À la question sur le Nécromancien, la sorcière ne put s’empêcher d’étendre son sourire en une terrible grimace, affichant bien ses dents trop blanches et brillantes pour être naturelles.
« Lazarus Mourn ne sera plus jamais un problème pour personne. Je te remercie de ta sollicitude. »
Elle claqua des doigts à l’intention de son énigmatique valet, qui s’éloigna dans l’entrebâillement de la porte.
« Pourrais-tu nous préparer un petit kir pour nos invités ?
Vous allez voir, j’ai un petit vin blanc d’Aquitanie, il se marie parfaitement à la crème de cassis. Vous m’en direz des nouvelles. »
Irmfried et Frida regardèrent à tour de rôle la sorcière et le sorcier, avec des gros yeux, leurs corps bien raides et les mains sur les genoux.
À les voir ainsi, Valitch ne put s’empêcher d’avoir un petit ricanement sympathique.
« Ils sont tout angoissés tes asticots !
Il n’y a pas de raisons pour être aussi inquiet. C’est une soirée sociale, nous discutons. Nous nous sommes bien alliés il y a trois mois, non ? On peut considérer qu’il y a un cessez-le-feu entre nous, non ?
C’est le Grand Jeu des Dieux, celui auquel les hommes ne comprennent jamais rien. Même nous pouvons parfois nous tendre la main pour lutter face aux infidèles. »
Les deux cultistes ne semblaient pas véritablement rassurés par les paroles de la sorcière. Ils se contentèrent de la dévisager. Peut-être se préparaient-ils tous les deux à bondir sur elle si Reinhard leur donnait l’ordre.
Mais Reinhard se contenta de discuter calmement, tandis que le valet revenait avec deux bouteilles en verre sous le bras. Il ferma la porte, la verrouilla soigneusement à clé, et commença à préparer un cocktail afin de pouvoir servir un apéritif à tout le monde.
Valitch écouta attentivement le pestilent. La première chose qui la fit réagir, ce fut lorsque le nouveau magus de Nurgle désigna le gars bizarre de tout à l’heure. Elle lança un petit regard au domestique en train d’ouvrir la bouteille de vin blanc d’Aquitanie :
« Tu ne t’es pas présenté ? C’est un impair ! Tu n’es pas devant des invités ordinaires.
– Pardonnez-moi, maîtresse.
Je me nomme Hoyer Mansfeld. Mais tout le monde m’appelle simplement « le Majordome ».
– Je connais Hoyer depuis de nombreuses années. Il me rend de nombreux services à travers Nuln. C’est un homme à la langue discrète mais aux oreilles attentives.
Est-ce la même rigueur que je puis attendre de tes deux sbires ? »
Elle eut un petit regard pour Irmfried, puis pour Frida. Juste avant de reprendre, sur le sujet de son époux :
« Tu as donc rencontré Asmus ! C’est bien. Dis-moi, qu’est-ce que tu penses de lui ?
Il n’est pas un drôle d’oiseau. Je veux dire… Il n’est pas exactement au courant de tout ce dont je suis capable. Même s’il doit se douter de quelques horreurs, son esprit narcissique et imbu de lui-même l’empêche de se poser les bonnes questions.
Vois-tu, cette maison m’appartient. Les gardes sont soldés grâce à mes deniers. Et le canard d’Asmus Kassel est à moi. Je suis sa participante majoritaire. C’est moi qui finance les presses pour sortir des journaux. C’est aussi moi qui utilise mes relations politiques auprès de la comtesse pour que Monseigneur Kaslain ou l’honorable industriel Richthofen ne débarquent pas avec des miliciens afin de molester ses journalistes et brûler son torchon.
En échange de mon immense générosité, Asmus remplit un rôle très utile que j’ai tout destiné pour lui : C’est un crétin, égoïste, égocentrique, qui adore parler, qui adore s’entendre parler, bon sang, si tu savais comment c’est une torture d’essayer de s’endormir avec lui le soir… Mais il est très fort pour manier les mots. Il écrit comme personne, il discute comme personne, c’est un vrai petit hyperactif.
Grâce à lui, Nuln est ébouillantée. Il crispe les opinions, il oblige les gens à se poser des questions, au lieu de se contenter de leurs petites vies. C’est un délicieux contexte qui me permet de grignoter beaucoup de terrain.
Il est amoureux de moi, aussi. C’est très utile de faire danser quelqu’un lorsqu’il verse dans des passions irrationnelles. Je me demande comment toi tu fais pour recruter des gens, tu as peut-être une opinion là-dessus.
Entre magus, on peut bien s’échanger des conseils ! »
Le Majordome servi des kirs à tout le monde. C’est alors que Reinhard posa une question sur le tableau. En l’entendant, Valitch attrapa son verre et se souleva. Elle boita jusqu’à la toile animée, et fit signe à Reinhard de se lever pour l’en approcher.
« C’est une peinture que j’ai dessinée moi-même. À l’époque, je le préparais comme cadeau pour un homme dont j’étais follement amoureuse – il fut en effet un temps où, tout comme mon actuel mari, j’étais emportée par quelques passions futiles qui ne servaient qu’à se retourner contre moi.
Il s’appelait Egrimm van Horstmann. »
En entendent ce nom, Furug’ath bondit derrière les yeux de Reinhard. Le magus put sentir tous les poils de sa peau se durcit, et la chair de poule gagner ses membres.
Reinhard Faul avait déjà entendu ce nom. Il était l’un de ces immondes traîtres que l’Empire de Sigmar avait connu dans son histoire. Même en n’ayant jamais été apprenti dans les collèges de Magie, Reinhard avait déjà entendu ce récit.
Le Collège Lumineux est censé être le plus puissant et le plus incorruptible des collèges impériaux. Le repaire des meilleurs exorcistes du Vieux Monde, dont la grande tâche consiste à bannir les démons et les revenants peu importe où ils se trouvent. Pourtant, le prédécesseur de leur actuel dirigeant n’avait rien d’un pieux homme : Alors même qu’il avait atteint le rôle public de Magister Patriarche, il servait le Grand Architecte du Changement. Il utilisa ses immenses connaissances en magie pour libérer des puissances maléfiques. Une fois sa corruption éclatant au grand jour, une petite armée de mages et de guerriers de Sigmar accoururent pour l’empêcher de provoquer plus de destructions ; Il s’enfuit sous leur nez en chevauchant Galrauch, le tout premier des Dragons du Chaos, pour disparaître dans les Désolations du Pôle Nord.
Nul doute que l’histoire d’Egrimm van Horstmann n’était racontée que pour rallier la population contre l’existence des Collèges de Magie, qui étaient loin d’être un refuge contre la mauvaise magie comme on l’apprenait au bon peuple Impérial. Pour un sorcier du Chaos, en revanche, l’histoire devait être très inspirante : Bien peu de mages chaotiques avaient été capables d’infliger un tel bordel avec un tel art dans l’exécution.
Dommage qu’il servait Tzeentch, l’ennemi juré de Nurgle.
« La Nécromancie est une magie vide de sens et inintéressante. Défier la mort en manipulant des cadavres et des squelettes sortis de terre, très peu pour moi.
Ce qui m’a toujours fasciné, en revanche, ce ne sont pas les corps, mais les âmes. Les Banshee, les Revenants, les Spectres ; Toutes ces créatures qui crachent sur le Dieu Morr et qui, longtemps après avoir été tuées, continuent de souffrir et de faire souffrir pour s’accrocher à un semblant d’existence. Il y a tellement de force, tellement d’énergie, surtout lorsque leur sort est terrible…
Ce tableau sert d’interface avec l’Autre-Côté. J’y enferme certaines âmes que j’ai trouvé intéressantes, afin de pouvoir les tourmenter, et, peut-être, un jour les reconstruire et les utiliser pour mon propre profit. C’est une magie dans laquelle je ne fais que débuter, malheureusement, j’apprends en autodidacte…
Ceci aurait été franchement utile pour Egrimm van Horstmann. Mais il m’a brisé le cœur, alors je l’utilise pour mon propre profit. »
En s’approchant, Reinhard pouvait sentir de la magie qui en pulsait. Il entendait, derrière, une femme qui était en train de pleurer.
« Je peux te montrer tout un tas d’autres choses fascinantes ! Ça peut peut-être t’inspirer si tu souhaites créer quelques artefacts magiques. Le Chaos offre tellement de possibilités…
Mais soit. Assez parlé de moi. Pourquoi es-tu venu ici ? Que puis-je donc t’offrir ? Tu n’es pas là simplement pour le kir. »
Elle lia ses mains face à elle et offrit à nouveau un de ses grands sourires.