Cela faisait maintenant plus de quatre jours qu’Heinrich et Sargath erraient dans la jungle inhospitalière à la recherche de la cité perdue de Chaqua. Soudain, ils entendirent un bruit de piétinement répété et furent presque écrasés par une salamandre ancestrale pourchassée par quelques skinks menés par un skink à crête rouge, décidément cette jungle est pleine de danger. L’immense créature laboura l’armure du général lahmiane et déchiqueta son corps mais ses pouvoirs de régénérations lui permirent de tenir le temps qu’Heinrich fasse tomber un arbre sur le monstre en sciant le tronc à l’aide de son épée. Le monstre bougeait néanmoins et tenta de cracher un jet de flammes qui se répandit rapidement dans la végétation luxuriante. Alors qu’il rôtissait sur place, Sargath usa de toute sa volonté pour outrepasser la souffrance et avancer à travers le torrent de flammes tandis qu’Heinrich grimpait sur le dos du monstre. Le von Carstein enfonça son épée dans la nuque du reptile écarlate ce qui stoppa le jet de flamme et Sargath put ouvrir une longue entaille dans son cou, dans la peau tendre et non carapaçonnée et s’abreuva du sang qui lui fit repousser la peau sur ses os calcinés. La créature se releva ensuite avec une lueur améthyste dans les yeux, tandis que Heinrich von Carstein vacillait en contrecoup de ce qu’il lui avait fallu pour relever une créature aussi massive. Le reptile en question tua rapidement les quatre skinks armées de lances puis Sargath embrocha leur commandant et se bût son sang pour reprendre des forces. Ils mirent le précieux liquide dans quelques fioles puis montèrent à dos de leur nouvelle acquisition. Ils progressèrent vite et virent bientôt sous leurs yeux émerveillés la cité dorée.
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« Herr Fiodor, je ne vous crois pas. Un orgue ne pourrait jamais rentrer à l’intérieur d’un navire. J’en ai déjà vu un au castel Drakenhof, sa hauteur fait au moins la taille du mât ! »
Les deux vampires étaient dans l’eau jusqu’à la ceinture. Le chroniqueur avait la désagréable sensation de sentir des choses louvoyer entre ses jambes et la sensation de ses pieds sur le limon tendre du fond des eaux lui plaisait encore moins. Toute l’opération n’était censée durer que quelques minutes mais chaque minute lui paraissait durer trop longtemps, aussi il avait engagé la conversation avec son nouveau capitaine d’équipage, Fiodor le Non-Mort.
« Vous pensez bien, Herr von Essen, que les instruments peuvent varier en taille en fonction des besoins ! »
Un grincement salutaire suivi du mouvement subit de leur fardeau indiqua au capitaine vampire que leur langschiff venait enfin d’être extirpé des mangroves. Fiodor ne comprenait pas encore comment ils allaient s’en sortir, avec des rameurs morts-vivants dont le maître ne maîtrisait que fort mal la cadence, mais c’était déjà au moins ça de fait.
« Il doit alors faire la taille d’un clavecin, votre instrument ! C’est un clavecin, c’est ça ? »
Ils avaient passé la journée à progresser lentement, du fait notamment de l’application des deux vampires à se dissimuler tant bien que mal du soleil à bord de l’étroit langschiff. Au crépuscule, le mystérieux « Von Essen » avait jugé bon d’accélérer la cadence, le tout pour perdre le contrôle du navire quelques minutes plus tard et rentrer dans une haie de mangroves. Fiodor ne savait pas s’il trouvait la mésaventure comique ou pathétique. Un peu des deux, en réalité.
« Non, Herr von Essen ! L’orgue à bord de mon navire est imbriqué dans la poupe du vaisseau ! Sa taille est respectable et les sons qui en sortent n’ont rien à voir avec ceux d’un clavecin !
- Et des canons, alors, avez-vous des canons à bord de votre navire ?
- Des canons ? Mais bien entendu que le Corbeau Centenaire dispose de canons à son bord ! Qu’allez-vous donc croire !
- Ah, bonté gracieuse ! Peut-être arriverons-nous enfin à nous défaire de ces maudits elfes avant-même qu’ils ne vous démontrent
encore une fois à quel point ils sont bons bretteurs ! »
Ils venaient de remonter à bord du langschiff lorsque Von Essen se fendit de cette dernière remarque. S’ensuivit un regrettable malentendu avec son capitaine, qui eut pris ces propos comme une pique envers lui-même, et il coûta encore beaucoup de mots placés ici et là pour qu’enfin le chroniqueur lui expliquât que lui-même n’était tombé quasiment que sur les maudites longues-oneilles au cours de sa traversée. Les lunes jumelles étaient hautes dans le ciel nocturne lorsque les nordiques trépassés s’emparèrent à nouveau des rames et le vaisseau revint au centre de l’Amaxon.
« Herr von Essen ? »
L’intéressé, assis contre la proue du langschiff, venait d’enlever ses bottes et s’efforçait d’en évacuer le résidu vaseux du fleuve. Fiodor aperçut un bref éclair de frustration sur ses traits, qui lui rappela immédiatement la fureur de vampire lorsqu’il fut tombé sur lui la nuit précédente. Le massacre autour de lui avait alors beaucoup moins importé que l’intensité de cette fureur que le capitaine lui aperçut cette nuit-là : c’était de la rage mais de la rage consciente, dirigée non pas contre ceux qu’il venait de pourfendre ou d’immoler vivants, mais contre des puissances obscures, dont le capitaine avait entendu parler.
« Je croyais que nous en avions fini, Herr Fiodor.
- J’ai une proposition à vous faire. Vous comme moi souhaitez remonter ce maudit fleuve au plus vite, n’est-ce pas ?
- Evidemment, oui !
- Pensez-vous pouvoir accélérer la cadence de vos rameurs en évitant les accidents, cette fois-ci ?
- Non, absolument pas.
- Si vous m’en cédez le contrôle, je saurai obtenir un résultat qui me satisfera… Je veux dire, qui nous satisfera tous deux. »
Fiodor se tenait debout, à quelques pas du chroniqueur. Ce dernier le regarda droit dans les yeux ; dans la pénombre nocturne, les prunelles du vampire brûlaient tels deux charbons ardents. Fiodor n’apprécia guère ce regard mais il avait vu d’autres. De plus, il s’était attendu à ce genre de réaction.
« Vous savez, prononça Von Essen, j’y avais songé. Cependant, je dois vous avertir, capitaine : mon ignorance totale de l’art de la navigation n’est pas la seule raison pour laquelle ces rameurs ont été aussi… hasardeux à contrôler. Voulez-vous m’entendre jusqu’au bout ?
- J’écoute, Herr.
- Vous avez sans doute observé qu’il ne s’agit guère de simples zombies : j’ai capturé leurs âmes au moment où elles quittaient leurs corps et leur ai refusé le repos des trépassés. Au-delà même d’âmes puissantes rappelées depuis l’au-delà, affritées, incomplètes, celles-ci gardent quasiment toute leur intégrité, toute leur force. »
Le chroniqueur marqua une pause, s’attendant à recevoir une quelconque critique vis-à-vis de tant de complications. Le capitaine fit cependant preuve d’une agréable retenue.
« Je pense que vous devinez au moins les contours de la suite, Herr Fiodor. Ces « rameurs » luttent à chaque instant pour se libérer de mon emprise et s’extirper de leurs prisons charnelles pour de bon. Si je vous en cède le contrôle, je ne garantis même pas ce qui va arriver : au mieux, vous allez les perdre. Au pire, il vous en coûtera, à vous, d’avoir tenté de dominer ces âmes ardentes.
- Je vous les rendrai dès que nous arriverons à retrouver mon vaisseau, Herr von Essen.
Rien, pas même ces trente-huit âmes ardentes, ne peut se dresser entre moi et mon vaisseau.
-
Capitaine ?
- Maître d’équipage ?
-
Je déteste mettre en doutes vos capacités, capitaine, mais je n’aime guère cette idée. »
Von Essen gratifia de son attention le seul mort-vivant qu’il ne contrôlait pas à bord du langschiff, les zombies de Fiodor ayant tout simplement été chargés à bord sous leur forme inerte, dénuée de dhar. Il lui semblait en avoir croisé d’autres, des « comme ça », à une autre époque, sur un autre continent…
« Considérez cela comme la décision du capitaine.
- Et que faisons-nous si la « décision du capitaine » lui joue un sale tour, capitaine ? »
Ah, cet humain, aussi, n’était guère dénué d’intérêt. Il en avait aussi vu, euh… Bah ! Il suffit avec le passé !
« À votre aise, Monsieur Flouz. On ne joue pas de « sale tour » à un loup de mer tel que moi.
- Disons que le sort de mon collègue de Parravon sera décidé par le vôtre, capitaine. Moi, en revanche, je me retrouverai seul à seul avec Herr von Essen.
- Monsieur Flouz, je vous trouve fort malpoli avec notre hôte. Tenez, en gage de pardon et de notre belle alliance, pourquoi ne lui offririez-vous pas votre bras ? »
Cela devait sans doute être l’éclat verdâtre de Morrslieb qui éclairait présentement le visage mal rasé du mortel ; même sans cela, le chroniqueur aurait immédiatement senti son sang quitter les traits de son visage à cette annonce. Cependant, il devait mettre un terme immédiat à ce malentendu :
« J’apprécie le geste, Herr Fiodor, mais je refuse la proposition. Le saviez-vous ? Non, vous devriez le savoir, en réalité : vous comme moi avez sans doute croisé au moins une amazone en arrivant en Lustrie ?
- Une amazone ? Cette mortelle qui…
- Qui se tenait à l’embouchure du fleuve, oui.
- Eh bien ?
- Eh bien je ne quitterai point cette jungle avant de m’être gorgé de sang d’une de ses congénères, voilà ce que je dis ! »
Fiodor eut un rictus. Ce vampire était demeuré aussi indéchiffrable maintenant qu’il l’avait été vingt-quatre heures plus tôt, cependant une constante persistait : la détermination et la démesure. Deux qualités qui faisaient du « chroniqueur des von Carstein » quelqu’un d’appréciable à ses yeux. De plus… Bah, ils avaient déjà assez perdu de temps !
« Bien parlé, Mein Herr. Je serais presque prêt à vous accompagner dans votre chasse, si l’occasion se présente encore devant nous. En attendant, acceptez-vous ma proposition ?
- Vous voulez dire que vous ne renoncez pas ?
- Je trouve l’expérience aussi intéressante que nécessaire.
- Dans l’éventualité où vous réussissez, je vous prie de ne pas retourner mes chiens de guerre contre moi. Je détesterais d’avoir à les tuer à nouveau.
- Balivernes ! Je suis prêt, Herr von Essen.
- Bonne chance, Herr Fiodor. Ein… Zwei… Drei ! »
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***
***
Plusieurs heures s’étaient écoulées. Des heures où le langschiff, actionné par des revenants et des zombies, avait avancé à un rythme soutenu. À la barre, Fiodor hurlait des ordres aux cadavres calcinés qui avaient jadis été des norses avec l’assurance d’un maître en son logis. Il n’en avait pas besoin, et le savait très bien. Depuis que Von Essen lui avait transmis le contrôle de feu son équipage, il avait immédiatement organisé ceux-ci de façon à optimiser le fonctionnement du navire. Il lui avait fallu quelques temps pour en acquérir la maîtrise, car lui-même n’avait jamais vogué sur un tel bâtiment, mais son expérience avait fini par prévaloir. Désormais, le langschiff avait atteint sa vitesse de croisière, et fendait les flots d’apparence calme du fleuve Amaxon.
Toute la concentration de Fiodor était divisée entre deux choses : le pilotage, c’est-à-dire le contrôle des morts-vivants pour les faire ramer en cadence, et aussi et surtout le maintien de sa mainmise sur ces marins non-morts. Ce dernier point n’était pas une mince affaire. Comme le soi-disant ‘chroniqueur des von Carstein’ – dont la présence ici loin de tout membre de cette lignée était en soit incompréhensible – lui avait indiqué, ces créatures n’avaient de cesse de lutter contre leur situation. Il devait déployer toute sa maîtrise des arcanes pour maintenir leurs âmes de force dans leurs corps, usant pour cela d’un subtil mélange des vents de la mort et de l’ombre. Il devait tisser, filin après filin, des liens de magie qui emprisonnaient âmes damnées et corps carbonisés. Ce travail était d’autant plus difficile qu’il s’agissait d’âmes de guerriers fiers et orgueilleux, qui n’avaient aucune notion de la soumission. Aucune importance pensa sombrement Fiodor, je le leur apprendrai. Certains de ces revenants, mouvantes insultes à la vie, déambulaient sur le pont en rondes bien ordonnées. Ici, à tout heure du jour et de la nuit, il fallait être prêt à se battre.
À la proue du bâtiment, Marcel de Parravon scrutait les ténèbres, les deux flammèches de ses orbites perçant la nuit avec l’acuité d’un chat. Le revenant bretonnien se tenait coi, affectant l’immobilité du serpent qui scrute sa proie. Car dans son crâne vide, ses pensées tourbillonnaient. Sa propre nature de revenant lui provoquait une certaine pitié pour les nouveaux – et temporaires – esclaves de son capitaine, qui contrairement à lui n’avaient pas eu le temps de se faire à leur nouvelle condition. Pitié tempérée par deux choses : sa haine ancestrale de tout ce qui était un adorateur de la ruine, et sa profonde méfiance quant aux capacités de Fiodor à les maintenir sous son emprise. Il sentait, de façon diffuse et parcellaire, que le capitaine non-mort faisait de son mieux, et le résultat n’en finissait pas de l’impressionner. Pour l’instant, il n’avait pas eu à déplorer la moindre perte de contrôle. Mais il était méfiant, et si sa vue était fixée sur les ombres devant eux, tous ses autres sens étaient focalisés sur ses arrières.
Accoudé à la poupe, Von Essen rêvassait, légèrement intrigué par son nouvel ‘associé’. Ce dernier s’en tirait plutôt bien avec les morts-vivants, bien que n’ayant pas vraiment sa propre maîtrise. Bah, on ne pouvait pas vraiment attendre mieux d’un roturier, fusse-t-il un vampire. Mais pour un roturier, il avait des passe-temps plutôt associés à l’élite. La musique, ce n’était généralement pas l’affaire des gueux, mais plutôt des gens de bien. Ce voyage est décidément plein de surprises, pensa le seigneur vampire en époussetant une poussière imaginaire sur son épaule. Son regard capta la présence de monsieur Flouz, qui examinait le langschiff sous toutes les coutures. Les effluves de la vie titillèrent ses narines et ses pensées avec l’obstination d’un amoureux éconduit. Mais Von Essen repoussa cette soudaine envie avec désinvolture. Ce genre de nourriture était bonne pour le bas peuple. Il ne trahirait pas son vœu de se nourrir de l’amazone, dû-t-il mettre la forêt à feu et à sang. Surtout à sang. Il n’avait d’ailleurs pas manqué de remarquer la présence quasi révoltante de certaines de ces exquises femelles parmi les rangs des zombies de Fiodor. Ainsi donc, cet agrégat de contradictions qu’était ce capitaine vampire avait rencontré des amazones et n’en avait pas ramené une seule vivante pour sa consommation personnelle ? Mais à quel point fallait-il être obtus pour en arriver là ?
Un cri interrompit ses pensées, pour son plus grand bonheur.
« Bateau en vue ! »
Fiodor ne perdit pas de temps. Ses ordres inutiles fusèrent.
« Bougez-vous, bande de chiens galeux ! Tenez-vous prêts à l’abordage ! Le premier qui lambine je le met au bout d’une corde et je m’en sers comme ancre ! Flouz, à la barre. »
Cette dernière instruction provoqua chez Von Essen un sursaut d’intérêt. Ainsi, ce grand escogriffe mécontent était capable de tenir un gouvernail ? Il fallait vraiment que ce Fiodor soit bête pour ne pas l’avoir laissé faire dès le début. Bête, ou terriblement désœuvré. D’un pas nonchalant, le chroniqueur rejoignit la proue, où l’attendaient déjà Fiodor et Marcel de Parravon.
« Aucun doute capitaine. » tonnait le revenant bretonnien. « Ce bateau a dérivé avec le courant et ne bouge pas d’un pouce. Mais il n’est pas assez endommagé pour avoir chaviré. Mille civadières, s’il reste quelqu’un à bord, il doit être en mauvais état. »
Fiodor ne répondit rien, tout à la contemplation de la silhouette allongée à moitié renversée sur la berge, légèrement sur la droite, à deux ou trois encablures. Elle n’était pas difficile à distinguer à présent, malgré les nombreuses branches et troncs d’arbres qui dépassaient constamment de la jungle environnante. Le grand mât de l’embarcation se voyait bien, d’autant que, par chance, les deux lunes brillaient intensément. Von Essen avait l’air intrigué.
« Flouz ! » La voix de Fiodor évoquait les grommellements d’un nain revanchard. « Mène-nous devant. Nous allons voir à son bord. »
Silencieusement, le second obéit, et pendant de longues minutes seules le grincement des rames brisait le silence sur le bateau, silence rendu tout relatif par le bruissement de vie de la jungle alentours.
« Vous perdez votre temps si vous pensez trouver qui que ce soit de vivant à son bord » fit soudain la voix nonchalante de Von Essen, qui s’était approché. « Je n’entends rien à son bord, pas le moindre soupir ou cliquetis de pistolet. Rien que le clapotis de l’onde. Et je sens aussi…
- Du sang. »
Fiodor avait répondu sans le regarder, tout son corps vibrant à l’idée seule de ce nectar. Pourtant, il s’était nourri la veille, et à plusieurs reprises. C’était parfois difficile de se contenir. Mais là, étrangement, l’odeur n’avait rien de divin, au contraire même. Ce sang n’était pas récent, du moins pas autant qu’il aurait fallu. Il avait coulé depuis plusieurs heures.
« Capitaine…Ce bateau, c’est…c’est »
Fiodor cessa de penser au sang et se concentra sur son environnement. Et avant qu’il ait pu demander à Marcel d’arrêter de bégayer, tout son être se figea. Le bateau échoué, qui n’était plus qu’à une vingtaine de mètres, se révélait à lui dans toute sa beauté.
C’était le Corbeau Centenaire.
« Vous reconnaissez ce navire, cher associé ? »
Fiodor n’entendit même pas la question de Von Essen. Il avait retrouvé son bâtiment, contre toute attente. Sa conscience se focalisa dessus. Un battement de cils plus tard, il atterrit à bord.
Sur le langschiff, von Essen laissa échapper un sifflement admiratif. « Je n’imaginais pas ce Fiodor capable de se changer en brume. Décidément, votre capitaine est plein de surprises. » Son ton était badin, comme si la scène toute entière était une simple distraction. Mais son regard perçant n’avait rien perdu des détails. Il nota que Fiodor n’avait d’ailleurs pas relâché son contrôle sur les rameurs, et ce malgré son trouble évident. Souhaitant être là où se passe l’action, il le rejoignit en un instant.
Fiodor, lui, resta un instant immobile, la main posée sur le pommeau de son épée, les yeux luisant de colère alors qu’il détaillait la scène macabre qui s’offrait à lui. Le pont du Corbeau Centenaire avait manifestement été le lieu d’un combat sans merci entre des elfes et…d’autres elfes ? Le doute n’était pas permis, au vu de la posture de nombre de ces cadavres aux oreilles pointues. Son poing se serra en même temps que ses dents. Mais quel était ce monde où ses pires ennemis s’entretuent d’eux-mêmes ? L’affrontement avait aussi partiellement endommagé le bateau lui-même, plusieurs endroits du bastingage étant brisés, et des voiles arrachées. Fiodor se mit à déambuler au hasard, scrutant les corps aux visages figés dans des expressions diverses comme la haine, la peur, la rage ou l’incompréhension. Rien que de très classique en somme. Mais quelle tristesse de n’avoir pas pu être là pour causer ce carnage lui-même.
Von Essen secoua la tête d’un air navré.
« Ainsi, Herr Fiodor, si je comprends bien, nous avons retrouvé votre vaisseau ? Asurs et druchiis s’en sont visiblement servi comme champ de bataille. Mais à part ça, il a effectivement fière allure. »
Fiodor laissa éclater sa colère.
« Quelle sale engeance ! Les salopards, les enfoirés ! Ils m’ont volé ma vengeance ! C’était ma prérogative de les tuer, mon droit, mon droit exclusif de les écharper jusqu’au dernier ! Mais il a fallu que d’autres sales elfes m’en aient privé ! Et sur mon bateau, pour ajouter à l’humiliation. Pourquoi, pourquoi, est-ce qu’à chaque fois qu’une chose se passe mal, je me rends compte qu’un de ces oreilles pointues est dans le coup ?
- Parce qu’ils ont la fourberie dans le sang, voilà pourquoi, Herr. Mais ne vous laissez pas abattre. Vous avez récupéré votre vaisseau. Quant à votre vengeance, elle peut toujours avoir lieu. Il vous suffit de retrouver ceux qui ont gagné ici. Ils ne peuvent être loin. Ils ont perdu pas mal des leurs, à ce que je vois. Oh, lui je le connais… »
Le regard de von Essen s’était posé sur l’un des corps. Ce dernier était celui d’un asur, comme l’indiquait les quelques taches blanches de son armure, même si la quasi-totalité de celle-ci était recouverte de sang. Fiodor s’approcha à son tour, et retourna le cadavre sur le dos d’un coup de pied, révélant le visage exsangue et la gorge tranchée d’Aetholdyr Prestelance. Derrière eux, le langschiff s’était posté à côté du Corbeau Centenaire, et les revenants mettaient en place une passerelle entre les deux.
« Moi aussi je le connais » finit par cracher Fiodor. « Je lui en dois un.
- Un quoi ? »
Sans répondre, le capitaine vampire se saisit de la lance du prince, gisant au sol à côté de lui, et en poussant un cri de rage il l’enfonça dans le corps de son ancien propriétaire, le clouant sur le pont juste dans le cœur.
« Un empalement. »
C’est soudain l’air plus détendu qu’il avisa von Essen.
« Mein Herr, je suis navré, mais je crains que votre prise de guerre ne soit momentanément morte. Aucun des elfes présents ne peut, je pense, vous satisfaire. »
Le chroniqueur eut un acquiescement désolé.
« J’en conviens.
- Je vous propose donc de poursuivre les responsables de ce gâchis jusque dans la cité d’or. Pour peu que personne ne nous dame le pion une nouvelle fois, nous pourrons retrouver ces elfes et leur faire payer cet affront. »
Le rictus sadique de von Essen aurait suffi à faire frissonner un norse aguerri.
« C’est d’accord ! »
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« Pour la dernière fois mein Herr, ce n’est pas ma faute si la salamandre se déplace en dodelinant de l’arrière-train. Si nous n’avons pas croisé ces écailleux sur son dos, c’est bien qu’il doit y avoir une raison. Alors accrochez-vous, et laissez-moi la diriger en paix. »
Réajustant son armure à moitié carbonisée, Sargath grommela tout en s’accommodant, résigné, des instructions de son second – et seul membre d’équipage restant. Mais il lui répondit tout de même pour la forme.
« Et pour la dernière fois, ce n’est pas ‘mein Herr’, Heinrich, c’est ‘Héraut’, ou ‘Héraut des milles lames’. Et tâche de la faire aller dans la bonne direction, j’ai l’impression que nous dévions. »
Heinrich, dont la tenue de cour était tellement délabrée que même une friperie de Mousillon n’en voudrait pas, sans parler de la ruine qu’était son armure, ne pipa mot. Il se concentrait pour ne pas perdre le contrôle de l’immense créature rouge, dont les plaies suppurantes commençaient désormais à sérieusement offenser ses sens. Le héraut des mille lames lui-même n’avait pas non plus aussi fière allure qu’à leur arrivé sur ce fleuve, la moitié de son visage portant encore les stigmates de leur rencontre brûlante avec la salamandre, alors vivante. Une partie de ses vêtements avaient brûlé sous le feu, et le reste était désormais couvert d’une suie qui s’était révélée tenace. Qu’importe, cependant. La cité d’or était bien devant, immanquable à travers la végétation pourtant dense de la jungle, végétation que leur monture écrasait sur son passage. Plus qu’à voler un bateau, assujettir son équipage, remplir les cales du métal précieux, et repartir en sens inverse.
Un jeu d’enfant.
***
Quelques centaines de mètres plus loin, où la jungle cédait à la place à l’Amaxon, sur un langshiff désormais attaché par un solide cordage de chanvre au Corbeau Centenaire, un autre vampire en tenue de cour presque aussi peu fraiche esquissa un sourire. Cette sensation, cette vergence dans les vents les plus obscurs, c’était…oui, c’était de la nécromancie. Il jeta un œil dans la direction du phénomène, mais ne vit rien. Seule la jungle lui rendit son regard, aussi impénétrable qu’un nain à la nouveauté. Ses autres sens ne l’informèrent pas plus. Odorat et ouïe étaient depuis longtemps saturés par le carnaval de vie de la faune et de la flore environnante. Il y aurait de quoi rendre fous les vampires les plus faibles, mais pas Von Essen. Ce dernier admit, en toute humilité, qu’il était fortement intrigué. À sa connaissance, le seul autre nécromant des environs était son allié, Fiodor le Non-Mort, dont le bateau récupéré naviguait en tête de leur petite formation. Il pouvait même entendre d’ici les hurlements de ce curieux revenant, qui, ayant retrouvé des marins – quoique zombifiés – s’en donnait à cœur joie. Mais Fiodor lui-même était trop occupé à commander son nouvel équipage par sa propre nécromancie, et cela, von Essen le sentait. Il n’y avait rien, rien qui établisse sa responsabilité dans ce phénomène. La meilleure explication était encore la plus simple : il y avait un troisième nécromant dans le coin.
Von Essen se mit à faire les cent pas, sous le regard enflammé de ses revenants norses qui attendaient leur heure, immobiles auprès de rames devenues inutiles. Que faire ? Il se refusait à ignorer cette apparition aussi singulière qu’invisible, à laisser partir la seule manière de tromper l’ennui de la journée, ou plutôt de la fin de cette nuit. Mais alors quoi ? La rejoindre ? Seul ? Hors de question. Il l’avait déjà essayé une première fois et s’était fait pourfendre sur place par cette elfe au bouclier qui faisait très mal. Non, il allait tenter quelque chose de plus indirect, peut-être plus insidieux. L’idée-même le fit sourire.
Se précipitant à l’avant, il héla son allié.
« Herr Fiodor ! Avez-vous senti la même chose que moi ? »
La réponse, prononcée d’une voix impatiente, trahissait la concentration dont faisait preuve le capitaine vampire pour piloter son vaisseau par nécromancie, vaisseau qui devait de surcroît charrier le langschiff de son impossible allié.
« Oui ! Nous ne sommes pas seuls !
- Alors ralentissez, je vous prie ! Il y a quelque chose que j’ai envie d’essayer. On va s’amuser. »
Fiodor ne répondit pas, mais leva le bras. Aussitôt, les mouvements des zombies changèrent de cadence, et de nature ; les voiles furent repliées. Bientôt, les deux navires s’immobilisèrent dans le fleuve, ayant tous deux jeté l’ancre.
Von Essen n’avait pas attendu, et s’était lancé à l’assaut des vents de magie. Il n’avait jamais tenté ça, mais cela faisait quelque temps qu’il maîtrisait les arcanes de la nécromancie, et de plus, à bien y regarder, le ‘troisième larron’ n’était pas si doué non plus. On allait bien rire.
***
« Heinrich, redresse le cap. Ce n’est pas par là !
- J’essaye mein…héraut. Mais je ne suis pas…elle ne m’obéit plus !
- Comment ? »
Sargath était fou de rage. Cet incapable n’était même pas à même de se faire obéir d’un simple zombie, fut-il une monstruosité de cinq mètres de haut et quinze de long ? Juché sur la tête de la bête, Heinrich tentait tant bien que mal de se concentrer pour reprendre le contrôle, mais en vain. Une volonté et une maîtrise plus forte que la sienne l’en priva. L’effort que représenta cette tentative ne fut pas gratuit cependant, et le vampire von Carstein hésitait à recommencer.
Sous eux, la salamandre avançait à présent d’un bon pas à travers la jungle, se moquant des arbres, des buissons et des bêtes qui passaient par là. Ses pattes immenses faisaient légèrement trembler le sol, écrasant au passage feuilles et branchages, et traçant ainsi un sillon net dans la jungle. Plusieurs fois, un banc d’oiseaux s’était envolé à leur approche en poussant des cris d’alarme.
Ce nouveau trajet ne dura pas longtemps. Au bout de quelques centaines de mètres, ponctués par les imprécations de Sargath et les cris d’Heinrich, la salamandre finit par s’arrêter brutalement.
« Ah, Heinrich, bravo ! » Fit Sargath en avançant cahin-caha sur le dos de la bête en direction de la tête. « Maintenant que tu as repris le contrôle, retournons vers… »
Le héraut des mille lames ne termina pas sa phrase. Son regard, perdu vers l’avant, venait de capter plusieurs choses. De une, ils étaient à présent devant le fleuve, la tête de la salamandre émergeant des feuillages bordant la berge de l’Amaxon. De deux, ils n’étaient plus seuls, car deux bateaux se tenaient arrêtés là, à une vingtaine de mètres d’eux. Et de trois, ces bateaux, d’apparence plutôt différente l’une de l’autre, étaient peuplés par des morts-vivants. Ce constat, il le fit tout autant par ses capacités thaumaturgiques que par sa vue, malgré l’obscurité nocturne. Et parmi ces autres créatures d’outre-tombe, deux rayonnaient particulièrement pour son troisième œil. Une sur chaque bateau.
« Gute nacht, meine Herren. Belle nuit, n’est-ce pas ? »
Cette voix enjouée venait du plus grand des deux bateaux, un navire norse, sur lequel se tenait sur la proue un individu pâle aux yeux de braise, vêtu de la même façon qu’Heinrich mais avec plus d’extravagances. Un vampire donc, et de la même origine. Heinrich pointa alors un doigt vers lui.
« C’est lui, c’est lui qui a pris le contrôle ! »
Sargath pris les devants.
« Ce que dit mon subordonné est-il vrai ? »
L’autre eut un geste évasif, se contentant de sourire.
« C’est bien possible. Enfin, que voulez-vous, la vie est pleine de surprise. Enfin, la non-vie, en l’occurrence. Le seul être vivant ici, c’est Monsieur Flouz. »
Sargath était éberlué. Cet outrecuidant personnage s’adressait à lui comme au dernier des imbéciles, en une diatribe sans queue ni tête, et ce après l’avoir offensé. Une réparation était de mise !
Sans même prendre d’élan, le vampire nehekharien franchit d’un bond la distance qui le séparait du langschiff, atterrissant souplement sur le pont de celui-ci, faisant immédiatement froncer les sourcils de son interlocuteur.
« Je ne crois pas avoir saisi votre nom, engeance de Vashanesh. Donnez-le-moi, que je puisse l’écrire à la fin de votre épitaphe. Ou au début, suivant ce que je déciderai. »
L’autre fit une révérence.
« Von Essen, chroniqueur des von Carstein. Le seul, le vrai, l’unique ! »
Sargath, la main sur la poignée de son arme, eut un haussement de sourcils surpris.
« Chroniqueur des von Carstein ? Heinrich, tu le connais ? »
L’intéressé, à qui s’était adressé cette réplique criée depuis le pont du bateau, était toujours sur la tête de la salamandre, désormais immobile.
« Pas le moins du monde, héraut. Mais ça faisait longtemps que j’étais dans ce cercueil dans lequel vous m’avez trouvé. »
Sargath reporta son attention sur Von Essen, qui le dévisageait avec une attention soudain exempte de la moindre trace d’humour.
« Et vous, ‘héraut’, avez-vous un nom ? J’en aurai besoin pour mes mémoires, voyez-vous. »
Sargath dégaina son khépesh et se mit en garde.
« Je suis Sargath, héraut des mille lames, chef de la garde de Lahmia. Et vous, Von Essen, pour l’humiliation dont vous m’avez frappé, vous allez mourir séance tenante, "le seul, le vrai, l’unique" ou non. »
Et sans attendre de réponse, il bondit, l’arme levée et les dents serrées. Von Essen réagit au même moment, et le bruit du métal frappant le métal résonna soudain. L’échange initial fut brutal, mais bref. Sargath eut un sourire, constatant avec plaisir qu’il avait réussi à toucher cet impertinent vampire au torse (Sargath : 2T, 1B, 1 PV !). Von Essen recula d’un pas, la frustration se lisant sur ses traits.
« Damned » grogna-t-il. « Jamais je n’arrive à frapper et à bloquer en même temps.
- Quoi ? »
Sargath s’aperçut que la dague de son adversaire était elle aussi couverte de sang, et il réalisa soudain qu’il avait mal au flanc. Sa main gauche palpa la zone, confirmant son diagnostic. Il avait été touché (Von Essen : 2T, 1B, 1 PV !). Ce filou n’était pas seulement un impertinent. Il savait aussi manier les armes. Un sourire appréciateur se dessina sur son visage, celui du connaisseur qui, d’un œil, sait discerner le talent. Cela faisait quelques jours qu’il n’avait pas disputé de duel à sa mesure. Autant en profiter.
Von Essen contre-attaqua le premier, mais Sargath profita de son allonge supérieure pour l’intercepter, l’atteignant à la tête. Mais son épée ne fendit que l’air. L’instant d’après, un réflexe lui fit esquiver, et il entendit le chroniqueur jurer. Manifestement, ce dernier savait se changer en brume, et entendait bien en jouer pour esquiver ses coups. Fort bien, si c’était un test de son habileté, qu’il en soit ainsi. Sargath et von Essen s’élancèrent à nouveau l’un contre l’autre dans une danse où chacun cherchait l’ouverture. L’un frappait et esquivait, l’autre surgissait de la brume comme un spectre avant d’y retourner, encore et encore.
Sargath en eu vite assez. Puisque tu refuses le combat, très bien, je vais me battre selon tes termes. Mais tu vas le regretter. Suivant le fil de sa pensée, Sargath orienta sa prochaine esquive de façon à se faire planter la dague dans le bras. Mais l’autre fut plus rapide, et l’atteignit à l’aisselle gauche, parvenant à le toucher sérieusement (Von Essen : 2T, 2B, 2 PV !!!). Pourtant, le vampire lahmian ne se laissa pas dominer, et profitant de la matérialité de son adversaire, il lui enfonça son khépesh dans l’estomac (Sargath : 2T, 2B, 2 PV !!! Les deux combattants repartent à 1PV).
Von Essen eut un hoquet de surprise et de douleur. Un sang noirâtre sortit de leurs plaies respectives, mais sans couler. Le chroniqueur se changea à nouveau en brume pour reculer, libérant du même coup Sargath qui tomba à moitié à genoux, s’appuyant sur la pointe de son arme.
« Tu ne…perds rien…pour attendre » pesta von Essen, chancelant, et heureux de ne pas avoir eu le cœur transpercé.
Ce fut Sargath qui, cette fois, initia l’offensive. Brandissant son khépesh, il coinça Von Essen par d’habiles passes d’armes, lui zébrant le front (Sargath : 2T, 2B, 1 invu, 1 PV !!!). Mais le chroniqueur disparut immédiatement, et le héraut des mille lames sentit une douleur froide passer entre deux de ses plaques, dans son flanc droit. Ses forces s’amenuisaient (Von Essen : 3T, 2B, 2 PV !!! Les deux combattants repartent à 1PV).
Il se retourna violemment, saisissant le chroniqueur au poignet, et sans lui laisser le temps de réagir il l’envoya violemment s’écraser contre le mât (Sargath : 2T, 1B, 1 PV !!!). L’instant d’après, l’autre avait encore disparu, et une seconde plus tard c’est dans le genou gauche que Sargath sentit l’acier cruel du chroniqueur s’enfoncer (Von Essen : 2T, 2B, 2 PV !!! Les deux combattants repartent à 1PV). Il réussit à ne pas fléchir les jambes, au prix d’une douleur immense, et ses dents serrées témoignèrent de la souffrance que lui causa le pas de côté qui lui permit de se mettre à nouveau hors d’atteinte.
Cela ne pouvait plus durer.
Von Essen disparut à nouveau, conscient lui-aussi que leur duel devait trouver une conclusion. Sargath eut alors un raisonnement rapide. Il avait été touché au flanc, au bras, et dans le genou. Si son adversaire cherchait à l’achever, il allait frapper…
Une seconde passa. Sargath, alors seul, entouré de revenants immobiles comme des pierres, pivota soudain sur lui-même.
La surprise qu’il lut dans le regard de von Essen quand sa lame bloqua la sienne juste devant sa nuque valait tout l’or du monde (Von Essen : 0T). L’instant suivant, le chroniqueur reçut un violent coup de poing au plexus, et sentit plus qu’il ne vit les dents de Sargath plonger dans sa gorge (Sargath : 1T, 1B, 1 PV !!! Règle Vampirique qui proc' ENFIN chez un des deux vampires : Sargath récupère 1PV).
Soudain drainé de son essence-même, le chroniqueur finit par retomber au sol, impuissant car suffoquant sous la douleur, aux pieds d’un Sargath extatique qui poussa un rugissement de rage.
Qui se transforma en hoquet de stupeur quand une main puissante se saisit de sa tête pour l’écraser sur le mât.
« Toi, le héraut des mille lames, si tu ne veux pas finir en mille morceaux, tu vas te tenir tranquille. »
La surprise passée, Sargath avisa son nouvel opposant, qui se trouvait être le vampire de l’autre bateau. Peste, il avait oublié qu’ils étaient deux. Surtout que ce dernier avec un visage impénétrable et un regard glacial. Un regard de tueur. Il n’était pas là pour enfiler des perles. Le dragon de sang se libéra brutalement, mais recula, réalisant petit à petit que ce combat l’avait affaibli, plus qu’il ne le pensait. L’autre s’en était également aperçu, et sa main était posée sur la poignée de son épée.
« Si tu veux te lancer dans un deuxième round, libre à toi, mais sache que je ne te laisserais pas reprendre des forces. »
Pour Sargath, c’en était trop. C’est d’une avec l’amertume d’un kislévite sobre qu’il déclara :
« Quand ce ne sont pas des elfes, ce sont d’autres non-morts. Tout le monde cherche à m’humilier ici ? »
L’autre s’arrêta net.
« Des elfes ? Quels elfes ?
- Des elfes noirs » cracha Sargath, comme si ce mot était en lui-même douloureux à prononcer. « Ces impudents ont détruit mon bateau et anéanti mon équipage. Mais ils ne m’ont pas tué moi, et je leur ferai payer cette erreur. »
Le vampire au regard de glace parut réfléchir. Près de lui, le chroniqueur des von Carstein avait fini par s’asseoir péniblement en tailleur, et épongeait ses plaies sur un mouchoir qui n’en demandait pas tant. Heinrich les eut alors rejoints, mais Sargath remarqua une quatrième silhouette, celle d’un…d’un revenant vêtu d’acier, qui se tenait non-loin, et qui n’était pas du tout immobile.
« Mein Herr Sargath, si vous souhaitez tuer de l’elfe, je préfère vous y aider que vous en empêcher. Mais si vous continuez de retarder notre expédition, vous finirez au fond de l’eau, éparpillé dans plusieurs tonneaux. Les elfes ne savent peut-être pas tuer un vampire, mais moi si. »
Fiodor aurait tout aussi bien pu commenter la qualité du vin avec cette voix, mais la menace n’en était pas moins précise. Sargath cependant, bien loin de plier, s’emporta.
« Mais vous ne manquez pas d’audace ! Je vous signale que c’est vous qui avez interrompu mon expédition, avec vos tours de passe-passe nécromantiques. Et maintenant vous me menacez, en m’accusant d’être le trouble-fête ? »
Fiodor ne bougea pas, mais il baissa son regard pour aviser Von Essen, qui se tenait toujours assis à même le pont, le costume couvert de sang, et qui affectait, avec un succès mitigé, de garder une posture aussi discrète et aussi distinguée que possible en même temps.
« Il a en partie raison, Herr von Essen. »
Ce dernier secoua la tête, puis se lança dans une longue déclaration pleine de hauts et de bas.
« Oui, tout cela semble être un affreux malentendu. Héraut des mille lames, j’ai l’honneur de vous présenter mon associé, Fiodor le non-mort, capitaine du fier vaisseau ‘Corbeau Centenaire’, qui se trouve à côté. Nous nous dirigeons vers la cité d’Or, avec pour objectif de piller l’endroit et de faire un carnage parmi les elfes qui s’y trouveraient. Mon associé et moi-même leur vouons une haine particulièrement tenace à force d’avoir fait les frais de leur vilénie sur l’Amaxon. Si ça vous intéresse, nous pourrions être trois dans cette opération qui, j’en suis certain, va aussi dans vos intérêts. »
Sargath était cette fois interloqué. Une alliance ? Avec un autre descendant de Vashanesh et un pirate ? Par les mille lames dont il était le héraut, ce n’était pourtant pas une opportunité à prendre à la légère, car Heinrich et lui ne représentaient pas ce qu’on pourrait appeler une force conséquente. Et cela lui fournissait aussi un moyen de ravaler sa fierté sans la bafouer. Un seul coup d’œil à l’expression faussement innocente de Von Essen lui confirma que ce dernier l’avait très bien compris.
Soit.
« Pourquoi pas, messieurs. Si votre but et le mien coïncident, je ne vois pas de raison de refuser. Mais deux choses : d’abord ne jouez plus avec mes serviteurs, aussi décédés soient-ils, et ne m’appelez pas 'mein Herr'. »
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