[Event RP multijoueur] La Route d'Eldorado

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Essen
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Re: [Event RP multijoueur] La Route d'Eldorado

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Sur le pont du rêve d’Atharti, plusieurs marins elfes noirs scrutaient avec attention la surface de l’eau. Les autres s'attelaient aux réparations du navire, dans un silence de plomb. Dans l’attente du capitaine Sarquindi, l’équipage préférait jouer l’obéissance. Depuis le combat, il n’y avait eu qu’à peine quelques mots lâchés à haute voix. Mais dans les ombres des ponts inférieurs, quelques potentiels mutins osaient avancer des “si” dans les oreilles les plus influençables. Soudain, un des elfes à la poupe s’exclama:

     « Il y a quelqu’un sur un tronc ! Je crois que c’est lui !

     - A sa rencontre ! Vite !» répondit un autre druchii du tac-au-tac.

     Aussitôt, une chaloupe fut mise à l’eau et une poignée de marins ramèrent avec hâte à la rencontre de leur capitaine. Assis en tailleur dans son embarcation de fortune, enroulé dans sa cape trempée, Sarquindi semblait à peine prêter attention à son navire. Sur le pont de celui-ci, les druchii s’échangeaient des regards entendus, rassurés ou haineux. Une poignée d’elfes parmi les conspirateurs les plus bavards quittèrent le pont ensemble juste avant que leur capitaine n’y pose les pieds. Celui-ci, toujours drapé dans sa cape, balaya du regard les membres d’équipage qui s’étaient rassemblés autour de lui.

     « Content de vous revoir mon capitaine, commença un vieux marin.

     - Silence ! le coupa Sarquindi. Ne restez pas comme ça à ne rien faire. Je m’absente plusieurs heures et dans le délai vous n’avez pas remis ce tas de bois pourri en état ? Terminez les réparations ! nous repartons dès que possible.

     - Bien Capitaine, répondit l’équipage à l’unisson.

     - Toi là ! Lança le chef druchii à un de ses marins, je meurs de faim ! Va me chercher une ration de viande.

     - Tout de suite Capitaine.

     - Et au passage, tu iras me chercher le médecin de bord. Cette balafre ne va pas se nettoyer toute seule, ajouta-t-il en posant un doigt sur une légère blessure encore humide sur son front.

     L’équipage de corsaires se dispersa immédiatement. Le capitaine se hâta vers l’escalier qui menait à sa cabine. Tout à leurs missions, et fuyant les regards meurtriers de Sarquindi, aucun marin ne remarqua que celui-ci boitait.
******************
     En marchant jusqu’à la cabine de son capitaine, Kielmir se remémora les dernières fois où son capitaine l’avait appelé. Bien que le médecin de bord ait été l’un de ses plus anciens membres d’équipage, et un des elfes les plus âgés du navire, peu d’évènements lui venaient en tête. Il avait fait appel à ses talents après une bagarre lors d’une mutinerie deux ans plus tôt, et l’année précédente aussi, même si la blessure avait été moins grave. Sarquindi avait aussi eu besoin des services du médecin de bord lorsqu’il avait été touché par une arme à feu qu’utilisent les humains, lors d’une de ses premières expéditions.

     Un dernier souvenir revint en mémoire du médecin. Il avait été appelé en secret par le capitaine, en pleine nuit, pour soigner une horrible blessure qu’il avait sur la joue. Avant d’ouvrir la porte de la cabine, Kielmir frissonna en se rappelant ce que le corsaire avait dit cette nuit-là, le visage en sang et une mâchoire dans la main : « Voilà ce qui arrive quand on joue avec sa nourriture ». Il respira un grand coup et entra dans la pièce.

     « Je suis content de vous savoir à nouveau à bord, Capitaine. J’ai ce qu’il faut pour votre front.

     - Fermez la porte derrière vous, le coupa Sarquindi. »

     Le vieil elfe s’exécuta, puis se retourna vers le chef corsaire. Celui-ci était assis sur sa banquette, courbé, les mains sur le ventre. Sur son visage couvert de sueur se lisait une douleur vive.

     « Avant que vous ne fassiez quoi que ce soit, Kielmir, sachez que j’ai envoyé un message à Naggaroth ordonnant que vous soyez exécuté à votre retour. Si je ne suis pas en état de donner le contrordre après votre travail, même l’esclave le plus pouilleux de nos cales ne vous enviera pas.

     - Je ferai de mon mieux pour soigner votre front, répondit le médecin, impassible.

     - Ce n’est pas le front. »

     Sarquindi se força à se relever et écarta sa cape. L’envers de celle-ci était maculée d’une large tâche rouge sombre. Puis, le corsaire enleva sa main de son ventre, dévoilant une blessure autrement plus sérieuse que sa balafre au front : la surface de son abdomen ne ressemblait qu’à un mélange humide de lambeaux de peau et de tissus. Des dents de poissons étaient plantées dans les chaires suintantes de pus et de sang. Au milieu de tout cet organique chaos, un trou profond vomissait du sang à chaque respiration.

     « Je savais que vous aviez reçu un coup de lance, je n’imaginais pas que c’était si sérieux, murmura le médecin en s’accroupissant pour regarder le massacre de plus près.

     - Ces eaux sont pleines de saloperies, elles se sont ruées sur la blessure. J’ai eu de la chance d’avoir pu grimper sur ce tronc.

     - Je vais nettoyer la surface pour éviter l’infection. La peau est complètement fichue sur une zone assez étendue, mais ce n’est pas trop abîmé profondément. Je suis plus inquiet pour la déchirure centrale. Est-ce que la lance a traversé jusqu’au dos ?

     - Si elle ne m’a pas encore tué, elle ne le fera plus. Faites ce qu’il faut pour que je puisse me battre dès demain.

     - Je pourrai peut-être recoudre un peu là-dedans, hésita Kielmir en pointant le fond de la blessure. Vous pourrez éventuellement bouger avec un bandage très serré, et avec des potions pour calmer la douleur. J’irai vous en chercher tout à l’heure. Mais je ne peux pas sans vous mentir vous garantir que vous serez au mieux de votre forme.

     - Je préfère que vous fassiez votre travail. Il y a déjà assez de menteurs à bord. »

     Le médecin rapprocha un tabouret de la banquette, et fit allonger son capitaine qui grognait. Il ouvrit la petite boite qui contenait ses outils de travail, en sorti quelques boulettes d’herbes qu’il tendit à Sarquindi. Ce dernier s’empressa de les mâcher énergiquement et ses traits se décrispèrent alors que la douleur se calmait un peu. Kielmir prit un petit couteau à la lame courbée, une poignée de linges et commença à nettoyer la plaie.

     « Qu’est-il arrivé au kharybdiss ? demanda le médecin sans quitter son œuvre des yeux.

     - Aucune idée. Il a coulé à pic avec une nuée de poissons après lui. Je ne donnerais pas cher de sa peau. »

     Plusieurs minutes s’écoulèrent, ponctuées par les bruits des outils de Kielmir et par les grognements de douleur de Sarquindi. Les linges...

     « Que comptez-vous faire ensuite ?

     - Le rêve d’Atharti va se lancer à la poursuite de ces ulthuaniens.

     - Vos blessures sont encore graves.

     - Peu importe ! Elles ne m’empêcheront pas d’arracher une à une les côtes de ce lancier. »

     Après encore une heure d’ouvrage, le vieil elfe releva le capitaine et commença à l’enserrer dans des bandages. Les premières couches se couvrirent presque immédiatement de marques écarlates, mais le médecin les couvrait immédiatement d’une nouvelle épaisseur de tissus. L'opération dura longtemps dans la soirée.


* * *


     
Morrslieb éclairait les environs de sa lumière blafarde et malsaine. L’épiderme des trois amazones prenait alors une teinte olivâtre qui n’était pas sans rappeler les morts qui commençaient à redevenir poussière. Phy’lis ne se permit de s’attarder sur ce détail uniquement parce que si ces trois créatures lui voulaient du mal, il avait la certitude qu’elles l’auraient déjà causé. L’elfe noir tenta tant bien que mal d’ignorer la douleur cuisante qu’il sentait dans son flanc recouvert de bandages : cette guenon humaine ne l’avait pas raté, ou plutôt, ne l’avait raté que de très peu. Si Khaïne recevait suffisamment de sacrifices, peut-être leur permettrait-il de se croiser une seconde fois, qui serait la dernière…
     « Êtes-vous réveillé ? M’entendez-vous ? »
     Phy’lis n’accorda pas de réponse immédiate à la prêtresse qui s’adressait à lui : il était trop occupé à examiner les alentours, à comprendre sa situation et estimer les ressources exactes dont son équipage disposait désormais. Au vu des quelques feux de camp allumés sur la rive de l’Amaxon, il devenait aisé de comprendre qu’ils n’avaient pas été entièrement décimés par les impériaux, probablement vaincus et mis en déroute mais nullement exterminés. Quelques menues denrées subsistaient ça et là près des silhouettes accroupies près des feux, ce qu’ils avaient débarqué quelques heures auparavant pour passer la nuit. Du vin, du pain, de la viande, des fruits, de quoi subsister à peine quelques jours sans avoir à chasser. Encore une fois, aucune trace du reaver dans son champ de vision. L’elfe noir sentit la bile lui monter au ventre : dépouillés de leur précieux moyen de transport, par des chiens d’impériaux, à quel point pouvaient-ils encore sombrer dans la déchéance ?
     « Si vous ne m’écoutez pas, nous vous laisserons ici, au milieu de nulle part. »
     Phy’lis foudroya l’amazone du regard : estimait-elle qu’ils étaient faibles au point de se faire prendre de haut ?
     « Si je suis là, c’est parce que votre défaite est également une défaite pour mon peuple, elfe. Vous avez tout intérêt à m’écouter.
     - J’écoute. »
     Si son équipage pouvait encore se défendre, lui nécessiterait encore un moment pour se remettre de sa blessure.
     « Ces humains qui vous ont pris votre navire, mon peuple les veut morts.
     - Moi aussi, gardienne…

     - Alors le marché est simple : je vous procure des embarcations pour naviguer sur le fleuve sacré. Vous rattrapez ces humains et débarrassez le fleuve de leur présence pour de bon, rachetant votre honneur.  

     - Notre honneur ! Phy’lis se ravisa avant d’éclater de rire : sa blessure pouvait en pâtir. Notre honneur, par Khaïne, notre honneur. Prêtresse amazone, votre offre m’intéresse, pourvu que vous ne parliez que de choses que vous connaissez.
 
     - Nous vous guiderons vers nos esquifs. Ils appartiennent au fleuve, au fleuve sacré. Avisez-vous seulement de vous montrer parjures, le fleuve sacré vous reprendra ces embarcations aussitôt. »
     Phy’lis s’efforçait de maintenir une prestance sur la couche sommaire sur laquelle il était à moitié allongé. Il comprenait qu’une raison particulière semblait maintenir l’animosité entre cette prêtresse et les impériaux et sa curiosité le démangeait. Cependant, sa blessure le démangeait encore davantage et le visage pathétique de Theyclos était la cerise sur le gâteau. Il ne s’intéresserait pas tout de suite aux affaires privées des amazones. Le choix était clair : ils seraient de nouveau à flots au lever du jour.
***
     Phy’lis se leva avec une rigidité dans le flanc qui donnait à sa démarche une allure d’obscurité qui ne lui était pas naturelle. Il marchait en rond, la colère s’étalant péniblement sur son corps. Ses yeux jetaient des éclairs en flagellant la tourbe de la jungle.
     « Theyclos ! »
     Le corsaire répondit à son appel rapidement, trop craintif pour oser impatienter son maitre, surtout quand il appelait son nom aussi sèchement.
     « Messire, vous désirez savoir ce qui s’est passé c’est bien cela ?
     - Éclairez moi… associé…
     - J’ai … j’ai fait un bilan de tout ce qui a été perdu. Nos guerriers n’ont pas trop souffert, car la pestilente vermine de misérables singes infestés de puces… s’est ruée vers le navire pour nous le voler. Heureusement, ce qui était déjà débarqué a pu être sauvé. De… de quoi boire et manger… Malheureusement, pour votre collection de plumes… et bien, une partie est tombée dans le fleuve pendant les combats...
     - Et mes fumigènes ?
     - Nous les avons encore, heureusement… vous pourrez penser à les utiliser pour votre prochain spectacle… héhé »
     Il s’interrompit pour regarder Phy’lis de face, chose qu’il regretta immédiatement. Le tragédien avait une mine différente, immobile. L’expression de son visage n’était pas différente de celle qu’il affectait habituellement, mais son impassibilité de surface lui donnait un tout autre sens. Des mouches volaient autour de lui, devant son visage, à quelques centimètres de ses yeux, mais il ne bougea pas. Les mains dans le dos, les paupières ouvertes, le regard sanglant.
     « Et les esclaves ?
     - Et bien… vous aviez demandé à ce que les rameurs passent la nuit à leur poste pour qu’on puisse repartir en vitesse en cas de danger… et… il semblerait que les humains les aient pris avec eux… recrutés…
     - Qu’ouïs-je ? Vous avez l’impudence de pointer cela comme une de mes décisions ? Comment se fait-il que vous, responsable de l’équipage, soyez encore vivant alors que les humains ont pris le navire ? Qui, dites moi, aurait dû se trouver à son bord pour le défendre jusqu’à la fin ? Qui, dites moi, aurait dû accrocher son âme à son reaver pour être prêt à ce que jamais le navire ne trahisse et à ce que jamais un marin ne trahisse le navire ? Songez seulement au malheureux, ô malheureux vaisseau blasphémé, souillé de son inhérente fierté, décousu dans sa race et son visage, dépravé par les mains épaisses et crasseuses de primates dégoutants ! Qui, sans nul marin, chantera le malheur de ce navire condamné à passer et repasser entre les mandibules dégoulinantes de ces êtres ? À voir son cordage fin écorché entre des paumes calleuses, et sa barre tordue par les coups de butoir d’une guenon ! Qui lui viendra en aide lorsque ses précieux composants, cédant sous la contraction de l’âge et des maniements mesquins, se briseront, et qu’on introduira dans son sein magnifique des éléments rafistolés de mains humaines, collants, effrités, et rudes ? Qui chantera son cri de détresse chaque fois que contre son gré il apportera richesse et victoire aux plus indignes tortionnaires qu’il ait eu ? Ceux qui le délient de son pouvoir et des chaines qui le nourrissent ! Ceux qui bafouent la foi qu’il incarne et ceux qui…
     - Sauf votre respect messire, ce reaver était d’occasion.
     - Je ne vous permet pas.
     - Certes, mais continuez si vous le voulez.
     - Non je ne le veux pas. Je suis las. Las. Je vais devoir passer cet accord avec ces indigènes et me reposer sur leurs navires à eux. »
     Phylis laissa échapper un soupir d’une délicate élégance mais exprimant une lassitude infinie.
     « Au fait, avant que j’oublie. »
     Il fit signe à deux de ses corsaires et leur désigna Theyclos.
     « Tenez-le-moi s’il vous plait. »
     Les deux corsaires se jetèrent sur Theyclos et le saisirent par les bras. Le lieutenant tenta bien de se débattre, mais il fut trop lent à la détente et on l’immobilisa. Phy’lis fit signe qu’on l’amène devant lui, tandis qu’il demandait gracieusement à un autre corsaire de lui prêter sa dague.
     « La mienne est empoisonnée, et ce n’est pas ce que je cherche. »
     Une fois à son aise, et Theyclos immobilisé, Phy’lis se dirigea vers lui à pas lents, lui attrapa délicatement le visage, et commença son office. Quelques coups rapides pour retirer les deux petites masses pulpeuses qui ornent tout visage, puis il s’écarta d’un pas avec les lèvres de Theyclos dans les mains. Il répéta deux fois un geste simple, plongeant ses dents dans la chose, l’aspirant goulument, la mâchonnant doucement, et l’avalant avec un grand glup. Une fois pour la première, puis sans hésitation pour la deuxième. Les deux petits morceaux de viande furent dégustés. Puis enfin il rendit sa dague au corsaire à qui elle appartenait, et tout en le remerciant lui demanda :
     « Comment t’appelles tu ?
     - Vehiyash.
     - Fort bien. Tu prends à compter d’aujourd’hui la place de Theyclos comme quartier-maitre. Je compte sur toi Vehiyash.
     Nous ferions mieux de ne pas perdre plus de temps en ces lieux. Il nous faut le plus rapidement possible trouver de nouveaux esclaves. Passe en revue nos troupes, et prépare l’appareillage des navires ! »
     Il dirigea à nouveau son regard vers les amazones. Il devinait bien qu’elles contrôlaient tout dans les environs, et qu’il valait donc mieux rester en bon termes avec elles. Pour l’heure, elles fourniraient des vivres et des bateaux. Il vint toutefois se poster devant la cheffesse de ces tribales créatures. Alors qu’elle étrécissait son regard dans l’attente d’une provocation, Phy’lis, qui lorgnait l’amazone avec avidité, lui offrit un sourire carnassier.
     « Je vois que vous arborez une coiffe splendide. Aussi, j’ajouterais bien une clause à notre contrat. Avez vous des plumes en surplus ? »
     L’amazone n’aurait pas pu être plus surprise. Mais en haussant les épaules, elle acquiesça.
     L’enthousiasme de Phy’lis quand les amazones lui montrèrent les plumes d’oiseaux qu’elles avaient collectées rappelait celui d’un enfant. Il sautillait entre ces immenses panaches de paons aux roucoulantes teintes vertes et bleutées, ces plumes longues de trois coudées où se mêlaient des motifs étonnants. Aussi ces plumes d’oiseaux exotiques teintes en toutes les couleurs, mais chacune ayant des proportions et des formes jusque là inconnues. Phy’lis parvint à tout à fait oublier sa blessure au flanc, et il se jeta avec entrain sur les plumes qui lui plaisaient et se constitua en vitesse une grande tenue qui redonnait vie à son esprit d’acteur.
     Des panaches impressionnants devaient alors recouvrir sa cape, jaillir de ses épaules brasurées et multicolores, tandis qu’un chapeau de feutre, ironiquement d’une mode humaine, était piqué des plumes les plus magnifiques du lot. Il n’avait même pas l’air d’un gros oiseau bouffi, mais d’un carnaval ambulant, volumineux mais assez léger pour voler, gracieux et froufroutant, si emplumé qu’on aurait crû que d’un battement d’ailes il puisse prendre son essor. Bien entendu, le tout conjugué à la grâce elfique et cruelle de ce tragédien, qui désormais se sentait plus puissant, comme si les plumes étaient une preuve de pouvoir. Il était devenu si enthousiaste après ce don gracieux des amazones que, dans une panoplie de révérences et de saluts extatiques, il leur répéta avec une profondeur de parole et une virulence d’affirmation digne de grands opéras qu’il tiendrait sa part du contrat.
     « Et le fleuve rutilera sous la clairsemante présence azurée de ma canopée chercheuse de sang, moi qui roulera sur ses flots en une quête à l’apogée inéluctable et tranchante dans un roulis immortel que de par mes divins soliloques j’enchante en feignant l’amour de la jungle. Rien ne fissurera ma détermination, et dans mon honneur noir autant que je suis beau, je verserai comme à la coupe d’ébène le sang que ce graal réclame. Je nourrirais mon plumage dans les corps massacrés de nos ennemis communs et respectifs, et je conquerrai tout ce qui ne l’a pas encore été pour la plus grande gloire de Khaine et la mienne qui en un reflet harmonieux éclaboussera de sang et de lumière tapageuse la verdoyante forêt qui borde le fleuve sacré qui nous guide, moi, mes alliés, et mon incomparable prestance chatoyante, vers la victoire la plus totale et la plus virulente. Le théâtre de Lustrie sera mon écrin, et ma magnificence en pillages se décuplera, tandis qu’une intrigante rame me propulsera au devant d’une destinée à l’image des grandeurs de mon être. L’Amaxon s’illuminera pour être la scène de ma victoire, celle où j’égorgerais les cabots ayant voulu mordre mon talon qui foulait avec ardeur l’adversité traitresse. Je ferais rougir ses eaux pour lui offrir satisfaction, et à Khaine j’offrirais en hommage un cortège d’horreurs sanglantes et trépignantes clouées sur des dards. J’empalerais ceux qui m’ont fait du tort, et j’offrirais leurs âmes et leur sang à Khaine ! Que mes promesses soient dignes de celles des princes et héros à la théâtralité glorieuse, et que ma victoire soit aussi assurée que celle du destin écrasant et magnifique qui officie pour le malheur des faibles l’intrigue sanglante des plus belles tragédies. »
     Un petit salut, peut-être pour rappeler qu’il jouait la comédie, et d’un bond il sauta dans une des embarcations des amazones que ses corsaires faisaient manœuvrer avec une habilité toute relative. Ces embarcations basses et étroites se faisaient beaucoup trop discrètes dans la lugubre jungle environnante, faisant un piètre piédestal au comédien qui trépignait sans cesse, mais offrant une discrétion versatile pour pouvoir tendre une embuscade cruelle sur le chemin, s’il le fallait.
     Bien sûr, ils s’éloignèrent rapidement du camp des amazones, les corsaires quelque peu à l’étroit se fatiguant à ramer en maugréant entre leurs dents au sujet des esclaves qu’il aurait fallu mieux garder. Phy’lis salua encore trois fois de suite en direction des amazones, pour leur dire toute sa gratitude. Un elfe noir n’était pas dépourvu d’honneur, et préférait toujours respecter ses promesses. C’était le cas de Phy’lis, mais seulement lorsqu’il ne jouait pas la comédie en tant qu’acteur bien entendu. Or, il était si bon acteur qu’il pouvait jouer la comédie en toute circonstance. Il avait bien compris que tant qu’il voyagerait sur ces navires, il serait dépendant du bon vouloir des amazones. Qu’à cela ne tienne, il trouverait un autre navire. Il le volerait s’il le fallait. Et des esclaves. Il lui fallait des esclaves.
     Ne serait-ce que parce que sa colère n’était pas encore passée. C’était ainsi que s’exprimait la colère de Phylis, pas de cris ou d’éclatements, juste un changement de comportement subtil et discret, avec des gestes d’une violence exceptionnelle même pour un elfe noir. Manger les lèvres de Theyclos lui avait permis de retrouver un peu le moral en renouant avec certaines de ses vieilles coutumes. Mais il ne pouvait pas tuer ou mutiler plus de ses congénères, car il avait après tout besoin de cette bande de bras cassés. Quant à manger de la viande humaine, pouah ! quelle idée répugnante.
     Il lui fallait plutôt noyer des gens. Ou les écorcher vifs. Avec des plumes peut-être. Cela serait une bien amusante chose à expérimenter. Planter des plumes dans la peau d’un esclave jusqu’à le faire ressembler à un oiseau, puis le plumer en enlevant la peau avec. Ah, qu’il pouvait aimer les plumes. C’était une de ses passions, une obsession. Il en avait presque de l’admiration pour les humains qui n’avaient de cesse d’accrocher des plumes à leurs chapeaux ou à leurs casques. Il avait tenté d’introduire la même mode à Karond Kar, mais on l’avait traité comme un original dépravé. Quel dommage.

***

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Vae victis.
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     Ce saligaud de druchii lui avait hachée la côte, alors que ses vermines de mignons s'en étaient donnés à cœur joie sur ses gars, le botaniste n'ayant même pas le temps de dire "ouf" que sa gorge était percée d'un carreau d'arbalète.
     Génial.
     Passant sous la garde du longues oreilles, qui était parvenu à la prendre de vitesse lorsqu'il était venu le temps de croiser le fer, la wissenlandaise lui enfonça l'épaule dans le bas ventre, alors même que l'acier maudit du druchii lui mordait les côtes, déformant le métal de son armure pour lui expulser l'air de ses poumons.
     Projeté à terre par la violence du coup, entraînant l'inquisitrice avec lui dans sa chute en lui tirant sa tignasse de cheveux, le longues oreilles eut l'adresse de s'emparer de la main d'épée de l'impériale, tandis que celle ci effectuait la même manœuvre pour empêcher son adversaire de tirer sa dague pour l'égorger.
     Mutuellement immobilisés, les deux adversaires ne pouvaient rien faire d'autre que croiser leurs regards haineux alors qu'on s'égorgeait autour d'eux, tandis que de leurs bras respectifs, ils essayaient de forcer le membre de l'autre à lâcher prise, faire preuve de faiblesse... En vain. L'un et l'autre étaient tous deux affaiblis par les coups subis au cours de leur "duel" pour pouvoir s'imposer à l'autre.
     Néanmoins, Alicia de Meissen était humaine. Elle avait une vie courte, comparée à celle de son adversaire, centenaire, qui avait eu le temps et le loisir de parfaire sa technique sur des décennies, de maîtriser chaque aspect de son geste, du meurtre. Il était plus cultivé, avait une plus grande connaissance des arts de la lame. Et c'est ce qui le perdit, car ce qu'Alicia manquait en connaissances, elle le compensait en expérience, sa vie courte étant remplie de combats. Car ce n'est pas toujours le meilleur combattant qui remportait un combat. Ainsi un maître duelliste pouvait-il être défait par un brigand de bas étage.
     Ainsi le druchii ne vit-il pas venir le coup de boule que la rousse folle furieuse lui offrit, son front venant percuter à toute vitesse le nez de son adversaire. A plusieurs reprises, jusqu'à ce que le longue vie perde conscience.

     Laissé pour mort, empalé par une lance, le druchii ne fit pas preuve d'attentions particulières de la part des humains, ceux-ci étant trop occupés à nettoyer le champ de bataille là où les deux compagnies s'étaient affrontées. Là où gisaient des corps, seuls des flaques de sang restaient, trahissant la violence de la confrontation entre les deux groupes, alors que des tombes hâtivement érigées abritaient les défunts impériaux, tandis que les druchiis décédés avaient été simplement jetés à la rivière, dénudés, pour aller nourrir les bestiaux que l'eau abritait.
     Lui avait eu la chance de pouvoir se faire passer pour mort, et de s'éloigner lentement en rampant de la scène, discret et silencieux, malgré sa blessure, pour regagner l'autre campement de sa race, plus en aval, avant d'être mis à nu par quelques impériaux trop diligents.

     Le jour qui s’ensuivit fut employé à faire tout ce à quoi l’expédition du défunt Feldmarshall Hoffenbach avait été entrainée à faire : civiliser et appliquer la justice de l’Empire.
     Le reaver druchii, abordé et capturé par les humains, avait été tiré vers la plage pour que ces derniers puissent y veiller avec une plus grande attention, et en vider la cale de ses victuailles, tandis que les esclaves avaient été libérés des bancs de nage et une partie rejoignant même l'expédition impériale.
     Sûr. Ils étaient des esclaves, mais ils étaient assez solides pour servir de rameurs et marins compétents aux longues vies. Un ajout appréciable à la compagnie, au moins pour servir de porteurs.
     Par ailleurs, par ailleurs, les druchiis captifs, ceux ayant échoués à s'enfuir assez vite, ou trop stupides pour constater que le combat était perdu, avaient été capturés et, aux côtés d'autres humains, creusaient de longues tranchées, que d'autres courtes vies emplissaient de pics, puis bordaient de barrières en bois, voire de palissades, le tout formant un gros carré défensif, percé d'une porte vers la rive, où le fossé était surplombé d'une sorte de pont-levis improvisé, amas de rondins rabotés à la dague pour donner de vulgaires planches, reliées entre elles par du cuir et de la corde.

     Lorsque le soleil atteignit son zénith, le campement fut officiellement déclaré territoire impérial conquis. Justice et civilisation y prospéreraient aussi longtemps que tiendraient les palissades.
     Ici deux feux où l'on commençait à faire cuir quelques repas, tandis que là des tentes étaient en train d'être dressées.
     Dans l'après-midi, attachées à un grand poteau enfoncé dans le sol, les quelques druchiis captifs eurent tout loisir pour bénéficier de l'hospitalité impériale, en la présence d'une femme rousse, celle de la veille qui avait amoché le nez de leur défunt - croyaient ils - capitaine, celle-ci affichant un sinistre sourire aux drows mâles, tandis qu'elle jouait avec une dague à la main, à se gratter le dessous des ongles
     Pendant l'heure suivante, elle eut le loisir de pouvoir s'entretenir en public avec eux, de leur accorder ses caresses, ses attentions, ponctuées du hurlement de douleur des elfes noirs dont on faisait rôtir les pieds à chaque fois qu'ils livraient une réponse insatisfaisante à l'inquisitrice, qui ne perdait pas une occasion de leur lacérer le dos ou le torse de sa dague, jusqu'à ce qu'un océan de sang vienne peindre leur corps.
     Son verdict fut le même pour tous les prisonniers : pour les crimes commis par leur peuple envers les sujets de l’Empire, ils paieraient la peine suprême. Après cette sentence, l’inquisitrice laissa le détail des exécutions aux sergents de la troupe.
     À moitié conscients, les prisonniers furent alors, dans la nuit noire, traînés à travers les pistes de la jungle pour être suspendus à une branche d'arbre, au-dessus du fleuve, dans l'attente que quelque monstre fluvial ne vienne les becqueter par l'odeur alléchée de son sang coulant dans l'eau, ou bien que des nuées d'insectes ne viennent se délecter de leur chair si vénérable par leur âge. Race crainte et honnie par presque l'ensemble de la création, lorsque des druchiis tombaient entre les mains, ou griffes, de créature à l'ordinaire leurs proies, ces dernières s'en donnaient à cœur joie pour faire souffrir leurs tourmenteurs…

     L'inquisitrice leur souhaita une longue nuit. Après tout, c'était une fin digne de ces sombres créatures, que de vivre leurs dernières heures, rongés par la honte, le désespoir ainsi que la faune sauvage de cet enfer où ils avaient eu le malheur de s’aventurer. Une mort rapide était trop douce ; une lente agonie dans la souffrance était un sort bien plus adéquat.
     Si les survivants du groupe combattu la veille venaient à chercher leurs morts dans les jours à venir, ils auraient la surprise de ne trouver que les traces que voudraient bien leur laisser les carnivores de l’Amaxon. Oh, Alicia de Meissen aurait apprécié être là pour observer leur visage, leurs réactions, lorsqu'ils devineraient petit à petit les sévices auxquels on avait livré leurs semblables, ces sévices pourtant d'ordinaire accordés à d'autres, qu'ils n'avaient jamais considérés recevoir eux même. Une part d'elle-même, elle l'admettait, prenait son pied à l'imaginer...
     Mais trêve de rêveries ! Elle avait encore à organiser l'intégration des esclaves au sein de sa compagnie, songer au sort des esclaves peu désireux de la rejoindre, doter le reaver de quelques insignes reconnaissables pour le Guet du Port de la Nouvelle Altdorf et ensuite descendre ce fleuve méconnu pour trouver le fameux butin lustrien, si butin il y avait à l'issue de ce projet... Bref, du travail !


* * *


Dans le galion, un clavecin
Résonnait d’un air malsain.
L’instrument demandait grâce
Car il vivait dans la crasse.

Si seulement Felbar avait
Nécromandé un luthier
L’instrument f’rait moins pitié
Et le son s’rait moins mauvais.

Mais la lune était trop belle,
Il fallait des décibels,
Tendres notes d’un passé
Qui prêtaient à rêvasser.


***
***
***

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Essen
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Chapitre 2 : deuxième journée sur l’Amaxon

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     Les nuages de pluie au-dessus de la canopée verdoyante persistèrent même après le lever du jour ; pour n’importe qui n’ayant jamais connu les cieux lustriens au cours de l’année, il devenait rapidement aisé de croire à une inondation. Quelque volonté surhumaine devait être derrière ce déversement inouï ! N’importe quelle créature terrestre finissait par se croire amphibie, tant la pluie était torrentielle et incessante ; elle étouffait quasiment tous les bruits, le clapotis sur les feuillages se faisait bourdonnement discret, comparable au bruit de cascades ou de rapides sur un cours d’eau ; les odeurs également se retrouvaient comme plaquées à terre, endormies et réduites à un simple souvenir dès qu’une créature vivante en déposait un seul instant. Dans ce monde où la végétation rappelait presque les algues des fonds marins, tout élément extérieur à la jungle se retrouvait immédiatement mis à rude épreuve : visibilité réduite, fraicheur et humidité omniprésentes, terrain glissant, tout ceci faisait des êtres non-habitués des proies faciles pour les prédateurs locaux…
     Heureux étaient, en vérité, ceux qui à cette heure-là se trouvaient non pas dans ce labyrinthe aqueux mais au centre-même d’une étendue d’eau, à découvert et, surtout, loin de toutes les choses qui affectaient les attaques par surprise. À bord des navires, tous les équipages avaient déjà affronté de nombreux périls ; plus poltrons qu’eux auraient depuis longtemps viré de bord et mis le cap sur leur terra natale. Ceux-là, en revanche, étaient convaincus de s’approcher de leur but, quel qu’il fût, caché là, quelque part, au détour d’un des nombreux replis du vénérable Amaxon.







     Phy’lis (Prestenent) vs Corus (vg11k)


     Phy’lis se sentait à la fois satisfait et déçu par ses corsaires. À peine s’était-il habitué aux toutes nouvelles plumes de son costume que la pluie torrentielle qui s’était mise à tomber au milieu de la nuit l’avait obligé à tout revoir selon toutes les coutures pour ne pas en perdre la moitié et pour ne pas se retrouver gêné par d’autres. Or, ses corsaires l’avaient assisté dans l’affaire. Or, ses tripes lui disaient que ses propres corsaires dissimulaient dans les tréfonds de leurs noires âmes une hilarité formellement inacceptable envers leur chef. Ses yeux, pourtant, n’étaient guère parvenus à déceler le moindre sourire en coin, pas même une grimace, un soupir, l’ombre d’une main plaquée sur des lèvres imprudentes, rien. Les membres de son équipage l’avaient assisté avec des visages de statues, et pas un seul ne faiblit du début à la fin de l’opération vestimentaire. L’exemple de Theyclos avait-il donc été à ce point démonstratif ? C’était la seule explication qui s’imposait au comédien, révélatrice de son autorité solidement imposée à ses druchii. En ce sens, il ne pouvait que se féliciter. Au demeurant, il aurait apprécié un nouveau prétexte de torture, tout simplement pour évacuer sa fureur viscérale contre le déchainement des éléments.
     La nuit avait nettement cédé place au jour lorsque les pirogues s’extirpèrent prudemment du large canal que leur avait indiqué d’emprunter les amazones d’Ignea. Son entrée avait été adroitement dissimulée derrière une haie de mangroves aussi, et surtout dans la nuit, les elfes noirs seraient passés à côté à coup sûr. En l’occurrence, selon les dires de leurs alliées de circonstances, ils venaient d’économiser quelques heures qu’ils auraient perdu s’ils avaient suivi l’immense cours d’eau principal. Toujours ça de pris, leur avait-on dit, pour se rapprocher des détestables humains qui voguaient présentement sur leur reaver.
     Ils se remirent à ramer à une bonne dizaine de coudées de la rive quand la pirogue qui formait l’arrière-garde signala l’apparition derrière eux de la silhouette massive d’un navire ; Phy’lis siffla à tout l’équipage de ramer vers le couvert de la jungle, d’où ils pourraient mieux jauger les faiblesses de leur proie potentielle.

     À bord de la Lorelei, l’heure était à la vigilance. La mésaventure de la veille était encore dans tous les esprits et même si le capitaine avait ouvertement complimenté leur performance contre les morts-vivants, il avait néanmoins exhorté ses marins à ne surtout pas faire preuve d’arrogance ou d’inattention. L’équipage avait compris que ce qui visait l’un d’eux valait également pour tous. Les dangers du territoire qu’ils sillonnaient étaient multiples et tous avaient la ferme intention de rentrer chez eux une fois le butin à leur bord. Pour Corus, rien n’avait changé, ou presque : désormais, il n’hésiterait plus à user de ses armes favorites.

     « Alerte ! Ennemi en vue, droit devant !! »

     La voix du guetteur cisailla le bourdonnement soporifique de la pluie et attira les regards de tous vers qui venait d’être repéré : des pirogues, au moins une demi-douzaine, s’étaient détachées de la rive droite du fleuve et leur couperaient immanquablement la route.
     Molos soupesa ses options : il pouvait encore virer de bord et accueillir ces assaillant d’une volée de canons avaient qu’ils ne se retrouvassent sur eux. Puis, il se frappa le front avec la paume : va donc espérer charger un canon de poudre sèche par un temps pareil ! Même s’ils réussissaient, les tirs pouvaient encore rater ces misérables canots primitifs. Il ordonna donc de s’apprêter au combat et dégaina lui-même son sabre. Il dut par ailleurs se baisser assez vite : leurs assaillants tiraient des projectiles… Projectiles qu’il identifia immédiatement comme des carreaux d’arbalètes druchii.
     Des druchii ! Sur des pirogues !
     Dans quelle diablerie d’eau douce s’étaient-ils donc encore embarqués ?!

     Phy’lis, quant à lui, haranguait ses corsaires afin qu’ils ramassent plus vite. Aves ses plumes désormais arrangées pour que l’eau céleste s’en écoule sans obstacle, il ressemblait à un rapace multicolore prêt à fondre sur sa tendre proie. L’elfe noir invoquait la pluie pour être témoin de leur imminente victoire, promettait à qui pouvait l’entendre des esclaves et à Khaine – des sacrifices.

     Il ne fallut guère longtemps à Corus pour apercevoir cet étrange énergumène et, au vu de l’animosité de celui-ci, il l’identifia comme une sorte de sorcier ou de prêtre qu’il gagnerait sans doute à cibler en premier. Qu’ils approchent, ces elfes noirs. La Lorelei saurait être le dernier navire que ces vautours des mers attaqueraient.

     « Et que le spectacle commence ! »

     D’épais nuages de fumée fusèrent des pirogues qui venaient d’encercler la Lorelei. Violets, verts, rouges, jaunes, bleus, ces panaches montèrent brusquement jusqu’au pont du navire et aveuglèrent ses occupants. Molos jura : ils allaient perdre l’avantage du terrain.
     À la faveur de la confusion qu’ils avaient provoquée, les corsaires se hissèrent à bord avec la souplesse qui caractérisait ces pirates redoutés sur toutes les mers du monde. Phy’lis fut parmi les premiers et frappa le premier humain qui se trouva à sa portée ; d’un geste vif, cependant, celui-ci interposa son coude, déviant le coup qui avait visé sa gorge.
     Bien que surpris comme tout le reste de l’équipage par la tactique ennemie (Corus : tests ratés ! 0T !), le champion de la Lorelei se préserva du pire (Phy’lis : 3T, 2B, 1 svg, 1 PV !).
     « Ha ! Accueille les ténèbres de la mort comme il sied à ta basse espèce, singe malodorant ! »

     Pour le plus grand péril de Corus, une épaisse fumée noire fusa depuis son assaillant, l’aveuglant derechef (Corus : tests ratés ! 0T !) ; sentant la lame adverse roder autour de lui, le marin empoigna fermement son trident et lui fit faire de tels moulinets dans tous les sens que son ennemi peina à trouver une ouverture pour un coup en traître. (Phy’lis : 3T, 0B)

     Phy’lis constata alors que son adversaire était peut-être un singe mais il était aussi un singe à craindre : ses moulinets le protégèrent et dissipèrent dans la foulée les miasmes du fumigène qu’il avait employé contre lui (Corus : tests réussis !). Désormais, son adversaire l’avait droit devant les yeux et son trident fit promptement reculer le comédien ; Phy’lis n’était cependant pas qu’un simple amuseur de foules : tenant en parfait équilibre sur le bastingage de la Loreleï, il esquiva lestement les estocades du marin, avant de sauter et, dans un salto parfait, blesser légèrement son adversaire à l’épaule (Phy’lis : 1T, 1B, 1PV !). Ce dernier le cueillit cependant à l’atterrissage, faisant tournoyer son trident à l’horizontale et laissant trois vilaines entailles dans l’avant-bras emplumé de son ennemi. (Corus : 4T, 3B, 1 svg, 1 invu, 1 PV !)
     Phy’lis fut sur le point de contrattaquer lorsqu’autre chose envahit brusquement son champ de vision… Un… filet ?! Son ennemi venait de le mettre à terre avec un filet ?!! Avant-même qu’il ne puisse entreprendre de couper les rivets, la pointe du trident fut sur sa gorge et une déclamation tonitruante de son adversaire fut sans doute là pour signaler au monde entier le piteux état dans lequel il se trouvait… (Corus : 4T, 4B, 1 svg, 3 PV !!! Phy’lis : 2T, 0B)
     Il n’y eut point de pourparlers car la débâcle druchii fut immédiate. Phy’lis était simplement trop fin connaisseur de la vilénie de son peuple pour ne pas reconnaître qu’à leur place, il aurait à coup sûr fait de même. Quels pleutres. Pouvait-il seulement véritablement s’appuyer sur eux désormais ? Le mot d’ordre était d’en avoir le cœur net mais, avant tout, une échappatoire théâtrale s’imposait. S’ils espéraient qu’il se trouvait à court de fumigènes…

     Corus aperçut la fumée blanche apparaître une seconde trop tard : son trident qu’il enfonça sèchement buta sur le plancher du pont, sans doute dévié in extremis, après quoi deux autres fumigènes, un bleu et un mauve, parachevèrent le blocage visuel de l’endroit où gisait le sorcier terrassé. Le champion fit de son mieux pour tâter ses chairs avec son trident mais un « plouf » quasi-inaudible dans le tumulte ambiant lui indiqua que sa prise venait de lui échapper pour de bon. Tout autour de la Lorelei, les pirogues ramaient vigoureusement dans le sens du courant, direction qui ne les arrangeait point, d’ailleurs toute poursuite contre ces parasites devait être superflue. Ils avaient déjoué ce nouveau piège de l’Amaxon et c’était tant mieux.

     Phy’lis, quant à lui, fit se dresser les cheveux sur la tête des elfes noirs qui maniaient la dernière pirogue à avoir pris la direction du grand large lorsqu’il manqua de la renverser en se hissant à bord.
     « Vehiyash, mon nouveau lieutenant, susurra-t-il à celui qui l’aida à hisser ses jambes, n’essaierais-tu pas… Enfin peu importe. Cette pluie est délicieuse, je vais en profiter encore un peu avant que… avant que Khaïne ne soit satisfait, coûte que coûte… »  





     Yelmerion d’Yvresse (Lynairyth) vs Von Essen (Essen)


     La pluie tropicale ne troublait guère les asurs, qui adressaient simplement des prières plus ferventes encore à Asuryan et à Mathlann, afin qu’ils bénissent leur traversée et que la chance leur sourie dans leur quête. La Lame Lunaire était de plus en plus proche, telles avaient été les conclusions de leur magicienne, aussi l’équipage du navire était confiant dans leur réussite prochaine. Le navire de guerre rentrerait à Tor Yvresse peut-être pas couronné de gloire, étant donné le secret de leur mission mais, au moins chaque membre de l’expédition garderait à jamais la satisfaction du devoir accompli, sentiment ô combien incontournable pour tout bon asur qui se respectait.

     Yelmerion réprima soudainement un frisson : un courant d’air d’un froid cinglant venait de souffler sur la proue du navire. Interloquée, la princesse scruta les cieux ainsi que les environs et ne trouva rien qui pouvait être la source de cet événement anormal. Elle haussa les épaules et se retourna, décidée à retourner dans sa cabine et laisser le soin de la navigation à son équipage ; la vision d’Azshannar qui accourait précipitamment sur le pont l’en dissuada.
     La Ténébreuse lui parut bien plus inquiète qu’à l’accoutumée puisqu’elle ne regarda même pas dans la direction de sa princesse pour la saluer, non, la magicienne vint immédiatement se placer à la proue et s’agrippa nerveusement au rebord, comme pour ne pas se laisser arracher du navire par ce qui devait attirer son attention droit devant.

     Yelmerion ne s’octroya pas la sottise de distraire l’experte en arcanes avec des questions ; elle fit simplement signe à son lieutenant, Lecmentor le Gris, de mettre des soldats en état d’alerte. Les explications viendraient en temps et en heure, elle n’en doutait pas.

     Des capes furent distribuées à bord du vaisseau de guerre ; les courants d’air froid se muèrent en vent persistant, transformant l’averse tropicale en quelque chose d’infernal. Des braséros durent être allumés en hâte, toute l’humidité accumulée se cristallisant un peu partout sur le navire : planches, voiles, cordages, tissus et même épidermes et cheveux ! L’ordre fut cependant donné d’apporter les carquois depuis les cales : Yelmerion avait remarqué que les lèvres de la Ténébreuse se mouvaient pour articuler des propos inintelligibles ; elle devina alors que l’intempérie n’avait décidément rien de naturel, qu’une magie malfaisante était à l’œuvre et que leur magicienne faisait tout son possible pour la contrer. La visibilité, de plus, n’avait cessé d’empirer à cause du vent.

     L’alerte fut donnée lorsque le vaisseau tangua légèrement sur le côté : quelque chose rompait l’équilibre de la flottaison, et ce quelque chose surgissait désormais par-dessus le bastingage, et les asurs eurent du mal à identifier ces choses : dégoulinantes, trapues, velues et lentes, ces choses ne pouvaient que rappeler des rebuts d’êtres ayant existé, animés désormais de mouvements qui n’avaient plus rien de vivant. L’ordre fut donné de les repousser sur le champ. Leur émergence, cependant, par poignées de douze, depuis les eaux devenues encrées de l’Amaxon, ne discontinua pas.
     Un autre cri, qui faillit par ailleurs se perdre dans les échos de la pagaille causée par le vent, la pluie et les créatures, attira l’attention de l’état-major elfique sur l’autre côté de leur navire : ils rattrapaient une forme rendue sinistre par la pénombre, un autre navire de taille modeste mais qui, au vu de la situation dans laquelle ils se trouvaient, était de mauvais augure.

     Les crochets d’abordage mutilèrent sèchement le bois du bastingage ulthuanien. Alors qu’en face résonnait l’ordre de tirer presque à l’aveugle dans le navire, les maraudeurs levèrent leurs boucliers et s’apprêtèrent à entamer ce nouveau combat pour la gloire de Khorne. Von Essen ne s’embarrassa pas du manteau de fourrure cette fois-ci : le précédent combat lui avait appris à redoubler de précautions et ne plus se préoccuper des apparences. Dès que les navires furent bord-à-bord, il bondit sur la proue, déterminé à empaler cette magicienne qui perturbait les liens nécromantiques de ses pantins skavens.

     Yelmerion le vit venir. (Tests réussis !)

     Le seigneur vampire la vit s’interposer.

     Il la traversa en se muant en brume (Yelmerion : 2T, 2B, 2 invus !) et se condensa en un clin d’œil dans son dos, lui plantant cruellement sa dague dans le flanc (Von Essen : 4T, 4B, 1 invu, 3 PV !!!).

     Il agrippa immédiatement le cou de la magicienne, fut sur le point de lui briser les cervicales et à crier « Victoire ! » à ses compagnons. Un bref coup d’œil sur le pont l’en retint : ses maraudeurs allaient devenir un souvenir lointain dans guère longtemps, quasiment encerclés qu’ils étaient. Les pupilles du chroniqueur se rétrécirent : contrevenir, il devait contrevenir maintenant.

     Sans plus de cérémonies, il balança sa proie à moitié asphyxiée dans la masse de lanciers, qui s’en écartèrent vivement avant de comprendre de qui il s’agissait. Dans la seconde qui suivit, un hurlement inhumain leur parvint de la proue du vaisseau. Tous les regards se tournèrent et virent leur princesse soulevée de terre et visiblement mal en point ; celui qui osait la brandir ainsi, tel un trophée, affichait un rictus bestial, et le vent qui mugissait autour de lui véhiculait des apparitions aussi nombreuses qu’assurément damnées. Au bout de quelques instants intenables, la deuxième et auguste victime de l’être fut également projetée sur eux, alors même que d’autres créatures trapues et velues se hissaient péniblement sur le bord de la proue.
     Un ordre claqua, au timbre à la jonction exacte entre horreur et bravoure inégalée : « Sauvez la princesse ! Sauvez la princesse et retirez-vous ! »
     L’équipage disposait toujours de chaloupes en nombre suffisant pour évacuer le navire en cas de tempête. Or, ce ne furent point les pertes, mais le froid, le froid qui glaçait les esprits et engourdissait les membres, les apparitions sans fin, la perte momentanée de leur état-major et la vision déroutante de l’être sur la proue qui décidèrent le noble Lecmentor à ordonner la retraite. Ils devaient s’extraire de ce guet-apens et rejoindre la rive, quoi qu’il en coûte.

     Contre toutes les attentes des maraudeurs, ce qui aurait dû se transformer en massacre de poltrons et de fuyards fut en réalité un combat d’usure qu’ils auraient inévitablement perdu si les maléfices du vampire ainsi que sa propre présence ne constituaient pas leur principale force de frappe. Les eaux grouillaient encore de morts-vivants mais le chroniqueur perçut très nettement que la magicienne adverse se faisait, disons, ressentir en se concentrant de nouveau sur la dissipation de sa nécromancie, ce à quoi elle parvenait avec une facilité quasi-suspecte.
     Il ne laissa guère à ses nordiques l’occasion de lancer une quelconque poursuite : ils pouvaient piller le navire elfique à leur convenance, après quoi ils repartiraient sur leur drakkar.
***
     Azshannar la Ténébreuse, dont le cou était encore endolori, maudit leur malchance et maudit l’être vampirique qui les avait attaqués. Elle aurait volontiers exhorté tous les asurs à reprendre le combat. Or, le pouls de la princesse battait encore : l’heure était à la retraite et la vengeance, elle, devrait attendre plus tard.  







     Ixi’ualpa, Guerrière Aigle des Amazones (Gromdal) vs Helmut Markus Heldenhame (Vytrium)


     À bord de l’Emmanuelle, il s’en fallait de peu pour que les marins ne poussassent pas un petit chant gaillard, « pour faire contre mauvais temps bon couplet », comme avait transmis à demi-mot le sous-lieutenant à Helmut après avoir rappelé assez sèchement aux hommes qu’ils ne se trouvaient guère en pleine mer. Le commandant approuva la décision à contrecœur : il n’aimait pas doucher ainsi l’enthousiasme de l’équipage mais préférait encore qu’ils fussent grincheux mais vigilants plutôt que gaillards et désinvoltes, surtout par un temps pareil.

     À quelques lieues en amont, cependant, sous le couvert de l’épaisse végétation de la jungle, une discussion animée tenait lieu entre deux groupes de femmes, plus exactement deux groupes amazones, très exactement entre deux d’entre elles, leurs cheffes, la Guerrière Aigle Ixi’ualpa et la Guerrière Kalim Rakt’cheel. La première avait invité la deuxième à s’asseoir et à poser leurs armes devant elles : Ixi’ualpa sentait qu’elle allait parler dans le vent, que ses pensées n’atteindraient la Kalim guère plus que la pluie… Elle devait au moins essayer.
     « … ce que je ne comprends pas, révérée de Kalim, c’est pourquoi votre prêtresse ne vous accompagne pas. Je –
     - De ce que j’ai entendu, révérée de l’Aigle, vous avez affronté un mâle et vous avez perdu, c’est tout. »
     Ixi’ualpa leva la main, bloquant le frémissement d’indignation qui traversait son groupe de guerrières derrière elles. La dernière chose qu’elle voulait, c’était une dispute sanglante avec ces droguées religieuses.
     « Vous avez le droit de remettre en doute la force de mon bras, révérée de Kalim. Pourquoi, en revanche, doutez-vous de mon œil, de mon esprit et de mon cœur ?
     - Si vous nous rejoigniez, révérée de l’Aigle, peut-être que vous sauriez pourquoi.
     - Révérée de Kalim, articula lentement la Guerrière Aigle pour mieux digérer sa frustration, Rigg voit dans les cœurs mieux que quiconque. Soit, votre aide est la bienvenue !
     - Trêves de palabres, révérée de l’Aigle. Je vois que Rigg nous envoie déjà ses prochains sacrifices…

     Le branle-bas-de-combat fut déclaré sur le navire impérial dès qu’ils aperçurent les premières pirogues en approche. Beaucoup de pirogues. Beaucoup de pirogues occupées par des femmes quasiment dévêtues qui poussaient des cris tantôt rauques, tantôt aigus, tantôt pareils à des aboiements, tantôt rappelant les hurlements d’un malade ou d’un grand blessé dans un hospice ; la vision fut un tel choc que certains soldats eurent une sorte de crise superstitieuse et se mirent à genoux, récitant les prières qu’ils connaissaient en mélangeant les mots et les syllabes. Helmut Markus von Heldenhame et le sous-lieutenant Heinrich Durken ordonnèrent aux sergents de mettre une bonne correction à ceux-là. Lorsque le commandant jeta un œil en direction du doyen des chevaliers du Corbeau, il frémit involontairement : le Herr Salieverri exprimait une telle grimace de dégoût souverain que Helmut dégaina instinctivement son épée, s’attendant à quelque chose s’apparentant à des démons surgir sur le pont de l’Emmanuelle.


     Ixi’ualpa avait abandonné tout dessein de raisonner avec la « solution » que lui envoyait la prêtresse Kalim pour s’occuper des adversaires trop coriaces. Cette embarcation-là, pour le comble, elle en avait vu passer bien d’autres de semblables et connaissait ses faiblesses, comment l’envoyer au fond du fleuve sans la moindre effusion de sang amazone… Elle connaissait également les tactiques guerrières des hommes qui venaient sur ce genre de navires : ils pouvaient être vaincus par la force, cependant les pertes pouvaient également être catastrophiques. Les récits qui se transmettaient de bouche à oreille entre guerrières faisaient état de tribus entières qui avaient été décimées par ces hommes redoutables. Ixi’ualpa était devenue Guerrière Aigle pour les sacrifices qu’elle avait ramené à Rigg ; elle avait reçu le commandement d’autres guerrières car elle évitait de sacrifier inutilement les siens.
     Son groupe avait dès lors entrepris de nager silencieusement vers le vaisseau, alors-même que les hululements démentiels des guerrières-Kalim faisaient écho aux ordres cinglants des hommes qui se défendaient à bord.
     Ses guerrières l’aidèrent à escalader le gouvernail de l’Emmanuelle et à liquider subrepticement le marin qui se tenait là. La voie était libre. Avec trois autres guerrières, Ixi’ualpa parcourut le compartiment à l’intérieur qui la séparait d’une salle tout autre, qu’elle s’efforçait de reconnaître à l’odeur : la poudrière du navire. Une trainée de cette substance volatile vers la salle qui le contenait et Rigg elle-même, l’amazone se surprit presque à blasphémer, ne pourrait faire mieux pour détruire l’embarcation et les hommes qu’elle contenait.
     Un marin surgit dans un escalier venant d’en-haut, se figea, médusé par la vision de ces femmes dans la pénombre ; une lance jetée sur lui s’enfonça profondément dans sa cuisse et le fit glapir de douleur avant de claudiquer vers l’étage au-dessus. Il ne donnait pas l’alerte, il criait « À l’aide ! » or, pour les amazones, il devait se taire…

     Helmut, à qui ces formidables assaillantes rappelaient de plus en des fanatiques de Sigmar, telles que l’on en voyait parfois partir vers le nord, se demandait cependant s’ils n’allaient pas cette fois-ci s’en sortir à bon compte : ces furies faisaient beaucoup de bruit mais peu de morts, les formations en rangées des hommes les maintenant le plus souvent à bonne portée, avant de les blesser ou de les empaler sur une pique à la moindre occasion.
     Des cris à moitié étouffés provenant de l’arrière lui firent jurer que la prochaine fois, il construirait plutôt un autel à Ranald avant de se permettre d’être ainsi optimiste !
     Il fut immédiatement accompagné par Antonio Salieverri et deux autres chevaliers du Corbeau, tous trois aux épées encore tièdes de sang ; quelques marches plus tard, ils virent le cadavre d’un marin étendu au pied de l’escalier dans une mare de sang. L’instant d’après, Helmut dut se défendre.

     Une ombre tenta de l’empaler comme du bétail ; sa propre lame dévia la pointe qui, dans un sifflement infame, traversa péniblement l’acier de son armure et fut alors brutalement retirée de celle-ci. Helmut constata que s’il n’avait pas été trempé comme une soupe à cause du déluge au dehors, le simple contact de cette pointe étincelante aurait suffi à enflammer sa tunique (Ixi’ualpa : 4T, 2B, 2 invus !). L’impérial se fendit lui-même d’une estocade en direction de l’assaillant mais constata que celle-ci excellait non seulement à percer les armures mais aussi à esquiver les coups adverses (Helmut : 4T, 1T annulée, 3T, 1B, 1 invu !). La seconde d’après, une douleur cinglante lui traversa l’abdomen : la pointe s’était de nouveau ri de son armure qu’il avait crue impénétrable, à tort… (Ixi’ualpa : 4T, 3B, 1B annulée, 2B, 2PV !!)
     L’amulette qui pendait à son cou vibra alors et il se sentit infusé de la force de la foi et de toute la revanchardise impériale : s’emparant crânement de la hampe de la lance ennemie, il se laisse tirer vers celle qui la brandissait et enfonça sa propre épée dans le torse de son adversaire (Helmut : 4T, 2B, PV !!).
     Comprenant ce qui se passait, Ixi’ualpa réagit au quart de tour : avec la force que lui valaient des années de service à la protection de sa tribu, elle enfonça sa lance plus en avant, faisant du même coup reculer cet homme opiniâtre ; la douleur tordit les traits de celui-ci et l’amazone le vit lâcher son épée, qui tomba à leurs pieds. (Ixi’ualpa : 4T, 1B, 1PV !!!)
     « Ô révérée, la trainée noire est prête, là, derrière toi !! »

     Les guerrières avaient terminé les préparatifs et Ixi’ualpa embrasa sa lance à nouveau.

     Salieverri et ses frères eurent une seconde de confusion : la masse du commandant retombait sur eux, le doyen dut le réceptionner alors même que, dans un bruit de ferraille, la guerrière retirait sa lance du ventre de Heldenhame ; la pointe redevint incandescente et décrivit un arc de cercle qui la fit choir à l’arrière de l’amazone, droit vers une substance noire qui s’enflamma instantanément au contact.
     Deux guerrières soutinrent leur cheffe avec une douceur et une fermeté qui laissait transparaître leur bon entrainement ; la dernière couvrit leur retraite vers l’arrière du navire.
     Heldenhame ouvrit les yeux, qui furent agressés par la vive lueur de la flamme qui consumait lentement mais sûrement la trainée de poudre.

     « PAS COMME ÇA, PAR SIGMAR !!! »

     Réunissant ses dernières forces, son amulette vibrant entre sa poitrine et sa cuirasse tel un oiseau essayant de s’échapper, Helmut bondit en direction de la flamme, s’étalant de tout son long, ses mains gantées s’abattant sur la trainée avec la fureur d'une bête acculée ; trois coudes plus loin, la Sainte Barbe avait attendu son heure...
     Les grains enflammés éparpillés ou étouffés sous le cuir de ses gantelets, le commandant finit par perdre connaissance.
* * *
Modifié en dernier par Essen le 15 févr. 2021, 01:45, modifié 1 fois.

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Alicia de Meissen (Alicia) vs Qracl‘Naui (Hjalmar Oksilden)

L’inquisitrice étala sur la table de la cabine le grossier rouleau de parchemin qui justifiait à lui seul leur présence aussi loin des colonies. Au beau milieu, tout près des fines lignes parallèles représentant l’Amaxon, une croix marquant l’emplacement d’une cité. À ses yeux, en vérité, la nature de sa mission n’était point nouvelle : extraire des richesses de ces terres inexplorées avait été sa principale préoccupation dès son arrivée à la Nouvelle Altdorf. Tout ce qui pouvait être récupéré, métaux précieux, gemmes ou objets mystiques, tout ceci était ensuite rapatrié sous bonne escorte jusqu’aux terres impériales. En retour, des navires continuaient d’arriver dans les colonies, remplies de troupes constituées majoritairement de milices volontaires, dont la moitié des effectifs succombait assez vite à toutes les privations et les dangers mortels dont la jungle regorgeait. Alicia, elle, faisait en quelque sorte partie des hautes sphères de commandement qui gravitaient autour d’une seule figure disposant de la confiance de l’empereur lui-même : Markus Wulfhart, le Jagdsmarshall de sa Majesté Impériale Karl Franz.
Alicia chassa de son regard une légère somnolence qui ne la quittait plus depuis que la pluie avait débuté ; le clapotis des eaux célestes avait un don particulièrement énervant pour embrumer l’esprit, à croire que même ce bruit naturel, inoffensif dans les terres civilisées, devenait un énième allié de tout ce qui essayait de vous dévorer sur ce continent sournois, sauvage et meurtrier. Une heure plus tôt, elle s’était octroyée un répit en s’allongeant dans une couche formée de coussins trouvés à bord du reaver, s’était effondrée dans un sommeil sans songes et s’était réveillée comme une pendule, mécaniquement, sommairement requinquée et éprouvant une forte envie de se dégourdir les membres. Quant à la « carte au trésor », à laquelle elle ne croyait qu’à moitié (après tout, des trésors dans cette jungle, il pouvait y en avoir même plusieurs), l’inquisitrice l’avait dépliée après avoir constaté son état relativement humide. Décidément, rien n’était épargné dans cette forêt, rien…
Elle passa l’heure qui suivit à s’exercer avec sa dague et son épée. A l’extérieur, sur le pont du reaver, des sentinelles surveillaient les environs.
Ces hommes, bien qu’ils fussent tous aguerris par les mois voire les années passées à survivre dans l’enfer vert, auraient été bien en peine de distinguer sur la surface du fleuve frissonnant sous la pluie des vaguelettes qui n’avaient rien à voir avec des poissons carnivores ou autres joyeusetés du genre. Le bataillon de skinks approchait le reaver avec la discrétion d’une mante religieuse. Ces êtres encore mal connus des civilisations du Vieux Monde éprouvaient pour les représentants des races étrangères la même émotion de rejet que les humains éprouvaient pour des insectes particulièrement envahissants : il fallait s’en débarrasser au plus vite avant qu’ils n’établissent leurs nids infâmes dans leurs forêts.
Tixyixyon nageait à une coudée devant la gueule redoutable de Qracl’Naui le kroxigor. Les échanges qui avaient eu lieu la veille entre le chef skink et son colossal atout avaient surtout été de nature analytique : les détails de l’affrontement précédent avaient été passés en revue et confrontés aux témoignages d’autres skinks du bataillon. Tout conduisait à affirmer que Qracl’Naui n’avait pas commis d’erreur : n’importe quel sang-chaud de leur connaissance aurait succombé à la violence du traitement auquel la gueule du Kroxigor l’avait soumis. L’anxiété évidente qui en résulta (faisaient-ils face à une évolution terrifiante des parasites qu’ils affrontaient régulièrement ?) fut traitée par quelques heures de prière et de communion. Au terme de celles-ci, les systèmes nerveux des skinks et du kroxigor s’étaient apaisés : parasites mutants ou pas, les humains étaient toujours pathogènes pour les forêts et devaient être traités en conséquence, avec plus de férocité ou plus d’intelligence, cela restait à déterminer.


Le bataillon se scinda en deux et encercla le reaver telle une pince ; les sentinelles n’eurent que le temps de hurler l’alerte avant d’être abattus ou attirés par-dessus bord ; Alicia de Meissen et Qracl’Naui surgirent en même temps sur le pont : le combat s’engagea.
Alicia avait déjà fait face à ces créatures et savait qu’elle n’aurait aucune chance de l’emporter à l’escrime. Elle savait également que par ce déluge, elle n’aurait droit qu’à un seul tir.
Enserrant la crosse du pistolet dans ses deux mains, l’inquisitrice fit feu.
Une furieuse douleur cisailla la tempe du kroxigor ; des lumières blanches dansèrent devant ses yeux (Alicia : 3T, 1T annulée, 2T, 2B, 2 PV !! Entrainement martial : 0T). À ce moment-là, Qracl’Naui perdit toute notion de retenue : comme possédé par la douleur qui lui embrasait la tête, il s’enfonça parmi les diffuses silhouettes des humains tel un tank à vapeur hors de contrôle. Au milieu des cris et des craquements d’os, l’inquisitrice eut le malheur de se trouver sur la trajectoire de la redoutable masse de la créature, qui la cueillit au flanc et l’envoya tout simplement voler par-dessus-bord (Qracl’Naui : 3T, 3B, 3 PV !!!).
La panique naissante devint totale et répandue à tout ce qui bougeait à bord du reaver. Le kroxigor était devenu inarrêtable, les arcs de cercle que décrivait sa masse broyaient skinks et humains sans distinction et toutes les boiseries aux alentours volaient en misérables copeaux.
Alicia dut beugler à travers la pluie pour se faire entendre de son régiment qui s’éparpillait désormais sur le pourtour du navire, et où des duels épars entre soldats et skinks surgissaient et cessaient tout aussi vite, avec des succès partagés. Son flanc lui faisait subir le martyr, elle devait avoir au moins une côte cassée, cependant l’inquisitrice n’avait de cesse de hurler à qui pouvait l’entendre de se rallier à elle et de nager vers la rive la plus proche : leur union était leur seule chance de survie.
Tixyixyon était tout aussi dépassé par la situation que les parasites qu’ils étaient censés éliminer ; bien que souhaitant ardemment poursuivre les humains dans le fleuve, il refusait de laisser le kroxigor dans un état qu’il ne lui connaissait pas. Un souvenir flou s’imposait : ils avaient dû abattre un skink qui, lui aussi, ne répondait plus aux signaux et était comme animé de rage destructrice. Le même sort allait-il devoir s’imposer à Qracl’Naui ? Le chef skink repoussa l’idée comme la pire des extrémités auxquelles son bataillon pourrait être confronté.
Qracl’Naui finit par se jeter (ou basculer, il n’aurait su le dire lui-même) dans le fleuve. Dans les flots, il continua à se débattre comme s’il se noyait, tant sa douleur était insurmontable. Puis, peut-être fût-ce la volonté de Tzunki, l’esprit des rivières, ou le murmure d’un slann dont la conscience atteignit celle, souffrante, du kroxigor, mais ce dernier sentit lentement le voile de sang quitter son regard. Il se sentit faible et vulnérable lorsque sa conscience lui revint, aussi se dirigea-t-il instinctivement vers la rive du fleuve… Le bataillon skink le suivit à distance raisonnable.
Les impériaux les virent se dissoudre dans la végétation de la rive opposée de l’Amaxon. Décident de jouer leur va-tout, ils se décidèrent à retrouver péniblement le reaver à la dérive : le pont était dévasté et toute la voilure était à réparer. Leur supérieure n’eut cependant aucun état d’âme vis-à-vis de l’état encore sous le choc de ses troupes : "l’Impérial" devrait être remis en l’état avant la fin du jour…
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Modifié en dernier par Essen le 16 mars 2021, 09:30, modifié 3 fois.

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     Felbar le Fourbe (Doobloom) vs Fiodor le Non-Mort (Arcanide Valtek)

     La première salve des canons fit s’envoler un nombre incalculable d’oiseaux dans la canopée environnante. Fiodor regretta seulement qu’il n’y eut pas un seul corbeau parmi ces créatures, dont le chant rauque aurait été de bon augure pour ce qui allait suivre…

     « Graaa !
     - Mais oui, évidemment, GrAafrblabl ! Chargez les canons ! On va montrer à ces marins d’eau douce de quel bois je me chauffe ! »
     Deux fortes secousses successives firent trébucher les morts-vivants à bord du vaisseau de Felbar. Elle n’avait cependant pas identifié le craquement caractéristique d’une planche craquelée ou trouée par la canonnade : il fallait croire que les boulets avaient ricoché contre l’épaisse coque de sa proue.

     L’équipage à bord du Corbeau Centenaire n’avait jamais encore fait l’expérience d’un bombardement en plein milieu d’un grand fleuve : ils n’auraient d’ailleurs jamais songé à un quelconque bombardement si leur capitaine ne les avait pas mis sur le pied de guerre avec sa verve habituelle. Monsieur Flouz était par ailleurs persuadé de l’avoir entendu marmonner quelque chose comme « instrument abominable, abominable, abominable… »
     Leur navire se situait en amont de leur cible et la première salve s’était faite presque au jugé, tellement le rideau de pluie était persistant et seuls ceux dotés de la meilleure vue devinaient la silhouette grisâtre de leur cible. Le courant les menait désormais droit vers eux, Fiodor ne lâchant point sa longue vue depuis le début des hostilités. La vision de deux petits nuages depuis la proue du navire d’en-face lui indiquèrent que leur cible allait riposter. Quelques secondes plus tard, à quelques pas sur sa droite, un bout du bastingage vola en éclats dans un vacarme accablant.
     « Remuez-vous, bande de bouseux ! Le prochain qui le rate maintenant, c’est l’eau et le pain sec jusqu’à ce qu’on arrive aux cités d’or ! »
     Marcel de Parravon déambulait sur le pont du navire avec la férocité d’un esclavagiste : le revenant se sentait encore furieux depuis que le Corbeau Centenaire avait manqué d’être débordé par des reptiliens et tenait cette fois-ci à détruire leurs ennemis avant qu’ils ne leur tombent dessus.

     L’équipage de Felbar poussa quelques borborygmes scandalisés lorsqu’il s’avéra que leurs tirs avaient pour la plupart survolé leur cible, nettement moins massive que leur propre vaisseau. La vampiresse, elle, ordonnait à présent de tenir le cap droit sur l’ennemi : s’ils ne se montraient pas vigilants dans quelques minutes, ils seraient tout simplement éperonnés par la proue de son navire… Elle leva les yeux au ciel en voyant que ceux d’en-face ne baillaient manifestement pas aux corneilles et viraient de bord pour voguer désormais à leur rencontre.

     Fiodor considérait l’option de bondir sur pont adverse dans les instants qui allaient suivre mais, en tendant l’oreille, renonça à jouer le rôle d’avant-garde : il n’entendait aucun cœur battre sur ce vaisseau. Le capitaine était bien placé pour connaître l’existence de navires-fantômes, aussi convint-il qu’ils allaient aborder ce vaisseau en bande : ses hommes n’étaient pas des foies jaunes mais nul ne pouvait prévoir les horreurs que pouvait abriter un bâtiment maudit…

     « A l’abordage !!
     - GRAAAAAAA !!! »

     L’équipage du Corbeau Centenaire fut pris de court par la contre-offensive ; des êtres en haillons se jetèrent par dizaines depuis le vaisseau adverse, s’attaquant immédiatement aux chairs tendres des moins chanceux. Fiodor le Non-Mort et Marcel de Parravon hurlèrent de concert face à cette ignominie et enfoncèrent les rangs adverses avec la maestria qui leur était propre.
     « GRAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !!! »
     - ET MA GRANDE-TANTE, À CE QU’ON M’A RACONTÉ, ÉTAIT DEMOISELLE DU GRAAL ! VIENS DONC SI TU L’OSES ! »


     Au milieu de la mêlée, Felbar finit par croiser le fer avec le Non-Mort ; tous deux se jaugèrent et se reconnurent en quelques secondes, comprenant que de l’issue de leur duel pouvait dépendre l’issue de la bataille. Force était de constater qu’ils n’échangèrent nulle réplique, leurs lieutenant respectifs couvrant largement tous les bruits alentours avec leurs rugissements.
     Chose autrement étonnante, ils se découvrirent comme étant des adversaires se valant l’un l’autre : même leurs styles d’escrimes étaient quasiment similaires, mélanges de coups redoutables et de feintes que l’on apprenait plutôt dans la rue que dans les académies militaires ; leurs lames furent d’ailleurs les premières victimes de l’affrontement, finissant par s'ébrécher à force de se croiser dans le ballet mortel de leurs maîtres. Quelques bottes audacieuses plus tard, tous deux affichaient moult coupures et semblaient tout deux comme possédés par une transe. (Fiodor : tests réussis ! 4T, 3B, 1 invu, 2 PV !! Felbar : 4T, 4B, 2 invus, 2 PV !!)  
     « Est-ce qu’on t’a déjà dit qu’on pouvait voir à travers ta cage thoracique ?!!
     - GRAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !!!
     - J’en étais sûr ! »

     Felbar aperçut enfin l’ouverture tant attendue : là ! Sa rapière décrivit un arc de cercle parfait, cisaillant le cou de son ennemi et provoquant une fontaine de sang (Felbar : 4T, 4B, 3 invus, 1 PV !). Le capitaine adverse demeura figé un instant, les bras ballants… avant de se jeter sur la vampiresse médusée qui ne put que reculer pas après pas sous la férocité de l’assaut. Elle réalisa trop tard que sa retraite la conduisait au bord du navire, à un endroit où le bastingage avait sauté… Sa chute disgracieuse fut accompagnée d’un dernier « GRAAA ! » avant que l’eau n’étouffât tous les bruits de la surface. Ses morts-vivants furent expulsés presque aussitôt de la même manière. Peste !! Elle avait perdu. (Fiodor : 1T, 1B, 1 PV !!!)

     Fiodor ordonna à son équipage victorieux (après avoir non sans mal éjecté le colossal revenant adverse) de manœuvrer autour du vaisseau ennemi et de remettre le cap vers l’amont du fleuve. Parbleu, quelques pouces de plus et il aurait été décapité… Le Non-Mort n’éprouvait aucune envie d’inspecter les entrailles du vaisseau qui avait failli causer son trépas définitif. La pluie et la jungle pouvaient s’occuper de ce bâtiment mal famé, lui n’y trouvait plus son compte. Enfin, se dit-il en rentrant dans sa cabine, au moins il avait survécu.




 
         
     Le capitaine Sarquindi (Ethgri Wyrda) vs Sargath, le Héraut des Mille Lames (Thaelin)


     Lorsque Heinrich von Carstein lui signala un navire en vue droit devant, le Héraut des Mille Lames infusa ses rameurs de puissance maléfique destinée à leur faire accélérer la cadence.
     Sargath n’aimait pas la jungle environnante : c’était comme si la végétation était complice de toutes les créatures qu’elle dissimulait à son regard. Le fleuve, en revanche, était depuis le début son fidèle allié, menant sa galère de guerre droit vers les richesses oubliées de tous et dévoilant toutes les proies potentielles. Quant à cette pluie… Le seigneur vampire fut partagé entre nostalgie de temps à jamais révolus, lorsqu’il bénissait la pluie qui arrosait les fermes de Lahmia, et réjouissance plus prosaïque car il n’avait plus à s’inquiéter des rayons courroucés du soleil.

     La galère se rapprochait de plus en rapidement, ce qui s’expliquait facilement puisqu’il devint manifeste que le vaisseau adverse avait viré de bord et comme relevé le défi des morts-vivants. Sargath finit par distinguer des voiles sombres et une coque effilée, d’un art naval qu’il avait eu le temps d’oublier depuis son long sommeil embaumé.
     Il fut en revanche forcé à réagir lorsqu’une salve de projectiles vint se ficher dans tout ce qui se trouvait sur le pont, ne causant guère de dommages graves mais mettant en évidence l’esprit combattif de sa proie. Le seigneur vampire fit se mouvoir sa garde squelettique afin qu’elle occupât le bord qui allait faire face au vaisseau ennemi. Heinrich fut également contraint à y être : il n’eut guère protesté mais Sargath aperçut l’insatisfaction dans le regard de son acolyte. Bah, un serviteur ne pouvait pas toujours être fidèle…

     Le Rêve d’Atharti avait viré de bord car son équipage trouvait la manœuvre on ne peut plus juste : tout ce qui n’était pas vaisseau-aigle de leurs détestables cousins devait forcément être une proie facile, cela allait de soi. Les corsaires avaient lâché leur première salve d’arbalètes et… avaient été légèrement perturbés par l’absence de cris de douleur que la pluie n’aurait pas dû suffire à étouffer. L’ordre de leur commandant claqua et la deuxième salve succéda à la première : le capitaine Sarquindi commençait à se douter que quelque chose n’allait pas mais n’allait certainement pas en faire un exposé à ses druchii. Après tout, c’est aussi en étant convaincus de leur supériorité que les elfes avaient souvent remporté des batailles qu’ils auraient autrement perdues. La galère se rapprochait et Sarquindi pouvait nettement distinguer son apparence : une construction dérangeante au vu de ce qui devait être un curieux mélange entre une galère du Vieux Monde et un équipage… du très vieux monde. L’immense statue sur la poupe acheva d’étonner l’elfe noir, qui lui trouva presque quelque chose de comique…
     « À l’assaut, druchii ! À l’assaut, par Khaïne !! »

     Sargath identifia immédiatement celui qui avait donné l’ordre au reste des marins. Il fut témoin également de l’abordage fulgurant de ces êtres sveltes et agiles qui n’hésitèrent pas à sauter crânement sur les casques et les boucliers levés de ses gardes pour atterrir derrière leur ligne et broyer leur formation par-derrière. Furieux, le Héraut des Milles Lames se leva de son siège et dégaina son sabre : ils allaient regretter leur audace, ces êtres au sang si bouillonnant…
     Devant ses yeux, le commandant de l’offensive ennemie venait de prendre à part le vampire sylvanien et le faisait reculer sous un déluge d’estocades que ce dernier peinait à esquiver. En se disant que ce von Carstein aurait bien besoin de quelques semaines d’entrainement sous sa tutelle, Sargath l’invectiva sèchement en lui ordonnant de reculer.

     Sarquindi avait lui aussi remarqué d’abord l’individu pâlot parmi les squelettes, puis l’individu pâlot qu’il avait de prime abord pris pour une effigie au pied de la statue. Il s’était réjoui de ce manque d’assurance de celui qu’il avait pris pour le maître des morts, aussi la vision de ce nouvel adversaire bien plus imposant lui fit revoir ses plans à la baisse. Le capitaine du Rêve d’Atharti inspira un grand coup et se maîtrisa : c’était déjà fort malhabile de la part de cet énergumène de ne pas le frapper en traître, alors il ne se démonterait pas face à cette chance d’en découdre un contre un.  

     Sargath fut sur le point d’entamer l’offensive lorsque son ennemi ne devint plus qu’une ombre diffuse ; pluie, pluie, bruit de la mêlée non-loin, environs grisés par l’intempérie, tout parut momentanément flou au seigneur vampire, qui aperçut soudainement la lame elfique enfoncée jusqu’à la garde dans sa poitrine, l’ombre qu’était son ennemi à quelques pouces à peine de son visage. Ses membres refusèrent de l’obéir alors qu’une douleur insoutenable lui indiquait que le cœur venait d’être perforé de part en part. Il n’entendit plus rien, à part ce qui devait être le sourd clapotis de la pluie, et sa vision bascula en arrière pour ne voir plus que le ciel chargé de nuages. (Sarquindi : 3T, 3B, 3 PV !!!)

     Après un temps qui lui parut durer une éternité, le seigneur vampire sentit soudainement les flux de son corps reprendre péniblement leur cours alors que ce qui les bloquait venait d’être retiré de son organe vital. Il voulut immédiatement broyer tout ce qui se trouvait autour de lui ; sa vision lui indiqua seulement Heinrich von Carstein, qui lui jetait des propos insignifiants, la lame elfique qu’il venait d’arracher encore dans ses mains. Derrière le sylvanien, la silhouette lugubre de sa galère renversée sur le flanc : ils étaient au bord de la jungle, sur un banc de plage terreuse. Quelques éclats métalliques lui indiquèrent une pile de dépouilles entassées au pied de l’épave : privés de la volonté de leur maître, ses gardes n’avaient guère fait long feu.
     Sa fierté avait pris un coup dont il se souviendrait. Son prestige auprès du serviteur à qui il devait désormais beaucoup était entièrement à refaire.
     Le Héraut des Mille Lames se jura qu’il poursuivrait sans relâche tout représentant de cette race abjecte de guerriers sombres et habiles. Nul ne bafouait l’honneur de Lahmia impunément.


     Sarquindi profita de son heure de gloire aussi longtemps que sa blessure le lui permit : lorsque la douleur devint trop insoutenable, il prétexta une excuse diffuse et s’éclipsa dans son sanctuaire.    






     Le prince Aetholdyr Prestelance passe automatiquement la deuxième journée !  

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Intermèdes II

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     Admirable et superbe témoignage de la croisée évolutive de l’oiseau et des créatures reptiliennes de la Lustrie, le narcoptérix arborait un plumage aux couleurs chatoyantes et le bec acéré de son lointain, et plus massif, cousin : le terradon.

     Perché sur son arbre qui, lui-même, poussait défiant aux abords d’une falaise, notre spécimen dominait la forêt lustrienne dont la canopée verte, toute bruissante de vie dans le soleil couchant, s’étendait à perte de vue. Son bec était d’ailleurs tout strié de cicatrices : notre oiseau était un vétéran, un survivant de nombreuses chasses tant comme prédateur que comme proie. L’air fier, il profitait tout comme nous du spectacle de la forêt, et rien au monde, pensait-il ne pourrait l’en déloger, surtout pas le sang-froid qui jaillit soudainement de sous l’arbre pour se jeter dans le vide.

     Cela dit, la gerbe de flammes qui fendit l’air dans un mugissement crépitant à la suite du lézard le fit rapidement changer d’avis. Dans un bruissement de plumes à peine audible, notre oiseau prit la fuite à toute vitesse : la jungle ne pardonnait pas les paresseux.

     « Grmblr. Encore raté ! »

     Pestant et bousculant sans ménagement les branchages encore fumants qui le séparaient du précipice, un nain émergea à la lumière éclatante du couchant, le forçant à lever une main devant ses yeux. De son autre main, tout aussi gantelée de cuir et de fer que la première, il brandissait ce qui ressemblait à un tromblon, à la gueule déversant une noire et épaisse fumée.

     « Kruti d’skofzani… » murmura-t-il dans sa barbe poivre et sel d’une voix caverneuse. Un regard désapprobateur jeté au précipice suffit pour le faire ranger son arme dans son dos, aux sangles prévues à cet effet sur le côté de l’imposant paquetage qu’il portait, relié à l’étrange arme de tir par un fin tube métallique.

     Pas moyen de voir où le sang-froid avait dévalé la pente, ni de le rejoindre sans passer trois jours à trouver un chemin pour la remonter.

     Ce n’était pas aujourd’hui qu’il pourrait se refaire son stock de tranches de viande de sang-froid, salées, fumées et séchées. Un régal pour lui, que les umgal du navire ne lui disputaient pas : il fallait bien être un nain pour avoir la patience de mâcher éternellement ces lambeaux de chair… La viande de sang-froid était déjà ferme avant d’être cuite, mais la laisser sécher demandait à qui osait tenter de l’avaler de se battre longuement pour la forcer à lâcher, enfin, ses doux fumets, si parfumés et si salés. Bref, une nourriture à l’image de ceux qui aimaient la consommer : pugnace et opiniâtre.

     Avec un dernier regard, cette fois empreint de regret à l’idée que le met tant apprécié lui ait encore échappé, le nain se résolut à faire demi-tour, et il disparut à nouveau dans les branchages, remontant la trace noire et fumante qu’il avait dessinée dans la forêt pendant toute sa chasse.

     Lentement, la nuit se mit à tomber sur l’Est du continent lustrien.

* * *

     « Ah, Señor Thrond ! La chasse a été bonne ? »

     À peine le nain était-il rentré dans le campement en effervescence qu’un homme de large carrure, tout sourire sous sa fine moustache, venait l’accoster. Thrond lui rendit son salut, mais pas son sourire.

     Il continua sa traversée du camp, entre les discussions des marins en train d’installer les tentes, le bruit des coups de marteaux qui plantaient les piquets, et la douce odeur des feux de bois qui avaient été allumés un peu partout sur la berge et qui éclairaient la scène, autour desquels quelques soldats commençaient à faire cuire un peu de viande en bavardant jovialement. Quelques saluts furent adressés au nain, qui les rendait d’un geste de la main. L’homme le suivait diligemment, sans se départir de son sourire, attendant patiemment une réponse, qui ne tarda pas à venir :

     « Tu es bien drôle, João » commença le nain, sans la moindre trace d’amusement sur le visage. « Est-ce que tu me vois rapporter quoique ce soit ?
     — Haha ma foi, c’est qu’on ne sait jamais ce qui peut se cacher dans vot’ grand sac à dos, señor enano ! »

     Impassible, Thrond sortit nonchalamment un large cigare d’une petite boîte à sa ceinture et se le mit aux lèvres. Un coup sec de son lance-flammes fit jaillir la petite flammèche pile suffisante pour allumer le tabac, ce sur quoi l’arme fut prestement rangée, comme si elle n’avait jamais quitté le sac-à-dos du nain. La démonstration ne fit pas broncher son interlocuteur, qui s’était habitué aux tours de passe-passe que Thrond réalisait régulièrement avec son lance-flamme depuis qu’il les avait rejoints sur leur navire.

     Après avoir longuement tiré sur son cigare, le nain se permit enfin de répondre :

     « Non, cette fois j’n’ai pas de surprises dans mon sac, juste une bouteille vide, qui n’demande qu’à avoir une relève. »

     Et, comme pour joindre le geste à la parole, farfouillant à l’aveuglette dans les larges poches de son sac qui n’avait pas quitté son dos, il fit jaillir une bouteille en verre au contenu disparu, qu’il laissa choir sur le sable à côté de lui. Un léger filet de fumée fuita du haut du paquetage, auquel le marin adressa un drôle de regard, n’ayant jamais eu l’occasion de savoir précisément ce qui se cachait dans le mécanisme étrange de l’arme naine.

     Ils étaient arrivés au bord du campement, là où la berge se faisait lécher par les vaguelettes de l’Amaxon. La plage était bien encombrée, entre les barques des marins et toutes les caisses de matériel qui avait été déposées çà et là. C’était l’une d’entre elles qui intéressait notre nain, dont la main gantelée fit rapidement sauter le couvercle pour en révéler le contenu : chatoyantes sous les torches qui éclairaient le campement, d’innombrables bouteilles de rhum y avaient été entreposées, et la première qui tomba sous la main du nain disparut rapidement dans son paquetage visiblement sans fond.

     João regarda sans mot dire le manège du nain, avant de croiser les bras d’un air las.

     « Le capitán t’a bien cherché tout à l’heure. Tu n’aurais peut-être pas dû partir tout seul dans la jungle sans le prévenir… »

     Thrond s’empara d’une seconde bouteille de rhum, dont le bouchon sauta presque immédiatement pour tenir compagnie à la bouteille vide au sol. Après en avoir tiré une longue gorgée qui lui arracha un rauque soupir de satisfaction, il tendit la bouteille à son compère, qui s’en saisit sans toutefois la porter à ses lèvres.

     « Mendoza me paye pour cramer les kruti qui s’approcheraient de son navire. » grommela-t-il. « Une fois au sol, il n’a rien à me dire.
     — Je ne sais pas s’il sera d’accord avec toi, soupira le marin. Tu sais comme il est, il aime bien se sentir aux commandes de son équipage.
     — Équipage dont je n’fais pas partie. Mais il est libre d’en discuter avec moi, j’me f’rai un plaisir de lui faire entendre c’que j’pense de mon contrat. »

     Après avoir haussé les épaules, le nain scruta les différents attroupements du campement. Réunis autour des feux de camp, marins comme soldats estaliens goûtaient au plaisir des brasiers chaleureux sur la terre ferme, un luxe après plusieurs jours sur l’Amaxon, dont le dernier sous une pluie torrentielle. Cela dit, Thrond n’y trouva pas ce qu’il y cherchait, ou plutôt celui qu’il cherchait.

     « En parlant du loup, je n’vois pas où est ce vieux grincheux d’Mendoza. »

     João pointa du doigt le galion estalien dont la forme sombre et imposante se découpait sur l’Amaxon derrière lui, parsemée de l’éclat des quelques lanternes suspendues çà et là sur son pont et qui permettaient de mieux le repérer dans la nuit.

     « À bord du Gloria, en train de contrôler les réparations.
     — C’est bien son genre eh, ‘peut pas les laisser bosser tranquille. L’en a pour longtemps ?
     — Ouaip, los imperiales ne nous ont pas ratés ce matin, il nous en reste pour au moins une bonne partie de la nuit à ce qu’on m’a dit. »

     Le visage de Thrond se fendit soudain d’un sourire… qui ne le rendait pas tellement plus rassurant tout compte fait.

     « Héhé, il faudra les remercier de nous avoir autorisé un peu de repos alors… Et en parlant de ça, qu’est-ce que tu dis d’un p’tit jeu de cartes ? »

     João leva ses deux mains devant lui en riant.

     « Myrmydia grande, non ! J’ai appris de toutes les fois dernières : pas question de me faire arracher une pièce en plus de mon salaire, tu es un adversaire beaucoup trop redoutable !
     — Ne m’dis pas que je vais devoir me trouver une autre victime ? répondit Thrond d’un air faussement blessé.
     — Ha ! Je crois que tu t’es déjà fait trop grande réputation pour que quiconque ose te défier… enfin, quiconque de sobre en tout cas.
     — Par Grimnir !
     — Sinon, je peux te proposer un peu de poisson séché au feu de bois, on a péché un peu avec les compañeros, rien de tel que de pousser la chansonnette avec ça et une p’tite bouteille pour égayer la soirée, j’suis sûr que…
     — Attends. »

     L’amusement avait quitté la voix du nain. La main gauche impérieusement levée, sa main droite se dirigeait lentement vers son arme dans son dos, tandis que ses yeux plissés scrutaient avec intensité un point dans la forêt, là où João ne pouvait que distinguer des ténèbres.

     « Tu… as vu quelque chose ? »

     Comme le nain ne répondait pas, le marin commença lui aussi à glisser sa main vers les pistolets à sa ceinture. Soudain, Thrond sembla se relâcher, et sa main retomba sur la caisse de rhum.

     « Hmmm, j’ai cru avoir vu... Eh, où sont les sentinel... »

     L’explosion dans leur dos éclaira soudainement la nuit comme si le jour s’y était fugacement invité, et coupa court à leurs réflexions comme à leur ouïe. Désormais surplombée d’un nuage de fumée noire qui se découpait dans le ciel étoilé, la carcasse éventrée de ce qui avait jadis été le fier galion La Gloria de Myrmydia déversait un torrent de flammes et de débris fumants qui pleuvaient tout autour d’elle.

     L’équipage sur la rive n’eut pas le temps de se remettre de cette vision : quelques secondes plus tard, des formes hurlantes et squelettiques jaillissaient de l’orée de la jungle tout autour du camp. Les plus infortunés furent égorgés sans même avoir pu réagir, puis la bataille éclata réellement. Les sabres furent dégainés, les hallebardes dressées, balles et fléchettes commencèrent à fuser en tous sens.

     « Ce sont… des femmes ? » murmura João, comme figé.

     Éloignés des bords du campement, Thrond comme João pouvaient contempler l’assaut prenant place. En effet, coiffées de plumes, les visages masqués de crânes humains pour certaines, à peine vêtues de pagnes et de larges colliers dorés, c’était toute une troupe de guerrières qui s’attaquait aux estaliens. Toutes sans exceptions arboraient, peints à même leurs corps, des traits blancs semblables à des os, leur donnant de prime abord une apparence surnaturelle que renforçaient les hululements qu’elles poussaient.

     « Des amazones… cracha Thrond en empoignant son lance-flamme d’un main et son fidèle marteau de l’autre. J’en ai entendu parler. Elles sont redout… »

     Le gargouillement que poussa à côté de lui João le coupa net. De la bave jaillissant à grand flot de sa bouche, le marin regardait avec incrédulité la fléchette qu’il venait de retirer de là où elle s’était fichée sur son torse. Il s’effondra dans la barque à côté de lui, son corps parcouru de spasmes.

     Avant même que le nain ne puisse réagir, deux amazones jaillirent d’entre les tentes et le chargèrent avec force hurlements.

     Grossière erreur.

     Une gerbe de flammes éclaira la scène et transforma les cris de guerre en ceux d’agonie, déchirants, qu’accompagna l’odeur âcre de leurs chairs carbonisées.

     Thrond abrégea les souffrances de la première guerrière, qui se tordait de douleur sur le sol, d’un coup de marteau. Il n’eut pas le temps régler pareillement le sort de seconde, car une troisième amazone, s’avança. Des plumes ornaient le crâne qui lui servait masque, et elle portait de nombreux colifichets en or. Le nain pouvait entendre de là où il était sa respiration rauque, ce qui, couplé avec les yeux injectés de sang qui le fixaient avec une intensité haineuse, n’était pas pour le rassurer. Il eut la nette impression de l’entendre feuler avant qu’elle ne s’élance vers lui. (Test de peur raté !)

     Avec un juron, le nain arma tant bien que mal son tir, et fut satisfait de voir son ennemie copieusement arrosée de l’huile incandescente (4T, 2B, -2PV !), avant de se rendre compte qu’elle ne ralentissait pas pour autant. Le bras et la jambe gauche pourtant fumants, elle lui sauta dessus, prenant de court le nain qui fit tant bien que mal un pas de côté. L’amazone atterrit sur le sable derrière lui, l’une de ses deux dagues ensanglantée. (4T, une annulée, 2B, 1svg, -1 PV !)

     Thrond ne lui donna pas l’occasion de l’attaquer une seconde fois : alors qu’elle se redressait avec une agilité pourtant experte, son marteau la cueillit en pleine tête. Le crâne du masque vola en éclats, et l’amazone fut envoyée au sol où elle s’étala de tout son long, immobile et le visage ensanglanté. (Test réussi, 1T, 1B, -1 PV !)

     Prenant à peine le temps de respirer, Thrond se retourna pour faire face au campement, maintenant proie aux flammes. Mais aucune ennemie ne jaillit d’entre les tentes. Visiblement, les poches de résistance des estaliens attiraient suffisamment leur attention.

     Profitant de cette accalmie, le nain se retourna vers la barque en travers de laquelle son ami s’était effondré quelques instants plus tôt. Mais c’était trop tard : le marin gisait immobile, la vie ayant quitté ses yeux exorbités. Alors qu’il serrait les dents, quelque chose attira son attention à la surface de l’eau, courant la distance qui séparait la ruine fumante du galion et la berge.

     « Évidemment, il fallait s’en douter… » murmura-t-il pour lui-même alors qu’il empoignait le pistolet accroché à la ceinture de son camarade.

     À peine visibles sur l’eau éclairée par les flammes, trois têtes nageaient vers la berge. À en juger des plumes dressées sur deux d’entre elles, ce n’étaient pas celles de l’équipage, et elles arriveraient bientôt jusqu’à lui.

     Le tir de pistolet brisa la surface à quelques pouces de la première nageuse, qui plongea immédiatement sous l’eau pour se soustraire à sa vue. Les deux autres ne réagirent pas aussi promptement, et arrachant le deuxième pistolet de la ceinture d’João, Thrond ne rata pas son deuxième tir. Il regretta de ne pas pouvoir entendre le bruit mou avec laquelle la balle avait traversé la tête emplumée, mais voir apparaitre le reste du corps de l’amazone, flottant désormais sans vie, suffit à lui apporter un certain sentiment de vengeance.

     « Krut’umgak » jura-t-il en jetant les armes fumantes dans la barque avec un rictus dédaigneux. Une paire de pistolets nains aurait tous deux touchés, eux. Cela ne l’empêcha pas de se retourner vers l’endroit où les deux autres nageuses avaient disparu pour leur hurler : « Celle-là, elle était pour João ! »

     Sa satisfaction fut toutefois de courte durée. Derrière lui, s’il entendait toujours les étranges hululements des amazones, le peu qui parvenait à ses oreilles de l’équipage du Gloria se résumait à des cris d’agonie. Après un dernier regard tourné vers le bateau en flammes, le nain se résolut à l’évidence qu’il avait perdu à la fois le signataire et l’objet de son contrat. Et que s’il voulait partir, il n’aurait même pas le luxe de prendre le temps d’enlever le cadavre de son compagnon d’arme de sa barque.

     D’un autre côté, il pourrait lui offrir un véritable enterrement plus tard. Les autres n’auraient sûrement pas cette chance.

     Alors même qu’il s’apprêtait à la pousser à l’eau, deux formes sombres jaillirent du fleuve de part et d’autre de l’embarcation, leurs corps trempés luisant à la lumière des flammes. Réagissant au quart de tour, Thrond dissuada la première d’approcher en brisant la caisse de rhum d’un coup de marteau. Le temps que l’amazone recule, un tir de son arme dressait un mur de feu entre eux avec l’alcool enflammé.

     Restait la deuxième amazone, qui s’était écartée de la berge. Contrairement aux autres, elle était bien plus… habillée, et ne portait pas les mêmes peintures sur le corps. Surtout, aucune folie ne se lisait dans ses yeux, uniquement de l’intelligence froide et de la détermination. Elle empoigna sa lance à deux mains et la pointa vers Thrond ; aussitôt, un feu bleu l’embrasa. Visiblement, fuir n’allait pas être si aisé.

     « En jouant avec le feu… On finit par se brûler ! » s’exclama le nain avant de déverser un torrent de flammes à l’encontre de son ennemie.

     Il n’eut même pas le temps d’être déçu : la guerrière avait fait un agile saut de côté qui lui avait permis d’esquiver une bonne partie des flammes tandis qu’un… éclat de lumière semblait avoir balayé le reste qui aurait dû l’atteindre. (Thrond : 7T, une annulée, 2B, 1svg, 1 Invu) Dans le même élan, un seul pas lui avait suffi à permettre de lui faire goûter de la pointe de sa lance, qui passa sous son épaulette avec une précision insolente. Et pendant tout ce temps, elle restait hors de portée de son propre marteau.  (Ixi’hualpa : 3T, une annulée, 1B, -1PV ! Thrond : 1T, 1B, 1 Invu)

     D’une agilité impressionnante, presque serpentine tant ses mouvements étaient précis et fluides, la guerrière tournoya tout autour de lui en une nouvelle suite de passes légères et précises qui lacérèrent de multiples coupures toutes les parties les moins protégées de ses bras. (Ixi’hualpa : 4T, 1B, -1PV !) Si la dernière finit par lui arracher un rictus de douleur, le nain vit une ouverture. Son marteau fila droit vers la jambe vulnérable de l’amazone, qui s’était fendue en avant, et la fit chuter au sol. (Thrond : 1T, 1B, -1 PV !)

     La guerrière grinça des dents face à la douleur, et lança quelques passes pour déconcerter son adversaire, pendant qu’elle se relevait aussi prestement que possible. Mais elles furent trop faibles pour dissuader le nain, qui lui frappa la main gauche et manqua de lui arracher sa lance des mains en plus d’un cri de douleur. (Ixi’hualpa : 4T, 0B ; Thrond : 1T, 1B, -1PV !)

     Le nain allait lever son marteau pour tenter de porter le coup de grâce, quand il croisa le regard de la guerrière, et ce qu’il y vit lui fit l’effet d’une douche froide. Il était temps d’en finir, disait-elle silencieusement.

     Le nain recula immédiatement. Bien lui en prit, car la pointe de la lance, passa du fait à quelques millimètres de ses yeux. Mais elle n’allait pas s’arrêter là. Une deuxième passe fut déviée par le manche du marteau, levé à la hâte. Une troisième força le nain à reculer encore plus, le faisant s’acculer à la barque derrière lui. Parfait. Une ultime fois, l’arme bénie par les anciens s’élança en avant. (Ixi’hualpa : 3T, 1B, -1PV !)

     … et la lance s’enfonça dans un nuage de fumée nauséabonde qui emplit immédiatement l’espace, arrachant force larmes et toux à l’amazone. Elle n’avait remarqué que trop tard la main gauche du nain qui s’apprêtait à activer une tirette sur le côté de son étrange arme de tir.

     Le temps que la fumée se dissipe et que Ixi’hualpa reprenne ses esprits, la barque était déjà lancée sur les flots. Une balle se ficha dans le sable à côté d’elle. Bientôt suivie d’une autre, dissuadant quiconque de s’approcher de la berge.

     Thrond, laissant la barque s’éloigner au gré du courant, essuya tant bien que mal le sang qui coulait abondamment de son front sur ses yeux, preuve qu’il n’avait échappé à la mort que grâce au réflexe salvateur de ventiler les conduits de son arme. Il rechargea ensuite à nouveau les pistolets de João. Impossible de viser correctement à cette distance bien sûr, mais au moins, cela empêcherait les amazones de le poursuivre jusqu’à ce qu’il soit à bonne distance, ce sur quoi il se mettrait à ramer.

     Pour la suite… il improviserait.

* * *

     Le campement des estaliens était méconnaissable. Les tentes avaient été mises à bas, les caisses éclatées, leurs planches brisées, le tout réunis en grands tas sur lesquels les cadavres des estaliens avaient été jetés avant que les amazones n’y mettent le feu. Sur un plus petit monticule, on avait soigneusement entreposé les corps des guerrières défuntes.

     Les pertes avaient été réduites : l’attaque rapide et chirurgicale n’avait laissé que peu de marge de manœuvre aux marins surpris et peu préparés à la méthode des guerrières rodées à l’exercice.

     À défaut de maïs, la dévote kalim chargée du rituel avait soigneusement déposé dans la bouche de chacune d’entre elles l’un de leurs bijoux en jade. Avec cela, Amex pourrait les guider dans l’au-delà jusqu’à Rigg et Kalith, la Mère de toutes les Amazones.

     Une fois le bûcher allumé, et les prières pour accompagner les défuntes prononcées, les guerrières avaient pu se concentrer sur leur activité principale pour cette nuit-là : fêter leur victoire.

     Le bois restant avait été gardé pour pouvoir alimenter les brasiers pour le restant de la nuit, autour desquelles les dévotes kalims se réunissaient pour chanter, danser, et surtout, manger. Après tout, il en allait de l’honneur des guerriers vaincus : les estaliens capturés s’étant distingués pendant le combat avaient été soigneusement mis de côté pour être sacrifiés. En l’absence de prêtresses pour conduire les rituels adéquats, les guerrières s’étaient limitées au plus simple : une fois sobrement tués, elles se partagèrent les chairs des plus braves et se repurent de leur sang pour que leurs prouesses martiales puissent vivre et se continuer en elles.

     C’était là la plus grande marque d’honneur et de reconnaissance qu’elles pouvaient offrir à leurs ennemis : étrangers venus de loin ou non, un guerrier ayant fait preuve de bravoure méritait de recevoir le meilleur des traitements.

     Les autres prisonniers n’eurent pas la même chance. Une fois les rituels conduits, les dévotes kalims laissèrent libre court à la consommation de la koka, qui alluma en elles un feu semblable aux brasiers autour desquels elles dansaient, leurs squelettes peints à même leurs corps ondulant comme des marionnettes démantibulées à la lumière des flammes.

     Puis elles eurent envie de jouer.

     Elles détachèrent leurs ceintures, arborant des effigies des dieux, qu’elles suspendirent à quelques arbres alentours. Entourées de danseuses, plusieurs dévotes y amenèrent ensuite les prisonniers dénudés, et les y ligotèrent fermement.

     Aux chants et aux hululements stridents des guerrières droguées se mêlèrent les cris des suppliciés. Pratiquant des incisions avec de fins couteaux, les amazones les saignèrent doucement, pour asperger les icônes divines suspendues au-dessus d’eux, avant de marquer leurs poitrines ensanglantées de la même peinture blanche qui ornaient leurs propres corps.

     Elles se reculèrent pour laisser un autre groupe de kalims, qui s’étaient équipées d’arcs glanés dans le campement. Chantant et riant, elles tournèrent alors autour des estaliens, insensibles à leurs suppliques. Eussent-elles seulement pu comprendre leur langue que leurs esprits auraient été trop brouillés par la koka pour les dévier de leur tâche. Ainsi, les flèches filèrent vers les survivants de l’équipage. Certaines disparurent entre les troncs et se perdirent dans la forêt, d’autres se fichèrent dans l’abdomen des infortunés marins avec un bruit mou, arrachant d’une part des cris déchirants de douleurs, et de l’autre des cris de joie et d’amusement.

     De vraies archères échappant à l’emprise de la koka et chargées d’honorer ce rituel sacré envers le lever du Soleil et la gloie de Rigg auraient pu faire durer longtemps les souffrances des sacrifiés, garnissant peu à peu leurs torses, leurs ventres, de flèches. Mais ce n’était pas le but des dévotes, elles étaient suffisamment contentes de toucher leurs victimes. Et ce n’était pas comme si elles n’avaient pas une petite réserve de suppliciés suffisante pour leur durer une partie de la nuit.




     Ixi’hualpa se tenait assise au bord d’un petit feu, éloignée de toute cette agitation. Elle avait préféré se retirer du côté des blessées, où régnait un calme tout à fait relatif. Mais les gémissements murmurés des guerrières alitées, qui divaguaient sous l’emprise d’un dérivé de koka atténuant leurs souffrances, lui étaient bien plus supportables que les exactions délirantes des dévotes kalims.

     La guerrière aigle resserra les bandages qui maintenaient le cataplasme en place sur sa main gauche, meurtrie, et serra les dents, plus à la vue des silhouettes dansantes des dévotes que sous l’effet de la douleur. Les sacrifices rituels des prêtresses serpents et des prêtresses kalims étaient une chose, certes, mais la parodie gratuite des dévotes en était une toute autre, qui ne servait qu’à assouvir leur morbide soif de sang provoquée par leur consommation abusive et déraisonnée de la koka.

     Elle secoua la tête pour écarter ces pensées. Il ne servait à rien d’essayer de comprendre les mœurs des dévotes kalims. Peut-être que les kalims elles-mêmes ne les comprenaient pas vraiment. Ixi’hualpa préférait se perdre dans les flammes du petit feu devant elle.



     Elle ne sut trop comment il finit entre ses mains, mais elle se retrouva à contempler l’œuf du grand aigle, offert par Dame Xoc. Il y avait quelque chose de fascinant dans cette si petite chose pourtant si puissante, quelque chose qui attirait le regard, caché parmi les tourbillons laiteux de la pierre lisse, qui donnaient encore plus l’impression de se mouvoir que d’habitude, ainsi éclairés par la lumière des flammes. Irrésistiblement, tout au long du voyage, le coin de son œil avait été attiré par ces recoins où il semblait y avoir quelque secret à percer, quelque essence du divin…



     « Alors c’est là qu’elle se cachait ! »

     Les paroles tirèrent Ixi’hualpa de sa contemplation. Devant elle, le feu avait été réduit à un tas de braises. Combien de temps s’était-elle perdue dans l’œuf du grand aigle ? Elle n’avait même pas le temps d’y réfléchir, car devant elle se tenait Rakt’cheel, guide autoproclamée des dévotes et, essentiellement, sa plus grande opposante depuis le début du voyage. Par-dessus ses brûlures, la kalim avait de nouveau peint son blanc squelette, et c’était derrière un crâne peint sur son visage, son masque ayant volé en éclats pendant la bataille, que ses yeux injectés de sang la toisaient d’un regard torve, n’annonçant rien de bon. Derrière elle s’agglutinaient de nombreuses autres guerrières, certains au regard éclairci et curieux, d’autres aux regards fiévreux et aux sourires tordus.

     L’instinct d’Ixi’hualpa ne lui hurlait qu’une seule chose, de s’emparer de sa lance posée sur le sable à côté d’elle, aussi se fit-elle violence pour se maîtriser. Mieux valait ne pas provoquer de réactions… hâtives de la part de la kalim en face d’elle.

     « Rakt’cheel. » la salua-t-elle respectueusement. « Que me veut cette visite ? »

     L’intéressée se fendit d’un sourire qui n’avait rien d’agréable, se balançant lentement d’un côté et de l’autre sur ses jambes alors qu’elle pointait Ixi’hualpa.

     « On ne vous a guère vu durant les festivités, ô révérée de l’aigle… »

     La moquerie dans la voix de la kalim était à peine voilée.

     « Je préfère le calme et le repos. » répondit calmement Ixi’hualpa, ce sur quoi Rakt’cheel se retourna pour lui montrer ses compagnes d’armes.

     « Et pourquoi pas se joindre à nous, profiter de la fête ? C’est une grande victoire aujourd’hui contre les étrangers, la gloire de Rigg doit être célébrée !
     — Je célèbrerai notre victoire lorsque les derniers étrangers auront quitté nos côtes. » La guerrière aigle doutait fort que ses explications atteignent les esprits embrumés des kalims, mais ce n’était pas une raison de ne pas essayer. « En attendant, je préfère m’assurer d’être prête à les affronter demain et durant tous les jours que cela me demandera.
     — Vous parlez bravement, mais on ne vous a pas vue parmi nous lorsque la bataille a éclaté. »

     Les yeux d’Ixi’hualpa se rétrécirent face aux propos moqueurs de la kalim, qui continuait de sourire méchamment.

     « J’étais sur le navire des k’in-k’ikob. Ne faites pas comme si vous ne le saviez pas, Luxia était avec moi et a survécu pour le prouver. Je ne laisse pas la grâce de Rigg ni la providence se charger de faire exploser les bateaux. »

     Ce fut au tour du regard de Rakt’cheel de se durcir.

     « Tous les combats ne se gagnent pas en fonçant rageusement et aveuglément vers l’ennemi, quoique vous puissiez en penser, continua la guerrière aigle. J’ai appris à combattre les envahisseurs venu de l’Est depuis mon plus jeune âge, comme j’ai appris à repousser ceux venus du dessous et ceux venus des cités des sangs-froids. Vous ne pouvez pas renier les tactiques de nos ancêtres. »

     Le ton de Rakt’cheel monta d’un cran dans l’agressivité :
     « Alors c’est ainsi, vous vous jouez de nous, vous nous utilisez pour parvenir lâchement à vos fins et nous voler la victoire, alors que nous ne faisons que suivre la voie des Kalims…
     — Je ne fais nullement cela. Je ne vous ai pas forcées à vous lancer à l’assaut du camp, et j’aurais bien pu me passer de ce dernier. Mais ce n’est pas comme si j’aurais pu vous empêcher de les attaquer, pas vrai ? »

     Rakt’cheel ne répondit pas. Les acquiescements de tête des guerrières derrière elles suffirent à répondre à la question d’Ixi’hualpa, qui se leva pour faire face à sa rivale, s’appuyant sur sa lance pour se relever.

     « Je n’aime pas ce que tu insinues, ô révérée kalim. Je pense que tu cherches des excuses pour me prouver tort, là où tout me donne raison. Je pense aussi que la koka brouille ton jugement, et que tu devrais retourner aux danses rituelles, qui te clarifieront l’esprit. Va plutôt chercher la vérité avec les dieux. »

     La kalim serra des dents et des poings, et il n’échappa pas à la guerrière aigle que ces derniers descendaient lentement vers les dagues accrochées à sa ceinture.

     « Les dieux m’ont déjà parlé ! Depuis le début, ils me murmurent que les voies de l’Aigle n’ont rien à apporter de bon aux kalims pour cette mission, petite aiglesse. Ce n’est pas notre voie ! Les dieux réclament du sang, pas de la poudre… Tu as peut-être réussi à charmer la grande prêtresse et Dame Xoc, mais pas moi ! »

     Ixi’hualpa lut dans le regard de la kalim qu’il n’y avait malheureusement plus moyen de la raisonner. Il allait falloir en faire un exemple, et rapidement, avant qu’elle n’entraîne ses suivantes tout aussi droguées qu’elle dans un bain de sang.

     Rakt’cheel prit les devants : dégainant ses dagues, son pied envoya voler les braises encore incandescentes du feu de camp droit vers Ixi’hualpa.

     Ou plutôt, là où cette dernière se trouvait quelques instants plus tôt. Car la guerrière venait de faire un pas de côté, aussi agile que le vent, et la vision brouillée de la kalim ne l’en avertit que trop tard. Un coup de hampe de lance dans l’estomac et un autre sur sa cuisse brûlée l’envoyèrent reculer de plusieurs pas, pliée sur elle-même. (Ixi’hualpa : tests réussis, 2T, 2B, -2PV !!)

     « Renonce, révérée kalim. Repose-toi, et nous reprendrons cette discussion demain, à tête reposée. »

     Seul un feulement répondit aux froides paroles de la guerrière aigle. Alors qu’elle s’apprêtait à frapper à nouveau, la kalim se faufila agilement sous sa lance et fit filer ses couteaux le long de son flanc, arrachant à Ixi’hualpa un rictus de douleur. (Rakt’cheel : 4T, une annulée, 2B, 1 Invu, -1 PV !)

     Rakt’cheel n’eut pas le temps de se féliciter d’avoir versé le sang de son adversaire. L’ombre de la lance s’abattit sur elle et une vive douleur dans son épaule la força à lâcher une de ses armes, avant que ses jambes ne soient fauchées sous elle.

     Avant qu’elle n’ait pu se relever, la pointe brûlante de la lance d’Ixi’hualpa vint s’appuyer sous son menton. La guerrière aigle ne lui jeta qu’un regard froid et impassible. (Ixi'hualpa : Test réussis, 4T, 2B, -2PV !!)

     « Tu ne t’en souviens peut-être pas car tu n’étais pas consciente, mais je t’ai déjà sauvé la vie tout à l’heure pendant la bataille, en empêchant un cracheur de feu de t’achever. À présent, tu m’en dois une deuxième. »

     Avant que Rakt’cheel ne puisse articuler une réponse, la lance tournoya sur elle-même. La hampe frappa violemment sa tempe, et jeta immédiatement un voile noir sur sa conscience. La dévote s’effondra sur le sol, immobile.

     Ixi’hualpa se redressa et se tourna vers les guerrières qui la contemplaient en silence. Les plus… conscientes d’entre elles la regardaient avec une sorte de déférence, tandis que les autres souriaient simplement face au combat qui venait d’avoir lieu.

     « Préparez-vous au repos. Éteignez les feux. Demain sera une longue journée et nous ne voulons pas être dérangées avant l’aube. »

     Aucune objection ne fut proférée, et la foule se dispersa précipitamment. Deux dévotes s’emparèrent de la kalim au sol et la trainèrent avec eux. Laissée seule avec les blessées, Ixi’hualpa s’allongea en silence à côté des restes crépitants du feu de camp, les yeux tournés vers le ciel. Elle repensa aux combats qu’elle avait mené à la fois avec et contre sa petite troupe disparate depuis le début de sa mission. Oui, demain serait une longue journée.

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Essen
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Re: [Event RP multijoueur] La Route d'Eldorado

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Lorsque Helmut reprit connaissance, la bataille était finie. Suite à la retraite des amazones, l’équipage avait pu panser les blessés et compter les morts. La poudre éparpillée par l’assaut des guerrières sauvages avait été remis en sécurité, et la garde de la sainte-barbe avait été considérablement renforcée. Pendant la convalescence du commandant de l’expédition, Antonio Salieverri avait pris les commandes du navire. Helmut vint donc dans la cabine du capitaine, pour rassurer le doyen des chevaliers de Morr quant à son état.
Il trouva celui-ci en compagnie de Heinrich Durken et de quelques chevaliers de Morr, assis autour d’une carte des environs. Des notes serrées en patte-de-mouche indiquaient la route à suivre pour atteindre le présumé trésor qui les avait amenés ici. Lorsque la présence de Helmut fut perçue par le reste de l’état-major, ceux qui composaient celui-ci se levèrent.
« Herr Heldenhame, c’est un plaisir de vous voir en forme.
- Et moi de même, Herr Salieverri. Où en sommes-nous ?
- Nous approchons des ruines d’une antique cité, connue chez les indigènes sous le nom de « Tlanxla ». Ses nombreux canaux nous permettront de la traverser de part en part.
- Y a-t-il un quelconque danger ?
- Les indigènes la défendront sûrement, et nous devrions probablement nous attendre à combattre un autre équipage. »
Lorsque le nulner sortit de la pièce, il vit la ville dont le vénérable chevalier lui avait parlé. Malgré son état de délabrement, un sentiment de magnificence semblait émaner des parois de pierre dorée des grandes pyramides de la ville. Comme prévu, des canaux formaient une toile géométrique autour desdites pyramides.
Alors que l’Emmanuelle avançait doucement entre deux grands temples, une série de piaillements aigus se firent entendre. En se penchant par-dessus le bastingage, l’équipage pouvait apercevoir une masse de petits êtres encapuchonnés, nauséabonds et courbés, agitant au-dessus de leurs têtes encensoirs pestiférés et frondes. Helmut avait entendu des histoires à propos de cadavres de telles créatures racontées par des mercenaires marienbourgeois ayant travaillé dans les égouts de la ville. Lorsqu’il en avait parlé à ses supérieurs, ceux-ci lui dirent qu’il ne s’agissait tout simplement que d’une variété d’homme-bête comme les autres. Et maintenant il allait devoir les combattre. Alors qu’il ordonna à l’équipage de se préparer pour le combat, des pierres fusèrent déjà au-dessus de sa tête, mais n’étaient pas lancées avec assez de force pour venir à bout de la plate solide dont étaient constituées les armures des nulners.
Quelques coups de canons bien placés dispersèrent les frondeurs, mais les abominations armées d’encensoirs restèrent. Poussées par un fanatisme insensé, elles bondirent sur le navire en faisant tourbillonner leurs armes au-dessus de leur tête, tout en vociférant des insultes baveuses et en projetant de la salive toxique sur les soldats. Leur fanatisme fut cependant vite contré par celui, plus mesuré et efficace, des chevaliers de Morr. Ils fauchèrent les créatures avec leurs grandes épées, puis jetèrent les cadavres de celles-ci par-dessus bord. Conscient que la maladie, dans ces contrées étrangères, pouvait être bien plus nocive que les ennemis eux-mêmes, Helmut donna l’ordre de nettoyer le pont.
Lorsque leur navire gagna le centre de la ville, ils durent contourner un édifice plus grand que les autres, surmonté des effigies de dieux reptiliens et menaçants. Soudain, une colonne ornée de motifs géométrique tomba devant eux, forçant l’équipage à immobiliser le navire. Un immense mastodonte saurien, suivi de quelques créatures plus menues et agiles, bondit sur le pont du navire et poussa un terrifiant rugissements.
Les troupes impériales réagirent au quart de tour, encerclant la bête et ses alliés, tout en tâchant de percer le cuir épais de ces étranges reptiles anthropomorphes avec leurs armes d’hast. Ce fut finalement Helmut qui, d’un moulinet violent, vint à bout du colosse en lui tranchant la tête. Celle-ci tomba dans l’eau avec un petit bruit. Les autres hommes-lézards se jetèrent alors dans la mêlée, rendus frénétiques par la perte de leur atout principal. Ils étaient agiles, mais leurs lances et sarbacanes n’étaient que de peu d’utilité face aux armures de bonne facture des piquiers.
Il fallut néanmoins du temps à l’expédition pour dégager le passage. Lorsqu’ils reprirent la route, l’infanterie était heureuse, presque au point d’oublier leur cuisante défaite face aux guerrières du fleuve. Mais Helmut, lui, n’oubliait pas. Sa blessure le tenait constamment éveillé de cette vérité : Ils avaient failli. Heureusement qu’il a pu, avec ses dernières forces, avant de sombrer dans le néant, se jeter sur la poudre, sinon ils ne seraient pas là.
Cette nuit-là, il fit des prières à Morr, en compagnies des chevaliers dudit dieu, pour que la mort trouve les ennemis de la comtesse, et que la foi des soldats les préserve des blessures cruelles et douloureuses. Il finit enfin par se coucher, courbaturé par les combats fréquents et le poids des responsabilités.



* * *


Sargath, après sa défaite, s’entraina sans relâche avec Heinrich pendant une majeure partie de la journée, sans s’arrêter car les morts vivants n’ont pas besoin de repos, pour parfaire sa technique et rendre sa garde encore plus parfaite ; il ne tolèrerait plus qu’un autre mortel l’immobilisât de la sorte. Quant à son navire échoué, il assembla en utilisant le vent de Shyish et les ossements, et les armes de ses lanciers squelettes en une seule masse formant de gigantesques pattes arachnéennes accrochées à la coque et lui donna en guise de figure de proue un géant d’os, armé d’un arc dont les flèches furent fabriquées en même temps par son équipage de zombies à partir du mât, qui se fondait dans la coque à partir du buste. Il prit les âmes retournées au royaume d’Usirian de ses troupes et les incarna dans sa construction d’os et ses ushabtis, le surplus ayant pour mission de rassembler tous les défunts fidèles à Lahmia pour les mettre à disposition de leur maitre. Il était prêt à prendre sa revanche, et il n’envisageait pas l’échec. Pour cet affront, les mortels devraient périr puis rejoindre ses rangs.

À la nuit tombée, son navire amélioré arriva vers les ruines d’une cité. Sargath, les contemplant depuis son trône, leur trouva un air de ressemblance avec celles des hommes-lézards qui peuplaient les jungles de Rasetra. Il décida de s’y arrêter pour chercher des catacombes et, s’il y avait des mortels, exercer sa vengeance éternelle. Il fut légèrement déçu en constatant que la cité semblait en ruines mais découvrit aussi que ces hommes lézards lustriens devaient être une civilisation bien plus brillante que leurs cousins des terres australes. Il parcourut la cité en essayant de s’approprier la magie de ces reptiles humanoïdes, comme Nagash l’avait fait avec ses précepteurs elfes noirs ; il pensa qu’il s’agissait des semblables de ceux qui avaient osé bafouer la suprématie néhékharéenne sur ses terres.
Soudain des bruits se firent entendre, semblables aux bruissements d’une robe. Il dégaina son épée et fonça en direction de la provenance de ce bruit, percutant un moine de la peste et l’empalant. Il s’aperçut que son sang était vicié lorsqu’il coula sur sa lame et en finit donc rapidement avec lui en dégageant son épée tout en le coupant en deux. Il fit prisonniers quelques autres de ces créatures afin d’avoir un approvisionnement de sang frais et pris un échantillon de leur sang : il était aussi de mauvaise qualité que la vermine dont il provenait mais devrait pouvoir faire l’affaire. Sargath espérait néanmoins affronter des adversaires plus nobles.
Il trouva dans l’encensoir de l’homme rat vicié une étrange poussière verte luisante et la mit dans une bourse : il lui avait semblé sentir une bouffée de pouvoir lorsque son premier adversaire avait tenté de le frapper avec et qu’un peu de cette poussière s’était dispersé dans l’air.
Une fois de retour dans sa base mobile, il tortura un des skavens afin de lui arracher les secrets de cette pierre et se rendit compte de l‘infinité de possibilités qu’il pourrait avoir avec. Mais il ne devait pas se laisser distraire de son but, coloniser la cité d’Eldorado et utiliser son trésor pour rebâtir la gloire de Lahmia et, par la même occasion, rebâtir Néhékhara.
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     - Allez, avance ! beugla le marin en assenant un coup de pied au malheureux le précédant.

     Titubant, celui-ci manqua perdre son équilibre et tomber dans l'eau peu profonde. Cependant, ses camarades le maintinrent sur pieds, supportant son poids par leurs liens communs. En effet, les pirates avaient lié les poings des estaliens et chacun d'eux était relié à son prédécesseur par deux cordes. Une ligne de vie à la gorge et une aux poignets. La colonne d'une quinzaine d'individus progressait difficilement dans la mangrove, entourée par l'équipage semblant évoluer avec une facilité déconcertante. Ceux-ci même s'amusaient de leur peine, les incitant à avancer alors qu'ils trébuchaient sur des racines dissimulées dans l'eau trouble ou subissaient les assauts d'insectes sans pouvoir se défendre. Avec leurs lances et tridents, ils prenaient un malin plaisir à leur piquer les jambes, guidant leur troupeau jusqu'à la Loreleï.

     - Quelle ironie de traverser l'Océan entier pour retrouver le même ramassis de vauriens qu'à notre départ, s'amusa l'un des marins en faisant signe à son voisin.

     Ce dernier, lorgnant la file de prisonniers d'un œil désintéressé, lui adressa un léger signe de la tête. Ces étrangers n'avaient offert que peu de résistance. Ou en tout cas, rien de comparable à leur échauffourée avec des morts-vivants ou l'assaut repoussé d'elfes du Nord. Corus s'ennuyait. Contrairement à ses confrères, il ne bousculait pas leurs captifs, se contentant d'escorter la colonne en silence. Il surprit le regard d'un homme au nez ensanglanté, posé sur le glaive à sa hanche, la pointe trempant dans l'eau boueuse. Maugréant, celui-ci cracha sans chercher à l'atteindre. Il haïssait cet étranger armé jusqu'aux dents, c'était normal en sa situation. Toutefois, il n'était pas stupide et provoquer le combattant n'aurait pas été très avisé...

     Lorsqu'enfin ils débouchèrent sur la bordure de la mangrove, les arbres devenant épars et l'eau plus profonde, le navire apparut. Une planche descendait du pont et disparaissait dans l'eau sombre, permettant aux individus de se hisser à bord, ayant déjà de l'eau jusqu'aux aisselles. Avec fermeté, l'équipage de la Loreleï les faisait monter, jusqu'à ce qu'un cri de panique ne retentisse à l'arrière :

     - Un alligator ! beugla l'un des hommes entravés. Là ! Un alligator !

     En quelques secondes, la situation manqua partir en chaos indescriptible. Les prisonniers ne se réjouissaient pas de leur sort incertain, mais assurément il était préférable à être dévoré attaché par un énorme reptile. Les humains détrempés se pressèrent en avant, soudainement impatients d'embarquer. Stoïques, les marins de la Loreleï se tournèrent dans la direction indiquée, scrutant les remous de l'eau. Ceux les plus proches plongèrent les pointes de leurs lances ou tridents sous la surface, près à harponner la moindre menace. À aucun moment cependant ils ne semblèrent effrayés par la présence de la créature. Au contraire même, celle-ci sembla donner des ailes à leurs prisonniers qui grimpèrent à bord en un temps record.

     Une fois tous embarqués, Molos les passa en revue, examinant les estaliens reprenant leur souffle en répandant de l'eau sur son pont.

     - Avez-vous rencontré de la résistance ? interrogea-t-il Corus lorsqu'il arriva à son niveau.
     - Pas vraiment, maugréa-t-il. Après la chute de leur capitaine, ces pleutres ont rendu les armes. Ils ne valent pas un coquillage.

     Passant distraitement les doigts sur son médaillon en forme de conque miniature, Corus leur jeta un regard empreint de déception. Dans leurs yeux, il lisait la crainte, l'appréhension, la résolution. Aucun n'était un combattant. Tous n'étaient bons qu'à lustrer le bois de leur navire. Sauf, peut-être…

     S'approchant, il s'agenouilla devant l'estalien au nez brisé. Lui seul à priori avait encore une étincelle de haine au coin de l'œil. D'un peu plus loin, Molos fit signe aux autres marins de garder le silence, attentif à ce qui allait suivre.

     - Veux-tu te battre pour ta liberté ? interrogea le champion sans tourner autour du pot.

     L'individu, quelque peu surpris, renâcla. Il jeta un rapide coup d'œil à ses camarades, plusieurs y voyant un quelconque espoir.

     - Sais-tu seulement te battre ? insista Corus.
     - Si j'avais une arme comme la tienne je te montrerais de quel bois je me chauffe, persifla le prisonnier en faisant référence au glaive qu'il avait lorgné durant leur marche.

     À ces mots un sourire s'étira sur le visage de Corus. Sans répondre, il tira une dague de sa ceinture et trancha les cordes reliant l'homme aux autres détenus. Puis le saisit par l'épaule pour le relever avec autorité. Lorsqu'il trancha les liens entravant l'homme, la totalité de l'équipage comme des prisonniers étaient tournés vers eux, faisant silence. Toujours souriant, Corus se saisit du trident à son dos, qu'il jeta à un marin de son équipage, s'en délestant. Puis, tirant son épée au clair, il inversa sa garde et la prit par la lame, tendant le pommeau à l'homme.

     - Montre-moi de quel bois tu te chauffes, réclama-t-il en souriant.

     Perplexe, l'homme regarda l'arme qui lui était offerte - un glaive dont la pointe était pourvue d'une sorte de crochet - puis son adversaire. Hormis la dague à sa hanche, il ne lui restait que le bouclier dans son dos et le filet barbelé à sa ceinture. Ce marin belliqueux aux poignets et mollets exposés comptait-il vraiment l'affronter désarmé ? Secouant la tête, il chassa ses pensées et s'empara de l'arme avant d'effectuer un bond en retrait, se mettant hors de portée de tout coup fourré. Néanmoins Corus resta immobile quelques instants, main levée, avant de finalement s'emparer de son bouclier rond.

     Se mettant de profil, il protégea son épaule et son torse derrière l'écu siglé d'un visage grimaçant, lorgnant par-dessus le rebord métallique.

     Le marin chargea, brandissant l'épée et effectua un brusque arc de cercle, tranchant sous l'épée en direction des jambes mal protégées de Corus. Néanmoins celui-ci esquiva, levant le pied et effectuant un rapide pas-chassé. Il anticipa le revers violent du marin et opposé le bouclier sur lequel l'arme rebondit avec un gong vibrant. Mais avant qu'il ne lève le bras pour porter un troisième coup, son visage et son cou furent happés par une multitude d'épines acérées. Tirant sur son reta, enroulé autour de la tête du malheureux, Corus l'entraîna jusqu'au bastingage. Agitant les bras avec confusion, hurlant et la chair labourée par les barbelés, il ne put porter le moindre coup. Et en quelques instants, il se retrouva balancé par-dessus bord, les pointes métalliques lui écharpant le crâne en se délogeant de sa peau. Son cri fut interrompu par l'énorme éclaboussure qui suivit.

     Aussitôt, la totalité de l'équipage comme des prisonnier se précipita contre le bastingage. L'homme refit surface, agitant maladroitement les bras pour se maintenir, le visage en sang. Il toussa et cracha un peu d'eau avant d'essayer de lever la tête vers eux, perplexe. Pourquoi le défier en duel pour aussitôt le jeter à l'eau, fut-ce du côté opposé à celui de la planche d'embarquement ?

     Des cris dans sa langue natale retentirent brusquement du pont, les autres prisonniers lui criant de faire attention, de ne pas rester là.

     Confus, il regarda autour de lui. Et remarqua les remous de l'eau trouble, tout autour de lui. Lorsque quelque chose vint le mordre à la cheville, il poussa un premier cri, commençant à se débattre en hurlant. Puis soudain, il fut entraîné sous la surface par quelques doigts invisibles.

     - Bravo, félicita Molos avec ironie en lorgnant les remous rougeâtres remontant à la surface, ton épée repose au fond maintenant.
     - Bah. J'irais la récupérer avant que l'on ne reparte.
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Essen
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     Les notes de musique s’égrainaient avec douceur et volupté au rythme de ses doigts fins, qui suivaient avec précision la partition complexe posée sur le pupitre du clavecin. La mélodie tranquille et suave résonnait dans tout le bateau du fait d’un savant système de conduites traversant le mur et le pont, permettant à tout l’équipage du « Corbeau Centenaire » d’apprécier la virtuosité de son capitaine.

     Fiodor le non-mort était en effet assis dans sa cabine au clavier de son instrument favori du moment. Ce dernier occupait une bonne partie de l’espace, du fait de son gabarit augmenté par l’imposante queue, dont l’abattant était à présent levé et fixé par la béquille. Au mur, derrière lui, se trouvaient d’autres instruments, essentiellement à cordes frottées et à vent, de cuivre et de bois. Grimaçant légèrement, Fiodor regrettait d’ailleurs que personne ne puisse l’accompagner au violon dans ce concerto, car la sonorité en aurait été bien plus agréable. Mais à l’heure actuelle, aucun marin ne pouvait se permettre de quitter son poste, majoritairement à cause des pertes causées par l’attaque de la nuit précédente. En y repensant, Fiodor faillit rater une note, et se mit à jouer de plus en plus vite alors que la colère le prenait. Une vampire. Une authentique vampire l’avait défié, lui, et avait réussi à s’enfuir après avoir failli l’anéantir. Il se félicita intérieurement de l’avoir vaincue, mais regrettait à présent de ne pas avoir envoyé son navire par le fond. Non, vraiment, la seule bonne nouvelle de la matinée avait été l’arrêt soudain de la pluie. Dépité, Il avait pour l’heure laissé Flouz aux commandes pour aller se délasser sur son clavecin.

     « Bateau en vue ! »

Fiodor s’arrêta net de jouer. Cette voix était celle de Leonid Fructov, un marin avec qui il partageait des origines kislévites, et qui était inhabituellement volubile pour quelqu’un de cette contrée. S’il l’avait entendu aussi clairement, c’était du fait de son système de diffusion du son. Si tout le monde pouvait l’entendre, la réciproque était aussi vraie. Le vampire poussa un soupir. Vraiment, on n’était jamais tranquille dans cette forêt de malheur. Il se leva brutalement, repoussant le siège qui grinça sur le sol, referma le clavecin et s’empara de son épée du même geste. Si une nouvelle menace se présentait, il fallait l’accueillir comme il se doit.

     C’est en arrivant sur le pont que Fiodor eut sa première vision de la vaste cité en ruine de Tlanxla, vers laquelle le navire se dirigeait paresseusement au gré du vent et contre le courant. S’ils n’avaient pas encore atteint sa lisière, il était clair qu’en son temps cet endroit avait été le siège majestueux d’un pouvoir phénoménal. Des pyramides de pierres grises, toutes plus hautes les unes que les autres, surplombaient des esplanades, des canaux, et des murailles de plusieurs mètres d’épaisseur, et ce sur des kilomètres carrés. Des bâtiments plus petits, de formes rectangulaires ou circulaires, occupaient la majorité de l’espace, et même eux, malgré leur taille modeste, dégageaient une aura de splendeur passée, comme si les concepteurs de cette cité avaient jugé indispensable que le moindre recoin soit impressionnant. Au sommet des pyramides, dont la hauteur des degrés illustrait à elle seule le gigantisme de l’endroit, se dressaient des temples, solennels bâtiments dont on ne devinait que l’entrée sombre, cachant leurs intérieurs aux moins curieux. La végétation avait depuis longtemps enlevé toute impression de vie active dans la cité, les arbres, buissons et herbes hautes emplissant les zones allouées autrefois aux passants, recouvrant les dalles, encerclant les piliers et s’introduisant par les fenêtres. Pourtant, Fiodor distinguait des mouvements épars. Créatures autochtones, autres équipages, ou pire encore, quels qu’ils soient, il y avait des gens dans cette ville.

     Mais telle n’était pas la raison de sa venue sur le pont.

     « Au rapport matelot ! » Tonna-t-il en direction du marin le plus proche. Autour de lui, mis à part des hommes qui récuraient le pont à grand renforts de brosses, il n’y avait que peu d’activité, ce qui lui fit finalement regretter de ne pas avoir sélectionné un accompagnateur musical. Le marin interpelé, un certain Caius - affectueusement surnommé ‘Jaimçamésanplus’ par ses camarades du fait de son caractère indécis - petit homme noueux à la musculature d’athlète, se retourna et se mit au garde à vous. Les sens aiguisés de Fiodor scrutaient les alentours, sans y déceler le moindre navire, à sa grande surprise.

     « Mon capitaine, nous avons repéré une embarcation non-loin.

     - Et où donc ? Je ne vois strictement rien. »

     Le marin eut l’air un peu gêné, et fit un geste en direction de la proue, où s’étaient regroupés le quartier maître Marcel de Parravon et quelques autres marins.

     « C’est que…C’est que ce n’est pas un navire. C’est une barque. »

     Fiodor ouvrit les yeux de surprise, penchant légèrement la tête sur le côté. Une barque ? On l’avait dérangé pour…Ah, oui, au final personne ne l’avait dérangé. Ravalant sa remarque, il rompit l’entretien et se dirigea à grands pas vers l’attroupement.

     « Qu’est-ce qu’il se passe ici ?

     - Il semblerait que quelques individus aient laissé leur barque ici capitaine. » Répondit le revenant sans se retourner. « Peut-être de vils espions, des gibiers de potence bons à engraisser la terre et nourrir les honnêtes gens. Les hommes voudraient savoir si on ne pourrait pas leur donner la chasse, histoire de s’amuser un peu. »

     Fiodor ne répondit pas tout de suite, se contentant de regarder l’endroit désigné par son serviteur. En effet, à quelques mètres, sur les bords du fleuve, à moitié cachée par la végétation florissante, se trouvait une barque toute simple, légèrement ballotée par le courant. Personne n’était visible à bord, mais elle était solidement amarrée à un arbuste. Fiodor considéra ses options. Il pouvait bien ne s’agir de rien du tout, car qui que soient les occupants de ce frêle esquif, ils ne pouvaient pas être nombreux. Mais si cette vision n’aurait rien eu de surprenant le long du Reik ou du Talabec, il n’en était rien ici, à des milliers de kilomètre de toute civilisation respectable. Cette barque n’avait rien à faire là, et ses occupants non-plus. C’était peut-être en effet le moment de procéder à de la bonne vieille piraterie.

     « Arrêtez-moi ce bateau ! » Tonna finalement Fiodor. « On va aller voir ce qu’il se trame. Dix hommes avec moi, ainsi que le quartier-maître ! Descendez deux chaloupes ! »

     Aussitôt, les hommes s’activèrent autour de lui. Marcel de Parravon, fidèle à son habitude, les poursuivit de ses cris qui résonnaient dans son heaume. « Plus vite que ça, tas d’ordures ! Vous avez entendu le capitaine ? Arrêtez le bateau et préparez les barques ! Et au galop ! Je vous jure que si j’en vois un seul traîner, je prendrais sa peau pour me laver le crâne, et ses tripes pour colmater des fissures ! Ceux qui viendront ne seront pas les plus paresseux, je peux vous le garantir ! »

     Motivés par la perspective d’être de ceux qui allaient débarquer, les matelots s’activèrent avec une énergie renouvelée. Mais Fiodor n’écoutait plus. D’un pas rapide, il avait rejoint la barre, toujours solidement tenue par Flouz. Ce dernier semblait ignorant de l’agitation qui avait soudain pris les hommes, son habituel expression renfrognée sur le visage. Il chassa une mouche de son épaule à l’approche de son capitaine.

     « Flouz, je veux que tu gardes un œil sur les alentours en mon absence. À la moindre urgence, tu sais quoi faire.

     - Bien sûr capitaine » répondit le second en hochant la tête. Il plongea la main dans l’une de ses nombreuses poches et en sortit un sifflet taillé dans l’os d’une dizaine de centimètres.

     « Je souffle là-dedans. »

     - Tout à fait. »

     L’objet ne payait pas de mine, mais ils fonctionnaient bien. Fiodor les fabriquait lui-même avec les corps de ses ennemis. Ces sifflets émettaient un son particulier, quasiment inaudible à l’oreille humaine, mais que le vampire pouvait entendre à des lieux à la ronde. Il s’était entraîné pour ça.
*
     « Messieurs » commença Fiodor, debout sur une chaloupe alors que les marins pagayaient jusqu’à la rive, « cela fait longtemps que nous n’avons pas chassé à terre. Voyons si votre instinct a rouillé. »

     Les marins eurent un rictus d’impatience, ravis d’avoir un peu d’activité. Sur l’autre chaloupe, Marcel de Parravon restait immobile, heaume toujours rabattu sur son crâne. Aucun bruit suspect n’était pour l’instant audible, mais la jungle autour d’eux bruissait du mouvement des feuilles et de cris d’animaux. Y repérer un ‘bruit suspect’ était hautement difficile, même pour Fiodor.

     Les chaloupes touchèrent rapidement terre, et furent aussitôt amarrées de la même façon que celle qui les avait attirés ici. Premier à débarquer, Fiodor huma l’air, laissant entrer dans ses narines le fumet de la jungle toute entière, les senteurs de centaines de plantes, le musc d’autant d’animaux, de la vie et de la pourriture. Il y avait ici tant de choses que ses sens en étaient presque saturés. Mais c’était aussi ce qui le faisait se sentir plus vivant que jamais. L’ironie de ce sentiment ne lui échappa pas, mais avec le temps cela ne le faisait même plus rire.

     Les marins débarquèrent à leur tour, suivis par un Marcel de Parravon qui était inhabituellement silencieux. Le maître d’équipage était bien conscient que dans la chasse, le silence était la première règle, et tentait de limiter au maximum ses émissions sonores au cliquetis de son armure et au grincement de ses os frottant les uns sur les autres.

     « Bien » chuchota Fiodor en se tournant vers ses marins. « À présent, la chasse est ouv… »

     Il s’interrompit brusquement. Surpris, ses hommes virent le visage de leur capitaine se crisper dans une expression d’étonnement contrarié. Il avait entendu quelque-chose, quelque-chose qui n’avait rien à faire là, et qu’il était pour l’instant le seul à entendre. Quelqu’un…chantait ? Et ce timbre lui était étrangement familier…

     Sans même finir sa phrase, il pivota vers la jungle et s’y engouffra silencieusement, suivi par ses hommes qui haussèrent les épaules, ayant compris qu’il s’agissait d’un de ces fameux moments où ‘on se tait et on suit’. Le sous-bois s’avéra être beaucoup moins dense qu’ils n’auraient cru, mais la raison en était simple et très évidente : un large chemin avait été taillé…avec du feu. La végétation portait des stigmates d’un incendie assez récent et étrangement très localisé, qui était visiblement passé en ligne droite. Les matelots du « Corbeau Centenaire » s’échangèrent des regards surpris, fronçant les narines du fait de l’odeur de brûlé, mais Fiodor, lui, ne marqua aucun temps d’arrêt devant ce spectacle de dévastation.

     Au bout de deux minutes, la chanson atteignit l’oreille des marins. Petit à petit, ils entendirent cet air chanté par une voix masculine à l’accent prononcé, et dans une langue qui leur était inconnue. Elle avait l’air joyeuse, enjouée, et n’avait pas du tout l’air poussée par quelqu’un qui s’attendait à voir des pirates surgir. Et ils allaient visiblement droit sur sa source. Marcel de Parravon empoigna son épée tout en avançant, son armure rouillée faisant plus de bruit que tout le reste des hommes réunis, à son grand dam. Il se demandait s’ils ne se dirigeaient pas tous dans un traquenard élaboré. Le capitaine, lui, prenait déjà de l’avance.

     Fiodor marchait rapidement, de plus en plus certain de reconnaître cette voix, et distançait distraitement ses hommes. Un sourire quasi chaleureux lui déforma le visage alors que quelques souvenirs lui revenaient en mémoire. Il n’y avait qu’une seule personne qui pouvait chanter ainsi au milieu d’une forêt brûlée. Il fit un pas de côté pour esquiver une branche basse, et poursuivit son chemin, ayant presque oublié les pirates et le revenant qui marchaient derrière lui. Une autre odeur s’était ajoutée à celle des plantes brûlées : celle de la viande cuite. Tout cela semblait correspondre, mais il devait en avoir le cœur net.

     Finalement, repoussant un arbuste qui avait miraculeusement survécu au brasier, il déboucha sur une petite clairière entourée d’arbres et parsemée de quelques rochers. Là, devant un feu de camp grossièrement improvisé sur lequel cuisait ce qui ressemblait à un sang-froid, se trouvait un nain.

     Ce nain n’était pas n’importe quel nain. D’un physique replet, même pour ceux de sa race, et arborant une impressionnante barbe poivre-et-sel, il portait une armure par-dessus laquelle il semblait avoir fixé un baudrier de cuir muni de multiples sangles. Ainsi, fioles, poches et autres bourses pendaient un peu partout sur lui, lui donnant presque l’air d’une étagère ambulante. Ce nain, qui était l’indiscutable chanteur que Fiodor recherchait, faisait lentement tourner au-dessus du foyer la grande broche en bois, sur laquelle était empalé le lézard, qui cuisait à petit feu en dégageant une fragrance appétissante. À côté de lui, posés contre un rocher, se trouvaient un gros marteau de guerre et un étrange sac à dos auquel était rattaché, par de multiples câbles et conduites, une sorte de tromblon. Fiodor avisa rapidement cet équipement, mais le nain le prit de court sans même lever les yeux vers lui.

     « J’te préviens umgi, si tu tentes quoi que ce soit, tu finiras comme ce skofzani juste-ici. J’suis déjà suffisamment content d’avoir enfin réussi à en choper un, c’est pas pour me l’faire piquer par un vulgaire pillard. »

     Fiodor ne bougea pas d’un pouce, mais répondit du tac au tac d’un ton délibérément provocateur.

     « Allons, Thrond. On pourrait partager, qu’en dis-tu ? Je fournis le rhum. »

     Le chuintement causé par le frottement de la broche sur ses supports s’interrompit alors que Thrond, qui leva enfin les yeux, la lâcha subitement. Son visage exprimait une joie mêlée à du soulagement.

     « Fiodor ? Fiodor le non-mort ? Toi ici ? Et tu proposes du rhum ? Mais par Grimnir, je dois rêver ! »

     Le nain s’élança vers Fiodor, et tous deux échangèrent une poignée de main suivie d’une tape dans le dos.

     « Mais qu’est-ce que tu fous ici Fiodor ? Aux dernières nouvelles, tu avais suffisamment d’argent pour racheter Bilbali depuis qu’on a cramé la moitié de la jungle l’autre fois.

     - Je pourrais te retourner la question. Mais si tu veux savoir, j’ai entendu parler d’un trésor. Tu me connais : même si j’ai de l’argent, rien ne vaut une chasse au trésor. Mais toi, par contre, tu sembles ne pas avoir gardé grand-chose du butin de notre expédition à Izzatal. »

     Le nain eut un grognement de mépris.

     « Peuh, c’est tout le contraire. J’ai enterré ma part dans un coin tranquille. Mais à Küstburg il y avait des umgi qui cherchaient du monde pour les escorter par ici, et moi, quand on me propose des kruti à cramer, du rhum et du wulthrung, je ne dis jamais non. »

     Tout en parlant de ‘kruti à cramer’, Thrond désigna ce qui pouvait passer pour un sac à dos, mais qui étant en réalité un lance-flamme expérimental, marque de fabrique de cet ingénieur nain qui était le plus fêlé que Fiodor ait rencontré. Au cours de leur expédition commune dans les ruines d’Izzatal afin de piller les richesses de l’endroit, Fiodor avait vu Thrond carboniser des dizaines de personnes avec, et tout autant d’écailleux. Une arme redoutable. À sa vue, il se félicita une nouvelle fois de ne jamais avoir révélé sa nature vampirique au nain. Mais il doutait que cela puisse encore durer.

     C’est ce moment que choisirent les matelots pour débarquer, sabre au clair, la mine patibulaire et le corps couvert de sueur. L’odeur du sang-froid rôti arracha un regard d’envie à plusieurs d’entre eux. À leur vue, Thrond poussa un juron et se rua sur son lance-flamme, qu’il dégaina et pointa dans leur direction d’un air féroce.

     « Je vous préviens, umgi, si l’un de vous fait un pas d’plus, j’vous garantis que vous fertiliserez cette jungle. Maintenant dégagez de mon camp ! »

     Fiodor fronça les sourcils, reprenant son expression de capitaine insaisissable.

     « Repos messieurs. Ce nain est de mes amis, et je vous assure qu’il est tout à fait capable de mettre sa menace à exécution. Maître de Parravon, faites rentrer les matelots au bateau, et faites-leur ouvrir une caisse de rhum en compensation !

     - Tout de suite capitaine ! » Tonna la voix rocailleuse et aux échos métalliques de Marcel de Parravon, qui surgit à son tour dans la clairière. « Allez, venez tas de rats. Le capitaine paye sa tournée, il faut en profiter. Et que personne ne râle ! »

     À la vue du bretonnien dans son armure rouillée et dont les membres manquaient clairement de matière adipeuse, Thrond fronça les sourcils.

     « Dis-moi, Fiodor » commença-t-il d’un ton bien plus mesuré tout en repositionnant légèrement ses jambes pour confirmer son appui au sol. « Je me posais la question depuis que je t’ai vu massacrer des hommes par dizaines. Tu n’es pas humain, je me trompe ? »

     Une chape de plomb tomba sur la clairière. Fiodor pivota pour faire face au nain, posant subrepticement la main sur le pommeau de son sabre. Il ne pouvait craindre pire adversaire dans les parages que Thrond Ventre-de-Fer. Il allait falloir jouer serré.

     Thrond cracha au sol. « T’es un zangunaz n’est-ce pas ? Un vampire ? Réponds-moi ! »

     Silencieusement, Fiodor acquiesça, le visage impénétrable. La tension montait.

     « J’me disais bien que c’était pas naturel ta force. Et ta magie non-plus. Mais à l’époque j’étais trop content de te voir défourailler comme ça. Pas le temps de réfléchir. On était dans la même aventure, et c’était marrant. Mais…mais là, c’est pas pareil. »

     Marcel de Parravon intervint sans ménagement.

     « Dites capitaine, je n’aime pas le ton qu’il prend avec vous. Vous voulez qu’on l’empale avec son sang-froid ? On pourrait…

     - Silence ! »

     La voix de Fiodor avait claqué comme un fouet, faisant taire pour la première fois depuis longtemps son exubérant maître d’équipage, à la stupéfaction des marins présents sur place. Le vampire leva la main, et le revenant recula.

     « Tu veux me tuer Thrond ? Je comprendrais, mais je n’ai pas l’intention de mourir ici. »

     Thrond secoua la tête, la mine grave.

     « Ce n’était pas non-plus le cas de João, et pourtant il va rester ici pour toujours. »

     Tout en parlant, il désigna une pierre rectangulaire posée à la verticale sur un petit tas de terre que Fiodor n’avait pas remarqué jusqu’à cet instant précis. Manifestement, Thrond avait enterré quelqu’un ici. Fiodor serra les dents.

     « Eh bien, s’il le faut… »

     Thrond ne lui laissa pas le temps d’en dire plus. Actionnant le mécanisme de son lance-flamme, il projeta en direction du vampire une gerbe de flammes qui firent reculer les hommes de trois mètres tant la chaleur était intense. Fiodor plongea vers le sol, tentant d’esquiver, mais il avait mal calculé son coup, et la jambe du nain le cueillit au visage (Thrond : attaque de souffle : 9T 3B 3PV !).

     Il se releva, étourdi, et dégaina son sabre avant de se jeter sur son nouvel adversaire. Celui-ci se répandit en une bardée de jurons en empoignant son marteau, parvenant à grand-peine à parer les attaques de Fiodor, mais sans l’empêcher de lui porter un violent coup de poing sur le nez (Fiodor : 3T, 1 T annulée, 1B, 1PV !), ni parvenir à porter la moindre attaque (Thrond : 2T 1B 1 invu).

     « Tu vas voir, uzkular ! Je vais te montrer de quel bois je me chauffe ! »

     Thrond, en effet, décida de changer de tactique. Si son adversaire le surclassait en termes d’habileté martiale, il y avait un domaine dans lequel lui-même était nettement supérieur : la masse pure. Aussi, Fiodor fut surpris de voir le nain prendre appui sur un des rochers avant de se jeter sur lui, tête la première. Le vampire fut bien en peine de parer cette attaque ou de lui opposer la moindre contre-mesure efficace (Fiodor : 1T 0B), et fut d’autant plus surpris quand Thrond lui envoya un violent coup de tête sur le sternum (Thrond : 3T 2B 1 invu 1PV !). Ils roulèrent tous deux sur le sol terreux, avant que Fiodor ne se retrouve sur le dos, avec au-dessus de lui un nain à la barbe couverte de poussière, le marteau à la main et la fureur dans l’œil. Sa propre épée gisait juste à côté.

     Ils se dévisagèrent un instant en silence, vampire pirate et ingénieur nain, liés par une histoire commune et par la haine de leurs deux races. Mais finalement, Thrond partit d’un grand éclat de rire, tandis que Marcel de Parravon venait à peine de dégainer son épée.

     « Aaaaah, ça ira pour cette fois, zangunaz. J’ai épongé ma dette. »

     Fiodor le regarda sans comprendre, alors que Thrond s’écartait et lui tendait la main pour se relever, main qu’il accepta sous les yeux ébahis des pirates qui ne comprenaient plus rien.

     Le vampire était dans un état similaire tout en ramassant son épée. « Dis-moi, Thrond, il va falloir te décider. Me tuer, me laisser vivre, c’est pas très clair là. »

     Le nain ne répondit pas tout de suite, sortant un carnet d’une de ses nombreuses poches qu’il feuilleta avec énergie. Ayant visiblement trouvé la bonne page, il raya une ligne à l’aide d’un fusain, avant de le ranger. Du même geste, il sortit un cigare qu’il alluma sur le feu de camp.

     « Je n’ai pas oublié que l’autre fois tu m’as sauvé la vie, quand José et moi avons été embusqués par ces umgi kruti fanatiques. Si tu n’avais pas été là, on aurait fini en gibal. Je t’en devais une. Plus maintenant. »

     Fiodor plissa les lèvres, contrarié d’avoir été vaincu, mais satisfait de voir Thrond se comporter à nouveau de manière civilisée. Marcel de Parravon décida à nouveau d’intervenir, voyant les hommes désœuvrés et le prenant comme un affront personnel.

     « Euh, dites capitaine, on fait quoi du coup ? Le rhum, c’est toujours d’actualité ? »

     Fiodor tourna son regard vers lui.

     « Je n’ai pas dit le contraire, non ? Alors au galop ! » Il hésita un instant, puis reprit : « ah, et pendant que j’y pense, Thrond, veux-tu nous accompagner sur le Corbeau Centenaire, mon fier navire ? Je ne sais pas où sont tes employeurs, mais tu m’as l’air sans contrat. »

     Thrond cracha en rangeant son lance-flamme tout en tirant une bouffée de son cigare.

     « Mon employeur était le capitaine Mendoza, un estalien dont le bateau s’appelait La gloria de Myrmidia. Mais l’homme est noyé et le bateau en cendres. Et pas par moi » ajouta-t-il en voyant le regard de Fiodor se poser sur le lance-flamme. « Non, on a rencontré des…contrevenantes.

     - Euh, on ne dit pas des ‘comtesses revenantes’ ? »

     Tout le monde se retourna vers Leonid, dont la remarque fit l’effet d’un éclair, et un nouveau silence s’abattit sur la petite clairière. Il fut brisé par l’impact du poing ganté de fer de Marcel de Parravon sur la tête du malheureux pirate, qui tituba en gémissant de douleur. Sans plus de cérémonie, le quartier-maître décréta le retour au bateau, et que le premier qui l’ouvrirait allait « garder la clairière jusqu’à nouvel ordre ». Cela suffit aux pirates, qui le suivirent en portant à moitié Leonid, qui semblait ne plus pouvoir tenir debout après ça.

     « Des contrevenantes ? » Demanda Fiodor une fois que Thrond et lui se furent retrouvés seuls. « Tu veux dire que des femmes vous ont attaqués ?

     - Ah ça, tu peux le dire. Un bon paquet, et énervées en plus. Complètement nues, ou presque, et en poussant des hurlements de damnées. J’ai eu du mal à leur échapper, et João n’a pas réussi. Et j’ai même dû sacrifier une caisse de rhum pour m’enfuir. Une sale nuit. »

     Fiodor réfléchit. Il avait bien vu des amazones en arrivant à l’embouchure du fleuve, mais elles avaient surtout semblé se poser en arbitres. Enfin, il s’en moquait bien. Mais un point le chiffonnait.

     « Et tu dis que ce sont elles qui ont brûlé le bateau ? »

     Thrond tira une nouvelle bouffée de son cigare tout en fixant son lance-flamme sur son dos.

     « Ouais. Va savoir comment, mais quand elles ont attaqué, il a sauté. Comme si une bombe avait explosé à bord. Toute la poudre du navire a dû y passer. » Il empoigna son marteau, et ajouta : « et au fait, j’accepte l’invitation. Tout plutôt que de rester planté là comme un débile. Mais pas question de laisser ici ce sang-froid. J’ai passé trop de temps à le chasser, je le garde. »

     Fiodor se permit un sourire en coin. La suite du voyage promettait d’être amusante avec Thrond à bord. Il empoigna la broche et la souleva d’une seule main, puis la cala sur son épaule, tandis que le nain éteignait le feu de camps en le recouvrant de terre. Ils prirent ensuite le chemin du retour tout en devisant tranquillement. Fiodor se demandait distraitement si Thrond accepterait de jouer d’un instrument. Un cor par exemple. Et il se demandait aussi s’il n’allait pas falloir faire surveiller la poudrière du navire jour et nuit…
***

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Essen
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Re: [Event RP multijoueur] La Route d'Eldorado

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Les sombres pensées du capitaine Phy’lis
     Deux défaites consécutives avaient laissé Phy’lis et son équipage exsangues, épuisés, courroucés et avides de faire souffrir autant d’humains que possible jusqu’à temps qu’ils eussent satisfait leur soif de supériorité en exterminant cette race. Phy’lis se lamentait de ne pas avoir ramené avec lui un atout plus grand, une sorcière par exemple, ou bien une bête à enfermer dans sa cale. On lui avait proposé de garder une hydre encagée dans son reaver, mais il avait refusé car il s’agissait d’un animal non encore maté, et il avait jugé cette idée trop dangereuse, même pour un rabais du prix. Qu’il aurait pourtant été satisfait à cette heure si il s’était trouvé que les humains ayant pris son reaver avaient découvert une bête indomptable cracheuse de flammes dans le ventre du navire. Quelle scène, qui n’arriverait jamais. Voilà ce qu’on gagnait donc à être trop pingre. Il aurait dû tenter l’expérience juste pour le comique de la chose.

     Maintenant, il n’avait ni suffisamment d’elfes ni surtout le temps pour atteindre cette cité pleine d’or qu’indiquait la carte de Theyclos. Déjà deux vaisseaux humains les avaient dépassés sur l’Amaxon, avaient de l’avance sur eux, et il ne serait possible ni de les détruire, ni de les doubler. Et quand bien même, avec aussi peu de combattants, il ne lui restait qu’un espoir: se trouver un navire capable de voguer en haute mer et quitter cette jungle folle, de préférence pas tout à fait les mains vides.

     Ils remontaient le fleuve avec une lenteur frustrante, mais nécessaire pour voir venir tous les dangers qui pouvaient surgir de la jungle. Mais leur discrétion et leur sens de l’attention devaient payer.

     Sur le rebord du fleuve, une silhouette noire et autrement plus colossale que tout ce qui environnait pouvait être reconnue sans peine comme étant un navire, dont la forme, la couleur et la facture ne laissaient pas de doute sur son origine.

     « Le reaver. Splendide. Ainsi le destin nous aura guidé jusques à nos objectifs sans nous laisser vaquer en vain dans vingt vingtaines de vaines diversions.

     - J’ai peur, messire Phy’lis, que ce ne soit pas le nôtre.

     - Or ça, un autre reaver que le nôtre ? C’est donc que des nôtres se vautrent sur le fleuve hôte de nos saumâtres mésaventures. C’est qu’un corsaire sans doute est ici en quête de piller ces fameux lézards qui résident si souvent céans. J’ai entendu dire que le culte de Khaine pouvait payer des fortunes colossales à qui leur ramènerait vivant un de ces batraciens que d’aucuns appellent les slanns, car les sacrifier est acte d’une telle tremblante puissance que Khaine lui même semble danser de joie en dévorant ces âmes sénescentes. Ou alors, et lors la lorgne est de mise en ces lieux qui d’alors se présentent à nos yeux on ne peut plus dangereux : la carte au trésor qui dans cette jungle flétrie nous a par un coup du sort astucieusement conduits, s’est ébruitée en plus d’être bruyante et vibrante vicissitude du mauvais aloi d’un Theyclos mal famé mal glané enfumé. L’enfoiré.

     - Euh… quoi ?

     - Je dis : on a de la concurrence !

     - Ah… en effet je le pense.

     - Mais dans de telles circonstances, c’est plutôt une chance, pour nous, de continuer. Des compatriotes ne sauraient nous rejeter. Nous n’aurons qu’à nous intégrer, combattre à leurs côtés. Or, lorsque nous aurons surmonté le fleuve et jeté notre rapace regard sur l’aurifère cité lacustre que d’ors nous nous organisions de trouver... lors, nous aviserons.  Ces corsaires nous amèneront aux cités d’or, et le moment venu nous partagerons astucieusement le butin.

     - Je le devine, oui, messire.

     - Attirons leur attention mais attention à l’aviron.

     - Euh… quoi ?

     - J’ordonne qu’on approche leur navire, et plus vite que ça. Je vais me présenter et requérir qu’ils me laissent monter à bord pour pourparler. S’ils sont de Karond Kar, ils reconnaîtront mon allure, et s’ils ne sont pas de dernière pluie, ils sauront que dans cette jungle hostile le service de cestuy vaut mieux que de nouveaux ennemis.

     - Ah oui oui oui ! J’ordonne immédiatement qu’on les approche.

     - Et fais également allumer une torche. Je veux paraître illuminé dans l’onde proche.

     Dans la lumière et dans l’éclat inlassable et mal compréhensible de ses plumes, Phy’lis se dévoila. Debout, un pied sur la proue du bateau, l’air trop fier et assuré pour pouvoir être un ennemi, si bien que les arbalètes braquées sur lui ne décochèrent pas leurs carreaux. Pas immédiatement.

     « Messieurs, si vous êtes de Naggaroth vous aussi, accordez moi une audience ! Je suis à la recherche d’esclaves. J’ai à ma disposition des dizaines de guerriers qui ne sont qu’assoiffés de vengeance, et je devine que vous êtes mal en point à l’allure de votre vaisseau endommagé. Je sollicite donc audience auprès de votre capitaine. S’il peut mériter par quelconque moyen ma présence magnifique, nous pourrons peut-être nous entendre de Druchii à Druchii. Il y a sur ce fleuve toutes sortes de races méprisables, c’est pourquoi je dis que comme nous sommes seuls ici de la race supérieure, nous devrions au moins tenter l’entente. »

     Il se doutait qu’on l’entendait, même si les résidents du navire étaient un peu trop timides à se montrer au bastingage. Un coup d’arbalète est si vite arrivé. Mais à terme, l’effort et l’imprudence  finirent par payer…


Les cruels esprits se rencontrent
     Le rêve d’Atharti était étonnamment silencieux malgré l’activité soutenue des membres d’équipage. C’était comme si tout le monde avait cherché une raison de travailler sur le pont : certains lavaient les planches, d’autres recousaient la voile, d'autres inspectaient les balistes accolées au bastingage. Mais derrière toutes ces tâches de façade, tous prêtaient attention au centre du navire. Le butin du dernier abordage avait été rassemblé autour de la grande voile, et un contremaître effectuait l’inventaire. Rien n’était oublié: bijoux funéraires de l’ancien temps, armes décoratives, et même certaines planches de bois couvertes de feuilles d’or arrachées aux cabines intérieures. Tous les elfes comptaient leur part dans leur tête en même temps que le contremaître notait soigneusement la valeur et la nature de chaque objet.

     Sarquindi surveillait la scène depuis le château arrière. Il se délectait à la fois de la splendeur du trésor que de la pensée que les richesses qui l’attendaient au bout de l’Amaxon étaient mille fois plus grandes. Bien entendu, les dangers qui le guettaient étaient eux aussi mille fois plus grands. Le capitaine sourit en se remémorant son duel précédent. Il s’était passé comme il les aimait le plus: bref, décisif, et surtout victorieux. Contrairement à sa rencontre avec cet Asur…

     A ce souvenir désagréable, le corsaire ne put s’empêcher de poser sa main sur le ventre. Sa blessure était encore vive. Il sentit que ses doigts étaient humides. En les regardant, il vit immédiatement que ceux-ci étaient légèrement rougis. Sarquindi pesta, et s’empressa de descendre au pont inférieur. Il ne s’inquiéta pas des regards qu’auraient pu lui lancer ses marins: ceux-ci ne quittaient pas le trésor des yeux. Le corsaire fit irruption dans la cabine du médecin de bord et lui lança sèchement :

     « Kielmir ! Espèce d’incompétent ! Refaites-moi ces bandages, ceux-ci sont complètement inutiles !

     - Il ne faut pas vous étonner, répondit calmement le vieil elfe. Vous avez beaucoup trop donné dans ce combat. La blessure ne pouvait qu’empirer.

     - Silence! Un mot de plus et j’utilise ta langue pour colmater ma plaie. »

     Le médecin se tut. Il indiqua à Sarquindi une couche contre le mur de la pièce et alla chercher son matériel rangé dans le coin opposé. Le capitaine s’allongea en grommelant, et Kielmir put commencer à travailler.
     Quelques minutes plus tard, alors que le médecin terminait d’attacher les bandes, un marin fit irruption dans la pièce :

     « Capitaine, vous êtes là ! Un autre équipage approche en canots !

     - Ferme la porte, idiot ! l’apostropha Sarquindi. Si tu racontes quoi que ce soit de ce que tu as vu ici, tu ne reverras plus jamais Naggaroth en un seul morceau. »

     Le marin remarqua soudain le médecin, et les blessures de son capitaine, et ne put retenir un geste de surprise. Agacé, le capitaine reprit :

     « Qu’est-ce que cet autre équipage ? Il y a du combat ?

     - Non, pas du tout. Ce sont des naggarothii aussi.

     - Des compatriotes ? Que veulent-ils ?

     - Parlementer, visiblement.

     - Faites-les monter à bord. J’arrive.

     - Oui Capitaine.

     -  Avant de partir, va me chercher une chemise propre. Je vais rencontrer ces alliés potentiels. »
**************************
     Phy’lis et quelques marins avaient été autorisés à monter à bord du Rêve d’Atharti. Le reste de l’équipage de l’artiste attendait dans les embarcations amazones, prêts à grimper à l’abordage si les pourparlers tournaient mal. Sur le reaver, les deux groupes d’elfes noirs se toisaient,  un sourire de façade aux lèvres, et les mains posées sur la garde. Les richesses volées lors de la bataille précédente avaient été rapidement transportées dans les cales.

     Phy’lis s’impatientait. Le silence l’ennuyait. S’il avait été en charge de ce navire, il n’aurait pas hésité à corriger les quelques marins qu’il avait vu chuchoter en regardant ses sublimes plumes tout juste acquises. Et puis, quelle impolitesse de la part de son interlocuteur de ne pas se montrer! Lui qui à Karond Kar n’avait jamais hésité à faire attendre son public, il ne pouvait pas tolérer beaucoup plus longtemps cette insupportable solitude.  

     Enfin, le maître du navire parut par l’escalier du pont. D’un regard expert, Phy’lis détailla l’arrivant: habillé de vêtements neufs, le regard un peu moins banal que le reste des marins, et un sourire qui s’était sans doute voulu accueillant, mais qui dissimulait mal une malice cruelle. De son côté, Sarquindi ne parvint à cacher sa surprise que grâce à la description que ses corsaires lui avaient faite de l’arrivant. Mâchant encore les plantes que lui avait données son médecin pour faire passer la douleur, il prenait soin d’éviter tout geste qui pourrait dévoiler sa faiblesse.

     Phy’lis commença la discussion d’un ton enjoué :

     « La rencontre de votre bâtiment est une félicité au milieu de cette infinité végétale ! Je me nomme Phy’lis, grand tragédien et maître de ce ramassis de félons que l’on nomme équipage. Nous eûmes quelques mésaventures aux détours du fleuve, aussi suis-je fantastiquement heureux de pouvoir marcher sur le bois naggarothii d’un navire peuplé de ce qu’imagine volontiers être de futurs amis. Puis-je avoir l’honneur immense de connaître l’identité de mon généreux hôte sur ce fleuron de la flotte de notre grandiose roi-sorcier? »

     Déstabilisé par la verve du tragédien, Sarquindi répondit bien plus sobrement:

     « Vous êtes sur le navire du capitaine Sarquindi. Que faites-vous en Lustrie? Où est votre bateau ?

     - Nous sommes partis en quête d’une légendaire source de richesses et d’abondance que l’on trouverait au cœur de cet entremêlement d’arbres et de lianes. Hélas, trois fois hélas, alors que nous naviguions sur les eaux magnifiques de ce fleuve, il nous advint une mésaventure que mon second va vous conter car je ne puis souffrir de revivre par la parole les désastreux évènements qui nous prirent de court au détour des méandres de notre aventure. Vehiyash, narre à nos camarades les affres par lesquels nous sommes passés!

     - Euh… Oui, oui, hésita le récemment nommé second. Nous avons été attaqués par des humains, deux fois. Chaque fois nombreux et bien armés. Nous avons pu nous échapper mais notre reaver a été laissé sur place. »

     Un éclair de douleur aida Sarquindi à retenir son rire, et il ne laissa paraître qu’un tressaillement.

     « Et donc, vous recherchez mon aide pour récupérer votre bâtiment, c’est cela? C’est que nous avons une autre priorité, pas vrai les gars? »

     Les corsaires autour de lui approuvèrent en ricanant. Phy’lis ne se laissa pas démonter et reprit:

     « Je conçois et comprends que nos soucis matériels ne vous concernent en rien, cependant nous sommes loin de venir les mains vides, car celles-ci manient au moins aussi bien le sabre que les vôtres ! De plus, nous avons pu voir à la triste allure de vos voiles que vous mêmes n’êtes point indemnes. Unissons nos forces, amis comme nous débarqués des terres nordiques. Avec vos lames jointes à la danse des nôtres, nous n’aurons aucun mal à remporter victoire sur victoire sur les pathétiques êtres inférieurs qui osent flotter dans ces eaux que nous bénissons de notre présence druchii. Les esclaves nombreux, et l’or toujours promis au bout de la route nous rendront tous les deux plus riches que dans nos rêves.

     - Vous tombez bien, je dois l’avouer. Et vos yeux ont vu juste. Nous avons rencontré un navire de ces haïssables asurs. Si nous les rattrapons, vous aurez les survivants comme esclaves, et leur navire.

     - Des rejetons d’Ulthuan? Des serviteurs du traître roi phénix? Quelle horreur, et en même temps quelle chance! Sur les marchés de Karond Kar, ils valent fort cher, tant vifs, qu’à vif, que mort qu’à mettre à mort! Où sont donc ces ennemis à qui nous allons apporter le salut ou les cales?

     - Cet enthousiasme me fait plaisir, allié! Que vos soldats viennent à bord. Nous ne devons pas tarder à nous remettre en route si nous voulons les rattraper. »

     Sarquindi tendit la main à Phy’lis. Celui-ci la serra énergiquement avec un grand sourire. l’artiste conclut:

     « C’est un plaisir de conclure un accord avec vous, mon cher et grand ami. Notre collaboration est vouée à la réussite.»


Entre enfants d’Asuryan, il faut s’entraider
     Yelmerion naviguait tranquillement sur le fleuve, les batailles résonnaient de part et d'autre, elle n’était donc pas la seule en ces eaux. Au bout de quelques heures, une bonne nouvelle, un pavillon asur à l’horizon. Les Yvressii et les Cothiquii se saluèrent. Yelmerion et Prestelance débarquèrent sur la côte, installant leurs camps à côté. Les deux commandeurs se présentèrent dans les plus pures traditions asurs, les hauts elfes d’Yvresse participèrent ainsi à l’aide aux blessés et à la réparation du bâtiment de Cothique.

     Loué soit le Créateur pour avoir permis cette rencontre !

     Ces quelques mots pouvaient assez bien résumer l'état d'esprit du prince de Cothique, suite à l'apparition et à la prise de contact avec cet autre équipage d'Ulthuan. Aetholdyr n'en fut que plus ravi et honoré quand il apprit que la noble dame qui dirigeait ce vaisseau n'était autre que Yelmerion l'Argentée : pair d'Yvresse et nièce d'Eltharion le Sinistre en personne! Un des plus grands héros asurs s'il en est! Ce fut ainsi que les deux navires et leurs équipages s'allièrent pour créer une expédition, dont la puissance ne pouvait qu'égaler la noblesse de ceux qui la dirigeait.

     Une fois le Conseil de Guerre rassemblé, le prince de Cothique fut le premier à parler, expliquant à Dame Yelmerion et son état-major son précédent affrontement avec ce corsaire décadent de Naggaroth, racontant bien évidemment sa victoire sur ce dernier. Aetholdyr fit aussi part de ses observations et de ses remarques sur la composition et le comportement de leurs sombres cousins lors de l'abordage.
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     Puis ce fut au tour d'une étrange mage de prendre la parole. Le prince Prestelance et ses suivants se figèrent alors que celle-ci proposait un plan, avec semble-t-il une très bonne connaissance des druchii et des morts-vivants...une trop bonne connaissance peut-être...

     En Ulthuan, les magiciens du royaume de Saphery avaient toujours été réputés pour leur excentricité surprenante. Cependant, chez cette sorcière, il y avait quelque chose de douteux, voire d'obscur à son sujet....
     Toutefois, l'intervention de la princesse d'Yvresse à son sujet rassura un peu son homologue.
Après tout, bon sang ne saurait mentir, pensa le prince en écoutant les explications de Dame Yelmerion.

     À la sortie du Conseil, après s'être fait bousculer par cette guerrière-fantôme, Aetholdyr, de nature intraitable, eut l'envie d'aller la retrouver afin de lui apprendre la politesse. Mais c'était sans compter sur l'Argentée, intervenant une fois de plus et lui expliquant pourquoi elle se comportait ainsi.
Il fallait dire que chez la plupart des hauts-elfes, les aesanar de Naggarythe étaient considérés comme assez sombres, sinistres, voire même pervertis, et ce même après la Déchirure ayant entraînée l'exil du Traître et de ses sbires:

     "Écoutez, Dame Yelmerion, répondit Aetholdyr en haussant légèrement ses sourcils, Je dois vous confier que votre équipage est...d'une diversité singulière... poursuivit-il sur un ton poli, mais peu importe, cela ne nous empêchera pas de triompher sur ce petit ramassis de dégénérés, fit ensuite le prince avec une fierté et une superbe toutes elfiques, N'ayez crainte, Puissance, Vertu et Destinée sont à nos côtés. Les dieux nous gardent, j'en suis persuadé, continua-t-il, hochant légèrement la tête pour appuyer ses propos.
     "Bien, avec votre permission, puis-je prendre congé de vous et retourner en ma nef pour les préparatifs?"

     Et c'est ainsi que les pairs d'Ulthuan se séparèrent, retournant dans leurs navires. Nul doute que le jour qui suivra verra une glorieuse victoire pour les enfants d'Isha...
***

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