Chien, dans le faubourg de Gerechtfeld. Il venait prévenir Anton qu’une patrouille arrivait depuis Pfeildorf pour le mettre aux fers. Ce fut le branle-bas de combat, le baron eut à peine le temps d’attraper le coffre contenant sa commission pour le rachat des entrepôts par la Maison des Guildes. Le tenancier de l’établissement était un sympathisant de la cause et les fit sortir par l’arrière-boutique, lui, son garde du corps -meneur de la compagnie mercenaire de la Drille- , et les deux fils de Lothar von Ülmer, Karl et Ludwig. C’était à l’instant où les soldats débarquaient dans l’auberge. Lothar avait tardé à l’arrière, peut-être à dessein, et invectiva violemment cette « racailles-fils-de-câtins-qu’Ulric-vous-emporte-bande-de-couilles-molles» en dégainant son épée. Une violente échauffourée s’ensuivit, et Anton apprit plus tard que le vieux briscard était mort en emportant deux spadassin avec lui.

Cette diversion permis cependant aux fils de ce dernier de disparaître dans la nature. Anton et Bernhard "Döppelganger" Dinkel, le mercenaire dont le baron s’était attaché les services, arrêtèrent quant à eux une charrette de foin qui passait par là. Dinkel monta auprès du conducteur, lui arracha sa couverture pour s’en couvrir le dos et lui colla une dague contre les côtes en lui conseillant à voix basse de faire comme si de rien n’était. Anton sauta sous le foin avec son coffre sous le bras, et c’est ainsi que l’héritier d'Eldred von Durbheim, dernier Comte-Electeur du Solland, échappa aux griffes de la Martre et pris le maquis.




Image



L’automne était déjà là. A peine était-il arrivé que les cieux s’étaient faits gris, les nuits froides et les feuilles rouges. Les cimes des châtaigniers du Massif des Sources se faisaient tantôt sanglantes, tantôt brillantes, comme des points d’or perdus dans une mer de pins sombres et touffus.

C’était là, sur le flanc encaissé d’un vallon discret, que se réfugiaient Anton von Adeldoch et ses fidèles. Traqués depuis des semaines par les troupes de la Martre, les indépendantistes n’avaient de cesse de déplacer leur base dès lors que cette dernière était découverte, s’enfonçant de plus en plus loin dans les Montagnes Noires. Aucun sentier ne menait à leur cachette, ensemble hétéroclite de tentes, de huttes en branchages et de cabanes dans les arbres. Une source toute proche épanchait leur soif et les provisions fournies par des hameaux complices étaient complétées par le fruit de la chasse, de la pêche et de la cueillette en forêt. Cet îlot de civilisation, ainsi perdu dans la nature sauvage, avait des allures de paradis. Et pourtant, l’heure était à la détresse, au doute et à la colère.

Suite à sa fuite précipitée de Gerechtfeld, Anton s’était attelé à organiser la rébellion et à rallier ses soutiens. Le baron de Terre Noire s’était rapidement entouré d’une troupe disparate composée d’indépendantistes convaincus, de nobles ruraux, de propriétaires terriens étouffés par la taxe imposée par le Décret des Moutons, de paysans et d’éleveurs mécontents, de montagnards revanchards, de mercenaires, de quelques bandits opportunistes, braconniers et autres agitateurs. Une paire de chevaliers errants de l’Ordre de l’Épée Brisée s’était même entichée pour la cause défendue par le noble sudenlander, à l’instar de la Guilde des Tondeurs en la personne de Dietrich Eberwald. Cette dernière aide était des plus précieuses, car les tondeurs connaissaient chaque recoin et chaque habitant de l’ancienne province impériale.

Cette armée rebelle ressemblait plus à une bande des franches-compagnies qu’à un bataillon régulier mais chacun était venu armé, du paysan reconverti en lancier au vieux briscard qui avait sorti de la paille son ancienne épée de service, en passant par le chasseur des collines et son fidèle arc. Quelques karls d’or manquaient au trésor, qui avaient servi à acheter du matériel et de l’équipement pour ce cortège bigarré, suite à quoi le baron de Terre Noire avait préféré enterrer le coffre dans un endroit tenu secret pour éviter des convoitises au sein de cette troupe qui comptait tout de même son lot de coupe-jarrets. Anton était alors à la tête d’une cohorte relativement importante et bénéficiait de surcroît le soutien du peuple des collines. Dans sa suite, certains commençaient déjà à fabriquer des fanions et des drapeaux arborant le soleil du Sudenland.

Mais Etelka Toppenheimer ne l’attendait pas de cette oreille. Après les remous qui suivirent le Conseil des Pairs, elle était décidée à affermir sa poigne pour ne pas se laisser déborder. Il était dès lors hors de question de tolérer une bande de traîtres et de criminels sur ses terres. Profitant de son propre réseau d’informateurs, elle s’opposa puissamment à Anton en alignant face à lui un fort parti de troupes provinciales soutenues par des mercenaires tiléens et des milices loyalistes issues de la plèbe citadine de Pfeildorf. Cette force fut confiée au Feld-Major Klaus von Holtzendorff, un lointain cousin de la Martre réputé pour sa brutalité et son efficacité lors de la Grande Chasse aux Bandits de 2522. La Grande-Baronne rétablissait l’ordre à Pfeildorf tandis que Von Holtzendorff battait la campagne pour se porter contre les insurgés.

De cette rencontre découla ce qui marqua l’histoire de la région comme la bataille du Bois aux Trèfles, en réalité une série d’accrochages et d’escarmouches étalés sur deux jours dans les alentours de Kolbhugel et au cours desquels Anton perdit un doigt de la main gauche. Le Feld-Major von Holtzendorff sorti de ces affrontements en position de force et les rebelles furent obligés de battre en retraite dans les contreforts des montagnes. Etelka Toppenheimer appela à elle des renforts et des mercenaires du Wissenland voisin et la traque commença tandis que la Grande-Baronne durcissait son joug sur Pfeildorf et ses alentours, tâchant d’étouffer dans l’œuf toute tentative de sédition. De nouveaux pendus venaient décorer chaque semaine le gibet de la ville tandis que les indépendantistes fuyaient au loin dans les collines.

La défaite du Bois aux Trèfles avait porté un coup terrible au moral pour le moins fluctuant de la troupe d’Anton. Nombreux étaient ceux qui avaient préféré déserter discrètement, peu envieux de mourir pour une cause en laquelle ils ne croyaient après tout pas tant que ça. Ceux qui abandonnèrent le baron de Terre Noire étaient les lâches, les indécis, les opportunistes persuadés d’avoir parié sur le mauvais cheval, ceux qui ne voulaient pas lutter sans solde. Alors ne restaient que les plus fervents partisans, une poignée d’hommes rudes, fidèles aux anciennes traditions et farouchement opposés à l’autorité du Wissenland et de Nuln. C’était eux qui entouraient notre héros lorsqu'il prit le maquis dans les Montagnes Noires.

Mais c’était aussi eux qui, aujourd’hui, se querellaient sur la marche à suivre. Fallait-il rester là, cachés de tous ? Et que faire lorsque le campement serait découvert ? Devaient-ils porter le combat contre la Martre et mener des opérations de guérilla dans tout le Sudenland ? Chercher du soutien, ou se faire discrets ? Former un groupuscule clandestin, ou une armée tambours battants ? Peut-être que dans les ombres, certains se proposaient de livrer Anton von Adeldoch à Pfeildorf. En effet, on y disait sa tête mise à prix … Le prêtre de Taal empoignait celui de Sigmar, le premier prêchant l’ermitage salvateur dans les bois, le second prônant la lutte acharnée. Le ton montait, les voix éclataient entre ces hommes fourbus au visage mangé par la barbe.

Anton, au bord de la rivière, essayait de faire le point. Il avait avec lui le Döppelganger, son garde du corps, Dietrich Eberwald, maître de la Guilde des Tondeurs, une petite dizaine de nobles dont le baron Ernest de Lippe que l'on appelait "le Noir", Oswald le Vieux, prêtre de Taal et gardien des Sources Sacrées, Vilnius von Wirth, chevalier de l’Ordre de l’Épée Brisée –son compagnon avait été foudroyé par un tir de pistolet dans la face à la bataille du Bois aux Trèfles- et une bonne centaine de montagnards et de forestiers. Il y avait aussi Karl von Ulmer, l’un des fils de Lothar. Les deux frères s’étaient vivement querellés au sujet de l’héritage laissé par leur père après la mort de celui-ci. Karl avait décidé de rester auprès du baron de Terre Noire, tandis que Ludwig s’était réfugié dans les forêts non loin du fief familial, où on dit qu’il fomentait son propre mouvement armé contre l’hégémonie de la Martre. L’un des tondeurs avait également appris à Anton qu’un troisième groupuscule opérait plus haut sur la Sol, perturbant fortement les échanges commerciaux avec la Tilée. Bandits ? Partisans de l’indépendance ? Rien n’était moins sûr.

Somme toute, la situation semblait bel et bien désespérée. La Martre tenait le Sudenland d’une main de fer et ses soudards ne tarderaient pas à dénicher les maquisards. Allaient-ils fuir à nouveau, et trouver une autre cachette plus profondément dans les montages ? Allaient-ils se battre jusqu’à la mort ? Peut-être suffisait-il d’en finir ici et maintenant, pensait le baron en fixant son reflet dans la lame du couteau.

Une main pressante sur son épaule le tira de sa rêverie. C’était Dietrich Eberwald, suivi par une partie des hommes.

- « Trois cavaliers, sur la piste de Lobenstein. Ils se dirigent vers le campement. »

- « Par tous les démons, comment ont-ils pu nous trouver ici. » pesta Ernest de Lippe.

- « Herr Adeldoch, que faisons-nous ? » le pressait-on.

- « Tuons-les tant qu’il en est encore temps ! Avant qu’ils ne préviennent le Feld-Major de notre présence. » s'exclama Karl.

- « Non, nous ne sommes même pas sûrs que ce sont ses hommes. » rétorqua quelqu'un.

- « Prenez les en otage et procédons à un échange, mon frère croupi à St. Quintus depuis un mois déjà ! » maugréa un montagnard.

Mais ce n'était que le Père Benito Alberico, prêtre de Myrmidia et mentor de feu le prince Falco. Anton le reconnu tout de suite grâce à sa capuche bleue. On avait pensé le myrmydéen perdu corps et âmes dans le chaos récent, mais il était là, en train de gravir la pente et de pousser son cheval entre les troncs. Deux cavaliers le suivaient, aux plastrons en cuir et à l'allure de mercenaires. Venait-il rejoindre le baron de Terre Noire ? Lui proposer son aide ? Ou portait-il un ultimatum venant de Pfeildorf ?
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par Anton »

Anton avait accusé le coup.

La fuite pour sa vie, la mort et la trahison des plus fidèles, le chaos des combats, l’excitation d’un renouveau sauvage et libre... tout cela l’avait bel et bien plongé dans un état de stupéfaction dont la bataille du bois des trèfles était le très logique aboutissement.

Un aboutissement lamentable, soit dit en passant. Son index gauche n’étant que le plus emblématique stigmate.

Deux jours passés à surestimer ses forces, à céder aux conseils absurdes des plus vindicatifs de la bande. Deux jours de désillusion violente et de fuite en avant. Et dans l'agitation, la soumission aux avis extérieurs, le désespoir de la défaite, l'humiliation et les agitations...

Oui, il était passé bien près de l'abîme.

Mais son naturel optimiste commençait à poindre sous la cendre.

Certes, il avait été stupide et imprévoyant. Un maquis comme cela aurait dû être préparé de longue date. Des armes et des provisions auraient dû être accumulées. Au lieu de ça, la situation était absurde. Subie.

Etait-ce cependant une raison pour tout laisser tomber ?

Au moins le statut quo était pulvérisé.

Finalement, une force est une force. Pour l'instant il en pâtissait, mais n'avait-il pas des cartes en main pour la faire basculer à son avantage ? Tout était une question de direction... et de point d’appuis.

Le baron se surprit à sourire. C’était cette réflexion qui avait tout déclenché, quelques semaines plus tôt. Et le moins qu’on puisse dire, c’était qu’elle était juste. N’avait-i-il pas à lui tout seul déclenché une révolte dont tout l’Empire pensait les Sudenlanders incapables ?

N’avait-il pas forcé la Marte à sortir ses griffes et provoqué un bain de sang ?

Certes, il en avait souffert... mais la belle peau de la Marte était désormais toute tâchée du beau rouge du sang sudenlandais.

Le baron contempla avec un dégoût manifeste la lame qu’un instant plus tôt il contemplait rêveusement pour en finir.

En finir ? Alors que tout venait à peine de commencer ?

Alors qu’il venait de prouver au monde entier la vraie nature de ses ennemis ?

Second sourire. Plus d’attache. Plus de faux-semblants. Plus de boulet à traîner. Il était libre désormais d’être pour les Topenheimer un poison qui les tuerait.

Voilà à quoi rêvait Anton lorsqu’on le secoua pour lui signaler l’approche de trois cavaliers.

Il regarda ceux qui l’entourait comme quelqu’un qui sort d’un songe lourd et désagréable. L’esprit clair. Dans sa tête déjà les pièces d’un immense puzzle se mettaient en branle pour accomplir un nouveau dessin, et tout soudain lui parut lumineux.

Il balaya d’un regard les discussions à ses côtés et comprit dans un douloureux éclair que c’était sa faiblesse et son irrésolution qui leur avait fait perdre un temps et des ressources précieuses. Il était responsable de ces gens. Et il allait prendre ses responsabilités.

D’un bond, Anton fut debout. La vivacité de son geste surprit, tout comme le petit sourire qui s’affichait au coin de ses lèvres. Cette mou, pour ceux qui le connaissaient, signifiait tout ; et il surprit le regard soudain attentif et plein d’espoir de ceux qui, autour de lui, le fréquentaient de longue date.

Le silence se répandit rapidement tandis qu’il conservait sa pose, l’oeil vif, en tension de tous les muscles, comme s’il devait s’élancer. Lorsqu’il eut l’audience suffisante, il sentit qu’il était temps de s’exprimer. Il se hissa sur une pierre plate en surplomb et laissa parler son inspiration.

«Mes amis. Mes amis.

J’ai passé une longue nuit à réfléchir à notre avenir, et à la lutte.

Voici ce que j’en dis : désormais, nous allons cesser de tergiverser.

J’ai été hésitant, et je vous demande de me pardonner. Ces derniers jours furent durs, pour nous tous.

Mais désormais je vois clair.

Car notre but n’a pas changé. Il est toujours le même, plus urgent encore que jamais : chasser l’envahisseur Wissenlandais de nos terres.

C’est un but simple, c’est un but noble. Beaucoup déjà se sont faits tuer, ou croupissent à Saint Quitus. Et c’est cette simplicité qui est notre atout. Nous ne pouvons pas douter.

Voilà mon discours de politique.

Nous allons nous libérer de la peur et la faire changer de camp. En tuant nos amis, la Marte nous a donné le droit de tuer en retour. Il n’y a plus de retour en arrière possible.

Nous sommes une armée.

Cette armée, il nous faut la baptiser. Je vous propose de l’appeler L’Armée du Sudenland Libre.

Vous en êtes le bras, j’en suis la tête, et tout le Sudenland en est le coeur. Une armée comme celle-ci est invincible, si elle se bat intelligemment.

Voici ma promesse : sous dix-huit mois, nous aurons tiré nos amis de Saint Quitus. Et viendra le temps où le Sudenland sera une terre si ingrate pour le WIssenland, qu’il devra nous y laisser en paix. Nous l’y forceront par la peur. Nous l’y forceront par les armes. Nous l’y forceront politiquement, spirituellement mais aussi économiquement.

Je veux faire du Sudenland le Cauchemar de la Comtesse et de sa chienne de Topenheimer.

D’ici demain soir chacun d’entre vous connaîtra mes plans en ce qui le concerne. Chacun d’entre vous aura un rôle à jouer pour le succès de l’indépendance.

D’ici là, je veux le compte-rendu exact de nos ressources, ainsi que l’ensemble des informations concernant notre ennemi immédiat, Holtzendorff. Je veux également que toute l’armée soit prête au départ d’ici 24h.

Le passé est le passé. J’ai eu des doutes. Ils sont balayés. Faites comme moi ! Contemplez-vous ! Je vois autour de moi des purs. Nous vaincrons en notre temps, en notre heure, là où nous le souhaiterons, parce que notre cause est juste, et que les Dieux nous soutiendrons face à l’oppresseur. Aujourd’hui nous sommes cent, mais mille veulent nous rejoindre. Demain nous serons mille et ce sont dix mille sudenlander qui aspirerons à notre cause.

Réjouissez-vous, car nous avons choisi notre destin : nous sommes des héros. Comportons-nous comme tels.

Sudenland libre !
»

Anton frappa deux fois son torse du poing droit, fermé. Quelque chose lui disait que son armée avait besoin de symboles.

Il y avait énormément à faire, bien sûr. Mais l’espoir était revenu pour Anton.

Avec un sourire convaincu, il donna l’ordre d’escorter les cavaliers jusqu’à lui.
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 31 oct. 2018, 23:31, modifié 1 fois.
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par [MJ] Le Grand Duc »

La harangue enflammée d'Anton souleva les vivats des hommes qui l'entouraient. Malgré leur situation actuelle, les mots du baron de Terre-Noire exaltèrent les cœurs de ceux qui croyaient en ce qui s'appelait désormais la Cause. Ces gens rudes et hardis poussèrent un hourra pour le Sudenland libre et pour celui qui représentait désormais leur seul espoir, car ils savaient tous que la Martre ne connaissait pas la miséricorde et que la défaite verrait leur mort à tous.

On ammena le Père Benito à Anton et les deux hommes se retrouvèrent dans la tente de ce dernier, un grand pavillon dressé au milieu du campement forestier. Ils étaient seuls, à moins qu'Anton ne requiert la présence du Döppelganger à ses côtés. Sur la table, un pichet de vin, deux coupes, une carte de l'ancienne province et la montagne de paperasse qui accompagnait toujours l'héritier d'Eldred von Durbheim.

Le prêtre de Myrmidia gratifia Anton du salut des initiés, main droite ouverte en éventail, paume vers l'extérieur devant sa poitrine, avant de l'écarter sur le côté. C'était un homme de forte stature malgré son air de sage vieillard et le baron devinait les cliquetis d'une cotte de maille sous la robe grise de chapelain. Il portait une sacoche en bandoulière et une masse d'arme à la ceinture, ainsi que son éternelle capuche bleu et la broche en aigle de bronze épinglée au niveau de son cœur.


- "Je vous salue, Herr von Adeldoch." dit-il en inclinant la tête. Le timbre de sa voix était calme et réconfortant et il s'exprimait dans un reikspiel parfait, avec une pointe d'accent tiléen. "Et je vous présente mes excuses pour ma visite impromptue, mais il eut été difficile de faire autrement par les temps qui courrent. Quant à savoir comment j'ai su où vous trouver, rassurez vous : ce ne sont pas les agents de la Grande-Baronne qui m'ont indiqué l'emplacement de votre cachette, mais un jeune bouvier de la vallée en contrebas qu'il fut aisé de convaincre avec une poignée de pièces."

Anton et le Père Benito s'attablèrent après que ce dernier ai posé sa sacoche et sa masse d'arme contre un pied de sa chaise.

- "Je suis encore profondément attristé par la mort brutale du prince Falco. Tout comme vous, je n'en doute pas. Je connaissais ce jeune homme depuis ses plus tendres années et toute sa vie fut sculptée pour qu'il puisse assurer un jour la charge qui lui revenait de droit, à savoir celle de Comte Electeur du Sudenland. Mais les dieux en ont décidé autrement." Le prêtre marqua une pause et retira ses gants en cuir, qu'il déposa sur un coin de table avant de boire une gorgée de vin si Anton lui avait fait l'honneur de le servir. "Cependant, la lutte doit continuer. Votre cause est juste et votre cœur est pur. Je le pense sincèrement, et ainsi pensait le prince Falco. C'est pour cette raison qu'il a rédigé ce testament sur mon conseil, au cas où malheur devait lui arriver."

Il se pencha et ouvrit sa sacoche, dont il tira un étui à parchemin en cuir et au couvercle scellé à la cire rouge.

- "Ce document atteste le fait selon lequel le prince Falco II de Barnadi vous lègue ses prétentions sur la couronne du Sudenland. Il s'agit bien entendu d'un original, contresigné par un officier du temple de Véréna." dit-il en faisant glisser l'étui jusqu'à Anton.

Le Père Benito laissa tout loisir au baron d'ouvrir l'étui et de lire ce testament magnifiquement enluminuré. Il observait son vis-à-vis ce faisant, son regard plissé luisant de ruse. Il reprit la parole lorsqu'Anton fut disposé à l'écouter à nouveau.

- "Si je suis venu vous voir, c'est en tant que messager. Je n'apporte pas seulement les dernières volontés de Falco, mais aussi les vœux de quelqu'un qui souhaite devenir votre ami et votre allié dans ce combat que vous menez." continua Benito en croisant les mains sur la table. "Son Excellence Lorenzo di Marco est le chef de mon ordre dans l'Empire, celui que l'on appelle l'Aigle du Nord. Il est extrêmement influent à la cour de Nuln mais a aussi de nombreux bienfaiteurs et obligés en Tilée. Son aide vous serait des plus précieuses compte tenu de la position délicate dans laquelle vous vous trouvez. Il peut vous offrir les moyens qu'il vous manque pour remporter cette guerre." Le prêtre laissa le temps à Anton de réfléchir à cette éventualité. "Voici la seule chose qu'il demande en retour : que vous vous baptisiez selon les rites de la foi myrmidéenne et que vous fassiez officiellement de la Vierge Immaculée la sainte patronne de votre entreprise. Que vos officiers et vos valets fassent de même, et que cette bataille devienne une croisade, celle de l'ordre nouveau contre l'ancien."

Le Père Benito soupira profondément et regarda le baron de Terre-Noire avec intensité. Un sourire paternel apparu dans sa barbe poivre-sel et parfaitement taillée.

- "Vous êtes un homme d'idées, Herr von Adeldoch. Un visionnaire, en avance sur vos pairs et ceux que vous voulez guider. Sigmar est désormais le protecteur de vos ennemis. Ulric, Taal, Rhya et les anciens dieux sont trop rétrogrades et traditionalistes. Vous avez besoin de lumière, de modernité, d'une vision éclairée et instruite. Votre victoire sera celle de l'intelligence sur la force, du renouveau sur l'archaïque. Seule Myrmidia peut vous apporter les enseignements que vous recherchez. Faites lui confiance, apprenez ses préceptes, appliquez les, diffusez les, placez votre cœur et votre âme entre ses mains d'albâtre. Et la Très Sainte apportera succès à votre juste quête ainsi que paix pour votre conscience."
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par Anton »

J'attendais la danse
La joie et le vin
L'épicée romance
Mais tu ne vins point

Les notes fanées
De notre musique
Peinent aux salons
Dans l'hivers panique

Où es-tu amour
Loin de nos ébats
L'air de Nuln est lourd

Quand tu n'es pas là
Je t'appelle en vain
Je t'appelle. Viens.
AVA, Nulneries de mes vingt ans, aux éditions de Tilée

Anton considéra longuement et silencieusement son verre. Dehors, point de bruit. Il s'imagina un instant les hommes se mettant en ordre de marche, une nouvelle détermination gagnant la troupe de feu de camp en feu de camp.

Il était temps de transformer cette déroute en victoire.

« Père Benito.

Votre proposition fait honneur à la déesse que vous servez. Il faut pourtant que je vous fasse une contre-offre qui nous permettra tous deux d'atteindre ce à quoi nous souhaitons arriver.

Anton Von Adeldoch ne peut pas se vouer à Myrmidia aujourd'hui. Ce serait une faute.

D'abord ce serait m'aliéner le soutien des autres clergés. Ils sont d'une influence immense dans le Sudenland ; ici les jeunes hommes pensent comme leurs mères, les mères comme leurs maris, les maris comme leur prêtre. Et j'ai profondément besoin du peuple pour que triomphe la cause. M'afficher trop en faveur d'un parti, ce serait m'aliéner tous les autres, un vrai comte doit être au-dessus de la mêlée.

Ensuite, il y a mes convictions personnelles. Je suis connu pour être un adepte de Morr. Un des rares. J'ai mes accointantes dans le clergé. Je suis connu dans les cercles intellectuels pour cela. Or s'il est une période où l'on doit me percevoir comme droit dans mes bottes, c'est bien maintenant. Je ne peux pas passer pour un versatile !

Enfin, je m'apprête à une guerre sans merci, où tous les coups seront permis. Face à un adversaire supérieur en ressources, en hommes, et en matériel, nous devrons avoir recours à tout ce que nous pourrons inventer de ruse et d'artifices pour emporter l'avantage. Je compte rendre la vie des Wissenlanders impossible, et pour cela il faudra enlever, torturer certainement... ce ne sera pas une guerre qui se gagnera sur le champ de bataille, honorablement. Une campagne d'escarmouches, précédées par un sanglant renseignement et par une propagande infernale, voilà ce que sera la guerre pour le Sudenland. Et je ne pourrai pas prendre les décisions qui s'imposeront pour la victoire en suivant à la lettre les recommandations de votre déesse, pas sans violer dix fois par jour le code de l'honneur. Mon Père, quelle intégrité me restera-t-il si, converti pour des raisons politiques, chacun de mes actes viole la loi de ma déesse ?

Non Père Benito, je ne peux pas accepter votre proposition en l'état. Mais voici ce que je vous propose en retour.

Je vous propose de me marier à une servante de Myrmidia. Ainsi votre déesse prendra pied à la tête de notre mouvement pour l'améliorer, et sans crainte d'en fâcher ses membres. Libre à vous de prêcher la bonne parole auprès de nos officiers, et de gagner ainsi leur coeur.

Mais surtout libre à vous d'être le précepteur de nos enfants, qui seront libres, une fois sur le trône comtal, de faire régner partout la lumière de Myrmidia. Je ne suis plus tout jeune. Mais je vous propose de réussir avec mes enfants ce qui a échoué avec le pauvre Falco.

Choisissez une fille de bonne noblesse, Tiléenne par exemple, dont la famille sera l'alliée de l'héritier du Sudenland. Choisissez-là charmante et courageuse, pour qu'elle plaise au peuple, choisissez-là intelligente, pour qu'elle me plaise à moi. Sa famille n'aura pas à s'en plaindre, car l'Indépendance sera pour les années à venir un partenaire commercial de premier ordre : nous ferons venir des vêtements, des armes, de la nourriture... tout cela devra transiter par quelques marchants choisis. Ma belle famille peut en avoir le monopole et profiter dès le court terme de cette alliance.

En retour, que l'Aigle du Nord nous considère comme "La Onzième", une unité de l'Ombre qui sera au service de ses objectifs comme ses agents seront au service des nôtres. Nous ne lui demanderont rien de compromettant, à part de nous destiner tous ceux qui voudront mettre leur foi au service d'une cause soutenue par la déesse, et de nous aider dans le renseignement : nous aider à construire un réseau d'informateur, à héberger ceux qui porteront nos messages, et à relayer de temple en temple les secrets de l'Armée de l'Indépendance.

Si ces conditions vous conviennent, mon Père, et conviennent à votre ordre, nous construiront ensemble un Sudenland où la lumière de Myrmidia sera dans quelques années plus brillante que celle de nulle autre divinité. »


Anton ne doutait pas de sa proposition, d'autant que son art consommé de la diplomatie lui garantissait qu'il serait capable de discuter des modalités opérationnelles dans les meilleurs termes pour lui.
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 24 janv. 2019, 20:23, modifié 1 fois.
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Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
Profil de combat :
FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

Détails permettant d'arriver à ce profil:
Profil: FOR 8/ END 10/ HAB 8/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 10/ PAR 9/ TIR/ 9/ PV 75/75
Compétences: Monte, Arme de prédilection (rapière +1 Att)
armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
Protections: mailles. Torse, dos et bras, protection de 9, encombrement de -1 HAB, ATT et PAR
Talisman de Gork : +1 For Att et END
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[MJ] Le Grand Duc
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par [MJ] Le Grand Duc »

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Le Père Benito se fendit d’un demi-sourire amusé, nullement fâché par la contre-proposition du baron de Terre Noire.

- « Vous seriez sot de penser que les préceptes de la Très Sainte prônent l’honneur dans la victoire. Cette dernière se suffit à elle-même et n’est que la récompense du stratège pour la finesse et l’ingéniosité dont il a su faire preuve. » Il se pencha légèrement en avant, sur le ton de la confidence. « Nous savons tous deux qu’il n’y a point d’honneur dans la victoire, pas plus qu’il n’y a de honte dans la défaite. Il n’y a que des situations, des objectifs, des actions et des résultats dont les lois que je sers permettent de tirer les enseignements. »

Le prêtre se recula contre le dossier de son siège et se caressa la barbe d’une main musculeuse avant de porter la coupe à ses lèvres pour boire une gorgée de vin. Il écouta attentivement Anton, l’œil vif.

- « Une épouse ! » s’exclama-t-il sur un ton amical. « Seigneur Anton, vous êtes un fin négociateur, en plus d’un homme de goût, car chacun ici connait, je crois, la beauté et le tempérament de feu des femmes de ma patrie. Alors ainsi soit-il. » dit-il en remettant ses gants de cuir avant de se relever. « La Onzième servira les intérêts de l’Aigle du Nord, et l’Aigle du Nord servira les intérêts de la Onzième. Ce pacte verra l’avènement d’un gouvernement nouveau, meilleur et juste, j’en suis certain. J’ai une dernière requête cependant : celle de rester auprès de votre force. Mes compagnons retourneront discrètement à Nuln afin de faire part de notre accord à mes supérieurs. Nous pourrons ainsi commencer à vous prêter main forte. Sachez qu’en guise de bonne foi, nous avons fait amener avec nous un présent qui vous est destiné, qui pourra vous sembler modeste mais sera d’une grande aide tout du moins. Il vous attend, caché sous la paille d’une bergerie au hameau d’Aelzen, dans la vallée voisine. »




Quelques partisans descendirent dès le lendemain à Aelzen pour découvrir le « modeste » cadeau de l’Aigle du Nord. Et modeste il n’en était rien, car sous la paille de cette bergerie miteuse se cachait l’un des rarissimes exemplaires de la Macchina, une presse typographique conçue par le célèbre inventeur tiléen Léonardo di Miragliano et dont les plans s’étaient perdus depuis. Cet appareil extraordinaire était composé d’un montant horizontal transversal, portant sur deux montants verticaux, une vis centrale en bois actionnée par un levier et une platine exerçant la pression, et permettait d’imprimer des textes et des illustrations, en exerçant une forte pression sur la feuille de papier placée sur une forme imprimante, ensemble de caractères en relief ou gravure sur bois, préalablement encrés, de manière que l'encre se dépose sur le papier. L'opération répétée permettait alors d'obtenir un grand nombre d'exemplaires identiques. Une caisse aux pieds de la Macchina contenait des caractères en plomb, des bonbonnes d’encre et un paquet épais de feuilles de papier marron, matériau beaucoup plus souple et économique que le parchemin.

La grande majorité des bergers et des paysans du Sudenland était illettrée, mais ce n’était pas le cas de tous ; même dans les campagnes, certains savaient lire et écrire, en particulier les membres des différents clergés –à l’exception, peut-être, de celui de Taal- et la plupart des nobles des environs. Du reste, il revenait à Anton de trouver un ferronnier assez talentueux et capable de façonner des formes imprimantes imagées et facile à comprendre pour le petit peuple analphabète.






Afin de justifier la légitimité de ses prétentions et d’assurer une lutte efficace, le baron de Terre-Noire se devait de former un embryon de cabinet.

Dietrich Eberwald, le Maître de la Guilde des Tondeurs, fut nommé Chef des Renseignements. Cette décision semblait naturelle, car ses confrères sillonnaient le pays depuis des générations pour faire leur office, et en connaissaient par conséquent les moindres recoins. En plus d’assurer la tonte des moutons sur l’ensemble du territoire, ils avaient servi de guides et de colporteurs par le passé. Aussi pourraient-ils désormais s’acquitter du rôle d’éclaireurs et d’espions. Les Tondeurs formaient un groupe fermé et occulte, et ils étaient les personnages centraux de bien des contes sudenlander. Incarnations du folklore local, on les disait tantôt garants des coutumes, gardiens des alpages, rebouteux ou encore sorciers. Une légende prétendait même qu’ils se réincarnaient en mouton après leur mort, et que c’était là la raison de la bienveillance dont ils faisaient preuve lorsqu’ils manipulaient les animaux pour les débarrasser de leur laine. Leurs croyances aussi, entre messes secrètes et rites ésotériques, étaient nimbées de mystères. Ils apparaissaient plus proches de l’Ancienne Foi que de Taal ou de Sigmar, dont les clergés respectifs avaient plusieurs fois attenté des procès en hérésie contre des Tondeurs au cours de l’histoire mouvementée de l’ancienne province. Mais malgré cette réputation, Anton pensait pouvoir faire confiance à ces hommes bourrus, invariablement vêtus de leur célèbre gilet en laine. Ils étaient farouchement indépendants, profondément attachés aux traditions et hostiles à la politique centraliste de Pfeildorf. Ils ne voyaient d’un bon œil ni l’influence grandissante de Nuln ni la promulgation du Décret des Moutons qui allait forcément avoir un impact extrêmement néfaste sur leur activité. Ainsi, les Tondeurs seraient les yeux et les oreilles du baron dans le Sudenland, portant par les sentiers secrets les messages et les informations indispensables aux rebelles. Et peut-être qu’avec plus d’entrainement et un meilleur équipement pourraient-ils devenir une unité destinée à des opérations plus musclées.

La force fidèle à Anton se voulait plus grande et organisée. Aussi était-il primordial d’investir dans une chaîne d’approvisionnement minutieuse. La fonction de Maître Fourrier revint à Ernest de Lippe, l’un des rares Pairs du Sudenland à avoir rejoint le baron dans la lutte armée. Anton se méfiait encore de De Lippe quelques semaines auparavant, lorsqu’eut lieu le Conseil des Pairs qui avait vu le destin de la province basculer. Peut-être avait-il trouvé le vieux briscard trop distant, froid ou blasé par la cause indépendantiste pour représenter un véritable intérêt politique. Souvent fâché avec feu le père du baron, celui que l’on appelait « le Noir » avait spontanément rejoint la rébellion dès les premiers jours, sans s’épancher sur les raisons de son choix. Il avait vaillamment combattu au Bois aux Trèfles et avait même sauvé la vie d’Anton en abattant l’un de ses assaillants d’un coup de pistolet. C’était un homme sinistre et peu bavard qui semblait constamment de mauvaise humeur. Très religieux, c’était un fervent sigmarite que l’on pouvait voir chaque soir, seul au coin du feu, feuilleter son Deus Sigmar tout en égrenant un chapelet. Mais il était aussi prévoyant, rigoureux et circonspect, qualités qui le désignaient dès lors comme un bon intendant. Vétéran de la Tempête du Chaos, il avait également une expérience des choses militaires qui lui donnaient une assurance certaine en la matière. Son rôle était dès lors d’assurer le ravitaillement de la troupe, d’organiser la création de caches d’armes et de réserves de vivres dans les endroits considérés comme stratégiques pour les indépendantistes, généralement désignés par Anton lui-même. Pour se faire, il s’était entouré de quelques subalternes qui avaient pour mission de tenir des registres à jours dans lesquels étaient consignés le niveau des provisions pour les hommes et du fourrage pour les chevaux, mais également l’inventaire du matériel, des fagots de flèches aux couchages, tentes et cordages. Y étaient listés également les noms et professions des hommes composant la troupe, ainsi que ceux des familles sympathisantes des environs à même de fournir un soutien logistique aux rebelles, sous forme d’informations, de gîte ou de vivres. Ainsi commença à s’organiser l’Armée du Sudenland Libre, où des compagnies, eux-mêmes divisés en escouades, virent le jour au même temps qu’une certaine hiérarchie.


- « Nos hommes sont sous-équipés. » grogna le Maître Fourrier à l’attention d’Anton une fois son rapport sur les résultats des fourrageurs terminés. « Il faudra plus que du patriotisme et du cœur pour venir à bout du Feld-Major von Holtzendorff. Nous disposons, tout au plus, d’un arc, vingt flèches et une dague par combattant. Moitié moins de haches, fauchons, lances et autres serpes. Et ils ne portent que des guenilles. J’ai regroupé les épées, boucliers et plastrons que nous avons en une seule compagnie, la seule qui ressemble à peu près à un régiment provincial plutôt qu’à un ramassis de traîne-misère. »

- « La garnison de Wusterburg possède un arsenal qui fournit les patrouilles dans ce secteur. Si nous nous en emparons, nous aurons assez d’armes pour équiper convenablement les deux tiers de nos hommes, sinon plus. » les informa Dietrich Eberwald. « En revanche, cela implique de porter le combat sur la rive gauche de la Hornberg, dans le Wissenland. »

- « S’il n’y avait que notre armement qui laisse à désirer … Ces pécores sont tout à fait indisciplinés. Impossible de penser à tenir la ligne ou effectuer des manœuvres, c’est tout juste s’ils répondent aux ordres sans se marcher sur les pieds. » continua le baron noir, l’air mauvais. « L’expérience du Bois aux Trèfles en est un exemple suffisamment flagrant. »

- « Oubliez votre mépris et faites donc preuve de respect, le Noir. S’ils n’ont pas votre sang bleu, le leur n’en ai pas moins sudenlander pareillement. N’oubliez pas que ce n’est pas une révolte de l’aristocratie, mais du peuple. » rétorqua le Maître Tondeur d’un ton acide.

- « Je propose mes humbles services pour former la troupe aux exercices militaires. » avança calmement le Père Benito, les mains dans les manches de sa robe de prêtre. « Sire De Lippe a raison : nous aurons besoin de discipline pour vaincre, car c’est dans l’esprit de corps que naît l’effort, la solidarité et le sacrifice. »

Et c’est ainsi que le myrmidéen pris en charge l’entraînement des forces indépendantistes. Il était secondé dans cette tâche par le chevalier Vilnius von Wirth, lui aussi rompu à l’art de la guerre, et ils préparèrent ensemble des séries d’exercices destinés à améliorer la cohésion et la discipline au sein des différentes compagnies. Montagnards et chasseurs n’avaient aucunes leçons à recevoir sur le tir à l’arc, le maniement de la hache ou l’approche discrète de l’ennemi. Ils avaient en revanche beaucoup à apprendre sur les ordres abrégés, la gestuelle opérationnelle, les manœuvres d’encerclement, la défense en profondeur, la retraite tactique, et plus généralement sur le combat en unité et la chose militaire. Les exercices étaient conçus pour mettre en avant l’entre-aide, l’effort commun nécessaire pour franchir un obstacle, l’obéissance rapide à ceux qui étaient désignés comme les sous-officiers de la compagnie. Ces derniers retenaient particulièrement l’attention du Père Benito qui leur octroyait des heures de formation supplémentaire une fois les exercices en groupe terminés pour leur enseigner les valeurs d’un commandement intelligent et averti. Ces entraînements soutenus ne manquaient pas d’échauffer les esprits et les maquisards, rétifs par nature, prirent plusieurs fois le Père Benito à parti, l’accusant de faire d’eux de petits soldats écervelés et dociles. Chaque fois, le myrmidéen pris le temps d’expliquer calmement les tenants et aboutissants de telles manœuvres, ainsi que l’importance de la science martiale. Il ne manqua pas, cependant, de sélectionner ceux qui conjuguaient excellence au tir et esprit contestataire pour les organiser en petites unités de francs-tireurs détachés du reste de la troupe. Mais les leçons du Père Benito ne s’arrêtaient pas là : le soir, il réunissait les plus assidus autour de lui afin de leur enseigner la lecture à l’aide du Bellum Strategia, qu’il portait toujours avec lui. Il distilla ainsi, surtout parmi les sous-officiers fraîchement nommés, l’idée que le parfait guerrier se devait d’avoir le bras fort et l’esprit éclairé, car pour pouvoir vaincre il fallait savoir. Les préceptes de Myrmidia figuraient alors en bonne place au sein de ces enseignements., ce que ne voyaient pas d’un bon œil Oswald le Vieux et Kristoff Geber, respectivement prêtres de Taal et de Sigmar.

Ce dernier vint trouver Anton dans la tente de commandement.


- « Monsieur le baron, ce n’est pas le prosélytisme du tiléen qui va nous aider. Nous avons besoin de sang neuf, de bras forts pour grossir nos rangs et pouvoir faire face à la Martre. Seule la foi qu’ont nos bonnes gens en Sigmar pourra réchauffer les cœurs et inspirer le courage. Je connais bien le curé de Kelheim, à trois lieues d’ici. Autorisez-moi à m’y rendre, et nous pourrons compter sur son aide pour recruter des partisans. J’irai de hameau en hameau répandre la bonne parole. » Il sembla soudain hésitant et passa une main ridée sur le creux de sa tonsure. « Paysans et bergers nous rejoindront, je n’en doute point … mais peut-être devrions nous également nous rapprocher des bandes qui vivent cachés dans les bois. Des méchants et des gredins, c’est certain … Mais avec un peu d’or et quelques promesses, ces bandits feront des franches compagnies qui se battront pour nous. Il y a bien un ou deux villages loyaux aux Toppenheimer que nous leurs laisserons piller. C’est un moindre mal pour, en échange, profiter des forces qui sauront nous être plus qu’utiles. Mon ami le curé sait probablement où ils se terrent, et je peux vous les amener. »

En plus du Chef des Renseignements, du Maître Fourrier et des trois ecclésiastiques, l’état-major d’Anton von Adeldoch était composé du Döppelganger qui conformément à son contrat faisait office de garde du corps du baron et ne quittait jamais sa compagnie, de Theobald von Bethmann-Hollweg, un jeune homme fougueux et plein d’énergie qui servait en tant qu’ordonnance personnelle et aide de camp, et de Karl von Ülmer, fils de feu Lothar von Ülmer, qui portait désormais l’étendard de l’Armée du Sudenland Libre : une grande bannière reprenant le symbole fédérateur du soleil d’or sur fond noir. Lorsqu’il n’était pas porté par Karl, l’étendard pendait dans la tente de commandement, là où chaque officier venait faire ses rapports et s’entretenait avec Anton.

Telle était la situation, en cet automne 2532 :

Le Feld-Major avait pris ses quartiers à Jatsnick, à six lieues de la cachette actuelle des indépendantistes. D’après les renseignements que le baron de Terre-Noire avait en sa possession, les forces ennemies s’élevaient à deux bataillons de fantassins du Wissenland, soutenus par une compagnie d’irréguliers sudenlanders, un escadron de chevaliers et un autre de pistoliers venus de Nuln. Le rapport d’un Tondeur faisait également mention d’une batterie de trois mortiers, mais cette information restait à vérifier. Cette position servait à Von Holtzendorff de quartier général dans la région, le temps de débusquer et d’éliminer les rebelles qui, il le savait, se terraient dans la zone. Tandis que ses troupes régulières patrouillaient dans Jatsnick et les villages alentours, les sudenlanders à son service battaient la campagne et les forêts en petites formations pour interroger les habitants du coin, remonter les pistes qu’ils avaient et recouper ces informations afin de réduire peu à peu le périmètre dans lequel chercher Anton et ses partisans. Ces agents, fidèles à la famille Toppenheimer, étaient pour la plupart originaires de Pfeildorf. Ils portaient un petit écusson brodé de trois flèches entrecroisées, blason de la capitale de l’ancienne province, sur l’épaule comme signe de reconnaissance, si bien que les natifs de la région ne tardèrent pas à les appeler « les Archers ». Ils acquirent rapidement une mauvaise réputation au sein de la population, qui les accusait de pratiquer le chantage, la menace voir la torture. Les troupes régulières du Wissenland se montraient disciplinées et les ordres du Feld-Major étaient clairs : pas de pillages, pas de viols, pas de violences contre les locaux. Les Archers, en revanche, ne répondaient pas de telles consignes. Leurs procédés étaient d’autant plus brutaux qu’ils cristallisaient le mépris existant entre les citadins de Pfeildorf et les habitants de l’arrière-pays. Les Archers manquèrent de peu de capturer un Tondeur en mission à plusieurs reprises, si bien que la guilde de ces derniers fut accusée de traîtrise et déclarée hors-la-loi, ce qui lui fit perdre son siège à la Maison des Guildes et condamna tous ses membres à être pendus si ils étaient attrapés. Certains soutenaient que ces irréguliers étaient pilotés depuis Pfeildorf par le Geheimwächter en personne.

En plus des forces disposées à Jatsnick, un bataillon de mercenaires tiléens se dirigeait à l’heure actuelle vers Kroppenleben. Son objectif était clair : mater l’insurrection lancée en parallèle de celle d’Anton par Ludwig, le frère de Karl et fils aîné de Lothar von Ülmer. Rencontrant moins de succès que le prétendant au titre comtal, Ludwig n’avait réussi qu’à lever une milice d’une quarantaine de paysans qui, disait-on, se terrait actuellement dans les bois profonds qui jouxtaient leur fief familial de Kroppenleben. Si personne ne leur prêtait main forte, les Wissenlanders seraient certainement en mesure de les éparpiller.

Il était désormais temps pour l’Armée du Sudenland Libre de quitter le Massif des Sources. Selon Ernest de Lippe et le Père Benito, la priorité était d’équiper les partisans pour qu’ils puissent faire face à la supériorité tactique des troupes de Von Holtzendorff. Ils estimaient que c’était, entre autres, la trop grande différence de la qualité d’armement entre les wissenlanders et les sudenlanders qui avait entrainé la défaite de ces derniers au Bois des Trèfles. Pour se faire, les deux hommes conseillaient donc de s’emparer des armes de l’arsenal de Wusterburg par un moyen ou par un autre. Ce bourg étant le quartier-général des Patrouilleurs Ruraux du secteur, il faudrait probablement une troupe d’une certaine force pour s’en emparer.

Karl, quant à lui, exhorta Anton de déplacer son armée plus au Sud pour porter secours à son frère. Cette manœuvre, selon lui, permettrait de mettre en déroute le bataillon de mercenaires en profitant de son éloignement avec le reste des forces du Feld-Major basées à Jatsnick, et donc de profiter d’un effet de surprise en plus de la supériorité numérique des indépendantistes, mais également de rallier Ludwig et ses propres partisans à la cause d’Anton. Quand bien même les deux frères étaient méchamment brouillés depuis le sacrifice héroïque de leur père à Gerechtfeld, Karl assura au baron de Terre-Noire qu’il pourrait convaincre son fraternel de rejoindre l’héritier d’Eldred von Durbheim et de le reconnaître comme unique prétendant légitime à la Couronne du Solland.

Anton von Adeldoch réfléchissait, attablé seul à la grande table de la tente de commandement, tandis qu’on levait le camp. C’est alors qu’il s’aperçu d’une note laissée nonchalamment par-dessus le capharnaüm de documents que le baron entrainait toujours avec lui. Aussi désordonné fut-il, Anton avait bonne mémoire, et il ne se rappela pas d’un tel pli parmi ses lettres, rapports, cartes, inventaires et autres carnets. Aussi saisit-il la note et l’ouvrit devant ses yeux.

Pendant que vous menez votre guerre dans le Sud, la révolte gronde à Pfeildorf. Un nouveau culte a vu le jour : celui de la Grande Justice, une épiclèse de Véréna qui serait apparue au Père Max en songes. C’est lui qui dirige le culte, et ce dernier prône l’égalité de tous les citoyens face à la loi, la collectivisation de leurs biens et l’instauration d’un gouvernement de prêtres vénéréens qui dirige pour le bien commun. A cause du climat actuel et de la répression ayant lieu en ville, cette nouvelle doctrine gagne en popularité et prêche le rejet de la tutelle de Nuln et du Wissenland. Etelka Toppenheimer a fait interdire le culte et emprisonner le Père Max à Saint Quintus, mais ses discours continuent de se répandre dans l’ombre.

La population de Pfeildorf est à bout de nerfs et la discorde entre indépendantistes et loyalistes menace de dégénérer.

Faites brûler les silos du Reikhafen, et toute la ville s’enflammera.

A.








Pour les besoins du scénario (valeurs approximatives) :

- Escadron = 25 cavaliers
- Bataillon = 100 fantassins
- Compagnie = 50 fantassins
- Escouade = 10 fantassins

- 1 lieue = 4km



Descriptions d’Ernest de Lippe (p.1), de Dietrich Eberwald (p.2), des Tondeurs (p.2), du Döppelganger (p.3), des relations Nord-Sud dans le Sudenland (p.1/2/3) et du Geheimwächter (p.1) et du Père Max (p.2) disponibles dans les posts précédents.

Image Cercle noir = Massif des Sources, avec plusieurs hameaux dans les différentes vallées comme Aelzen
Cercle bleu = Kroppenleben, fief familial des Von Ülmer
Cercle rouge = Jatsnick, quartier général du Feld-Major
Cercle vert = Wusterburg, où se trouve l'arsenal des Patrouilleurs Ruraux


Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par Anton »

Je caresse ses cheveux rouquins. Il est mignon ce petit. Il n'ose pas trop parler, et il n'arrive pas tellement à être tendre. Un gosse.

Je me demande où ils sont allés le dégoter.

« Je suis du village de Ümmerhill, de l'autre côté de la montagne. »

C’est drôle comme ils finissent toujours par parler pour briser le silence. Des sujets de conversation, il n’y en a pas tellement dans ce camp, alors je finis rapidement par connaître toute leur vie.

Je me love contre lui, par curiosité et parce qu’il rayonne de chaleur. Il faudra que je me débrouille pour ajouter des peaux dans cette tente, il y fait bien trop froid.

« C'est le vieux Karl qui leur a dit où me trouver. Il leur a dit que j'en avais marre de travailler aux champs, et puis il leur a dit aussi que j'étais doué en dessin. J'ai une bonne mémoire, ça aide. Moi ce que je voulais, c’était voyager. Rencontrer des pays nouveaux et puis… »

Il rougit en me regardant. Et puis des nouvelles filles, probablement. Ça n’est pas drôle tous les jours dans ces foutus villages, où tout le monde se connaît, et où toutes les filles sont taillées pour l’effort des champs, pas pour l’amour.

« …enfin bref je voulais partir quoi. »

Le voilà lancé, à peine a-t-il besoin de mes acquiescements distraits pour continuer. J'attrape dans une petite corbeille une poignée de ces graines torréfiées que je croque toujours après l'amour, pendant qu’il me parle de lui. Tout le monde déteste cette habitude, ça laisse des petits morceaux de coquilles partout sur le lit, mais je m’en fiche pas mal. J'adore le goût un peu salé. Et le bruit, sous la dent.

« Quand ils sont venus me demander si j'avais envie de servir l'Indépendance, j'ai dit oui direct. Mon vieux, à lui, ça ne lui a pas plu, il va falloir qu’il trouve quelqu’un d’autre pour sarcler avec lui ! Mais le Prêtre a été gentil avec lui. Il lui a fait un beau discours. Il a dit qu’il venait spécialement de la part du Baron. »

Comme un ressort, je me redresse. A chaque fois que j'entends parler du Baron, je n'y peux rien, et c’est comme ça depuis que j’ai quitté Pfeidorf. Impossible de me souvenir ce que le petit vient juste de dire, j’étais distraite. Il parle plus pour lui que pour moi, visiblement.

Il raconte vite, d’une voix assurée maintenant. Combien de fois qu’il raconte cette histoire ? Dix, douze ? En même temps, quelle autre histoire peut avoir d’autre un gosse comme lui à raconter, tout juste tiré de la gadoue de sa médiocrité par une drôle d’idée, l’indépendance. Il doit faire pâle figure au milieu des hommes faits de la milice. Pas étonnant qu’ils me l’aient envoyé.

« C’est lui qui m’a expliqué ma tâche, le Baron. Il m’a bien dit que nous étions essentiels pour la victoire de l’indépendance, et que si nos gars allaient pouvoir vaincre les autres, ce serait en partie grâce à moi. C’était bien la première fois qu’on me disait un truc comme ça. »

Dix jours que je suis dans ce camp, et ça continue à me fasciner. J’ai le même sentiment qu’en voyant des donzelles tomber en pâmoisons devant un vague type en armure qui leur sort le plus éculé des compliments ; il les emballe tous, les uns après les autres, du vieux briscard au gosse à peine sorti du sein de sa mère. Même moi je vais finir par être jalouse.

Presque à contre-cœur, je lui demande.

« Pourquoi toi ? »

Ça l'étonne de m'entendre parler. Il se trouble, il pense peut-être que je vais me moquer. Pauvre chérubin, t’es un homme maintenant, ne fait pas ta mijaurée…

Oh et puis il est trop chou, tant pis. Je l’encourage d’une caresse sur la joue, et il se reprend comme un grand garçon sûr de lui. Et il chuchote, un peu comme un secret.

« Il veut qu'on cartographie tout le Sudenland ! Le vieux prêtre de Taal est chargé de recueillir les informations, et je suis là pour l'assister. Au début le vieux n'y croyait pas trop, au projet. Mais comme il a le droit d'interroger tous ceux qui entrent et qui sortent du camp, et de monter des expéditions de reconnaissance, il y a pris goût. »

Un de plus que le Baron a mis dans sa poche.

« C'est moi qui fais les cartes, pas lui, il déteste écrire. Lui il les crée dans sa tête, et moi je les couche sur le parchemin. On avait un peu de mal au début, mais j’ai l’impression que maintenant il m’aime bien. Ce soir je suis tranquille, parce qu'il est parti interroger un colporteur sur une source vers Hügelhelm. »

Il a un petit sourire satisfait, un sourire qu’il n’aurait jamais eu avant d’entrer sous ma tente. Presque un sourire d’imbécile, ou d’adulte. Les enfants décidemment grandissent trop vite. Quand je pense qu’il y a encore des crétins pour affirmer que le courage des hommes vient de leur cœur…

« Le baron vient régulièrement vérifier comment on avance, et ils discutent tard avec le Vieux. Je crois que tous les deux ils ne dorment jamais. »

Il est tout fier ce gosse, et je comprends mieux pourquoi les filles m'ont dit qu'il était pour moi. Elles savent que je m'intéresse au Baron. Je dois dire que ça m’agace un peu.
Extraits du Journal de Guerre d'Anton Von Adeldoch

Le jeune Wilhelm est un élément essentiel à l'Armée, même s'il le comprend encore mal.

Cartographier le territoire nous donnera sur les étrangers un avantage durable. Savoir où sont les sources, où un détachement passe et pas un bataillon, connaître l'emplacement d'une cache et la distance d'un village à l'autre, savoir où tendre des embuscades et où disparaître... autant d’éléments essentiels si l'Armée du Sudenland doit passer plusieurs années dans la clandestinité.

Les cartes seront un moyen efficace de transmettre cette connaissance à l'ensemble de l'Armée. Le Père Benito a explicitement inclus dans son entraînement des sous-officiers la lecture d'une carte. Nous commencerons avec la région, à grosse mailles. Puis nous entrerons peu à peu dans le détail de chaque route, chaque bosquet.

Les cartes, conservées au secret, me suivront dans mes déplacements. Il conviendra d'en produire des versions chiffrées pour les sous-officiers, afin de se protéger de leur perte. Et le contre-renseignement pourra parfaitement en produire des fausses pour tromper l'ennemi.

"Je te dédierai chacun de mes vers

Toi l'enchanteresse aux milles secrets

Si tu me promets que tes beaux yeux verts

Jamais ne rirons aux Wissenlandais...
"

Il s'incline bien bas, devant moi, un peu ridicule vêtu d’une simple peau de renard et un pied sur le traversin. Le brasero brûle à peine, mais il suffit à chauffer ma petite tente. Dehors, pas un bruit, on doit être les derniers encore éveillés, si on excepte la garde et les deux trois malades dans l’entourage du Baron qui ont décidé de ne dormir que d’ici quelques mois.

C’est franchement mauvais comme poésie, mais il a l'air d'attendre une réponse, alors je joue le jeu : de longs applaudissements. Sur ma figure se lit clairement ce que j’en pense…

Il s'incline plusieurs fois, puis voit ma mimique moqueuse, s'indigne, et se jette sur moi. On refait l'amour, un peu, sans aller au bout, presque comme un bis au théâtre. Du moment qu'on ne bisse pas sa poésie...

Et puis :

« Tu es bien la seule à trouver mes vers mauvais tu sais. »

Revoilà l’artiste boudeur.

« Tu ne sais pas parler aux femmes Cornelius, ça n’est pas grave. Il y a des gens très bien qui n’écrivent que pour les hommes… d’ailleurs je préfère nettement tes vers lorsqu’ils parlent de politique. »

« Tous les vers parlent de politique. »

« Justement non. Et c’est le comble de l’inélégance que de mêler la politique aux sentiments. Je trouve ça grossier, pas toi ? »


Je demande ça sans trop y penser, et je n’y ai pas prêté garde, mais je l’ai vexé. Il reprend, l’air mauvais.

« C’est sûr, tu es une experte en rimes et en politique toi. C’est connu. »

Qu’est-ce qu’il entendu par là ? Je choisis de ne pas jouer le jeu.

« C’est-à-dire ? Je n’ai pas le droit d’avoir une opinion ? »

« Oh si, si. L’Opinion de Viviane. C’est-à-dire que j’oubliais à qui j’ai affaire. Ton avis compte beaucoup parmi les cercles intellectuels bien sûr. Tu enseignes à quelle université déjà… Peut-être même que tu as appartenu à plusieurs corps universitaires à la fois ? »


Quelle merde ce type. Il est là avec son air sarcastique, à se foutre de moi ? Je ne vais pas lui montrer que ça m’a touché, hors de question. Je lui colle claque, et je me lève pour le mettre dehors, furieuse.

« Dégage. »

J’hésite à le cogner encore, mais il a du répondant. Ce guignol se jette à mes pieds, avec un air d’amant transi, en se lamentant et en s’excusant. Il se roule au sol en déclamant des vers de contritions stupide. Sa tête !

Ma colère tombe d’un coup tant il est drôle.

Je me rassoie, et je le relève. Je ne lui ai pas pardonné pour autant, il insiste.

« Je suis vraiment désolé, pas si douce Viviane. »

« T’en fais pas va. Tu n’es pas le premier crétin à essayer de me blesser parce que je suis plus intelligente que lui. »


Il rigole, un peu inquiet. Je l’achève.

« Crois-en juste le conseil d'une pauvre putain : tu ferais mieux d'écrire des poèmes pour les hommes plutôt que sur les femmes. Vu tes performances, le conseil vaut probablement aussi pour le lit : il paraît que de l’autre côté de la montagne il y a un ou deux Tiléens qui ont bien besoin d'un petit cul velu de Sudenlandais à fourrer avec leurs grosses rapières, c’est peut-être ta chance... »

C'est parti tout seul, et il ne sait pas comment réagir. Je le regarde de la façon la plus assurée que je peux. Il ne me fait pas peur ce petit con, mais après tout ce chemin je n’ai pas envie de repartir d’où je viens. Pas tout de suite.

Bon, on éclate de rire finalement. Moi un peu forcé, lui très franchement. Je croque une graine, il se ressert un verre de vin.

« Tu es incroyable. Je ne comprends pas que le Baron ne t'ai pas encore prise à son service. Tu ferais le meilleur garde-chiourme du camp. Tous les vieux briscards te lècheraient les bottes pour ne pas se faire fouetter. »

« Ignare. Ils me lèchent déjà les bottes pour que je les fouette je te signale. Quelles mœurs retardées pour un poète… »


Il me porte un toast avec son verre et s’incline bien bas. C'est un imbécile, mais il faut bien lui reconnaître un peu de style. Je lui accorde le bénéfice d'une conversation.

« Et puis je te remercie mais je n’ai pas besoin du Baron pour avoir du pouvoir, moi. Mais toi, comment se passent tes travaux ? »

« Mal »

Ça, je ne m'y attendais pas, de la part d'un fanfaron comme lui. J’attends qu’il poursuive. Lui fait tourner son verre, faussement détaché, mais je sens bien qu’il n’est pas très heureux de son sort. Puis il crache le morceau.

« J'ai l'impression de ne pas être à la hauteur. »

Derrière lui, je pose ma tête sur son épaule et je l'enlace. Il sourit un peu et reprend sans me regarder.

« Chaque fois que j'écris quelque chose, le Baron me le renvoie couvert de corrections, au bout de cinq minutes. Parfois ça n’est même plus le même texte. Je m’y prends dès l’aube pour accoucher de quelque chose et lui, en quelques secondes, il improvise par-dessus avec le bon ton, le bon format, le bon tempo, et je dois tout reprendre. C'est très frustrant, quand on a une haute opinion de son talent, de constater que l’on est franchement mauvais. J’envisage de laisser ma place. »

Allons bon, ça explique pourquoi il s’est vexé comme un pou à propos de ses vers, tout à l’heure. Je le sers un peu plus fort, je sens bien que mon corps de femme contre le sien lui redonne un peu de sa confiance.

Je n'ai jamais trop su exactement quand j'ai appris à consoler les hommes ; j’imagine que c’est venu comme ça, avec l'habitude. Généralement il ne leur faut pas grand-chose d'ailleurs. Comme j’imagine des milliers de femmes à travers l’Empire, c’est devenu une seconde nature...Je lui susurre :

« Ne dis pas ça. Il t'a choisi, il y a une raison. »

« Il m'a choisi parce que je suis un troubadour de talent Viviane. Et il attend de moi que j'écrive des discours. Il s'est planté. Non, je. Je l'ai planté. »


J'ai remarqué très tôt que les hommes ont généralement du mal à raisonner proprement. Ça vient de ce qu'on leur apprend très tôt à ouvrir la bouche pour se faire bien voir, sans attendre qu’ils aient l’âge de réfléchir.

Les filles par contre, c'est tout ou rien : pour quatre oies avec lesquelles les discussions ne s'aventurent pas plus loin que le cul du plouc du village d'en face, ou la recette de la tarte aux pommes, tu trouves une perle qui écrase tout le monde, et qui rattrape largement le compte.

En même temps c’est normal. Puisqu’on nous explique toutes petites qu’il faut se taire en face des hommes, c’est logique qu’il y en ait au moins une sur cinq qui en profite pour apprendre à réfléchir. Un truc qui ne risque pas d’arriver aux mecs.

Moi je suis plutôt de cette minorité-là. Pas toujours facile à assumer d’ailleurs. C’est toujours suspect, une femme intelligente.

« Il ne t’a certainement pas demandé des discours. Ce n’est pas de ça dont il a besoin, et tu te prends la tête pour rien. »

Il me regarde, un peu ébahi. C’est épuisant.

J'enchaîne, parce que sinon, dans l'état de vulnérabilité où il est, il est capable de me lâcher encore une vacherie sur le fait que je suis une pauvre nana, et je vais être obligé de l'égorger.

« Il ne t'a pas recruté pour faire des discours. Il t'a recruté pour faire de la propagande. Pour gagner le pays à la cause. Il ne t’a jamais demandé des discours, si ? »

Posture défensive, bras croisés sur sa poitrine velue. Il est un peu agacé, mais curieux. J’ai presque l’impression de voir mon idée faire son chemin dans son crâne, et qu’au fur et à mesure, je sens que je gagne son respect.

Je m'en veux beaucoup que ça me fasse un peu plaisir.

« Alors je fais quoi ? »

« Ce que tu sais faire, idiot. Tu n'es pas un politique. Le Baron n’a pas besoin de toi pour écrire des discours, il le fait très bien tout seul. Qu'est-ce que tu sais faire ? »

« Rien. Rien que des récits. Des chansons. Des blagues... »

« Ben la v'là ta propagande. Tu crois qu'un discours ça va parler au berger du coin ? Tu crois qu'il va les retenir, tes mots compliqués ? »


Bon, il a compris finalement. Et puis il sourit. Il n’ose pas trop montrer qu'il m'est reconnaissant. Dans deux secondes il va se rhabiller, et quitter la tente en courant pour aller composer une chanson à la gloire de l'Armée du Sudenland.

Autant lui épargner la peine.

"File donc, imbécile. Ne va pas décevoir le baron. Et profites-en pour demander au petit Wilhem s'il n'a pas un copain à lui qui dessine aussi, pour faire des affiches. Je pense que ça te sera utile."

Il s’enfuit aussitôt, reconnaissant. Je me rallonge, et je finis seule sans déplaisir ce qu'on a commencé à deux.
Extrait du Journal de Guerre d'Anton Von Adeldoch :

Cornelius, qui s'obstinait au début à me pondre d'insipide déclarations, me donne à présent entièrement satisfactions. Je sais de source sûre que plusieurs de ses chansons, qui reprennent des airs du pays et y substituent des paroles peu flatteuses pour l'occupant Wissenlandais, parcourent désormais la Province.

Il s'est par ailleurs adjoint un paysan du coin assez doué pour les croquis. Des résultats un peu grossiers, mais franchement amusants.

Mon officier d’ordonnance se charge quant à lui de mes discours. J'ai fait paraître un petit manifeste, que je ferai publier partout dès que nous aurons organisé suffisamment les réseaux pour sa diffusion.

Exemple de ce qui circule dans le camp en ce moment : "Combien faut-il de Wissenlandais pour tirer une flêche ? Réponse : 3. Un qui donne les ordres, un qui trouve un Sudenlandais pour lui expliquer comment on fait, et un qui encule la Topenheimer."

Inutile de préciser que le moral de la troupe est excellent.

« Je ne donne pas cher de la peau des Archers ! »

Je reste couchée, je ne réponds pas. Tout mon corps proteste parce que j’ai encore trop travaillé, en cette veille de combat.

« Je suis bien content que le baron ait décidé de nous donner un peu d’action. Il nous a spécialement choisi pour ça, nous les miliciens ! »

Moi je me demande ce que ça cache. L’Armée toute entière est en train de lever le camp, à l’exception du baron et de son cercle le plus proche, et peut-être une trentaine de miliciens. Je me suis demandé si je devais les suivre, et puis finalement… après tout l’Armée, c’est surtout le Baron…

« On attend juste un signal d’un des villages pour nous dire qui a reçu la visite des Archers. Généralement quand ils s’enfoncent aussi avant dans la vallée, ils s’attardent pour la nuit, squattent les auberges et terrorisent tout le monde. Ils prennent la confiance, et puis leur camp est loin. Mais cette fois-ci, ça va être différent. »

Il me regarde.

« Tu t’écoutes ou tu t’en fous ? »

« Vas-y, ça m’intéresse. Vous allez leur faire quoi à ces gus ? »


Il est satisfait que je l’écoute. Ça ne lui suffit pas de coucher avec moi, il veut aussi payer pour mon attention. En réalité on ne va pas voir une pute pour se vider les bourses, ou rarement on veut juste avoir le sentiment d’exister. Je suis une bonne pute, parce que j’ai compris ça très tôt. Les clients généralement ne le comprennent jamais.

« Idée du Baron. On va les pendre, apparemment, si on peut les prendre vivants, mais j’ai comme dans l’idée qu’on va surtout attendre qu’ils soient fin saoules et puis les égorger, ça sera plus propre. »

Ça, c’est sûr.

« Apparemment il faut que ce fils de cochon de Wissenlandais soit persuadé qu’on est toujours dans le coin. Que l’Armée n’a pas bougé, tu vois. C’est pour ça que nous les miliciens ont reste au camp. »

« Et tu vas le persuader en pendant trois peigne-culs de Pfeidorf ? »
*

Pas pu m’empêcher. Dans l’intimité, même le dernier des troufions se rêve en stratège. Je me demande à quoi ressemble un vrai stratège dans l’intimité. Peut-être à un troufion.

« Moi non. Mais si on y va avec le Baron, les autres se diront forcément que l’Armée est toujours avec lui. ».


Je croque une petite noisette, sans rien dire, un peu vexée. Là, j’avoue, il m’a eu. Si je suis resté pour le Baron, en voyant toute l’Armée partir, probable que le Major d’en face tombe recta dans le panneau. Pas trop mal vu.

« On va y aller, on va les pendre, et puis peut-être qu’on en laissera un rentrer au camp en disant qu’il a vu le Baron. Histoire qu’il explique à ses petits camarades comment ça finit désormais quand on est Sudenlandais et qu’on bosse pour Topenheimer. »


Il prend un air mystique et il sourit.

« Ça finit avec le pied du Baron dans le cul. »

Opération Ludwig
Synthèse des ordres


Eclaireurs, sous les ordres du Sergent Karl. Composition : 14 Tondeurs. Départ Immédiat.

Ordre de mission : se porter en éclaireurs, afin de reconnaître la route suivie par les Tiléens, en se répartissant les options possibles. Chaque éclaireur doit porter ses informations au commando A, à la Zone A, puis se mettre sous les ordres du Capitaine Dinkel.

Commando A, sous les ordres du Capitaine Dinkel. Composition : 20 francs-tireurs, 10 Chasseurs, 15 miliciens. Départ immédiat.

Ordre de mission : Stationnement Zone A, à quelques lieues de Kroppenleben, en attente d’information des éclaireurs. Départ sitôt la route ennemie reconnue.

Puis ralentir le bataillon Tiléen par des embuscades répétitives. Interdiction formelle d’engager le corps-à-corps, décrochage immédiat si les Tiléens quittent le convoi pour se porter au contact. Cible prioritaire : montures, officiers, sous-officiers, guide. Ne pas hésiter à multiplier les provocations pour pousser l’ennemi à la faute. Aucune perte autorisée au sein du commando.

Lorsque le harcèlement devient impossible, le commando se place sous les ordres du Général Von Wirth, corps d’armée A.

Commando B, sous les ordres du Sergent Walrius. Composition : 10 Tondeurs, 10 chasseurs. Départ immédiat.

Ordre de Mission : Stationnement Zone A. Sitôt la route identifiée, se porter en arrière de la force Tiléenne, hors de vue. S’assurer qu’aucune estafette, messager ou survivant ne quitte le bataillon pour regagner le camp ennemi. Poursuivre les fuyards, puis reporter au Général de Wirth.

Commando C, sous les ordres de Karl von Ülmer. Composition : 1 Tondeurs. Départ immédiat.

Ordre de mission
: Rejoindre Ludwig von Ülmer en toute hâte, pour lui faire une offre de collaboration (intégration de l’Armée du Sudenland au rang de Général). Se placer sous les ordres du Corps d’Armée à son arrivée.

Corps d’Armée, sous les ordres du général von Wirth. Composition : 30 Chasseurs, 2 demi-compagnies de troupes provinciales, 10 miliciens. Départ Immédiat.

Ordre de Mission : faire jonction avec les troupes de Ludwig von Ülmer. Choisir en concertation avec lui un champ de bataille propice -zone B-, puis préparer le champ de bataille (camouflages, trappes, protections). Si possible, s’appuyer sur les civils de Kropenleben pour aiguiller les troupes ennemies vers un chemin favorable à l’embuscade.

Le Corps d’Armée se placera sous les ordres de Ludwig von Ülmer pour se préparer à l’affrontement, puis écraser l’ennemi. Pas de prisonnier, hormis ceux qui seront passés à la question. Donner une chasse systématique aux fuyards.

Dès les opérations terminées, déplacer l’ensemble des troupes vers un nouveau centre d’opération dans les collines au Nord-Est de Kropenleben, que l'Intendance part dès à présent reprérer.

Les 25 miliciens et moi-même vous y rejoindrons.

En cas d'hésitation sur la conduite à tenir, référez-vous à la Doctrine, et que les Dieux vous gardent.

Fait en mon nom pour l'Empire

AVA

Je suis debout, avec ma robe déchirée sur le côté, pratiquement nue, et je frissonne, moitié par peur, moitié parce que j'ai envie qu'il me voie frissonner.

Il ne me regarde même pas, seulement du coin de l'œil, il lit des notes sur une planche encombrée de papiers, qui doit lui servir de bureaux.

Je sens sur mes bras la poigne dure des types qui me tiennent. Celui de gauche y prend un peu de plaisir, je le sais. D'ici j'imagine très bien sa grosse bite moite de minable qui bande comme une folle de me tenir comme ça. Il y prend du plaisir, à cette petite mascarade de domination.

L'autre en revanche est sobre comme un automate. Il ne me fait même pas mal. Il n’a pas besoin. Rien que sa façon de me serrer le bras m’indique poliment qu’il me tuera si je fais le moindre mouvement, sans rien de personnel là-dedans. Comme une fatalité, une partition écrite en avance. Je pourrais aussi bien être un enfant, un vieillard, ou la Comtesse elle-même, il me tiendrait à l’identique.

C'est rare, les hommes comme lui. J’avoue que ça me fait un peu peur. Je n’ai pas l’habitude de n'avoir aucune prise sur un homme, et je me sens d'autant plus vulnérable. C’est la première fois que je le vois, il doit être le garde personnel du Baron.

Qui enfin me regarde d’ailleurs. Là, ça y est. Il a lâché ses notes. Il cesse de faire semblant que je n'existe pas. Je braque mon regard sur son œil gauche, presque noir, fixement. C'est la première fois depuis que j'ai rejoint le camp que j'ai l'occasion de regarder d'aussi près le leader des Indépendantistes.

Il ne me fait pas vraiment peur, il n'est pas très impressionnant, pas très beau. Un peu vieillissant, fatigué. C’est vrai qu’il est grand. Et j'aime bien ses yeux. Je me demande ce qu’il voit en me regardant.

Sa voix me surprend par contre. Je ne l’avais entendue que de loin, pour des ordres. Elle est très belle, tout en nuances. Je réponds à une série de ses questions, un peu par automatisme, sans faire de difficulté.

Il est clair qu’il a mis la main sur mes notes, parce que ses questions sont très précises, sur ma vie dans le camp des indépendantistes. Je pensais les avoir jetées suffisamment loin au moment où ils m'ont prise, pas assez sans doute. Ou alors on m’a vue m’en débarrasser.

Ah oui, je les vois, là sur la table. Il ne le cache même pas. Depuis toute petite je note tout, sans rien en faire, pour m'aider à réfléchir, même si je relis rarement. Des blocs de feuillets, couverts d'une écriture toute penchée qui ne ressemble pas vraiment à la mienne. J'en ai perdu la plupart. Celui-là, je l'ai commencé en arrivant au camp.

Pas très élégant ça, de lire les pensées d’une demoiselle sans son autorisation.

Bon, il continue. Est-ce que je crois à l'Indépendance ?

"Non. Honnêtement, j’en ai rien à foutre."

Il sourit. Je ne vais pas m'inventer maintenant, à trente-deux ans, une passion, juste pour lui faire plaisir. Si j'avais dû me mettre à genoux devant des maniaques à chaque fois que j'ai été dans la panade, ce n’est pas putain que j'aurais finie, c'est cul-de-jatte.

De toute façon il l'a lu mon cahier. Il sait très bien que ce n’est pas l’Indépendance qui m’a amené ici, surtout le hasard. Tant pis pour moi.

"Viviane. Vous permettez que je vous appelle Viviane ?"

C’est-à-dire… Ne vous gênez pas Monseigneur. J'ai deux demi-soldes qui font deux fois mon poids pendu à mes bras, vous avez une putain d'armée, une épée qui brille et je suis à moitié à poil. Au point où l’on en est, autant se tutoyer directement peut-être ?

« Hum. »


Bon, pas très digne comme réponse, mais je suis non coopérative, pas suicidaire.

« J'ai lu vos notes avec intérêt. Vous savez, je crois que nous avons beaucoup en commun. J’ai également discuté avec certaines de vos fréquentations, ici, à notre camp. Bien sûr votre situation n’est pas fameuse, mais je crois que j’ai envie de vous faire une offre. En réalité vous m’intéressez beaucoup… »


En voyant ses yeux brillants, et les deux molosses qui s'éloignent, j'ai envie de pleurer.

Oui, de pleurer. On n’est pas toujours forte fille, hein, ça va.

J’ai l’impression d’avoir été mille fois déjà dans cette situation, et j’en ai marre. Je craque, je sens un flot de déception et de dégoût dans tout mon corps. Dire que je pensais que ce type était pas comme les autres. J’en ai tellement marre, de traîner ma vie à travers des scènes comme celles-là. Aristo, pequenots, tous les mêmes avec leurs yeux brillants et leurs sourires faux.

Toujours la même chose. Le mec m'a en son pouvoir, alors il veut me baiser. Il me baise. Et puis finalement, Grand Prince, il me laisse partir, et il ne voit pas que c’est moi en fait qui le baise. Parce que je suis mille fois plus maline que lui, et qu'il peut bien avoir mon corps une fois, ou deux, ou dix, je n’en ai rien à foutre. Que j’ai un instinct de survie en acier, alors que lui il n’a pas de suite dans les idées sitôt qu’il a arrêté d’en avoir dur dans les chausses.

Je le regarde, je ne sais pas s’il voit ce que je ressens, il sourit toujours, toujours aussi faux.

Et puis là le mec, s'assoit, me montre une chaise, et prend une plume et un papier.

Je m’assois.

Je ne comprends pas trop. Il a toujours les yeux brillants.

Il regarde un papier, il s’apprête à parler.

Et peu à peu, tandis qu'il se met à parler, je vais intégrer l’étrange vérité. Je comprends que je me suis planté. Ce type est effectivement un malade, mais moi je ne crains rien du tout. Je peux voir que je lui fais envie, mais il a en tête une obsession tellement plus forte que c’est à peine si mes seins rentrent dans l’équation. Cet homme est tellement absorbé par ’Indépendance qu’il ne voit plus rien d’autre.

Je sursaute brusquement, je viens d'entends dehors des hurlements, qui cessent aussitôt. Je m’en veux et j’essaye de regagner le contrôle de moi-même. C'était une voix de femme. Le Baron n’a même pas l’air de l’avoir entendue.

« Ma proposition est la suivante Viviane. Je manque de gens intelligents, vous le savez. »

Il me dit ça, comme si c’était pour moi une évidence. Et puis je réalise qu’en fait, ayant couché avec une bonne partie de l’Indépendance, je le sais effectivement. J’acquiesce prudemment, et ça lui arrache un vague sourire.

« Plus précisément, j'ai besoin d'une tête de Réseau. Pour coordonner l'ensemble de ceux qui travailleront dans l'ombre pour l'Indépendance. »

Les hurlements reprennent, d’une voix différente, suivis d'une clameur. Je sais désormais que les deux prostitués qui avaient rejoint le camp des indépendantistes avec moi sont mortes. Peut-être violée avant ça, d’ailleurs, vu que la plupart des maniaques de Véréna sont partis avec le gros de l’Armée.

Le Baron n’a toujours rien entendu, visiblement. Ou il s’en fout. Il se lève.

« Je vais organiser mes Réseaux pour former iune Armée Secrète. Dans chaque village, les sympathisants de l'indépendance se regrouperont dans la plus grande clandestinité pour former des troupes, organisées par échelons, et servir au mieux l’Indépendance. Selon les besoins, ils nous fourniront des renseignements, des vivres, des armes, ou bien serviront simplement à occuper la police secrète de la Martre pour qu'elle ne se concentre pas sur nos vrais plans. »


Il fait de grands gestes, pour bien souligner l’importance de son propos. J’ai du mal à oublier qu’il y a dehors deux filles, pas vraiment des amies, mais pas des étrangères non plus, qui gagnent lentement la température ambiante.

« Je veux que les bourgeois comme les paysans ne se sentent plus pisser en sachant qu'ils font partie d'une Armée Secrète. Quelle Gloire pour eux ! Et avec quels risques minimes ! Pour les plus riches, ceux qui nous enverrons de l'argent, ou monteront les plus gros réseaux, j’offrirai des grades : sergent, capitaine, lieutenant... Il y aura probablement des réseaux de tocards qui joueront à l’indépendance en collant des affiches, et des vrais de vrais, capables par exemple de punir eux-mêmes les traîtres, les déserteurs et les collaborateurs Wissenlandais. »

Oui, logique. Certains bourgeois seraient prêts à liquider la moitié de leur fortune pour pouvoir monter une société secrète où ils auraient un grade plus important que le bourgeois de l’échoppe d’en face. Surtout sans les risques associés… Et puis les idéologues. Qui feront des réseaux de recrutement, d’information et d’action autonomes et fiables…

« Pour créer mon Armée Secrète, il me faut non seulement une belle organisation, mais aussi une vraie mythologie. Et avant tout il me faut une tête symbolique, qui soit partout à la manœuvre, avec sa légende propre, et qui ne reporte qu’à Anton Von Adeldoch lui-même ! Il me faut le Général qui recrutera les membres, animera les réseaux, et structurera tout cela pendant que je m'occupe, moi, de gagner la guerre. »


Oh, Sigmar.

Faites que je me trompe.

Cela n’aurait aucun sens.

« Ce général, Viviane, je veux que ce soit vous. »

Je ne sais pas quoi dire.

Il recommence à parler tout seul.

Cela n'a aucun sens.

Il continue, me révèle le fond de sa pensée, me fait confiance d'une façon qui m'inquiète, lui qui ne sait rien de moi.

Mais je devine peu à peu qu'au fond il me connaît déjà bien. Depuis combien de temps en réalité lit-il mon journal ? Est-ce qu’il me suivait déjà avant le campement ?

Est-ce vraiment un hasard si un à un ses hommes les plus proches sont venus coucher avec moi ?

« La couverture est toute trouvée. Vous allez monter un bordel, sous le nez de la Martre. Et vos filles iront peu à peu irriguer l'ensemble des bordels du Sudenland, prolongeant vos réseaux, rachetant en sous-main de nouveaux établissements d’où rayonnera l’Armée Secrète. Les hommes ne réfléchissent guère qu'avec leur queue, et où mieux sonder les convictions politiques cachées que dans l'intimité de la couche, avec une innocente putain ?

Que d’avantages, que vous soyez une femme ! Songez à tout le temps perdu par les agents de la Comtesse à chercher UN général. Et songez aussi que mes plus puissants ennemis sont des femmes ; la Comtesse, la Martre... elles intriguent comme seules des femmes savent le faire. Qui de mieux pour les affronter qu'une personne du même sexe ?

Vous avez l'âme d'un général Viviane. Certes l’Indépendance vous est égale, mais nulle part ailleurs vos talents ne seront si bien reconnus que par moi, et si bien employés qu’avec l'Armée Secrète. Et je vous sais loyale plus que de raison. Vous n’aimez pas l’Indépendance, mais vous aimerez les Indépendantistes.

J'ai une grande confiance en vous Viviane, comme à tous ceux à qui je confie les plus importantes des tâches. Vous ne reporterez qu'à moi. Tous ignoreront votre identité, jusqu'aux plus proches de mes alliés. Et vous fonctionnerez ainsi, choisissant de ne vous révéler qu'à une poignée de fidèles, qui eux-même ne se connaîtront pas entre eux, afin que par effet de palier jamais la Martre ne puisse mettre la main sur l'ensemble de votre réseau. »


J'ai la gorge un peu sèche, et je sens mon cœur battre dans ma gorge, comme dans les moments de dangers, ou de grande excitation. J’arrive tout de même à articuler :

« Je peux savoir pourquoi dans le doute vous ne me réservez pas le même sort que les deux autres pauvres filles, dehors ? »

Il me regarde, avec un air étonné, comme si devant les brillantes visions qu'il me dessine il s'étonne que je brandisse un sujet si trivial. Mais je ne dis rien de plus, je m'accroche à ma question comme à une bouée.

« L'une d'elle était vendue aux Wissenlandais, vous le saviez d'ailleurs, sinon vous n'auriez pas essayé de fuir au moment où elle quittait le camp pour les rejoindre. Je pense que vous aviez peur d’être une victime collatérale de sa trahison. Je me trompe ? »

Je n’ai pas besoin de répondre, il le sait. Je continue néanmoins.

« Et l'autre ? »

Il a l’air franchement agacé.

« L’autre ? L'autre était stupide, voilà tout ! Et je n'ai pas le temps pour la stupidité ! Vous êtes précieuses à l'Indépendance, elle non, elle en paye le prix. Désormais, il vous faut embrasser cette vision du monde avec la même facilité que je le fais, mon Général. Vous ne pouvez pas vous permettre ce genre de pertes de temps. »

« Ne m’appelez pas Général. Je n'ai pas dit que j'acceptais. »


Il me regarde fixement ; comme s’il attendait que je réalise de moi-même le temps que nous perdions tous les deux avec mes enfantillages, sans pour autant le condamner. Avec son air étrange, il semblait comprendre que je puisse en avoir besoin. C’était un visage figé, aussi figé que sa posture, absolument neutre, comme une respiration dans le fil de mes pensées, où son influence était jusque-là démesurée.

Je me passe la main dans les cheveux, pour gagner du temps et puis par gène aussi de ce silence. Mes yeux fuient son regard, un temps, s’égarent sur la tente, sur les papiers en vrac, sur le brasero qui seul rompt par ses craquements le silence de la nuit… puis je me replonge dans son regard. Le Baron semble alors s’ébrouer, revenir à la vie, comme une statue de cire qui se trouverait brusquement toute pleine d’humanité. Et qui reprendrait la conversation comme si rien ne s'était passé :

« Général, c'était un plaisir de m'entretenir avec vous, mais l'heure tourne. »

J’hésite encore à l’interrompre, puis j’accepte enfin de me sonder. Et je trouve en moi une immense excitation.

« Votre première tâche sera le recrutement et la formation du réseau. Le Père Geber vous adressera des rapports sur les éléments qu’il pourra rencontrer et qui n’auront pas vocation à rejoindre l’Armée en campagne ou un autre service que l’Armée Secrète. Sa priorité pour l’instant est de proposer une amnistie totale et un salaire aux bandes de hors-la-loi pour rejoindre l’Indépendance, mais sitôt cette mission terminée lui et ses agents entameront une tournée de la Province pour recruter des forces vives.

Mon ordonnance vous fournira votre lettre de mission, ainsi que l'adresse à Peifdorf d'un bordel où l'Indépendance place secrètement depuis des années les orphelines des exactions Wissenlandaises. Vos instructions contiennent tous les éléments nécessaires pour en prendre le contrôle et commencer votre véritable mission, ainsi que les modalités pour prendre contact avec nous. Des questions ? »


Je ne bronche pas.

« Dans ce cas. Général. »


Il se lève.

Je me lève.

Il me sert la main, brièvement.

Puis il se détourne et retourne à ses notes. Pour lui la conversation est terminée.

Pas pour moi.

« C'est un honneur, Monsieur. »


Bon je ne sais pas trop quoi dire, alors forcément c'est le truc le plus con qui sort le premier. Je suis toujours un peu KO de la confiance qu’il vient de déverser sur moi. Il ne prend même pas la peine de lever les yeux.

« L'honneur est partagé, Général. Je compte sur vous pour rendre la vie des Topenheimer impossible. »

« Comptez sur moi Baron. »


Il faut que je sorte. Ma poitrine brûle d'excitation. Dans l'antichambre, un des gardes qui me tenait par le bras quelques minutes plus tôt, est là. J'hésite un instant. Sa poigne sur mon bras, le souvenir est vivace. La course-poursuite tout à l’heure, la peur, le sourire un peu malsain…

Je m’apprête à sortir.

Au premier pas que je fais dans sa direction, il se met au garde-à-vous et me salue, à la façon des militaires, sans que son regard ne bronche. Je m'arrête. Il ne bouge pas. Je reste là, à l'observer. Un colosse immobile, privé de réaction, par ma simple présence.

Je ne sais plus trop. Moi qui aie toujours su exactement qui j'étais, ce que je voulais, où j'allais, je suis toujours indécise. Mais finalement, c’est ce crétin qui me décide. Une parole à peine articulée qui sourd des lèvres figées du soldat.

« Le… mot… que vous cherchez est …"repos"… mon général. »


Je le fusille du regard, et réplique, du tac au tac

« Le mot que je cherchais était corvée, soldat. Celle que vous allez faire pendant les 6 prochains jours à partir de demain. Longue vie à l’Indépendance. »


Je sors en trombe. L'air de la nuit me fait un bien fou. J’ai l’impression que tout l’Empire m’appartient.


Extrait du Journal de Guerre d'Anton Von Adeldoch :

Le Général Vivien est parti aujourd'hui pour Pfeidorf avec un peu de trésorerie. Je place en elle de grands espoirs, et je ne doute pas que l'Armée Secrète devienne bientôt un pourvoyeur remarquable de ressources, d'hommes, et de renseignements.

Son départ à l'aube fut un modèle de discrétion, mais la réunion qui le précéda ne fut pas sans me préoccuper quelque peu : c'est bien la première fois que j'ai eu envie de coucher avec un de mes officiers.
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 24 janv. 2019, 20:24, modifié 1 fois.
Raison : 6 xps / Total : 90 xps
Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
Profil de combat :
FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

Détails permettant d'arriver à ce profil:
Profil: FOR 8/ END 10/ HAB 8/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 10/ PAR 9/ TIR/ 9/ PV 75/75
Compétences: Monte, Arme de prédilection (rapière +1 Att)
armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
Protections: mailles. Torse, dos et bras, protection de 9, encombrement de -1 HAB, ATT et PAR
Talisman de Gork : +1 For Att et END
Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges
Fr.N.

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