Une flottille de pirogues amazones descendait le fleuve. Les petites embarcations longeaient la berge, se camouflant de la lune dans l’ombre des grands arbres. A bord des frêles esquifs, pas une guerrière de Lustrie, mais plusieurs douzaines de féroces pirates elfes noirs. Ils avaient enroulés leurs armes de chiffons pour masquer tout bruit. Tous se tenaient couchés, ne donnant que de prudents coups de rame pour avancer vers leur proie.
Devant eux, deux grands navires elfiques étaient amarrés l’un à l’autre , les voiles baissées. Ils avaient jeté l’ancre dans un coude du fleuve, à l'abri des caprices du courant. La plupart des hauts elfes étaient assoupis, rassurés par la présence de leurs compatriotes de l’autre navire. Seuls quelques gardes aux cimiers d’argent dépassaient des bastingages blancs.
Les druchii s’arrêtèrent dans les mangroves pour observer les asurs à quelques centaines de mètres seulement. Un nuage passa devant la lune, assombrissant les eaux du fleuve aux yeux des gardes hauts elfes. Un elfe noir donna un signal et les corsaires se relevèrent soudain pour ramer énergiquement droit sur leur cible.
Les pirogues touchèrent la coque du navire le plus proche quelques instants plus tard. Avec des gestes experts, les druchii lancèrent plusieurs grappins et commencèrent à escalader le flanc du bâtiment. Deux hauts elfes un peu trop vigilants basculèrent par-dessus bord, un carreau d’arbalète au milieu du front. Leurs corps furent attrapés dans leur chute par les elfes noirs qui les allongèrent dans leurs embarcations sans un bruit.
Sarquindi grimpa à son tour. Ses blessures au ventre étaient comprimées par des bandages serrés, et il avait pris avec lui plusieurs rations de potions. Celles-ci supprimaient toutes ses douleurs, mais le médecin de bord avait aussi prévenu le capitaine corsaire que sa perception du danger risquait d’être réduite. Peu importe, pensait le corsaire, il n’en avait jamais eu. Un elfe monta du pont inférieur. Sarquindi se jeta sur lui et le cloua de sa lame contre le bois du bateau.
Les quelques elfes noirs déjà à bord exécutèrent les dernières sentinelles, puis traversèrent le pont des bâtiments elfiques pour faire descendre une dizaine de cordes le long de la coque de l’autre côté. Sarquindi marcha alors jusqu’au bastingage et fit un signe en direction du rivage. Aussitôt, la jungle vomit le reste des corsaires. L’équipage de Sarquindi et les guerriers de Phy’lis sortirent de l’ombre des arbres en portant d’autres pirogues qu’ils mirent immédiatement à l’eau. Une vague sombre s'apprêtait à engloutir les deux navires blancs.
Les corsaires montaient à bord,se glissaient par les portes ou grimpaient aux échelles de corde. Chaque seconde, un nouvel asur s’effondrait, frappé dans le dos dans un couloir ou la gorge tranchée dans son sommeil.
Sur la berge, Phy’lis jubilait.
« Une, deux, trois… que le spectacle commence ! »
Les elfes étaient capables de s’élancer avec une agilité et une célérité terrifiante, à même de glacer le sang, comme s’ils étaient les avatars de la grâce la plus démente. Des cris n’eurent pas été plus rapides que ce ballet de bateleurs enchantés qui bondirent de la jungle en déversant leurs nuées de dards sadiques sous la forme de salves d’arbalète. Phy’lis avait recruté la lie de Karond Kar, des vauriens et des ratés, mais il en avait fait quelque chose. Son aura théâtrale et sa beauté surnaturelle forçaient les cœurs à de plus redoutables efforts.
Un esthétisme frappant se dégageait de leurs mouvements, de chacun de leurs gestes, de leurs bonds, de leurs pas, de leurs tirs ; car avec Phy’lis ils étaient la part d’un carnaval ambulant, d’une compagnie théâtrale sanguinaire et anticonformiste. Point décadente, non. Phy’lis aimait la chair, les plaisirs, la sensualité, mais pas le relâchement sur les questions artistiques. Il savait faire d’une comédie une œuvre sérieuse, à la représentation aussi glauque et saisissante que l’étaient ses diatribes publiques à Karond Kar. Il était de ceux qui caressent les dictateurs et crachent sur les tyrans. Il était d’un art osé et méticuleux, parfait sans être avant-gardiste, original sans se supporter lui-même. Il était fou de théâtre, il était fou de guerre, il était fou de dévorer la chair et de torturer. Il était à la pointe de son assaut, boule multicolore et brasurée se dandinant dans des ambitions de violence.
« Par Khaine ! Voici notre scène ! Veillons à divertir les dieux ! »
La marée de capes de dragon des mers se mouvait en un délicieux désordre qui cachait une harmonie planifiée, des mouvements gracieux par lesquels on évitait les flèches adverses et rendait la progression plus imprévisible. Le navire de Prestelance était là, à portée de main, et Phy’lis sentait d’ici l’odeur des asurs et de leur chair blanche qui ne demandait qu’à être écharpée.
Je prédis que la mort va frapper,
et vous vous en allez gésir.
Ce sera de toute beauté ! »
Ils bondissaient déjà sur les navires d’Ulthuan. Ces vaisseaux gracieux avaient accueilli une flopée de grappins avides et avares, et des pirouettes de trapézistes permirent aux corsaires de se jeter au corps à corps alors que certains d’entre eux s’arrêtaient sous l’ombre du navire pour décocher tous les carreaux qu’ils pouvaient contre les vaillants défenseurs. Des corsaires tombaient raides morts à chaque seconde, mais cela ne parvenait pas à effrayer des créatures aussi égoïstes et obsédées que les elfes noirs. Des traits les fauchaient dans des cris, mais ils se savaient assez nombreux, et se croyaient chacun assez habile pour se tirer vivant de ce combat. Tous les hauts elfes n’étaient même pas encore montés sur leur pont, que les elfes noirs s’y étaient déjà invités. Phy’lis ne put s’empêcher de se donner en spectacle, debout sur le bastingage en lançant :
« Oh, rendez-vous compte de l’honneur que vous fait Khaine en vous offrant la chance de périr et de souffrir par la main d’un être aussi beau que moi, et dans l’exécution d’un spectacle aussi merveilleux que celui que nous vous proposons. Allons, essayez de m’abattre, vous verrez que le script a déjà été écrit par Khaine lui-même et que tous vous êtes destinés à pâtir entre mes mains sans espoir d’y échapper. »
En effet, les flèches dirigées contre lui eurent la fâcheuse tendance de le manquer, sans que cela soit une décision du destin et encore moins de Khaine. Le fourbe tragédien s’était entouré d’une aura déroutante avec ses plumes dans lesquelles étaient accrochées subtilement des tiges de fumigènes auxquels il bouta le feu en montant sur le navire. Des fumées multicolores montèrent, de sa tête, de ses épaules, de ses flancs et même de ses bottes, l’encerclant comme un bouclier démoniaque. Il exécuta des pas de danse qui ne firent que répandre ces volutes autour de sa splendide silhouette. Voilà à quoi il ressemblait quand on lui laissait le temps et le loisir de se préparer au combat, un démon sur le champ de bataille, un spectacle de sons et lumières à lui seul, un fumeux fumiste fanfaronnant non sans forfanterie, faisant figurer des forfaits toujours plus farfelus et effrontés.
Des flèches, bien sûr, le touchèrent, hésitantes et mal dirigées, mais les mailles qui étaient rendues invisibles par son plumage ne faisaient que le faire paraître invincible. À lui seul, par son numéro glorieusement ridicule, il attira l’attention et la consternation des asurs qui dans un élan colérique concentrèrent leur hargne et leur juste mépris à bannir cette chose ricanante et détestable qui souillait de sa présence le pont de leur navire, mais cela ne fit que permettre aux corsaires d’avoir plus de répit pour grimper en hâte avec pavane et dantesque joie, s’émerveillant aux éclats en découvrant les visages colériques de leurs ennemis de toujours qui semblaient attendre d’être massacrés par leurs soins. Un délicieux combat s’annonçait, mais un grain de sable vint jeter à bas la machine que ces joyeux acrobates de cirque sanguinaires avaient érigée sur le podium de leur spectaculaire représentation. Sur le pont, organisant la riposte face à cet assaut soudain, un héros en armure rutilante, si blanc que cela en choquait la vision, apparut dans son champ de vision. Le capitaine en personne irradiait tant dans son immaculée blancheur qu’en comparaison le plumage féérique des vêtements de Phy’lis pouvait ne ressembler qu’à une terne et vile tentative qu’un chaotique ferait pour ressembler au ramassis vomitif qu’un corbeau des désolations deviendrait en laissant son noir se diviser en flagrantes vomissures.
Le comédien n’avait jamais paru aussi noir qu’en comparaison du prince Aetholdyr Prestelance. Gracieux et imposant comme un séraphique paladin. Phy’lis se sentit immédiatement et instinctivement menacé par cette apparition, sifflant en se drapant de sa cape multicolore où une seule teinte manquait cruellement : le blanc.
Son visage violacé de rage et noirci par son ascendance sauvage parut ressortir en même temps que sa colère. Pourtant, dans ses yeux rouges sangs, un éclat semblable à celui du rire se manifesta. Nul ne sut jamais pourquoi, il susurra en un couinement langoureux une phrase en reikspiel, cette langue humaine. Une phrase qu’il connaissait et trouvait agréablement bien servie à cette situation. Quel elfe aurait su dire ce que cela voulait dire. En tout cas, cela ressemblait à des vers.
Il ricana puis reprit en langue elfique.
« Vous… délicieuse entrave à ma gloire… venez… dansons ensemble pour le plus grand plaisir de Khaine… dansez avec moi… et priez donc le dieu du sang que je ne vous prenne pas vivants ! »
Le prince répondit par la probité et le flegme guerrier de sa lignée. Cette créature venait de révéler un aspect plus flou et mal constitué de sa nature, opaque et translucide à la fois. Cet elfe noir en devenait dégoutant. Qu’à cela ne tienne, il fallait le tuer en tout cas, même si à première vue il ne semblait pas dangereux. Assez sûr de lui, bouclier et lance prêtes, il se précipita au combat avec l’idée d’en terminer rapidement.
Phy’lis bondit dans toutes les directions les unes après les autres. La lance pourtant redoutablement foudroyante du prince n’arrachait que des plumes, car la parure et les fumées qui enrobaient la plantureuse silhouette de Phy’lis ne cessaient de tromper le regard et les sens. Le prince pouvait même se demander si oui ou non ses attaques touchaient sa cible, pour se rendre compte que celle-ci sautillait déjà sur son autre flanc avec des rires enfantins en récitant comme un poème alors que la lance cherchait à tout prix à le transpercer :
« Ô, voulez-vous voir le lit en flammes?
Voulez-vous descendre dans votre peau et vos cheveux ?
Vous souhaitez également coller le poignard dans la feuille.
Vous voulez aussi lécher le sang de votre épée ! »
vous pensez que vous pouvez embrasser l'innocence,
vous pensez que tuer serait difficile
Mais d'où viennent tous les morts ? »
Il semblait presque en transe, se remémorant les paroles d’une étrange tirade aux vers tortueux, qui en elfique sonnaient comme des menaces et des avances en même temps. En vérité, réciter ce texte lui donnait à la fois un aspect terrifiant, mais surtout permettait à son esprit de se concentrer sur la musicalité et la danse plutôt que sur la haine, la colère et la jalousie qui autrement auraient pu le mener à faire des pas bien trop empressés et virulents dans sa volonté capricieuse de voir le prince asur mordre la poussière.
Il recommença son attaque, avec un nouveau tempo pour dérouter l’adversaire, se glissant jusque vers son visage pour l’aveugler de ses fumigènes scabreux, puis s’en retournant d’une pirouette dansante après avoir asséné un coup de dague venimeuse. Le prince asur ne se laissait pas avoir par tous ces futiles artifices. Il repoussait les attaques, et patientait pour l’occasion de frapper avec sa lance, parfaitement conscient que son ennemi finirait forcément par faire un mauvais pas.
Ce mauvais pas vint : Phy’lis, comme un clown, marcha sur une des plumes de son costume. Il en fallait plus pour faire réellement trébucher un elfe. Mais le coup de lance de Prestelance n’avait pas besoin de plus que de la seconde de désorientation de Phy’lis alors qu’il venait d’échouer dans un de ses pas. La lance transperça des plumes, qui volèrent en tous sens, ne laissant que pour un regard acéré la vue des gouttes de sang qui perlaient dessus.
Phy’lis avait bondi en arrière, tel un couard. Son visage grimaça dans la haine la plus grande qui soit, mais cette bouche haineuse se fendit en un sourire alors que du sang gouttait sur le sol.
« Aha ah ! Ne sais-tu pas ce qu’est la guerre ! »
Il commença à tournoyer sur lui-même en lançant des filets de fumée tout autour qui l’enrobèrent comme des tentacules voluptueux. Prestelance voulut en profiter pour attaquer, mais il soupçonnait une quelconque ruse. Alors il prépara sa lance, guettant le mouvement qui approcherait sa cible pour frapper avant d’être à portée de la dague.
L’amour c’est la guerre !
Et je vous hais ! »
Et le nuage de fumées et de plumes arrachées s’envola, en même temps que Phy’lis détalait par surprise. Décidément, cet adversaire était un peu trop coriace pour lui. Il l’avait blessé plusieurs fois avec sa dague empoisonnée, et s’était imaginé que cela suffirait, mais visiblement ce vil haut elfe était par on ne sait quel moyen capable de résister à ce venin. Peut-être n’avait-il pas assez remis de l’enduit sur sa lame après la bataille contre les singes de la jungle, les humains. Il se rua vers le côté opposé du navire, cherchant peut-être un moyen de se rendre utile à la bataille d’une autre manière. Pour s’assurer de ne pas avoir perdu la main, il égorgea par surprise deux archers asurs, s’ouvrant ainsi la voie vers l’autre navire, où il put apercevoir Sarquindi se battant avec une femelle asur. Une princesse elle aussi ? Il les observa plus attentivement, cherchant à repérer si la proie de Sarquindi était plus forte ou non que la sienne.
Sarquindi venait de sabrer un archer dans le château arrière. N’étant pas immédiatement menacé, il se baissa et enfonça ses doigts dans l’orbite de sa victime, en retira l’œil et le porta à ses lèvres. Il en goûta la surface avant d’y croquer à pleines dents.
En dessous de lui, les soldats d’élite de la troupe asure venaient de surgir sur le pont. La garde d’argent, lourdement équipée, forma rapidement une ligne derrière laquelle les archers asurs se réfugièrent. Les traits commencent à pleuvoir sur les corsaires. Plusieurs d’entre eux furent criblés de projectiles l’instant d’après, avant d’avoir eu la moindre chance de trouver un couvert.
Voyant le semblant de ligne de bataille que les hauts elfes tentaient de former, plusieurs druchii se regroupèrent et lancèrent un assaut contre le mur de bouclier de leurs cousins d’outre-mer. La violence du choc disloqua la ligne, mais coûta cher aux assaillants: huit d’entre eux furent rapidement transpercés par les lances. Les autres parvinrent à ôter la vie de plusieurs lanciers avant d’être repoussés par les moulinets de l’épée de Yelmerion. Un elfe noir se jeta sur elle mais fut décapité par un autre mouvement de la lame tourbillonante de la noble d’Ulthuan.
Sarquindi, pourléchant ses doigts couverts de sang, se releva. Il remarqua immédiatement la cheffe asure dans la mêlée et esquissa un rictus cruel. Il sauta face à Yelmerion. Contrairement à son nouvel allié, Sarquindi ne parlait pas en combattant. Sa lame parlait pour lui. Une première attaque fut parée in extremis par l’asure qui tituba sous la violence du coup. Une seconde ne rencontra que l’air. Au troisième coup, le corsaire écarta l’épée de son adversaire mais celle-ci parvint à se baisser pour esquiver la frappe. Un coup de genou dans le côté la fit malgré tout rouler sur le côté. Le tumulte du combat sépara alors les deux adversaires.
Frustré par la résistance imprévue de la noble, Sarquindi se jeta sur un lancier proche et l’éventra de bas en haut. Il ne vit qu’au dernier instant que Yelmerion le chargeait. Le druchii évita l’assaut d’un pas de côté et se remit immédiatement en garde. Les deux enchaînèrent les passes d’armes sans parvenir à prendre l’ascendant. L’acier de naggaroth passa plus d’une fois à un cheveux de la tête d’Yelmerion, mais celle-ci parvenait à tenir à distance les attaques les plus dangereuses par les mouvements de son épée à deux mains.
Un tir de carreau perdu sépara les duellistes qui s’écartèrent à nouveau. D’autres traits venus de l’autre bout du pont se plantèrent autour des combattants. Un soldat asur profita de ce bref répit dans le duel des deux capitaines pour tenter de s’interposer. Sarquindi lui planta sa lame dans le palais et dégagea le corps d’un coup de pied. En relevant les yeux sur la noble d’Ulthuan, il la vit retirer son épée du corps d’un corsaire.
Ce fut alors que Phy’lis fit irruption au travers de la foule. Le comédien attira l’attention de Sarquindi en pointant un combattant à l’autre bout du navire. Celui-ci haranguait ses troupes et mettait à rude épreuve la garde d’un marin druchii. Son armure immaculée et son grand heaume blanc irradiaient de lumière dans les ténèbres de la nuit. Le capitaine corsaire reconnut aussitôt celui qui l’avait blessé lors de l’abordage deux jours plus tôt. Son sang ne fit qu’un tour. Délaissant sans même un regard la jeune elfe qu’il affrontait un instant plus tôt, il se rua à l’assaut d’Aetholdyr, qui combattait à l’autre bout du navire.
Phy’lis regarda son allié de fortune s’éloigner, puis se tourna vers Yelmerion avec une révérence.
« M’accorderiez-vous cette danse fortuite ? J’ai ouï dire que votre vie était à prendre, et il se trouve que ma lame manque de compagnie »
Au beau milieu du chaos, des combats, des lames qui chantent et s'entrechoquent, des flèches qui sifflent, des cris de guerre et des râles d'agonie ; au beau milieu de tout cela se tenait Aetholdyr.
Le prince de Cothique avait perdu de sa superbe, criant, s'époumonant tout en donnant des ordres à ses troupes, avec une fougue à peine maîtrisée. Le flegme avait définitivement abandonné son esprit, désormais habité par la hargne et la culpabilité.
"Archers! Tirs à volonté! Tirs à volonté, bon sang !!" ordonna-t-il, plus qu'énergique dans son ton.
Sa patience avait été entamée, son orgueil avait beaucoup trop été froissé. L'aube approchait, et pourtant l'avenir s'assombrissait.
D'abord il y avait eu cette embuscade, aussi soudaine qu'imprévue, le prenant de court lui et ses hommes, plongeant tout le navire dans la confusion.
Ensuite, il y avait eu ce grotesque emplumé, qui l'avait littéralement abordé avec ses mots comme avec ses lames. Ce comique, avec ses tirades grandiloquentes, s'était sûrement crû dans les amphithéâtres de Lothern, à se dandiner dangereusement dans son costume, tout autour du noble.
Toutefois, ce dernier avait fini par lui faire comprendre que la situation était bien plus sérieuse et tragique qu'il ne le croyait.
Oui, il le lui avait fait comprendre, mais pas de manière définitive...
Quelle honte.
Comment ne l'eut-il pas tué ? Comment lui, un Grand de Cothique, un fier guerrier à l'entraînement de plusieurs siècles, avait-il pu laisser ce dégénéré échapper à son destin ?
Il fallait effacer cette humiliation.
Subitement, Aetholdyr tourna la tête dans tous les sens.
Plus il regardait autour de lui, plus il voyait que la situation était précaire, voire franchement mauvaise.
Partout sur le navire, les hauts-elfes semblaient débordés, isolés, tentant tant bien que mal de repousser les vagues d'assaillants druchii. Les asurs combattaient dos à dos, ou bien dos aux bastingages, aux murs, quand ils n'étaient pas dos au sol, déjà morts.
En cet instant crucial, plus que les ordres, plus que les mots, ce sont les actes qui comptent. Avec le prix du sang, peut-être que le prince pourra racheter son honneur...
Au milieu de tout ce tumulte, il aperçoit alors cinq gardes maritimes, coincés au niveau de la proue, se battant bec et ongles, avec acharnement face à sept squales de Naggaroth.
Réfléchissant à peine, relevant son bouclier, abaissant sa lance, poussant un grand cri de guerre ; c'est avec une hardiesse insoupçonnée que le prince de Cothique fonce sur eux, les percutant sur leurs flancs, les prenant au dépourvu:
"Courage!" cria-t-il, donnant un grand coup de bouclier à l'un d'entre eux, le déstabilisant, le projetant au sol pour ensuite lui planter sa lance dans la gorge.
"Ténacité!" continua-t-il, tuant un deuxième squale, l'empalant, le transperçant de part en part avec son arme au niveau du torse.
"Abnégation!" conclut-il, son arme fendant l'air, se figeant dans le ventre d'un autre corsaire qui tomba à genoux, grimaçant de douleur avant de mordre la poussière, le prince lui donnant un ample coup de pied, retirant par là même sa lance de son corps, désormais sanguinolente.
A six contre quatre, motivés et soutenus par leur seigneur, les hauts-elfes prirent l'avantage, ne tardant pas à occire promptement les druchii restants.
De suite après, avec rapidité, les gardes de Lothern s'alignèrent sur leur chef, comprenant instinctivement ce qu'il attendait d'eux.
En une seconde, au milieu des combats et des clameurs, les boucliers se levèrent et les lances se baissèrent silencieusement ; en un clin d'œil, dans un grand claquement, les écus se vérrouillèrent simultanément, formant ainsi un début de phalange.
Tout n'était pas perdu, pas maintenant, pas encore.
Les enfants d'Isha peuvent plier, mais ils ne rompent pas. Jamais.
Avançant pas à pas sur le pont du navire, animé par un prince et des gardes austères comme déterminés, le mur de boucliers se porta au secours des autres guerriers asurs qui, envers et contre tout, se battaient encore sur le pont.
Les attaques des corsaires naggarothii, fulminants, ivres de rage, s'écrasèrent contre la phalange des gardes disciplinés d'Ulthuan, galvanisés par la présence de leur prince.
"Hardi soldats! Hardi!
Prêts à l'action!
Prêts au combat!
Prêts pour notre nation!
Prêts au trépas!!"
Les paroles d'Aetholdyr résonnèrent sur toute la nef, et ceux qui l'entendirent redoublèrent d'ardeur dans leur défense.
Non. La défaite ne les accablerait pas, pas aujourd'hui.
Dans ces affrontements, dans cette boucherie semblant sans fin, la formation tient bon.
Du sang, beaucoup de sang est versé, des écus sont défoncés, des lances sont brisées, mais la volonté, elle, reste intacte. Petit à petit, l'offensive des druchii est encaissée, voire même contenue.
Alertés par les bruits du combat, d'autres asurs surgissent ainsi des entrailles du navire, armés, armurés et parés à en découdre. Ces renforts, plus que précieux, rejoignent rapidement la phalange, verrouillant à leur tour leur boucliers ; ou bien ils se postent sur la dunette, bandant leur arcs avec célérité, lâchant des volées de flèches sur les corsaires, perturbant désormais leur assaut avant même qu'il n'atteigne le mur de boucliers.
Courage ; Persévérance ; Discipline: voilà ce qui ferait pencher le sort du combat en faveur des ulthuanii. Le prince savait cela, et malgré la situation incertaine, il était persuadé que la victoire lui reviendrait grâce à ces qualités.
Quand soudain, une nouvelle vague, une nouvelle charge des druchii s'abattit sur son vaisseau.
Le choc et l'affrontement qui s'ensuivirent furent encore plus sauvages, brutaux et meurtriers que les précédents.
Dans un grand fracas, avec une violence inouïe, la plus amère des haines se heurta à la plus inflexible des résolutions.
On se battait sur un plancher gorgé de sang, et plus seulement pour vaincre, mais aussi pour tuer, pour exterminer son adversaire. Dans les deux camps, on hurlait désormais à mort, on se rouait de coups, on se combattait tout en piétinant les blessés et les mourants sous ses pieds.
Beaucoup d'elfes noirs moururent, percés et lardés de coups de lances ; mais de nombreux hauts-elfes connurent aussi le même sort, tellement en fait que le mur de boucliers faillit céder face à cet assaut semblant implacable.
Très vite, le prince de Cothique reconnut celui qui menait cette attaque. Un mélange de dégoût et de mépris s'empara alors de lui.
Contre toute attente, ce sale traître, dont les ancêtres pervertis avaient partagé le même air et les mêmes terres que ceux d'Aetholdyr, était encore en vie.
Comment ce maudit bâtard a survécu à la cuisante défaite que le prince lui avait infligée plus tôt ?
Un corsaire se jetant sur lui, Aetholdyr n'eut pas le temps d'approfondir cette question.
Un pas de côté, et la lame du squale ne fendit que l'air ; un coup de bouclier, et l'elfe se retrouva sonné, à terre ; un coup d'estoc dans le cœur, et l'adversaire n'était plus.
Tout ceci attira l'attention du capitaine des druchii, qui reconnut alors le prince.
Au beau milieu de la mêlée, les deux personnages se toisèrent d’un regard des plus noirs.
D'un geste vif, Aetholdyr lâcha son bouclier, le laissant tomber à terre, se saisissant de sa lance à deux mains, resserrant sa prise sur la hampe de son arme alors qu'il faisait un pas dans la direction de sa némésis.
L'existence de ce capitaine était une infamie à elle seule, sa mort n'était donc pas une nécessité, mais un devoir. Et la véhémence envahit le prince à l'idée de l'accomplir.
"Meurs, charogne !" s'exclama-t-il, impétueux, avant de se précipiter sur son opposant, qui fit de même.
L'affaire était désormais personnelle...
Sarquindi s’aperçut avec une joie suffocante de cet énervement passager mais fatal de l’asur ; il lui fallut faire preuve d’un art martial proprement diabolique pour esquiver l’estocade experte du prince à la dernière seconde, la pointe de sa lance lui laissant une profonde entaille au cou. Entaille profonde et douloureuse mais ô combien lointaine de lui ôter la vie… (Aetholdyr : 3T, 1T annulée, 2T, 2B, 2 PV !!)
Lui-même n’allait pas rater sa proie, oh que non, sa propre lame filant droit vers la trachée exposée du prince… qui se déroba en arrière, dans une chute disgracieuse, lâchant sa lance, tout pour s’éloigner de ce fil d’acier qui allait le tuer… Il finit dos à terre, complètement à la merci du corsaire, lisant dans le regard de celui-ci une seconde d’hésitation, une éphémère tentation vaniteuse de glisser quelque toxique remarque avant le coup de grâce… (Sarquindi : 5T, 1T annulée, 4T, 4B, 1 invu, 3 PV !!!)
« ISHA ET KHAINE !! »
Sarquindi manqua d’être empalé par trois lances d’un seul coup, effectuant une roulade latérale qui lui valut une retraite salvatrice vers le bord du navire où ses corsaires continuaient d’affluer. Dans une rage impuissante, il ne put qu’assister à la formation d’un mur de boucliers asurs autour du prince qu’il avait terrassé et raté d’un cheveu.
Aetholdyr ramassa sa lance et voulut ordonner à ses lanciers de lui faire place mais, à son ultime consternation, constata que ses jambes le supportaient à peine, tant son corps avait senti son existence menacée ; ses doigts tremblaient également, son cœur ratait des battements, sa respiration était haletante. Invoquant la sagesse de ses ancêtres à son aide, le prince de Cothique profita du bref répit que lui accordèrent ses elfes aussi longtemps qu’il le put.
Le duel des deux commandants parut presque décupler la violence des affrontements sur le pont ; dans le chaos des lames et des projectiles, Khaïne s’emparant petit à petit de tous les esprits, le prince et le corsaire n’eurent plus de combat singulier.
“Quel nom devrais-je écrire sur ta tombe ?” dit Yelmerion en interrompant le silence.
“La mort qui est au programme aujourd'hui n'est pas la mienne." répondit le corsaire
"Au moins tu auras une épitaphe, je me prénomme Yelmerion d'Yvresse !"
Elle exécuta une brève salutation de son épée avant d'engager le duel. Elle commença par un coup horizontal pour couper son adversaire en deux. Phy'lis, plus préoccupé par sa survie que par l'offensive, recule face à la première attaque, laissant la lame cueillir certaines de ses plumes. Revenant à la raison après un fantasme de combat facile, il fit jongler sa dague d'une main à l'autre pour passer à l'offensive. Une offensive d'apparence confuse, mais à l'incohérence calculée. Yelmerion ne prêta aucune attention à son adversaire. Qu'il danse aux joutes, il reste une cible en mouvement imprévisible. Elle prit son élan et courut sur le druchii avant de tourbillonner sur elle-même.
Phy'lis s'imaginait que ce duel serait un coup bas dans un chaos irrationnel, celui d'une bataille où la confusion régnait en maîtresse absolue. Or, ce fut lui qui fut confus de voir la guerrière elfe se mettre à effectuer de grands moulinets avec son épée sur le pont de son propre navire. Ni grâce, ni préparation, celle-là refusait de danser avec lui. C'était une des raisons pour lesquelles il détestait les femelles. Incapables de se joindre à sa vision esthétique de chaque action. En tout cas, il perdit plus que des plumes, car il lui fallut se jeter à terre pendant que le lourd métal de la lame tranchait tout un plan de l'espace, écartant avec la subtilité d'un rocher les elfes et les cordages qui pouvaient se trouver sur son chemin. Au sol, déboussolé. Voilà que Phy'lis était une proie parfaite. La princesse s'arrêta lorsqu'elle vit le druchii se mettre à terre. Cette technique, bien que pratique, était assez déboussolante une fois terminée ; heureusement, Yelmerion était encore lucide et abattit son épée sur l'elfe noir encore au sol. "Vraiment, aucun nom." dit-elle en faisant cela.
Phy'lis se sauva de peu en roulant sur le sol, mais il comprenait à quel point sa situation devenait intenable. En un mouvement dont la souplesse évoquait celle d'un serpent, il se redressa à côté de l'asur, sa lame prête à frapper. Viser la gorge lui semblait le mieux, mais dans son arrogance il commit une erreur en annonçant son attaque, sifflant à la méprisable haut-elfe: "Si vous en étiez digne je vous l'aurais bien dit, Mais de dignité, ô le plus lamentable des êtres, vous n'en eûtes jamais un atome !"
Yelmerion se retourna en tenant son épée dans sa main pour un mettre un coup de poing avec sa main droite pour faire reculer son adversaire, puis elle continua en prenant son épée à deux mains. Son épée vint verticalement vers le druchii, alors que l'asure ne montra que son flanc droit.
"La plus lamentable, vous m'en voyez navré mais vous n'arriverez jamais à vous faire connaître ainsi !"
Le coup de poing fut sans doute plus douloureux que le coup de lame qui s'ensuivit, d'une part parce qu'il eut rouvert une blessure récente de Phy'lis en dépit de ses mailles et, d'autre part, parce qu'il n'y avait rien de plus humiliant pour un combattant elfe. Il avait l'impression de combattre un orque, un orque qui, comble de l'ironie, serait en train de gagner. Mais l'épée ne fut pas indolore pour autant, loin de là. Elle disloqua son armure camouflée et le fit reculer de terreur, un membre lacéré et fracturé, ou presque. Difficile à dire, car une adrénaline fielleuse coulait à présent dans ses veines. Le regard qu'il posa sur son ennemie était celui d'un sauvage chasseur de scalps. Il cligna des yeux. Il s'était assez éloigné pour préparer une nouvelle manœuvre, mais à présent son esprit oscillait. La fuite était peut-être une option viable. Remarquant que son adversaire semblait perdu dans ses pensées, Yelmerion prit appui sur un corsaire agonisant, un pied sur le sur la partie inférieure de la jambe, un autre dans son dos puis dans sa nuque, tout ça pour s'élancer en l'air avec un coup pied retourné, projetant Phy'lis une nouvelle fois à terre.
"Arrête de dormir ! C'est un duel à mort, pas une auberge"
Il y avait ce ton de mépris dans sa voix. En réalité, elle défoulait sa frustration sur le druchii. Phy'lis se retrouvait réduit à esquiver des coups, chacun trop puissant pour qu'il puisse les encaisser. Au final, dans une cabriole, il s'écarta vers le bastingage du navire en évitant la pointe de l'épée de Yelmirion. Il passa sa colère sur quelque archer qui avait le malheur de passer par là, qu'il poignarda et rejeta en direction de son adversaire. Puis il lança à la capitaine asure un regard de défi en posant un pied sur le rebord du navire. D'une impulsion, il prit de la vitesse et, tandis qu'elle le talonnait, il sauta par dessus la tête de l'asure, atterrit derrière elle dans un mouvement gracieux, s'épousseta puis partit en courant dans la direction opposée, ne cherchant plus à continuer le combat.
Yelmerion le poursuivit un instant avant de le plaquer au sol et de le martyriser à coup de poing, laissant son épée à côté. Plaqué au sol, à la merci de l'elfe, il ne dut sa survie qu'à la colère irraisonnée de celle-ci. Plutôt que de saisir une dague pour l'achever, elle préférait le frapper avec ses poings gantés de métal, arrachant la splendeur emplumée de ses vêtements, et plus encore celle de son amour propre. Heureusement, Phy'lis n'avait pas, lui, de tels scrupules dans sa haine. Il ne vit pas exactement ce qui se passait, mais il y eut une ouverture, il se glissa avec un froissement de plumes et caressa la gorge de Yelmirion avec sa dague, mais finalement dirigea sa lame vers le nez de princesse d'Yvresse, lui arrachant un bout de chair, minuscule mais au beau centre du visage, donc bien visible. "Voici comment vous me retiendrez en mémoire, camarade !"
« Espèce de fou damné !! »
Elle s’empara de son poing armé et tordit le membre avec une telle violence que le visage du druchii se tordit sous la douleur alors que ses doigts lâchaient la dague. (Yelmerion : tests réussis ! 3T, 2B, 2 PV !!)
Phy’lis eut alors un geste quasi instinctif, sa main libre se plaquant cruellement contre le visage de la princesse, ses longs ongles s’enfonçant dans sa peau délicate ; désorientant ainsi son adversaire, le comédien la repoussa et s’apprêta à lui rendre la monnaie de sa pièce… (Phy’lis : 1T, 1B, 1 PV !) Ce fut sans compter sur les réflexes de celle-ci : dans sa chute en arrière, Yelmerion se rattrapa sur ses paumes derrière elle, regroupa ses jambes et se détendit subitement tel un ressort, les talons de ses bottes jointes percutant le faciès du druchii avec une violence toute relative, mais qui suffit à inverser la trajectoire de son assaut et lui faire voir trente-six chandelles ! Lorsque Yelmerion se releva, elle le vit à terre, frémissant comme si son corps essayait désespérément de s’affranchir de l’impuissance soudaine de son esprit. (Yelmerion : tests réussis ! 4T, 3B, 3 PV !!! Phy’lis : 2T, 0B)
À peine voulut-elle ramasser son épée pour en finir que sa vision périphérique capta, se détachant nettement dans un rayon de lune, toute une nuée de javelots dirigée droit sur la scène du duel… Elle ne dut son salut qu’à un bouclier qui trainait à portée de main, les projectiles en bois rebondissant sèchement sur la surface polie de l’objet.
Yelmerion n’aperçut pas son détestable adversaire s’emparer d’un cadavre encore tiède pour ne pas lui-même finir décimé par la salve…