« Il y a quelqu’un sur un tronc ! Je crois que c’est lui !
- A sa rencontre ! Vite !» répondit un autre druchii du tac-au-tac.
Aussitôt, une chaloupe fut mise à l’eau et une poignée de marins ramèrent avec hâte à la rencontre de leur capitaine. Assis en tailleur dans son embarcation de fortune, enroulé dans sa cape trempée, Sarquindi semblait à peine prêter attention à son navire. Sur le pont de celui-ci, les druchii s’échangeaient des regards entendus, rassurés ou haineux. Une poignée d’elfes parmi les conspirateurs les plus bavards quittèrent le pont ensemble juste avant que leur capitaine n’y pose les pieds. Celui-ci, toujours drapé dans sa cape, balaya du regard les membres d’équipage qui s’étaient rassemblés autour de lui.
« Content de vous revoir mon capitaine, commença un vieux marin.
- Silence ! le coupa Sarquindi. Ne restez pas comme ça à ne rien faire. Je m’absente plusieurs heures et dans le délai vous n’avez pas remis ce tas de bois pourri en état ? Terminez les réparations ! nous repartons dès que possible.
- Bien Capitaine, répondit l’équipage à l’unisson.
- Toi là ! Lança le chef druchii à un de ses marins, je meurs de faim ! Va me chercher une ration de viande.
- Tout de suite Capitaine.
- Et au passage, tu iras me chercher le médecin de bord. Cette balafre ne va pas se nettoyer toute seule, ajouta-t-il en posant un doigt sur une légère blessure encore humide sur son front.
L’équipage de corsaires se dispersa immédiatement. Le capitaine se hâta vers l’escalier qui menait à sa cabine. Tout à leurs missions, et fuyant les regards meurtriers de Sarquindi, aucun marin ne remarqua que celui-ci boitait.
Un dernier souvenir revint en mémoire du médecin. Il avait été appelé en secret par le capitaine, en pleine nuit, pour soigner une horrible blessure qu’il avait sur la joue. Avant d’ouvrir la porte de la cabine, Kielmir frissonna en se rappelant ce que le corsaire avait dit cette nuit-là, le visage en sang et une mâchoire dans la main : « Voilà ce qui arrive quand on joue avec sa nourriture ». Il respira un grand coup et entra dans la pièce.
« Je suis content de vous savoir à nouveau à bord, Capitaine. J’ai ce qu’il faut pour votre front.
- Fermez la porte derrière vous, le coupa Sarquindi. »
Le vieil elfe s’exécuta, puis se retourna vers le chef corsaire. Celui-ci était assis sur sa banquette, courbé, les mains sur le ventre. Sur son visage couvert de sueur se lisait une douleur vive.
« Avant que vous ne fassiez quoi que ce soit, Kielmir, sachez que j’ai envoyé un message à Naggaroth ordonnant que vous soyez exécuté à votre retour. Si je ne suis pas en état de donner le contrordre après votre travail, même l’esclave le plus pouilleux de nos cales ne vous enviera pas.
- Je ferai de mon mieux pour soigner votre front, répondit le médecin, impassible.
- Ce n’est pas le front. »
Sarquindi se força à se relever et écarta sa cape. L’envers de celle-ci était maculée d’une large tâche rouge sombre. Puis, le corsaire enleva sa main de son ventre, dévoilant une blessure autrement plus sérieuse que sa balafre au front : la surface de son abdomen ne ressemblait qu’à un mélange humide de lambeaux de peau et de tissus. Des dents de poissons étaient plantées dans les chaires suintantes de pus et de sang. Au milieu de tout cet organique chaos, un trou profond vomissait du sang à chaque respiration.
« Je savais que vous aviez reçu un coup de lance, je n’imaginais pas que c’était si sérieux, murmura le médecin en s’accroupissant pour regarder le massacre de plus près.
- Ces eaux sont pleines de saloperies, elles se sont ruées sur la blessure. J’ai eu de la chance d’avoir pu grimper sur ce tronc.
- Je vais nettoyer la surface pour éviter l’infection. La peau est complètement fichue sur une zone assez étendue, mais ce n’est pas trop abîmé profondément. Je suis plus inquiet pour la déchirure centrale. Est-ce que la lance a traversé jusqu’au dos ?
- Si elle ne m’a pas encore tué, elle ne le fera plus. Faites ce qu’il faut pour que je puisse me battre dès demain.
- Je pourrai peut-être recoudre un peu là-dedans, hésita Kielmir en pointant le fond de la blessure. Vous pourrez éventuellement bouger avec un bandage très serré, et avec des potions pour calmer la douleur. J’irai vous en chercher tout à l’heure. Mais je ne peux pas sans vous mentir vous garantir que vous serez au mieux de votre forme.
- Je préfère que vous fassiez votre travail. Il y a déjà assez de menteurs à bord. »
Le médecin rapprocha un tabouret de la banquette, et fit allonger son capitaine qui grognait. Il ouvrit la petite boite qui contenait ses outils de travail, en sorti quelques boulettes d’herbes qu’il tendit à Sarquindi. Ce dernier s’empressa de les mâcher énergiquement et ses traits se décrispèrent alors que la douleur se calmait un peu. Kielmir prit un petit couteau à la lame courbée, une poignée de linges et commença à nettoyer la plaie.
« Qu’est-il arrivé au kharybdiss ? demanda le médecin sans quitter son œuvre des yeux.
- Aucune idée. Il a coulé à pic avec une nuée de poissons après lui. Je ne donnerais pas cher de sa peau. »
Plusieurs minutes s’écoulèrent, ponctuées par les bruits des outils de Kielmir et par les grognements de douleur de Sarquindi. Les linges...
« Que comptez-vous faire ensuite ?
- Le rêve d’Atharti va se lancer à la poursuite de ces ulthuaniens.
- Vos blessures sont encore graves.
- Peu importe ! Elles ne m’empêcheront pas d’arracher une à une les côtes de ce lancier. »
Après encore une heure d’ouvrage, le vieil elfe releva le capitaine et commença à l’enserrer dans des bandages. Les premières couches se couvrirent presque immédiatement de marques écarlates, mais le médecin les couvrait immédiatement d’une nouvelle épaisseur de tissus. L'opération dura longtemps dans la soirée.
« Êtes-vous réveillé ? M’entendez-vous ? »
Phy’lis n’accorda pas de réponse immédiate à la prêtresse qui s’adressait à lui : il était trop occupé à examiner les alentours, à comprendre sa situation et estimer les ressources exactes dont son équipage disposait désormais. Au vu des quelques feux de camp allumés sur la rive de l’Amaxon, il devenait aisé de comprendre qu’ils n’avaient pas été entièrement décimés par les impériaux, probablement vaincus et mis en déroute mais nullement exterminés. Quelques menues denrées subsistaient ça et là près des silhouettes accroupies près des feux, ce qu’ils avaient débarqué quelques heures auparavant pour passer la nuit. Du vin, du pain, de la viande, des fruits, de quoi subsister à peine quelques jours sans avoir à chasser. Encore une fois, aucune trace du reaver dans son champ de vision. L’elfe noir sentit la bile lui monter au ventre : dépouillés de leur précieux moyen de transport, par des chiens d’impériaux, à quel point pouvaient-ils encore sombrer dans la déchéance ?
« Si vous ne m’écoutez pas, nous vous laisserons ici, au milieu de nulle part. »
Phy’lis foudroya l’amazone du regard : estimait-elle qu’ils étaient faibles au point de se faire prendre de haut ?
« Si je suis là, c’est parce que votre défaite est également une défaite pour mon peuple, elfe. Vous avez tout intérêt à m’écouter.
- J’écoute. »
Si son équipage pouvait encore se défendre, lui nécessiterait encore un moment pour se remettre de sa blessure.
« Ces humains qui vous ont pris votre navire, mon peuple les veut morts.
- Moi aussi, gardienne…
- Alors le marché est simple : je vous procure des embarcations pour naviguer sur le fleuve sacré. Vous rattrapez ces humains et débarrassez le fleuve de leur présence pour de bon, rachetant votre honneur.
- Notre honneur ! Phy’lis se ravisa avant d’éclater de rire : sa blessure pouvait en pâtir. Notre honneur, par Khaïne, notre honneur. Prêtresse amazone, votre offre m’intéresse, pourvu que vous ne parliez que de choses que vous connaissez.
- Nous vous guiderons vers nos esquifs. Ils appartiennent au fleuve, au fleuve sacré. Avisez-vous seulement de vous montrer parjures, le fleuve sacré vous reprendra ces embarcations aussitôt. »
Phy’lis s’efforçait de maintenir une prestance sur la couche sommaire sur laquelle il était à moitié allongé. Il comprenait qu’une raison particulière semblait maintenir l’animosité entre cette prêtresse et les impériaux et sa curiosité le démangeait. Cependant, sa blessure le démangeait encore davantage et le visage pathétique de Theyclos était la cerise sur le gâteau. Il ne s’intéresserait pas tout de suite aux affaires privées des amazones. Le choix était clair : ils seraient de nouveau à flots au lever du jour.
« Theyclos ! »
Le corsaire répondit à son appel rapidement, trop craintif pour oser impatienter son maitre, surtout quand il appelait son nom aussi sèchement.
« Messire, vous désirez savoir ce qui s’est passé c’est bien cela ?
- Éclairez moi… associé…
- J’ai … j’ai fait un bilan de tout ce qui a été perdu. Nos guerriers n’ont pas trop souffert, car la pestilente vermine de misérables singes infestés de puces… s’est ruée vers le navire pour nous le voler. Heureusement, ce qui était déjà débarqué a pu être sauvé. De… de quoi boire et manger… Malheureusement, pour votre collection de plumes… et bien, une partie est tombée dans le fleuve pendant les combats...
- Et mes fumigènes ?
- Nous les avons encore, heureusement… vous pourrez penser à les utiliser pour votre prochain spectacle… héhé »
Il s’interrompit pour regarder Phy’lis de face, chose qu’il regretta immédiatement. Le tragédien avait une mine différente, immobile. L’expression de son visage n’était pas différente de celle qu’il affectait habituellement, mais son impassibilité de surface lui donnait un tout autre sens. Des mouches volaient autour de lui, devant son visage, à quelques centimètres de ses yeux, mais il ne bougea pas. Les mains dans le dos, les paupières ouvertes, le regard sanglant.
« Et les esclaves ?
- Et bien… vous aviez demandé à ce que les rameurs passent la nuit à leur poste pour qu’on puisse repartir en vitesse en cas de danger… et… il semblerait que les humains les aient pris avec eux… recrutés…
- Qu’ouïs-je ? Vous avez l’impudence de pointer cela comme une de mes décisions ? Comment se fait-il que vous, responsable de l’équipage, soyez encore vivant alors que les humains ont pris le navire ? Qui, dites moi, aurait dû se trouver à son bord pour le défendre jusqu’à la fin ? Qui, dites moi, aurait dû accrocher son âme à son reaver pour être prêt à ce que jamais le navire ne trahisse et à ce que jamais un marin ne trahisse le navire ? Songez seulement au malheureux, ô malheureux vaisseau blasphémé, souillé de son inhérente fierté, décousu dans sa race et son visage, dépravé par les mains épaisses et crasseuses de primates dégoutants ! Qui, sans nul marin, chantera le malheur de ce navire condamné à passer et repasser entre les mandibules dégoulinantes de ces êtres ? À voir son cordage fin écorché entre des paumes calleuses, et sa barre tordue par les coups de butoir d’une guenon ! Qui lui viendra en aide lorsque ses précieux composants, cédant sous la contraction de l’âge et des maniements mesquins, se briseront, et qu’on introduira dans son sein magnifique des éléments rafistolés de mains humaines, collants, effrités, et rudes ? Qui chantera son cri de détresse chaque fois que contre son gré il apportera richesse et victoire aux plus indignes tortionnaires qu’il ait eu ? Ceux qui le délient de son pouvoir et des chaines qui le nourrissent ! Ceux qui bafouent la foi qu’il incarne et ceux qui…
- Sauf votre respect messire, ce reaver était d’occasion.
- Je ne vous permet pas.
- Certes, mais continuez si vous le voulez.
- Non je ne le veux pas. Je suis las. Las. Je vais devoir passer cet accord avec ces indigènes et me reposer sur leurs navires à eux. »
Phylis laissa échapper un soupir d’une délicate élégance mais exprimant une lassitude infinie.
« Au fait, avant que j’oublie. »
Il fit signe à deux de ses corsaires et leur désigna Theyclos.
« Tenez-le-moi s’il vous plait. »
Les deux corsaires se jetèrent sur Theyclos et le saisirent par les bras. Le lieutenant tenta bien de se débattre, mais il fut trop lent à la détente et on l’immobilisa. Phy’lis fit signe qu’on l’amène devant lui, tandis qu’il demandait gracieusement à un autre corsaire de lui prêter sa dague.
« La mienne est empoisonnée, et ce n’est pas ce que je cherche. »
Une fois à son aise, et Theyclos immobilisé, Phy’lis se dirigea vers lui à pas lents, lui attrapa délicatement le visage, et commença son office. Quelques coups rapides pour retirer les deux petites masses pulpeuses qui ornent tout visage, puis il s’écarta d’un pas avec les lèvres de Theyclos dans les mains. Il répéta deux fois un geste simple, plongeant ses dents dans la chose, l’aspirant goulument, la mâchonnant doucement, et l’avalant avec un grand glup. Une fois pour la première, puis sans hésitation pour la deuxième. Les deux petits morceaux de viande furent dégustés. Puis enfin il rendit sa dague au corsaire à qui elle appartenait, et tout en le remerciant lui demanda :
« Comment t’appelles tu ?
- Vehiyash.
- Fort bien. Tu prends à compter d’aujourd’hui la place de Theyclos comme quartier-maitre. Je compte sur toi Vehiyash.
Nous ferions mieux de ne pas perdre plus de temps en ces lieux. Il nous faut le plus rapidement possible trouver de nouveaux esclaves. Passe en revue nos troupes, et prépare l’appareillage des navires ! »
Il dirigea à nouveau son regard vers les amazones. Il devinait bien qu’elles contrôlaient tout dans les environs, et qu’il valait donc mieux rester en bon termes avec elles. Pour l’heure, elles fourniraient des vivres et des bateaux. Il vint toutefois se poster devant la cheffesse de ces tribales créatures. Alors qu’elle étrécissait son regard dans l’attente d’une provocation, Phy’lis, qui lorgnait l’amazone avec avidité, lui offrit un sourire carnassier.
« Je vois que vous arborez une coiffe splendide. Aussi, j’ajouterais bien une clause à notre contrat. Avez vous des plumes en surplus ? »
L’amazone n’aurait pas pu être plus surprise. Mais en haussant les épaules, elle acquiesça.
L’enthousiasme de Phy’lis quand les amazones lui montrèrent les plumes d’oiseaux qu’elles avaient collectées rappelait celui d’un enfant. Il sautillait entre ces immenses panaches de paons aux roucoulantes teintes vertes et bleutées, ces plumes longues de trois coudées où se mêlaient des motifs étonnants. Aussi ces plumes d’oiseaux exotiques teintes en toutes les couleurs, mais chacune ayant des proportions et des formes jusque là inconnues. Phy’lis parvint à tout à fait oublier sa blessure au flanc, et il se jeta avec entrain sur les plumes qui lui plaisaient et se constitua en vitesse une grande tenue qui redonnait vie à son esprit d’acteur.
Des panaches impressionnants devaient alors recouvrir sa cape, jaillir de ses épaules brasurées et multicolores, tandis qu’un chapeau de feutre, ironiquement d’une mode humaine, était piqué des plumes les plus magnifiques du lot. Il n’avait même pas l’air d’un gros oiseau bouffi, mais d’un carnaval ambulant, volumineux mais assez léger pour voler, gracieux et froufroutant, si emplumé qu’on aurait crû que d’un battement d’ailes il puisse prendre son essor. Bien entendu, le tout conjugué à la grâce elfique et cruelle de ce tragédien, qui désormais se sentait plus puissant, comme si les plumes étaient une preuve de pouvoir. Il était devenu si enthousiaste après ce don gracieux des amazones que, dans une panoplie de révérences et de saluts extatiques, il leur répéta avec une profondeur de parole et une virulence d’affirmation digne de grands opéras qu’il tiendrait sa part du contrat.
« Et le fleuve rutilera sous la clairsemante présence azurée de ma canopée chercheuse de sang, moi qui roulera sur ses flots en une quête à l’apogée inéluctable et tranchante dans un roulis immortel que de par mes divins soliloques j’enchante en feignant l’amour de la jungle. Rien ne fissurera ma détermination, et dans mon honneur noir autant que je suis beau, je verserai comme à la coupe d’ébène le sang que ce graal réclame. Je nourrirais mon plumage dans les corps massacrés de nos ennemis communs et respectifs, et je conquerrai tout ce qui ne l’a pas encore été pour la plus grande gloire de Khaine et la mienne qui en un reflet harmonieux éclaboussera de sang et de lumière tapageuse la verdoyante forêt qui borde le fleuve sacré qui nous guide, moi, mes alliés, et mon incomparable prestance chatoyante, vers la victoire la plus totale et la plus virulente. Le théâtre de Lustrie sera mon écrin, et ma magnificence en pillages se décuplera, tandis qu’une intrigante rame me propulsera au devant d’une destinée à l’image des grandeurs de mon être. L’Amaxon s’illuminera pour être la scène de ma victoire, celle où j’égorgerais les cabots ayant voulu mordre mon talon qui foulait avec ardeur l’adversité traitresse. Je ferais rougir ses eaux pour lui offrir satisfaction, et à Khaine j’offrirais en hommage un cortège d’horreurs sanglantes et trépignantes clouées sur des dards. J’empalerais ceux qui m’ont fait du tort, et j’offrirais leurs âmes et leur sang à Khaine ! Que mes promesses soient dignes de celles des princes et héros à la théâtralité glorieuse, et que ma victoire soit aussi assurée que celle du destin écrasant et magnifique qui officie pour le malheur des faibles l’intrigue sanglante des plus belles tragédies. »
Un petit salut, peut-être pour rappeler qu’il jouait la comédie, et d’un bond il sauta dans une des embarcations des amazones que ses corsaires faisaient manœuvrer avec une habilité toute relative. Ces embarcations basses et étroites se faisaient beaucoup trop discrètes dans la lugubre jungle environnante, faisant un piètre piédestal au comédien qui trépignait sans cesse, mais offrant une discrétion versatile pour pouvoir tendre une embuscade cruelle sur le chemin, s’il le fallait.
Bien sûr, ils s’éloignèrent rapidement du camp des amazones, les corsaires quelque peu à l’étroit se fatiguant à ramer en maugréant entre leurs dents au sujet des esclaves qu’il aurait fallu mieux garder. Phy’lis salua encore trois fois de suite en direction des amazones, pour leur dire toute sa gratitude. Un elfe noir n’était pas dépourvu d’honneur, et préférait toujours respecter ses promesses. C’était le cas de Phy’lis, mais seulement lorsqu’il ne jouait pas la comédie en tant qu’acteur bien entendu. Or, il était si bon acteur qu’il pouvait jouer la comédie en toute circonstance. Il avait bien compris que tant qu’il voyagerait sur ces navires, il serait dépendant du bon vouloir des amazones. Qu’à cela ne tienne, il trouverait un autre navire. Il le volerait s’il le fallait. Et des esclaves. Il lui fallait des esclaves.
Ne serait-ce que parce que sa colère n’était pas encore passée. C’était ainsi que s’exprimait la colère de Phylis, pas de cris ou d’éclatements, juste un changement de comportement subtil et discret, avec des gestes d’une violence exceptionnelle même pour un elfe noir. Manger les lèvres de Theyclos lui avait permis de retrouver un peu le moral en renouant avec certaines de ses vieilles coutumes. Mais il ne pouvait pas tuer ou mutiler plus de ses congénères, car il avait après tout besoin de cette bande de bras cassés. Quant à manger de la viande humaine, pouah ! quelle idée répugnante.
Il lui fallait plutôt noyer des gens. Ou les écorcher vifs. Avec des plumes peut-être. Cela serait une bien amusante chose à expérimenter. Planter des plumes dans la peau d’un esclave jusqu’à le faire ressembler à un oiseau, puis le plumer en enlevant la peau avec. Ah, qu’il pouvait aimer les plumes. C’était une de ses passions, une obsession. Il en avait presque de l’admiration pour les humains qui n’avaient de cesse d’accrocher des plumes à leurs chapeaux ou à leurs casques. Il avait tenté d’introduire la même mode à Karond Kar, mais on l’avait traité comme un original dépravé. Quel dommage.