Tor Anroc est à l'époque de la Déchirure la plus grande cité d'Ulthuan à l'Ouest de l'anneau des Monts Annulii, que seule égale Anlec, en Nagarythe, où Ænarion le Défenseur tint un temps sa cour. Le fier peuple de Tiranoc est depuis longtemps reconnu pour son savoir-faire dans la navigation, ou encore la fabrication de chars, aussi rapides que maniables. Leurs villes sont bâties de pierre et de marbre blanc, décorées de nombreuses dorures du fait de l'abondance de matériaux issus des colonies. Tor Anroc ne fait pas exception, et l'on dit que son faste est l'une des plus grandes fiertés de l'Ulthuan d'alors.
La cité est de fait dirigée depuis des générations par une des plus anciennes famille de la noblesse d'Ulthuan, dont le représentant actuel est l'Archonte Cyrion. Il s'agit là du titre traditionnellement donné au dirigeant de Tor Anroc, auquel viennent s'ajouter, selon les besoins de l'étiquette, plusieurs appellations. Ainsi le connaît-on également comme l'« Œil du Dragon », en référence à une légende selon laquelle il reçut du dragon auquel il se lia le don de lire la vérité au fond de l'âme de ses semblables. Enfin, « Arbitre de l'Ouest » est-il pour ceux souhaitant flatter son rang de régent des territoires de l'Ouest au nom du Roi Phénix. Ce dernier point s'explique naturellement du fait que l'Archonte Cyrion, au même titre que d'autres seigneurs de grandes cités tel Valarion Æthil, siège statutairement au conseil des électeurs des Rois Phénix, et appuya la candidature d'Imrik de Caledor, contre celle de Malékith de Nagarythe.
Tor Anroc est donc bien plus qu'un pôle stratégique de l'Ouest, c'est une arène politique, au sein de laquelle s'affrontent le « Parti de la Guerre » et le « Parti de la Paix ». Daruil Il'Ithar est une figure majeure de ce dernier camp, comme l'était son père, récemment assassiné dans de troublantes circonstances.
Tout juste arrivé à Tor Anroc, et bien que partisan de Nagarythe, Ori Aen Elle a -pour l'heure- l'intention de défendre l'apaisement. Mais pour cela, il doit s'attirer la protection de l'Archonte Cyrion, afin de pouvoir agir en tant qu'ambassadeur en cette arène politique dans laquelle il vient de mettre le pied.
Se placer sous l'égide de l'Archonte n'était donc pas une option : il s'agissait bien pour Ori d'une question de vie ou de mort.
Leurs pas les avaient déjà menés dans la forteresse, qu'ils parcouraient maintenant d'un pas vif. Daruil semblait sur ses gardes, jetant régulièrement des regards emprunts de vigilance sur les environs, scrutant chaque angle, chaque embranchement qu'ils étaient amenés à dépasser. S'il ne pouvait ainsi échapper à Ori que le prince était tendu, et ce alors même qu'il se trouvait dans le saint-des-saints de sa cité d'origine, les implications d'un tel constat n'étaient pas des plus rassurantes. Pour ajouter au trouble, alors même qu'ils marchaient prestement de halls en corridors, Daruil s'attachait à maintenir leur conversation à flots, comme ne pouvant se résoudre à laisser la discussion s'éteindre. Pour autant, son attention était ailleurs, de cela, Ori ne pouvait douter.
Arrivés aux portes de la salle d'audience, ils se trouvaient maintenant dans une vaste salle au sein de laquelle évoluaient plusieurs groupes de courtisans et nobles en armes. Leur arrivée ne manqua pas d'attirer les regards, mais dans le plus pur raffinement Asur, le rythme des conversations ambiantes ne s'en trouva pas affecté le moins du monde, l'assistance poursuivant ses échanges mondains comme si de rien n'était. Les regards, toutefois, ne trompaient pas, trahissant un fort intérêt, et parfois bien davantage.
Les portes de la salle d'audience étaient closes, et plusieurs soldats lourdement armés en gardaient l'entrée. Leurs armures étaient d'un ithilmar finement ouvragé, dont les motifs luisaient à la lumière des lustres. Leur heaumes étaient argentés, ciselés à l'image de deux ailes draconiques surmontant une gemme d'un vert pâle. Comme Ori et Daruil manifestaient leur désir de pénétrer dans la salle d'audience, il fut demandé à Ori de laisser ses armes à l'entrée, aux soins de la garde d'honneur. Si le jeune prince de Nagarythe obtempéra évidemment, il put sentir l'exaspération de Daruil à ses côtés. Bouillant d'une indignation à peine contenue, le prince défit également son propre fourreau, le tendant d'un regard mordant au jeune garde d'honneur ayant pris la parole pour confisquer l'armement d'Ori. Ledit garde était manifestement extrêmement mal à l'aise, ne s'attendant évidemment pas à ce geste de protestation de la part du prince, dont il n'avait pas souhaité réquisitionner l'arme. C'est de bien mauvaise grâce, et sous la pression des regards courtisans lorgnant sur la scène, que le malheureux garde d'honneur accepta également l'épée de Daruil, avant de leur céder le passage, une expression embarrassée couvrant son visage désormais fermé.
Les portes de la salle d'audience se refermèrent derrière eux, les laissant seuls au sein d'une vaste pièce garnie de piliers mordorés, et décorées de plusieurs bannières parmi lesquelles Ori reconnut celle du Roi Phénix Caledor lui-même. En trois des quatre extrémités de la croix formée par la salle, de cristallines vitres invitaient la lumière extérieure à venir baigner les murs, nimbant leur teinte albâtre de riches reflets d'or.
Au fond de la salle d'audience, tournant le dos à des vitres aux dimensions invraisemblables, se trouvait le trône, sur lequel siégeait le seul autre personnage présent dans la pièce. L'elfe aux paupières closes ne portait que de riches vêtements de cour, de tons blanc et beige, sans armure apparente, à l'exception notable de son singulier heaume, dont la partie supérieure rappelait la symbolique affichée par les gardes d'honneurs à l'entrée. Son propre heaume était bien plus travaillée, et à bien des égards s'apparentait d'ailleurs davantage à une couronne très élaborée, ne dissimulant que partiellement une ancienne cicatrice lacérant son crâne à partir de la tempe gauche, dévastant une part conséquente du cuir chevelu avoisinant. Le visage blême de l'Archonte semblait moins marqué par les âges que par les conflits, un curieux accessoire maxillaire de facture similaire à la couronne courant le long de sa mâchoire, lui imprimant une expression continuellement crispée.
Lorsque l'Archonte ouvrit les yeux, son regard glacial tomba sur Ori, ne le quittant dès lors plus. Le seigneur Cyrion le dévisagea longuement ainsi alors qu'ils approchaient, donnant l'impression de ne jamais ciller. D'un peu plus près, la teinte gris acier de ses iris semblait par endroits recouverte d'un voile brumeux, mais l'intensité de son regard ne laissait aucun doute quant à l'état de la vision du souverain de Tor Anroc, dont la clairvoyance était entrée dans la légende.
Lorsqu'il prit la parole, ce fut d'une voix étonnamment sourde, s'adressant à Ori, lui intimant l'ordre d'avancer davantage.
« Approche encore, fils de Nagarythe. Tu ne crains rien en ces murs... si tu n'as rien à cacher. » |