[Maria] La ville bleue

Le vaste pays désertique qu'est l'Arabie se trouve de l'autre côté de la mer en face de la Tilée et de l'Estahe. Il y a plusieurs cités habitées, certaines sur la côte et d'autres à l'intérieur des terres, ainsi que bien des ruines désertes remontant aux légendaires Guerres de la Mort. Les pirates d’Arabie sont des pilleurs invétérés, dont on peut parfois apercevoir les navires aux voiles sombres dans les ports d’Estalie ou de Tilée.

Modérateur : Equipe MJ

Avatar du membre
[MJ] Le Grand Duc
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Messages : 1600

Re: [Maria] La ville bleue

Message par [MJ] Le Grand Duc »

Valente se caressa la barbe, le regard momentanément dans le vide tandis qu'il réfléchissait.

- "Mh ... Pour la fourrure, ça dépend de l'état. Si les peaux sont bien conservées on peut s'en tirer à deux ou trois galettes par pièce." Le terme de galette venait de l'argot des Mers du Sud et désignait une couronne d'or. "C'est principalement du renard et du vison, de ce que disait l'autre. Je peux en tirer un bon prix, peut-être cinq cent ou six cent d'or. Par contre, capitaine, faut faire gaffe à quelque chose. Ce qu'on a là, c'est de la marchandise volée. Si ça venait à se savoir, on risque d'être bien emmerdés, et le receleur à qui on aura revendu aussi. Vous savez comme les rumeurs et les informations se propagent vite, dans un port ... Le mieux à faire, c'est encore de tout vendre au plus vite plutôt que de pinailler deux semaines pour trouver celui qui fait les meilleurs prix. On est pas des marchands."

Il jeta un regard vers la foule autour d'eux, comme si il surveillait que personne ne les écoute.

- "Laissez moi négocier ce qu'on a dans la cale à un grossiste, et je m'occupe de faire disparaître tout ça au plus vite. Peut-être qu'on se fera moins de pognon, mais si ça peut nous éviter de nous balancer au bout d'une corde, alors je suis preneur. Je pense bien pouvoir refiler le tout pour trois ou quatre nerfs." Là encore, le mot "nerf" était couramment utilisé par les pirates de Sartosa et des environs. C'était une mesure qui équivalait à deux cent cinquante pièces d'or environ. "Ça sera largement suffisant pour acheter des vivres et rendre les gars contents. Plus vite on se tire d'ici, mieux c'est."
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

Avatar du membre
La Sire
PJ
Messages : 34
Profil : FOR 8 / END 8 / HAB 9 / CHAR 8 / INT 8 / INI 8 / ATT 9 / PAR 8 / TIR 9 / MAG 8 / NA 1 / PV 68

Re: [Maria] La ville bleue

Message par La Sire »

Les prix que l’on pouvait retirer de la vente de toutes les marchandises me firent pétiller le regard d’une certaine lueur de convoitise. Rien que pour quelques demi tonnes, et l’on avait de quoi atteindre le millier de couronnes, ou presque. A condition de pouvoir vendre tout cela comme il se fallait, sans rabais ni réserves, sans hâte ni précipitation. Trouver le bon marchand et parvenir à un bel arrangement étaient à même que de prendre effectivement trop de temps, comme le soulignait Valente, et chaque jour passé à Maharek accroissait nos chances d’être découverts et arrêtés. Et j’étais de tout cœur d’accord avec le cambusier ; je n’étais aucunement encline à être mariée à chanvre.

«Ouais, tu as raison. Un bon millier de pièces nous ferait pas de mal, loin de là, mais je préfère effectivement en perdre un quart en ne prenant pas le temps de trouver le bon receleur plutôt que de finir au bout d’une putain de corde. Franchement, avec ce que tu me dis là, ça serait déjà une sacrée bonne somme. De quoi acheter les vivres dont nous avons besoin, réparer les légers dégâts de la roue du gouvernail, et autre chose, aussi, j’y ai pensé. Genre, tout ce qui est canon et tout, ça me paraît difficile, pour le moment. Très cher et ardu à trouver. Au pire, on… »

Je jetai à mon tour un regard aux environs, zieutant du côté de la foule qui nous entourait et qui circulait de part et d’autre du petit îlot que nous formions tous les deux. Je baissai le ton, à l’instar de Valente.

«Au pire, et l’on tablera sur de petits bâtiments, rien de très imposants. Ca devrait le faire, avec l’armement dont dispose l’Estrella. Par contre, je crois que l’on a un gros problème. Aucune foutue arme à distance. Tu l’as bien vu, l’Estrella, lors de sa prise, ne proposait que des haches et des sabres. Bref, on sera bien con lorsque viendra l’abordage, si on peut même pas mettre en joue les autres gus ou en descendre à distance. Rien que des arcs ou des arbalètes dans les haubans, ça fait tellement la différence. Et je ne parle pas même d’un moucheur dans les hunes et nids-de-pie, avec un mousquet, fusil de boucanier ou du Hochland. ‘Fin, voilà. En sus des vivres, ça serait bien d’avoir ce genre de trucs à disposition, également. Bon, ouais, si on doit dégager d’ici le plus rapidement possible, faisons comme cela. Vends tout ce que l’on peut. Si jamais t’as besoin de gus pour t’épauler, hésite pas à en choper, t’as mon accord. De mon côté, j’vais aller voir ce que je peux trouver comme ragots et marins dans une taverne. T’as vu celle de L’albatros Borgne, au niveau des quais ? J’y serai si jamais tu as terminé avant moi. »

Sur ces mots, je fis demi-tour, m’engageant une fois de plus dans les rues de Maharek, avec dans la visée de regagner le port, cette fois-ci. Cela me prit un certain temps, eu égard à la bonne heure que nous avions mis pour nous éloigner du mouillage, mais j’y parvins tout de même.
La population contrastait allégrement avec celle que j’avais eu coutume de voir jusque ici. Plutôt que des arabéens, l’Albatros Borgne abritait son lot de marins occidentaux, blancs de peau. Au moins, ici, j’étais certaine et de pouvoir me faire entendre, et de pouvoir comprendre ce qui se tramait autour de moi. J’observai rapidement les environs, une fois dans la taverne, afin d’estimer la qualité des clients et de l’établissement. S’il s’agissait d’un vulgaire bauge ou bien d’une maison plus réputée que cela. Et les clients, ne serait-ce que pour me faufiler à eux par la suite. Mais pas dans l’immédiat.
Je commandai au tavernier un alcool de moyenne qualité, pas non plus le truc qui allait me faire raquer, mais pas non plus de la pisse d’âne que je n’aurais pu boire, et décidai de me foutre dans un coin, à une tablée de différents groupes. C’était histoire de prendre la température des lieux, d’écouter les conversations. Il demeurait toujours possible de tomber sur une discussion qui parlait d’un bâtiment mal entretenu qui partait en mer ou d’un navire de commerce mal défendu.
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 23 avr. 2016, 12:34, modifié 1 fois.
Raison : 6 xps / Total : 36 xps
La Sire - Maria Lucini, voie du Forban.
Profil: For 8 | End 8 | Hab 9 | Cha 8 | Int 8 | Ini 8 | Att 9 | Par 8 | Tir 9 | Mag 8 | NA 1 | PV 60/60

Ma fiche

Avatar du membre
[MJ] Le Grand Duc
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Messages : 1600

Re: [Maria] La ville bleue

Message par [MJ] Le Grand Duc »

Valente se lissa à nouveau la barbe, écoutant la Sire avec attention et hochant la tête lorsqu'elle eut fini de parler.

- "Je m'occupe de tout ça au plus vite." dit-il en regardant alentours. "Je vais prendre Rachid et Hissin avec moi, et Tête-de-Pioche aussi. Ducio, Jan et la Perche resteront pour surveiller le navire, et Lucio vous rejoindra. Enfin, si vous n'y voyez pas d'inconvénients, capitaine ..." Il lui jeta un regard.

Pendant leur voyage jusqu'à Maharek, chacun des marins avait gardé sa place, respectant la nouvelle position de la Sire. Mais cette dernière sentait que quelque chose lui échappait. Les tiléens, en particulier, semblaient obéir parce qu'ils le voulaient bien, et non pas à cause d'une quelconque marque d'autorité de la part de Maria. Peut-être se contentaient-ils de courber l'échine tant que la situation leur convenait, pour agir tout autrement lorsque les choses commenceraient à tourner en leur défaveur. Ou peut-être pas, après tout. Peut-être était-ce simplement une impression donnée par la morgue naturelle des tiléens.

Le cambusier se sépara de son capitaine et se fondit dans la foule en direction du ponton où l'Estrella était amarrée, tandis que Maria faisait de même en direction de l'Albatros Borgne.

C'était une taverne des quais comme il en existait des centaines dans le Vieux Monde. Une devanture encombrée de tonneaux et de filets de pêche emmêlés, un vieux banc et une porte à moitié vermoulue qui donnait sur l'intérieur du bâtiment. Il faisait chaud, là dedans, et le plafond bas ne faisait qu'accentuer cette impression d'oppression. Les murs n'avaient pas de fenêtres et seules quelques bougies éclairaient les tables ça et là. La grande pièce était bondée, pleine de marins et autres filous d'horizons différents. Il y avait des blancs, blonds, roux et chauves, des bruns, des basanés, des moustachus, des vieux ridés et des jeunes imberbes. Cicatrices, tatouages, boucles d'oreilles et dents en or. Toute la racaille occidentale de Maharek semblait réunie au même endroit, dans cette salle fumeuse et qui puait la pisse et le mauvais alcool. On jouait aux dés et aux cartes, on buvait, on s'engueulait ou on tripotait une prostituée défraîchie, grossière et édentée. Ce rade était bien loin de la splendeur orientale de la ville, et, à côté des minarets et des façades bleus de Maharek, l'Albatros Borgne avait l'allure d'une fosse à purin où, par ailleurs, il n'y avait aucun arabéen. La Sire entendait parler de toutes les langues tandis qu'on grommelait, qu'on riait, qu'on s'exclamait ou qu'on chantait dans tous les coins. Au fond, derrière le comptoir, un énorme individu au maillot de corps taché essuyait des chopines en bois avec un torchon déjà souillé. Son double menton était caché par son collier de barbe hirsute et ses gros bras était tatoués de pieuvres et d'ancres. C'était probablement le Bretonnien, le patron de la taverne.


Lorsque Maria entra, les regards se posèrent progressivement sur elle jusqu'à ce que toute la salle la fixe. On ricanait à droite à gauche, on lorgnait sur ses formes et quelqu'un siffla avant de déclencher l'hilarité de sa table. Puis la jeune femme s'accouda au comptoir et les clients reprirent ce qu'ils étaient en train de faire, non sans jeter un ou deux coups d’œil vers elle de temps en temps.

- "Tu bois quoi, la donzelle." lui lança le tenancier en appuyant ses grosses mains de part et d'autre de la Sire, la reluquant de ses yeux porcins.

Il lui servit une soucoupe de rhum brun au goût âpre.

-3 sous
Lorsque Maria se retourna, elle remarqua une table libre et s'y installa sous le regard lubrique de ses voisins. Autour d'elle, on jouait à l'hex, aux échecs, au karom, aux dés ou encore à la belote de Marienburg. Ça pariait des pièces, des bouteilles de tord-boyaux ou des babioles sans valeur. La jeune femme entendit parler d'une cargaison d'épices attaquée à quelques encablures de Kamt par une bande d'écumeurs de la côte. On ragotait sur un certain Dent-d'Or qui avait été arrêté la veille par les gardes de la ville, pour avoir essayé de peloter la fille d'un marchand de faïence près du quartier des bains. On disait que le galion de Tobaro qui mouillait au port recrutait des gabiers, ce que démentit l'un des matelots du navire concerné depuis l'autre bout de la pièce.

Plutôt qu'une bande de pirates sans foi ni loi, ces bougres là semblaient n'être que des marins en escale qui essayaient de passer un peu de bon temps avant de reprendre la mer. Certains étaient-ils peut-être sans emploi, ou désireux de changer d'air et de quitter le navire pour lequel ils travaillaient actuellement.

Tandis que la Sire était occupée à laisser traîner son oreille autour d'elle, un client partiellement éméché vint s’asseoir à sa table. C'était un grand maigre avec un long nez orné d'une vilaine verrue et des paupières tombantes. Ses cheveux étaient gras et emmêles par la sueur et le sel et il portait une chemise sale et un gilet en cuir élimé. Son haleine puait la boisson.


- "Alors belle fleur, on s'sent pas trop seule ?" dit-il à Maria en louchant sur sa poitrine. Son reikspiel avait l'accent des natifs de l'Empire.

- "Cherche pas, la Verrue, celle là est trop cher pour toi." lui lança-t-on de la table d'à côté, où l'on éclata de rire.

L'intéressa ignora le commentaire et se pencha vers la Sire.

- "T'es arrivée avec l'Estrella, toi. D'habitude, les jolies plantes qui descendent de ce navire, elles vont directement au palais du nabab. Alors j'me demande bien ce que tu fais ici ..."

Son ton n'était nullement menaçant. Sûrement ne se doutait-il de rien, et essayait-il juste d'attiser l'intérêt de Maria pour qu'elle lui accorde la parole. Toujours est-il que les nouvelles se propageaient vite, dans le port de Maharek. Dangereusement vite ...
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

Avatar du membre
La Sire
PJ
Messages : 34
Profil : FOR 8 / END 8 / HAB 9 / CHAR 8 / INT 8 / INI 8 / ATT 9 / PAR 8 / TIR 9 / MAG 8 / NA 1 / PV 68

Re: [Maria] La ville bleue

Message par La Sire »

Valente s’occuperait donc tout cela lui-même, et ça me convenait très bien. Même à ce que Lucio vînt me rejoindre par la suite, d’ici à ce qu’il fût au courant de ma position dans l’auberge que je comptais visiter. Des pirates viendraient rejoindre le cambusier comme d’autres surveilleraient le navire ; je n’avais rien à dire à tout cela. Même pour la potentielle et étrange sensation que je pouvais ressentir vis-à-vis des tiléens, je ne m’en formalisais pas trop pour le moment. Le fait qu’ils obéissent parce qu’ils le voulaient bien et que la situation leur convenait, au fond, n’était-ce pas le propre de tout pirate ? Ils ne pouvaient décemment pas prendre un navire par la force, à trois, et pouvoir le faire naviguer par la suite ; c’était une chose tout bonnement impossible. Ils n’avaient pas d’autre choix, pour ce faire, que d’avoir le soutien des autres pirates. En un mot, la situation était la même que sur n’importe quel autre navire pirate ; si les tiléens devaient me destituer, alors devraient-ils le faire de concorde avec l’ensemble de l’équipage ou, à tout le moins, sa grande majorité. Et alors n’aurais-je pas d’autre choix, à mon tour, que de m’incliner. Ainsi allaient la vie et les décisions sous la gouverne du pavillon noir.

J’avais pu prendre connaissance de l’apparence de l’Albatros Borgne, et si je m’étais interrogée sur sa qualité, je venais à présent d’en obtenir les réponses. La taverne tenait bien davantage du bauge que de l’estaminet chic, clairement. L’aspect extérieur n’était pas des plus attrayants, et, lorsque je poussai la porte pour pénétrer dans la bâtisse, je savais à quoi m’attendre. Je ne déchantai pas véritablement, habituée à cette fange oisive et imbriaque, à ces résidus de marins roulant sous les tables, dans la crasse et la sueur. Des marins, quoi, jusqu’aux hétaïres de mauvaises qualités qui servaient à distraire les envies lubriques de ces premiers. Que des blancs, ou des légèrement hâlés, au pire. Vu la déliquescence du truc, ce n’était pas étonnant, dans un sens, à ce que les arabéens évitassent pareil lieu ; difficile que de leur en vouloir.

Lorsque je poussai la porte et entrai, tout le monde se retourna dans ma direction après un petit moment de flottement au travers duquel chacun en profita pour annoncer à son collègue qu’il y avait quelque chose de bigrement intéressant à regarder là-bas. Ca ricana dans tous les coins, émit quelques sifflements et quelques regards lubriques ; j’étais assurément plus intéressante que toutes les putes réunies ici-bas, fallait pas être aveugle pour le remarquer. J’aurais pu dandiner sur place en regardant le sol, ne sachant que faire de mes pieds devant tant d’attention tout en murmurant des « oh arrêtez les gars, arrêtez, c’est trop d’honneur », mais je me fendis à la place d’un bon petit doigt d’honneur à l’attention de la tablée qui venait de me siffler, tout en leur décochant un petit clin d’œil de circonstance aussi, pour ne pas alimenter les envies les plus belliqueuses, alors même que je traversai la pièce gaillardement.

Derrière le comptoir, un type dans le genre bien charpenté, aussi bien de graisse que de muscle, peut-être, me demanda ce que je voulais boire, et je choisis un alcool dans le milieu. Je mirai rapidement en direction des pauvres chopes qui attendaient leur tour pour se faire souiller une fois de plus, après la bave des marins, par ce torchon dégueulasse qui devait colporter tout autant de maladies que les putains elles-mêmes, ou presque. Mais le bon côté de se faufiler à ce genre de choses, et d’en être arroutiné, c’était que l’on semblait devenir plus résistant à ces merdes-là, à force. Comme s’il fallait combattre le mal par le mal. Au pire, j’en tirerai un sacré mal de ventre et une bonne chiasse. Gobelet en main, je me retournai alors, et, dos au comptoir, j’observai sous un nouvel angle la taverne, non sans rien découvrir de nouveau. Tout juste une place à me foutre pour pouvoir écouter ce qui se tramait de manière plus ou moins discrète. Ou pas, en fait, vu comment tout le monde me matait encore.

Je m’y installai malgré tout, à côté de ces jeux en tout genre auxquels l’on se prêtait à renfort de jurons bien sentis et de cartes balancées rageusement. Les pièces changeaient de main en même temps que les dés, et des poings coléreux venaient parfois, de temps à autre, faire sauter les plateaux en s’abattant sur le bois des tables. Un sacré bois, par ailleurs. J’avais déjà vu du mobilier de qualité, d’ébène, verni de je ne savais pas trop quoi, mais ça rendait superbement bien et ça résistait au temps qui filait. Là, le verni en question, ce n’était pas autre qu’une couche de lie et de vieux restant de salmigondis en train de pourrir, le tout mêlé à de la bière surannée qui collait diablement. J’eus l’occasion de voir un jet de dés brusquement arrêté net par cette fange, au point que l’on eût aisément cru que les petits cubes étaient pipés. Peut-être l’étaient-ils, en fait, car ce fut un carré de six qui s’afficha et, au lieu d’une bière ou de l’argent, ce fut un bon coup dans la tronche que reçu le lanceur. J’eus également le droit à quelques ragots, qui valaient ce qu’ils valaient. Des écumeurs des mers s’en étaient pris à une cargaison non loin de Kamt, un marchand avait été foutu en geôle pour avoir fricoté de trop près avec la gamine d’un marchand, lequel n’était pas forcément consentant apparemment –et la donzelle non plus ? et un galion recrutait des marins, affirmation tout de suite contredit par un des marins dudit galion. Rien qui ne m’avançait à grand-chose, si ce n’était, peut-être, les écumeurs de Kamt. Il y avait peut-être des mauvais bougres à recruter là-bas. Ou bien, au contraire, mieux valait ne pas y aller, car cette région possédait déjà son lot de pirates qui ne s’avéreraient aucunement enclin à partager leur territoire.

Alors que je pourpensais sur tout cela, un gus vint me trouver. Un grand échalas avec un pif pas possible garni d’une ostensible verrue, et des paupières tant chargées à l’alcool qu’elle tombait sur ses yeux et lui rajoutaient aussi bien dix ans qu’un air passablement abruti. Il avait l’air d’avoir bien envie de me parler et d’en savoir davantage sur moi. Oh, les gars, arrêtez, arrêtez, c’est trop d’honneur. Il y eut bien un trait d’humour qui jaillit de la table d’à côté –assurément jalouse-, mais l’imbriaque l’ignora pour me poser une question sur l’Estrella et moi-même. A croire que le navire avait pour lui une certaine réputation dans ce port. Peut-être même que les marins estaliens y étaient habitués. Bon, fallait possiblement se débarrasser de ce type. Me débarrasser d’un type à la lame, ça ne me dérangeait aucunement. Mais le faire selon cette manière, ça me contrariait un peu, bizarrement. Ça ne faisait que marquer la distinction entre homme et femme au sein même d’un milieu typiquement macho. Mais bon, il y avait des fois où l’on n’avait pas trop le choix, et j’eusse été bien conne que de ne pas en profiter.
Rien de mieux que de monter un groupe d’homme –au sens figuré- contre un autre.

«Bha… J’ai le gosier un peu sec. T’irais pas me chercher à boire, toi ? », balançai-je à la Verrue dans un demi-sourire qui se voulait alliciant.
J’espérai bien qu’il y allât. Dès qu’il tourna les talons, j’adressai la parole aux gus de la tablée d’à côté, plus nombreux, et peut-être plus accès sur autre chose, comme le jeu. Tout le monde jouait, ici, et moi aussi, j’avais envie de balancer quelques dés ou cartes.

«Ca joue, ici ? J’me joins à vous ; permettez ? »

Je n’attendis aucune réponse ; je joignis le geste à la parole. Et pour leur forcer la main, j’allais carrément au milieu d’un banc, me retrouvant entourée de deux de ces marins. J’étais une femme, j’avais des seins, ils ne pouvaient pas me dire non, surtout après que toute la taverne m’eut sifflé dessus. C’était comme si leur ego masculin venait de remporter la partie, là. Et en plus, en me foutant au milieu de deux briscards, je venais de me former un rempart contre la Verrue. Du moins, je l’espérai. Bon, après, fallait voir la qualité du rempart en question, s’il n’était pas du genre à s’effondrer sur ma gueule juste après. Je sortis quelques piécettes de mon escarcelle et les fit trébucher sur la table ; elles s’enlisèrent dans la vase putride qui couvrait le bois.

«Il a vraiment l’air défoncé ce type. Puis le gouvernail qu’il a en guise de nez, par les couilles de ma mère… L’est toujours comme ça ? »
Voilà, comme ça, si le message n’était pas assez bien passé, il était clair. Et rien de mieux aussi à balancer deux ou trois évidences tout en bavant sur un type, un potentiel rival, pour que les autres surenchérissent. En général. Et puis, je pouvais peut-être en apprendre davantage sur lui, et, de fil en aiguille sur eux ou sur d’autres trucs qui se passaient ici. Fallait bien engager la conversation d’une manière comme une autre, si le jeu ne le faisait pas de lui-même.
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 29 avr. 2016, 17:38, modifié 1 fois.
Raison : 6 xps / Total : 42 xps
La Sire - Maria Lucini, voie du Forban.
Profil: For 8 | End 8 | Hab 9 | Cha 8 | Int 8 | Ini 8 | Att 9 | Par 8 | Tir 9 | Mag 8 | NA 1 | PV 60/60

Ma fiche

Répondre

Retourner vers « Arabie »