Tandis que les lumières des incendies décroissaient puis disparaissaient au Nord-Est, le drakkar continuait sa route sur les flots de plus en plus agités de la Mer des Griffes. Un vent puissant se levait et la houle augmentait à mesure que le vaisseau s’écartait de la côte. Finalement, environ une demi-heure après qu’ils eussent perdu de vue le village, l’un des norse hurla par-dessus le sifflement du vent, les grincements incessants du navire et les bruits des vagues :Début ici : viewtopic.php?f=115&t=5522&p=114595#p114595
-Il faut retourner près des côtes. On est tous blessés et fatigués, la tempête menace, et nous ne sommes même plus assez nombreux pour manœuvrer ce navire correctement.
Les autres acquiescèrent à cette remarque, et bientôt, le navire se détournait vers les rivages. Zack n’y connaissant pas grand-chose, en navigation il avait été vite remplacé à la barre par un norse. Et c’était tant mieux, car il s’était vite aperçu que les autochtones en savaient beaucoup plus que lui sur l’art de la navigation. Le peu de temps qu’il avait passé au gouvernail après qu’ils fussent sortis de la portée des archers, Zack avait remarqué que des courants invisibles déroutaient constamment le bâtiment de sa route, sans parler des vents. L’ex-noble ne pouvait bien évidemment rien anticiper de tout cela, de sorte qu’il se trouvait systématiquement à réagir trop tard, à corriger les trajectoires avec des temps de retard. Au lieu de filer droit, sous sa gouverne, le bateau avait sans cesse été ballotté par les vagues et effectué de petits zigzags. Plus grave encore, il n’avait d’ailleurs strictement aucune idée de l’orientation du bateau et de sa direction globale. Seule la présence de la côte à portée de vue lui permettait de maintenir un tant soit peu un cap fixe.
Les norses, eux, étaient des marins émérites. Les meilleurs du monde, à en croire leurs affirmations, bien que les hauts-elfes et les elfes noirs leur contestassent chaudement ce titre. Une tempête se préparait, c’était évident, même pour un non-initié comme le Tokavaleskï. Selon les dires des marins, tenter d’affronter le large dans ces conditions, avec un équipage en sous-nombre et mal en point, serait une pure folie, un suicide. Il leur faudrait donc rester près des côtes où les éléments seraient légèrement plus cléments.
Mais les côtes de Norsca étaient particulièrement dangereuses. A part quelques criques, quelques fjords comme celui du village d’où ils étaient partis, la côte entière était composée de hautes falaises de pierre sombre, souvent précédées de récifs et de rochers noirs qui sortaient de l’eau comme des épines. Des courants puissants poussaient les embarcations constamment dans cette direction, et il fallait maintenir une vigilance constante pour y échapper.
Les vents étaient devenus trop violents, et soufflaient dans la mauvaise direction. Ils menaçaient de jeter le navire contre les murs ou les récifs côtiers. C’est pourquoi les norses replièrent la voile. Pendant ce temps, Zack, pour l’instant à peu près aussi inutile sur le bateau qu’une Lovisa inconsciente et de plus en plus pâle, ou que l’autre femme, toujours penchée à son chevet, put inspecter le contenu du drakkar.
Il constata qu’en plus des boucliers fixés sur ses flancs, le navire n’était pas vide. Comme l’avait prévu Lovisa dans son plan, ils avaient été préalablement chargés de vivres, d’alcool et d’eau douce, en prévision des pillages qu’ils prévoyaient. Il y avait là des denrées non périssables en grand nombre, assez pour nourrir et abreuver une trentaine d’hommes au moins pendant des semaines. En plus de cela, il y avait quelques fourrures et des cordages supplémentaires.
C’était dans une de ces fourrures que la rousse avait délicatement enveloppé Lovisa pour éviter qu’elle ne prenne froid et la protéger tant bien que mal des éléments. Car l’air marin était glacial en pleine nuit, et les embruns de la tempête trempaient tout. Il faudrait bien la protection d’une grosse couverture de fourrures épaisses pour protéger la princesse de l’humidité et du froid. Malgré tout, elle restait blanche comme un linge, les yeux clos, périodiquement agitée de tremblement et de spasmes, seul signe visible de sa souffrance, mais aussi du fait qu’elle se battait toujours pour survivre. La flèche, toujours plantée dans son corps, dépassait de son cocon comme un rappel sinistre de son état indécis, suspendu entre la vie et la mort.
Agenouillée à ses côtés, sans dire un mot, l’autre rousse la regardait avec une inquiétude terrible dans les yeux.
Zack surprit au passage quelques mots échangés entre les trois hommes. Le ton n’était guère optimiste : « On ne va pas s’en sortir. On est fichus. » marmonnait l’un dans sa barbe, ce sur quoi un autre renchérissait en hochant la tête : « Cette damnée tempête nous empêche de creuser l’avance et nous force à rester près des cotes. Ils pourront facilement nous rattraper quand elle se sera calmée. » Et le troisième de rajouter « Oui, les dieux sont contre nous. Lovisa va mourir dans quelques heures, quelques jours tout au plus, on ferait mieux de lui abréger ses souffrances. Quant à l’autre, elle est complètement inutile. Et l’esclave, il ne sait pas naviguer. A trois, on n’est même pas assez nombreux pour manœuvrer. A quoi bon continuer ? »
Mais puisqu’ils ne pouvaient rien faire et n’allaient pas s’épuiser à ramer inutilement, sachant que pour s’éloigner des côtes il leur faudrait attendre la fin de la tempête, les norses décidèrent au moins de profiter de ce temps pour se soigner et de se reposer. Entre les trois marins, ils organisèrent un système de relai pour que l’un d’eux soit toujours au gouvernail tandis que les deux autres se reposaient ou s’occupaient d’autre chose sur le navire. Balloté sur les flots de plus en plus furieux, le drakkar ressemblait à coquille de noix.