Camille Chat a vingt ans. Il est videur au « Trou Margot », une taverne sordide du port de Hurlevent où les marins et les dockers suants viennent boire leur maigre paie. Ce soir le rade est plein à craquer, un vieux sans dents joue de l’accordéon dans un coin, ça chante ça danse ça se bagarre pendant que des putes vérolées passent de client en client avant de partir avec l’un d’eux vers les chambres du haut. Ces filles Camille il les aime bien. De pauvres nanas, orphelines ou vagabondes, qui échouent ici le temps de se refaire une santé ou de crever de la syphilis. Y’a Daisy la grosse blonde qui arrête pas de rigoler, y’a Céline qu’a un coquard parce qu’elle s’est battue avec Georgette pour une histoire de maquillage volé, et y’a la Goulue qui, pour une p’tite pièce en plus, vous met son pouce dans l’cul quand elle vous suce. Le matou l’aime bien, la Goulue. Elle est gentille, elle lui apporte à boire quand il se caille le derche dehors à filtrer les entrées et elle a un regard triste, parfois. Du coup il leur arrive de baiser avant le service, avant que tout l’monde y passe sur la Goulue.
Bon là ce soir l’ambiance chauffe un peu. Y’a une bande de petits cons, des fils de bourges qui viennent d’la ville haute pour s’encanailler au port et dépenser l’argent de leurs papas. Ils font beaucoup de bruit, ils salissent leurs habits chers avec notre mauvais grog, et en gros ils font tout pour faire les beaux et qu’on les remarque. Des petites merdes, ils sont plus jeunes que moi en plus. Nos habitués, des durs et des tatoués, ils grognent en voyant ça. Eux qu’ont rien et qui viennent chez nous pour oublier un temps leur misère ils aiment pas qu’les richous viennent jusqu’ici pour se la péter devant eux. Mais bon y disent rien. Parce que à Hurlevent faut faire attention à qui tu fais chier. Surtout quand t’es en bas d’l’échelle. Moi j’m’en fous. Bras croisés, j’reste dehors et j’fais mon boulot, c’est-à-dire que j’surveille le coin et que j’fais gaffe que les clodo y rentrent pas.
Sauf que là y’a la Pince qu’arrive. On l’appelle la Pince parce qu’il oublie toujours d’nous payer. Ce fils de pute a des putain d’oursins dans les poches. Et j’sais même pas c’est quoi son vrai nom. Et surtout je m’en branle. Tout le monde l’appelle la Pince, et c’est comme ça. Et donc la Pince qu’arrive et qui me dit.
- « Oh Salade. Y’a les blanc-becs qui font chier les filles. Ca commence à bien faire. Celui avec la barbichette là. Tu l’attrapes et tu le fous dehors avant que ça dégénère et qu’j’ai des problèmes. » qu’il me dit.
Alors moi je rentre. J’ai peut être que vingt piges mais j’suis déjà costaud. J’ai même des cheveux tu le crois. J’ai mis de la graisse de cochon pour faire des pics, c’est la mode à cette époque. Bref j’arrive, je rentre et là j’vois quoi : ces petits enculés qui entourent la Goulue et qui la poussent à droite-à gauche. Celui avec la barbichette il lui met une main au cul. Elle lui dit « arrête » et il lui colle une tarte.
Allez, c’est parti mon kiki. Je lui colle mon poing au coin de la gueule. Foudroyé. Ses copains ces tapettes ils disent rien. Je l’attrape une main sur la ceinture, une main dans son col, et je le tire vers la porte. Puis je le jette dehors, là où on vide les pots de chambre. Il tousse il se relève et il me regarde en me pointant du doigt.
- « Tu vas mourir. » qu’il me dit.
Et là il sort un couteau de son veston à dix pièces d’or couvert de merde de docker. Il sait pas que je viens du Val d’Est, ce petit con. La savate elwynienne il va la prendre dans la gueule que même sa mère elle va pas le reconnaître. Je suis sur lui d’un bond, je le dérouille comme il faut il a même pas le temps de me couper avec son canif de salon. J’suis sur lui, il pleure il râle. Je lui colle un marron dans la gueule, un de plus, pour la forme.
- « Tu n’es qu’un moins que rien ! Un sous-être ! Un fils de catin ! » et là qu’il me dit !
Alors là je vois rouge. On insulte pas Môman. Je le laisse se relever, je l’enchaîne à nouveau. Là je retiens plus mes coups, je vois rien autour de moi. Je lui colle la main dans la gueule, le genou dans le bide, je lui tord l’oreille, il pleurniche je lui fais une clé de bras si fort que j’entends « clac » quand l’os casse. Et puis il continue de m’insulter alors je prends son canif de merde et je lui coupe le petit doigt. Ca lui apprendra. Il hurle comme un beau diable, je me relève et je lui envoie un coup de pied sur le groin si fort qu’il s’endort.
Là je me réveille, je regarde autour de moi. Y’a des clients qui sont sortis pour regarder. Y’a les copains du petit con, y’a la Pince, y’a la Goulue qui me fixe avec ses grands yeux tristes. Et puis y’a une putain de patrouille de Bleus. Là j’me dis merde. Ils arrivent vers moi, ils me menottent. Y’en a un qui s’occupe de celui qu’est par terre et qui dit qu’il faut faire venir un brancard. Le sergent il questionne la Pince.
- « C’est un de vos employés ? »
- « Euh non enfin oui mais il vient d’arriver c’était son jour d’essai, on le ne connait pas on ne savait pas que c’était un tel sauvage. » qu’il bafouille, la Pince. « Tenez, il s’appelle Camille Chat ! C’est un vaurien, je ne comprends pas comment on ne s’en est pas aperçu avant … »
Il essaie de se couvrir le con. Il se chie dessus. La Pince si je te recroise, je t’ouvre le ventre. Le sergent il regarde le bourge à mes pieds, il me regarde.
- « Tu t’es attaqué à la mauvaise personne, Monsieur le Chat. » il dit en montrant l’autre qu’est encore dans les pommes. « C’est le fils chéri du duc Van Derburg, chancelier de la Maison des Nobles et proche conseiller de Dame Katrana Prestor. Tu te balanceras au bout du corde d’ici la semaine prochaine. »
Ah. Bah merde alors.