[Concours] L'oeil du Grand Corrupteur (Textes)

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Albillius
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Re: [Concours] L'oeil du Grand Corrupteur (Textes)

Message par Albillius »

Une expérience qui tourne mal.
Balthazar Gelt arborait un air studieux et sévère qui laissait entrevoir néanmoins une certaine fébrilité. En effet son expérience était sur le point d’aboutir. Il allait enfin percer les secrets de la transmutation véritable qui lui échappait depuis tant d’années de recherches et de travail acharné. Tels les grains d’un sablier les gouttes d’une substance ambrée s’égrenaient de son alambic avec une régularité quasi parfaite. Ces gouttes venaient se déverser dans un chaudron fait d’un alliage imaginé par Gelt lui-même et se mélanger à une mixture blanche déjà présente dans ce chaudron. Ce mélange produisit des volutes de fumées aux couleurs changeantes et hypnotiques. Tantôt argentées comme des pièces d’argents, noires comme de l’obsidienne, dorées, grises ou bien combinant toutes les couleurs en même temps. Balthazar ajoutait lentement, précautionneusement à la réaction la magie du métal et cette opération lui demandait une très grande attention.
Balthazar revérifia mentalement toutes les quantités et dosages des ingrédients ainsi que la stabilité des vents de magies. Tout semblait normal quand soudain Gelt sentit une fluctuation des vents de magie. Alerté par cet événement impromptu Gelt détourna un instant son attention de la réaction en cour et dans un caprice du destin sa main droite trembla légèrement ce qui fit, de ce fait trembler l’alambic qu’il tenait en main. Ce tremblement pourtant infime suffit pour briser la régularité de la chute des gouttes. Quand le patriarche du Collège Doré reporta toute son attention sur son expérience. Il vit avec horreur non pas une goutte choir de l’alambic mais deux. Au moment où les deux gouttes touchèrent le liquide frémissant à la surface du chaudron. Ce dernier tourna instantanément au bleu électrique et se mit à bouillonner ainsi qu’à déborder de son contenant.
Le chaudron mit à chauffer à une vitesse fulgurante et devint si chaud que Balthasar eut instinctivement un mouvement de recul. Le chaudron déversa son trop plein sur le sol du laboratoire de Gelt son contenu semblait sur le point d’entrer dans une réaction explosive. Au moment où le liquide et le chaudron explosèrent, ce qui aurait sans doute provoquer une réaction en chaîne qui aurait rasé le Collège Doré ainsi que plusieurs maisons alentours. Ce en raison de la quantité de produits inflammables et volatiles contenus dans les caves du collège. Balthazar Gelt réagit avec une rapidité propre à tout bon mage qui voit son sort échapper à tout contrôle. Il mobilisa toute sa force mentale ainsi que la puissance du vent jaune pour contenir et juguler au maximum les effets de son échec. Fermant les yeux pour augmenter sa maitrise de tant de puissance magique, le patriarche du Collège Doré réussit à considérablement réduire la force et les effets de l’explosion mais ne parvint pas à l’annuler complétement. Ainsi une explosion tonitruante retentit dans tout le Collège qui dévasta totalement ses quartiers et projeta Balthazar Gelt contre le mur.

Un voile noir empêchait Balthazar de voir quoi que ce soit et ses oreilles bourdonnaient douloureusement à causes des acouphènes. Incapable de bouger ne serai ce que le petit doigt. Gelt sentait néanmoins un gout acre dans sa bouche, il pensa que c’était le gout du sang dans sa bouche rien de plus. Mais il ressentit soudain une très vive douleur dans ses jambes, ses dents et son crâne au point qu’il manqua de s’évanouir.
- Je me suis sans doute brisé quelque chose se dit-t ’il entre deux soubresauts de douleur. Et puis je dois perdre beaucoup de sang. Je sens un liquide chaud, poisseux et avec des relents ferreux dans ma bouche. Allons debout Balthasar ! Regarde donc et assume les conséquences de ton échec.

Le mage ouvrit péniblement les yeux en serrant les dents et se mordit la langue ce qui acheva de le réveiller. Gelt comprit qu’il ne baignait pas dans son sang mais dans le liquide à demi coagulé de ce qui restait de son infructueuse expérience. Il se releva tant bien que mal car ses jambes lui faisaient souffrir le martyr et cracha le liquide contenu dans sa bouche. Il se risqua à jeter un œil vers ses pieds pensant voir une fracture ouverte.
Ce qu’il vit fut bien pire. Deux sabots d’un gris métallique semblable à ceux d’un bouc remplaçaient ce qui jadis était des jambes humaines.

Des bruits de pas se firent entendre, s’approchant des ruines des quartiers de Gelt.

- Ce sont surement des serviteurs, des apprentis et d’autres mages qui viennent me porter secours, se dit Balthazar. Si jamais ils voient mes nouvelles jambes je suis bon pour le bucher tout patriarche que je suis !

Ni une ni deux Balthazar fit fondre d’une pensée les serrures des portes et transmuta les portes de bois en plomb pour empêcher quiconque de pénétrer dans son laboratoire. Quand les premiers serviteurs arrivèrent ils ne purent entrer et crièrent inquiets.

- Seigneur Gelt ! Seigneur patriarche ! Que s’est-il passé ? Vous allez bien ?
- Oui ! tout va bien ! répondit Gelt d’une voix qu’il voulait assurée et autoritaire. J’interdit formellement sous peine d’exécution par mes soins quiconque de pénétrer ici ! Ce pour quelque raison que ce soit et qu’importe son rang fusse t’il Magister ! Compris ?
- Mais Seigneur vous avez besoin d’aide, de soins, de …
- Silence ! Partez immédiatement ou je change votre sang en acide et vos os en plomb ! rétorqua Gelt.
Les serviteurs partirent immédiatement transmettre les ordres du Patriarche au reste du collège.

Une fois assuré que tous furent partit. Balthasar Gelt entreprit de se relever tant bien que mal sur ces nouvelles jambes animales. Puis Balthazar sentit le gout du sang dans sa bouche et se rappela qu’il s’était mordu la langue. Il aperçut plus loin les restes brisés d’un miroir qu’il reforma d’un geste et entrepris de s’y mirer.
Ce qu’il vit failli le faire défaillir de nouveau.
A la place de ce qui fut autrefois des canines humaines et d’un teint bronzé par ses multiples voyages. Il avait maintenant des crocs menaçants semblables à ces abominables suceurs de sang sylvaniens et un teint aussi blanc que la neige des plus hauts sommets des montagnes Grises. Balthasar voulut cracher au sol pour retirer tout le sang qui s’écoulait de sa langue meurtrie mais en avala accidentellement une gorgée. Un frisson d’extase lui parcourut l’échine quel gout exquis, quelle saveur incomparable. Mais cette sensation fit immédiatement place à un sentiment de panique chez Gelt.
- Suis-je devenu un vampire, un monstre de la nuit ? pensa t’il. He bien vérifions cela tout de suite ! Le patriarche ensanglanté s’approcha en claudiquant vers une fenêtre qui laissait passer un rayon de soleil et soumis sa main gauche au feu de l’astre solaire anathème de engeances de la nuit. Je ne sens rien, aucun changement, étrange si j’étais un vampire je devrais souffrir. S’interrogea le mage. Réfléchis mon cher, réfléchis. Tu ressemble à un vampire, tu aimes le sang autant qu’un vampire mais tu n’es pas un vrai vampire. Bien au moins je ne risque pas de me tordre de douleur la prochaine fois que je sortirais, dit-il en partie soulagé. Balthasar reporta son attention sur son corp après avoir fait fondre les vestiges de ses robes, et entreprit de s’examiner dans son plus simple appareil. Après quelques minutes d’un examen approfondi de son corp Gelt arriva aux conclusions suivantes qu’il énuméra mentalement. Me voici maintenant avec des sabots de bouc, un corp et des crocs de vampire ainsi qu’une une vilaine migraine, Balthasar mit cette migraine sur le compte du choc résultant de sa rencontre violente avec une mur de brique. Comment vais-je faire ? Comment continuer à paraitre devant les autres patriarches et l’Empereur sans me faire tuer ? marmonna Balthazar. Par Sigmar ! J’ai une idée, si elle fonctionne personne ne remarquera jamais ce qui m’est arrivé.

Après avoir pris soin d’obstruer toutes les issues possibles en plus des portes. Gelt puisa dans le vent de Chamon pour reformer son laboratoire afin d’avoir à disposition les outils nécessaires à son œuvre.
Après plusieurs heures de travail, le patriarche admirait les fruits de son labeur. Une magnifique paire de prothèses de jambes faites d’or et d’argent qui épousaient parfaitement la forme de ses sabots. Une fois qu’il enfila ses prothèses il en fit fondre une partie afin de souder les prothèses à même ses sabots. Cette opération douloureuse arracha quelques larmes de douleur à Balthasar, mais cela était nécessaire pour la suite. Après un temps d’adaptation avec ses nouvelles jambes. Gelt réussit à se déplacer normalement bien que l’apprentissage coutât la vie à quelques fioles et instruments présents dans la pièce.

Une fois assuré de sa mobilité Gelt se pencha sur un nouveau problème qui deviendrais un des plus problématique avec le temps. Comment me nourrir avec mon nouveau régime d’hémoglobine. Ce sans éveiller les soupçons ? S’interrogea Gelt. Il commença ses recherches et expérimentations afin de palier à sa soif sanguinaire. Et trouva une solution dans le sang de cochon qu’il parvint à transformer en du simili sang humain via l’ajout d’éléments alchimiques. Au premier essai Balthasar eu tout juste le temps d’attraper un pot proche avant de régurgiter sa mixture. C’est au bout de 23 tentatives assez salissantes pour certaines qu’il parvint à obtenir l’effet voulu. Après l’ingestion d’une longue rasade de simili sang Gelt se demanda combien de temps s’était écoulé depuis l’accident et pratiqua une petite interstice dans le plafond pour laisser pénétrer un rayon de soleil. En place et lieu d’un rayon de soleil Gelt aperçu une partie d’un ciel étoilé et compris que cela faisait plus de 14 heures qu’il travaillait. En effet il avait commencé son expérience à midi pile. En constatant combien de temps il avait travaillé et aussi que ce fichu mal de crane ne voulait décidément pas s’apaiser. Balthasar s’accorda 2-3 heures de sommeil réparateur dans un fauteuil certain que cela ferait passer sa migraine.
Quand il se réveilla, Gelt constata avec fureur que non seulement il avait toujours mal à la tête mais qu’il entendait une voix non loin. Preuve que certains ne respectaient pas ses ordres et avaient pénétrer dans ses quartiers malgré ses exigences. Le patriarche se releva prestement et embrassa du regard toutes les portes de ses appartements pour savoir par où les intrus étaient entrés. Cependant il ne vit personne et les portes étaient exactement telles qu’il les avait laissés avant de dormir.
- Il y a quelqu’un ? demanda t’il.
-Seigneur patriarche ? Tout va bien ? répondit une voix soulagée derrière une des portes. j'étais inquiet je n’entendait rien.
-J’avais ordonné que personne ne s’approche de mes quartiers et vous avez désobéi ! J’avais prévenu que je tuerais quiconque viendrais me déranger ! rétorqua Balthasar courroucé.
-Mouais enfin bon, il est gentil mais quand tu donnes aucun signe de vie après avoir fait péter ton laboratoire privée et que t’envoie chier ceux qui veulent t’aider. Pardon mais on a le droit de s’inquiéter merde ! entendit clairement Gelt.
-Qu’a tu dis misérable ? fulmina Gelt.
-Mais rien monseigneur ! Absolument rien je vous assure ! répondit le serviteur interloqué.
-Vil coquin, menteur ! rétorqua Gelt.
-Mais je vous assure que non ! répondit prestement le serviteur. Gelt entendit juste après Peste ! Je n’ai pourtant rien dit. Il est devin ou quoi ? d’un ton rageur.

Balthasar Gelt se dit que tout de même soit ce serviteur à des pulsions suicidaire pour tenir de tels propos, soit qu’il est complétement con et inconscient ou alors que son expérience n’avait pas que des effets secondaire au niveau physionomique mais aussi mentale.
- Taisez-vous et écouter moi ! dit Balthasar. Vous allez chanter dans votre tête une chanson que vous connaissez et je vais essayer de la deviner. C’est bien compris ?
- Mais il est devenu maboul ou quoi ? entendit Gelt.
- Arrêtez de poser des questions et commencer votre chanson !
- Il est des nôtres ! Il a bu son verre comme les autres ! C’est un ivrogne. Ca se voit rien qu’a sa... Entendit Gelt.
- Stop ! Je sais à quelle chanson vous pensez ! Vous pensez à Il est des nôtres n’est-ce pas ? demanda Balthasar.
- Par Sigmar tout puissant ! Comment avez-vous su seigneur patriarche ? répondit le serviteur
- Une simple intuition. Mais maintenant que j’y pense j’ai besoin de l’aide de quelqu’un pour un simple test. Venez donc me rejoindre je vous ouvre la porte. Dit Balthasar.
- Ha ! J’ai finalement bien de prendre cette initiative. Quand les autres sauront que j’ai aidé personnellement notre patriarche ils seront morts de jalousie ces bouseux. Entendit Gelt.

Balthasar fit fondre la porte de plomb devant laquelle se tenait le serviteur et revêtit une chemise et un pantalon court qui lui arrivait aux genoux laissant visible ses nouvelles jambes, ainsi que son visage et ses mains. Une fois assuré que le serviteur eut passé la porte il l’obstrua à nouveau pour empêcher que quiconque puisse venir l’interrompre.

-Ho ! Patriarche comme vous avez de belles jambes. Dit le serviteur avec un ton mielleux et une lueur d’avidité dans le regard.
-C’est pour mieux me déplacer mon cher, dit Balthasar en s’approchant lentement.
-Ho ! Patriarche comme vous avez une peau blanche comme de la porcelaine. Reprit le serviteur.
-C’est pour mieux attirer les gentes dames mon cher. Répondit Balthasar en entravant d’un geste le serviteur avec des liens d’acier. Ne vous inquiétez pas c’est pour votre bien et le mien. Rassura Balthasar en affichant un large sourire carnassier.
-Ho ! Patriarche comme vous avez de grands crocs. Dit le serviteur inquiet.
- C’est pour mieux te sucez mon cher ! Répondit balthasar maintenant très proche de l’infortuné. Avant que ce dernier ne puisse pousser le moindre cri, Gelt le bâillonna avec un lien d’acier, planta ces croc dans le cou du malheureux et but tout son saoul. Une fois sa soif de sang rassasiée, le patriarche libéra le corp exsangue du serviteur mort.

- En définitive le vrai sang est bien meilleur que mon simili mais il fera l’affaire le temps de trouver un moyen de me fournir en sang humain. Se dit-il. Bon maintenant je dois cacher mon teint d’albâtre ou je pourrais attirer les soupçons notamment des autres magisters et patriarches. Je suis aussi maintenant capable d’entendre les pensées des autres. C’est merveilleux cela pourrait s’avérer extrêmement utile à l’avenir. Cependant n’oublions pas les mages peuvent détecter mes intrusions notamment ces magouilleurs du collège gris. Pour l’instant je vais éviter tout risques et ne pas me servir de cette aptitude tant que je ne la maitriserais pas mieux.

Afin de dissimuler sa peau couleur de neige Balthasar créa donc de longues robes métalliques aux reflets chatoyants combinant le bronze, le fer, l’argent et l’or dans un mélange harmonieux et captivant. Enfin pour dissimuler ces traits, Balthasar fondit un masque avec l’or le plus pur qu’il avait. Ce masque comportait 5 branches et était gravé d’arabesques et de symboles alchimique formant un spectacle singulier pour les non-initiés mais qui avait un tout autre sens pour les utilisateurs de Chamon. Une fois ses nouveaux habits revêtu Balthasar Gelt prit délicatement ce qui lui servirait désormais de visage et au moment où le masque épousait parfaitement le relief de son visage. Il souda le masque à même sa peau pour s’assurer que personne hormis lui seul puisse le retirer et ainsi dévoiler son vrai visage.
Quand il fut prêt Balthasar Gelt se dirigea résolument vers la porte et sortit de ses appartement prêt à affronter les nouvelles difficulté de sa vie de patriarche de collège de magie imposé par les conséquences de son échec, dû à une mauvaise manipulation de sa part, à moins que l’influence maligne d’un Dieu adorant le changement ne soit la cause de cette « mauvaise » manipulation.
"Vous redoutez les bienfaits de Nurgle révulsés que vous êtes par sa caresse. N’ayez crainte ! Nurgle pardonne votre ignorance, car il est magnanime. Votre peur s’effacera bientôt devant la générosité du Seigneur des Pestes, et vos yeux aveugles verront sa vérité."

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Anton
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Re: [Concours] L'oeil du Grand Corrupteur (Textes)

Message par Anton »

J’ai profité de la demande de diversité de [MJ] L'Insondable pour renouer avec la Mordheim des Trois Empereur, et en particulier pour conclure en passant un vieux concours jamais terminé.

Naturellement, ce post se lit par lui-même ; toutefois si par bonheur certains personnages secondaires intéressent le lecteur, il est libre de les (re)découvrir à cette adresse.

A toutes fins utiles je mets également ici le lien vers le bel article sur la Cité des Damnés de la Bibliothèque Impériale.

Bonne lecture :)
Mordheim
Suite et Fin



« Une fourchette. »


Dis-je.

Lui ne dit rien.

Il est très fort parce qu’il bronche à peine, comme s’il s’en moquait.

Moi qui le connais bien, je devine pourtant à un minuscule plissement des lèvres ce qu’il en est vraiment. Konrad se penche sur le champ de bataille, et le contemple d’une manière nouvelle ; il comprend la supercherie dont il a été victime, et cela l’énerve.

Beaucoup.

On a beau être un aristocrate de la meilleure trempe on a parfois des faiblesses communes. En voyant cet homme qui mobilise toutes les ressources de sa volonté pour rester de marbre devant ce coup qu’il sait fatal à son entreprise, en contemplant en connaisseur la légère crispation des mâchoires qui seule trahit la haine qui envahit soudain le guerrier qui me fait face, je ne peux rester tout à fait moi-même. J’ai un sourire de satisfaction.

Il m’a sous-estimé. Il va en payer le prix. Il le sait.

Konrad investit chaque seconde non dans l’étude d’une improbable échappatoire, mais dans sa colère contenue. Il ne veut pas me laisser la satisfaction de le voir furieux. C’est presque noble.

« Echec au Roi, qu’il est inutile de mentionner, mais enfin c’est la règle... Je crains qu’il ne faille perdre votre dame ? »

Dis-je.

Lui ne dit rien.

Devant l’échiquier qui nous sépare, je pousse légèrement mon avantage par un voussoiement appuyé et une phrase inutile. Dans mon dos je sens un aide de camp se tendre silencieusement. La présence de ce sbire qui assiste sans un mot à la défaite de son chef ajoute à l’humiliation de Konrad. Et la gêne de ce laquais inutile, perceptible par tous, irrite certainement au plus haut point mon adversaire.

Iméris-Konrad - mon seigneur et maître à ce qu’il paraît - au prix d’un effort surhumain sourit tout de même. Je me demande s’il va craquer. Je peux lire la fureur bestiale dans ses yeux mais il ne craque pas. Il renverse son roi d’un geste précis de la main et se lève.

Enfin, il parle.

« Belle victoire Marquis. Un coup dont je me souviendrai longtemps. »

Il a agi vite et je ne peux que suivre. Nous voilà tous les deux debout.

Devant son abandon je me renfrogne. La partie n’aurait pas dû se terminer dès à présent. L’attaque brillante de mon cavalier le contraint à perdre sa dame, oui, mais il lui reste toutes les autres pièces de l’échiquier. Iméris-Konrad pourrait toujours jouer et pourquoi pas tenter d’arracher un ex-aequo, le pat. Mais il devine que je ne lui laisserai pas de quartier et que sans dame, face à un adversaire tel que moi, il est perdu. Jouer ne serait qu’une manœuvre dilatoire, une lente agonie de sa part. Il veut me refuser ces longues minutes de triomphe, et abandonne. Il veut couper court.

Pas moi. Ce serait trop facile.

« Merci Comte pour votre compliment. Je gagne, mais le mérite en revient à mes aïeux… c’est une vieille tactique familiale. Je n’en suis que le légataire, pas l’inventeur. »

Je souris, il sourit. Il me hait.

Oh, il me hait tant, ça y est. Je le vois dans ses yeux pers, glaciaux, au tressautement de sa mâchoire, à la tension qui saisit son aide de camp, et je jouis, je jouis intérieurement de cette haine qu’il ne parvient même pas à cacher. Iméris-Konrad, en dépit de ses grands airs et de son adresse démoniaque au coutelas n’est qu’un bâtard de parvenu comme tous ceux qui peuplent son arbre généalogique. C’est un criminel, certes de génie, mais un criminel tout de même, que rien ne le met plus en rogne que son complexe d'infériorité vis-à-vis de la véritable aristocratie. Dont je suis, moi.

Et même si ce n’est guère charitable, votre serviteur, Alexander von Nollendorf, rejeton d’une dynastie de plénipotentiaires impériaux, fine fleur de la noblesse Wissenlandaise, saura toujours appuyer là où ça fait mal pour le rappeler.

Surtout, vous conviendrez que c’est légitime, face aux mauvais perdants.


***

Je ne sais plus exactement quand j’ai commencé à faire sortir Iméris-Konrad Adeldoch de ses gonds pour la première fois. Ce qui est certain c’est que, le temps passant, j’y ai acquis une adresse rare et avec elle une source de plaisir illimitée.

Evidemment pour vous cela peut sembler une curieuse lubie. J’aimerais vous l’expliquer.

Iméris-Konrad Adeldoch est un homme dangereux. Entendez par là non pas un de ces hommes qui peuvent, au besoin, tuer ou devenir violents. Non, je veux dire fondamentalement dangereux, comme une manticore, une griffone, un dragon. Il tue par hobby, par ennui, par dépit. Il éviscère, il torture, il fait le mal pour vérifier son pouvoir, et il brise des hommes pour tester leurs limites. Il est d’une adresse diabolique une arme à la main, et dispose pour exécuter ses basses œuvres de plusieurs centaines d’individus sans vergogne qui tuent d’abord et réfléchissent ensuite, quand ils prennent seulement la peine du second terme de ce plan sommaire.

La peinture ainsi faite, convenez... Convenez qu’il y a quelque chose d’immensément excitant à titiller un tel monstre de près, au mépris du danger. L’excitation de lui signifier, en jouant avec le feu, qu’il ne vous fait pas peur. Est-ce que vous n’auriez pas comme moi l’envie de tester face à lui vos limites, ses limites ? Pensez aux courses de taureaux, dans la lointaine Estalie ; rencontre du danger et d’un sang fier, celui des jeunes gens de vingt ans qui frôlent la mort à chaque mètre, risquant l’empalement pour la beauté du geste. Oui ! Plus de noblesse dans chaque goutte de ce sang impavide que dans les légions de morts-vivants qui peuplent les antichambres des cours impériales ! N’est-ce pas ce que devrait être à proprement parler, l’aristocratie ? Un permanent défi à la mort ? Que vaut une vie qui n’est pas remise en jeu à chaque minute ? Préservée comme celle du dernier paysan par un millier de routines, un millier de prières et de talismans, un millier de normes, de codes, de lois, de barrières et de gardiens ? La noblesse, la vraie, s’éprouve sous le feu des canons, sous la griffe de la bête, au pied des falaises où guettent éboulements et vertiges. Jamais sur un trône confortable.

Je le défi, parce que je le peux, là où tous les autres baissent la tête. Son extrême danger rend plus intense encore la jouissance intime de la provocation. Anecdotes glaçantes : un factotum qui l’avait volé et fut pris hurla empaler pendant tout le jour, du plomb fondu coulé aux pieds et aux mains. Une servante qui l’avait bousculé lava elle-même la tache de sang que laissa sur le plancher sa main coupée dans l’instant. Et cette violence bouillonnante, cet emportement qui menace à chaque instant de briser les digues de la frêle humanité d’Iméris-Konrad Adeldoch pour emporter les pleurs et les cris des hommes et des femmes, tout cela justifie à mes yeux mes jeux, mes sourires, ma témérité.

Pourtant, tout cela n’explique pas entièrement mon attitude. A vous, témoin anonyme, je ne souhaite rien cacher de mon récit : il est une autre raison de mon défi permanent. Je crois que l’idée de servir cet homme parfois si noir, que dans la barbarie rien ne distingue de nos pires ennemis à peau-verte, cet homme aux douteuses origines qui règne par la violence sur un univers de sicaires et de traînes-rapières, de gueux et de malfrats, oui, servir cet homme-là, par moment, moi l’aristocrate élevé dans les principes millénaires de justice, me révulse. Et il me semble qu’en le provocant ainsi, en me jouant de ses nerfs et de ses limites, que je reprends un peu de cette liberté chère à mes ancêtres que j’aimerais parfois n’avoir jamais eue à abandonner.


***

Je contemple sous notre tente la cause de mon aliénation. Emeric joue doucement avec un pendentif que j’ai ramené de ma dernière expédition. Depuis que nous sommes arrivés à Mordheim, je tâche à chacune de nos sorties de mettre la main sur une ou deux babioles qui puissent nous faire oublier l’horreur de cet endroit.

Habillée de cette tunique simple, sur laquelle jouent l’or et les pierres aux reflets si particuliers, il est beau comme jamais. A moitié allongé, la tête reposant sur mon poing et le coude posé sur la toile, je le regarde sans rien dire. Je sais déjà qu’il va rejeter ce bijou sous prétexte que c'est trop bien pour pour lui. J’aimerais que vous le voyiez comme je le vois, un Prince parmi les hommes, beau comme un demi-dieu, mais grevé de complexes et de doutes.

De son éducation de pâtre il gardé ce goût adorable et agaçant des choses simples. L’or ou les pierreries dont je souhaiterais le couvrir ne trouvent chez lui qu’une moue dédaigneuse. La lecture, la poésie, l’art enfin, voilà des choses auxquelles je n’ai pas eu de mal, durant ces quelques années, à l’habituer. Mais l’or le plus fin et l’argent le plus pur que j’apprête pour lui sans relâche, semblent toujours froisser en Emeric quelque bon sens campagnard ; et pour chaque bijou qui lui tombe entre les mains, je sens jaillir en lui un vieux réflexe qui voudrait plutôt tout envoyer à la fonte pour en tirer quelques liards sonnants et trébuchants.

Mais cette fois, il n’en est pas question. La pièce semble faite sur mesure pour sa poitrine, son tour de cou, son teint. Je ne pense pas qu’un seul de mes joailliers de Nuln eût pu obtenir un résultat plus heureux, quand bien même il aurait disposé de temps et de moyens à la hauteur de l’entreprise... D’ailleurs est-ce qu’un seul joaillier impérial n’a eu jamais sous sa précelle des pierres d’un pareil éclat, résineux comme l’ambre, que pourtant la lumière traverse sans mal en d’étourdissants arc-en-ciels ?

Avant qu’il ne proteste, je le lui attache au cou pour de bon. Je remporte sans mal un combat que l’irénisme habituel d’Emeric l’incite à ne pas mener. Pour lui, j’ai tout quitté, ma famille, mon rang, j’ai fui les quolibets et la haine, jusqu’aux pires recoins de l’Empire, jusqu’à cette bande armée où l’on ne nous juge pas, seul endroit de l’Empire où l’on me considère à mon juste rang. Tant de sacrifices pour une seule paire d’yeux. Il peut bien, lui, porter ce pendentif pour moi.

Il me fixe de ses prunelles et je sens, miracle sans cesse reproduit, mon cœur qui manque un battement. L’Empire peut bien être déchiré entre les empereurs, les dieux se livrer à une guerre sans merci, l’humanité courir à la folie et à la destruction, toute l’éternité pour moi se condense en quelques secondes de réalité brûlante. J’aime. Et je ne vois pas vraiment comment contenir cette déclaration dans l’étroitesse d’une bouche, d’une tente, ou du langage des hommes.


***

Terrible nouvelle. Emeric est malade.

Il a d’abord passé la nuit en jactation, à se tourner et retourner sur sa couchette. Je lui sens de la fièvre, et une infâme transformation est à l’œuvre. Sa bouche, sa belle bouche que je prends tant de plaisir à baiser, lui semble de feu. Impossible pourtant de ne rien voir, pas d'inflammation, ni de purulence.

Au matin le médecin du camp, un pauvre bougre que je crois que l’on retient contre son grès mais que j’ai toujours pris soin de traiter avec respect, n’a rien trouvé à dire, et n’a prescrit qu’un baume lénifiant à apposer sur la mâchoire. Inutilement, car je sais que le besoin est autre. C’est de dedans qu’il souffre. Est-ce qu’il vous ait déjà arrivé de voir devant vous un être aimé en proie à une souffrance incompréhensible, face à laquelle vous êtes totalement impuissant ? Ma criante inutilité, mon impotence, venaient s’apposer, abrasifs insoutenables sur les plaies béantes que chacun des cris de douleurs d’Emeric laissaient dans mon cœur. J’ai mal de le voir souffrir, et honte de mon égoïsme, honte de prétendre comprendre ce qu’il ressent. Je me déteste. Je veux que cela cesse.

Ce qui me rend fou, c’est de ne pas comprendre les causes de tout ceci. Si seulement je savais pourquoi il souffre, je pourrais agir ! D’ores et déjà pourtant je me dis que la sombre atmosphère qui entoure cette ville maudite y est pour quelque chose. Si c’est cela, tant pis pour Konrad et ses projets. Je n’hésiterais pas à quitter les lieux et fuir au loin. Vers la paix, et la guérison.


***

Emeric a terminé d’évoluer. Cela nous a duré une bonne semaine, mais désormais tout est terminé. A première vue, les changements sont chez lui minimes. Mais il n’est plus capable de s’exprimer normalement ; sa voix, autrefois si agréable, est durablement transformée par la présence dans sa bouche d’une langue très étrange, fourchue, ophidienne, flavescente. Elle le contraint à s’exprimer par borborygme insaisissables, et s’agite étrangement lorsqu’il s’alimente. C’est une chance que nous ayons entamé son apprentissage de la lecture, et il dessine avec applications de grandes lettres d’enfant qui me remuent le cœur de pitié. Nous avons peu échangé par ce médium. Il n’y a pas grand-chose à dire, ou plutôt tant que les moyens frustres à notre disposition restent bien faibles par rapport à la richesse d’un échange de regards et de gestes.

Je l’ai maintenu à l’écart de la troupe, caché dans notre tente, que de toute façon il ne quitte guère d’ordinaire. Mais nous ne pourrons pas éternellement éviter la confrontation. Déjà Konrad a eu vent de cette étrange maladie par le toubib, et m’a demandé des nouvelles d’Emeric du ton capiteux qu’il prend avec ceux qu’il sait en situation de faiblesse. J’aimerais l’éviter, mais je n’ai pas le choix. Lui seul peut me fournir ce dont j’ai besoin pour éviter de transformer la situation d’Emeric en parfait gâchis. Même si cela signifie obérer mon indépendance un peu plus encore.

J’irai lui parler demain.


***

En presque deux longues années passées aux côtés d’Iméris-Konrad Adeldoch, j’ai appris à estimer certaines de ses qualités à leur juste valeur. En tête de liste, bien sûr, figurent son pragmatisme et sa totale absence de préjugé. Le chef des Indépendantistes se moque totalement de l’origine, de l’âge, du sexe. Seul importe pour lui votre valeur à son service ; si on lui annonçait qu’un de ses homme venait de se faire pousser un troisième œil, sa première préoccupation serait sans doute de savoir si cela faisait de lui un meilleur tireur.

Un matin comme celui-ci, persuadé d’avoir touché le fond, j’étais venu le trouver, vingt mois plus tôt. J’avais une allure misérable, un Emeric famélique pendu à mes guêtres et escorté par deux soudards patibulaires ; et c’est sans espoir que je venais implorer sa protection, m’attendant à trouver chez lui le même accueil que celui réservé partout à ceux qui trahissent leur rang et leur sexe. Mais je me trompais lourdement. Pour Iméris-Konrad, je n’étais pas un noble en fuite, trop fier pour cacher ses viles amours avec un homme du bas peuple, j’étais un aristocrate pur-sang. Un atout de maître dans la partie qui l’opposait, lui et ses revendications, au monde entier.

J’ai parfois haï son esprit calculateur et sans âme. Mais ce jour-là, en me prenant sous sa protection, il avait acheté à vile prix ma coopération. Fait invraisemblable, en vingt mois, Emeric ne rencontra de la part des égorgeurs de Konrad que des manières accortes, des "Bitte Schön" et des "Mein Herr", comme si le mot s’était répandu partout que "Nivaèl et Schwarzwidder" (des surnoms faciles tirés d’une légende qui nous collent à la peau) étaient sous la protection express du “Boss”. Un privilège rare, dont j’ai usé sans plaisir.

Aujourd’hui bien sûr c’est différent. Nous nous connaissons. Et je n’ai plus peur de lui. J’entre sous la tente.


***

« Et vous me dites qu’il a attrapé cette langue-là en seulement une semaine ? Fascinant. »

J’observe cet homme tourner autour de l’être que j’aime comme autour d’un animal de foire, sans force. Par un phénomène inexplicable qui s'avérera une sorte de règle universelle, Konrad en apprenant qu’Emeric ne parvenait plus à parler en déduit qu’il devait également être devenu sourd et -par une association d’idée inattendue- définitivement demeuré. Depuis, il ne s’adresse plus qu’à moi, et j’ai abandonné l’idée de changer cet état de fait.

« Est-ce qu’il peut la tirer à nouveau ? »

Je pousse un soupir. La langue est d’un jaune étrange, bifide, anormalement longue. Je ne comprends pas vraiment comment elle trouve dans la bouche d’Emeric la place pour se replier. Mais ce qui m’étonne le plus, et que Konrad ne risque pas de savoir, c’est à quelle point cette langue, au milieu de la bouche toujours brûlante d’Emeric, est froide comme la mort.

« Fascinant vraiment. Et vous me dites que cela l’a pris la nuit, au milieu de rêves agités ? »

Je soupire. Konrad semble plus amusé qu’intéressé. Emeric a l’air d’être épuisé par cette mascarade. Mais il faut bien en passer par là.

« Oui. Il a apparemment eu plusieurs fois le même rêve. La dernière fois était le plus intense et, au réveil, sa langue avait changé. » J’aperçois son air intrigué. « Nous parvenons à communiquer par écrit, même si c’est laborieux. »

Konrad hausse les épaules, comme si l’idée d’apprendre à écrire à un hardier lui semble la dernière des absurdités. Mais il sait ce qu’Emeric représente pour moi et, comme je l’ai dit, c’est un pragmatique avant tout.

Ce qui explique sa question suivante, qu’il me pose bien en face, yeux dans les yeux.

« Bon c’est très bien tout ça marquis mais, à part des visions qui donnent des langues de serpent aux pâtres, on a une idée de ce qu’il pouvait y avoir d’utile dans ce rêve ? » Il sourit. « Je veux dire, d’utile à la Cause, n’est-ce pas… »

Je m’attendais à ce qu’il la pose, mais même pour ce butor de Konrad on frise le zéro absolu en matière de compassion. En moi quelque chose bouillonne, mais je refuse de rentrer dans le jeu de cet horrible individu et j’entame prudemment une réponse.

« Eh bien… Emeric semble avoir du mal à communiquer sur ses rêves, mais de ce que j’ai pu comprendre… »

Un craquement soudain nous fait nous tourner brutalement vers Emeric. Il a déserté sa place et s’est approché d’un des brandons à moitiés calcinés qui émergent du foyer. La branche en main, il sort aussitôt.

Signifiant d’un regard que je n’en sais guère plus que lui, je suis Iméris-Konrad et soulève le pan de la tente à mon tour.

Dehors, sur une grande pierre plate entre deux gardes qui tente de rester impassibles, Emeric dessine quelque chose de la suie de son grossier crayon.

Nous nous approchons suffisamment pour reconnaître, sans doute possible, une couronne. Je vois dans le regard de Konrad passer un éclair.

Et de son brandon calciné, en sifflant entre ses lèvres, Emeric désigné les gris faubourgs de Mordheim.


***

Nous marchons en silence dans les rues défoncées de la Cité des Damnés.

Nous, c’est-à-dire la bande hétéroclite de dix silhouettes, courbées en deux par la concentration, qui s’enfonce le plus discrètement possible à travers les ruelles mal dessinées de ce qui était autrefois le fleuron de l’Empire.

Ils sont loin aujourd'hui ces temps de prospérité. Les quelques murs fuligineux encore debout évoquent à grand peine les avenues et les magasins aux fières devantures. Parfois, çà et là, un reste de couleur ; une tenture, une peinture, dont l’éclat maladif jaillit avec peine d’un amoncellement de débris, bien inutile sous le soleil sans vie qui règne dans cet endroit.

Mordheim est en permanence couverte d’une brume. Je lui suis presque gré de cette pudeur. Elle nous évite de trop songer à ce qui nous entoure. Elle nous pousse vers l’avant, sans songer à explorer davantage les rares bâtiments qui surgissent soudain à notre rencontre, la bouche béante d’une cave ou d’une porte défoncée exsudant les remugles hideux d’un corps mort mais pas entièrement desséché.

Car Mordheim n’est pas tout à fait morte. Elle est mourante, c’est très différent. Et comme un animal qui a reçu la blessure fatale et se meut toujours, elle est d’une extrême dangerosité. Elle est habitée par des hardes de dégénérés, de monstres et de mutants qui attirent la pierre verte, et qui peuplent ses recoins et ses interstices. Tel pâté de maison est en fait, sans que nous le sachions, la zone de chasse réservé d’un immondice des dieux noirs, et dont nous n’apercevrons que les traces de tentacules sur les traits tirés d’un cadavre. Tel beffroi est en réalité le point de ralliement d’une bande en quête de richesse, et ses tireurs d’élite postés au sommet punissent d’une volée de viretons toutes les silhouettes qui crèvent la brume un instant avant qu’elle ne se referme sur leur cadavre.

La topographie même de cette ville est mouvante. Dans les quartiers les plus importants, ceux qui s’enfoncent au cœur de la ville, les cartes sont inopérantes au bout de quelques jours, car la brume scintillante qui recouvre tout semble déplacer lentement les repères et les allées. Bête amputée rendue folle par la douleur, Mordheim se reconfigure par spasmes, faisant réapparaître dans un effort monstrueux des rues entières illuminées comme au temps de sa splendeur, avant de les abîmer dans le néant pour de bon.

Mais de tout cela, nous ne connaissons guère que les bruits. Mordheim mourante grouille de bruits nouveaux et louches, de craquements insolites, bruits de chaînes, gémissements, frôlements, chocs sourds. Quand vous avez comme moi passé de longues heures à arpenter les rues maladives de cette ville, vous développez une sorte de filtre, et peu à peu vous oubliez certains sons auxquels vous ne pouvez rien : les bruits de la pierre qui travaille, le sifflement du vent qui s’engouffre partout en bouffées malsaines et lourdes sans jamais lever la brume, les cris inhumains au loin, suffisamment loin. Vous vous concentrez sur l’immédiat. Les bruits de pas. Le claquement d’une arbalète. Le chuintement d’une lame hors de son fourreau.

Nous n’avons encore croisé personne, pourtant je suis inquiet. Ce n’est pas la première fois que je mène une bande dans ces ruines dangereuses, mais aujourd’hui est différent : parmi les dix hommes que j’ai sous mon commandement, même dans la brume et la cendre, la silhouette d’Emeric me saute aux yeux et me rappelle la vulnérabilité que je transporte aujourd’hui.

J’ai beau savoir qu’il est sorti de sa fièvre grandi, renforcé, j’ai beau connaître ses talents de pâtre, de lutteur, chacun des muscles dessinés de ses bras et de ses épaules, je crains qu’une flèche perdue ou qu’un chausse-trappe me le ravisse à chaque instant. Lui seul connaît le chemin qu’il a vu en rêve et pourtant je l’ai fait placer au milieu de notre formation, par crainte qu’il ne sache pas se prémunir si nous tombions brutalement sur une partie adverse ; nos éclaireurs doivent sans cesse attendre qu’il les guide de l’arrière. Gênés par ses indications mutiques, nous n’avançons pas aussi vite qu’il le faudrait pour notre sécurité. Je sens bien que les autres membres du groupe m’en tiennent rigueur.

Nous avons longuement discuté avant de tomber d'accord sur les effectifs qu’il convenait d’adopter pour cette expédition. La possibilité de mettre la main sur la couronne comtale, symbole mystique du pouvoir de l’Ostermak, un trésor que les bandes de Mordheim cherchent en vain depuis des années, ont mis Konrad dans un état de surexcitation que je ne lui connais pas. Il était prêt à nous accompagner lui-même, avec tous les hommes valides disponibles. J’ai eu un mal de chien à le convaincre qu’au cœur de Mordheim, la discrétion et la discipline étaient nos meilleurs atouts. Dans la Cité des Damnés, parfois, là où deux hommes passent, une armée s’arrête. Deux de ses lieutenants, Kurt - soucieux de ménager les hommes et le risque - et Frederik Von Der Wyvern - dont la plupart des sbires sont au repos forcé depuis la dernière expédition - ont abondé dans mon sens et, une fois n’est pas coutume, Konrad s’est incliné.

La troupe que je dirige est un petit concentré en elle-même de la diversité que l’on trouve chez les « Indep ». Le gros des forces est constitué de quatre anciens soldats de la régulière démobilisés, soudards tudesques typiques dans nos rangs. Je n’ai même pas retenu leurs noms. Un homme mutique, qui n’a pas l’air ravi d’être là, vient compléter le lot ; c’est un homme que ses comparses surnomment « Gouda » sans que l’on sache trop pourquoi, un des fidèles de Von der Wyvern, qui l’a certainement mis là pour avoir sa propre version des événements à notre retour. Le sixième m’étonne un peu, parce que c’est un bleu idéaliste qui a toutes les chances de se faire tuer ; son nom est Rudolf, et d’après le baron il a avec la couronne une connexion particulière. Enfin j’ai immédiatement identifié le dernier venu comme un tueur de la dernière espèce ; l’homme, aux babines retroussées, ne semble communiquer que par de lapidaires aboiements, et sa main ne quitte jamais complètement l’une ou l’autre de ses armes. Renseignement pris, il fait partie d’une des pires bandes qui soit, celle de Hanz l’Averlandais, réputée pour ses Indep dressés à l’obéissance aveugle et la violence forcenée.

Au milieu de cette sinistre bande de taiseux, Emeric, bien sûr, et puis moi. Le chef de cette heureuse expédition.

Nous devions être neuf mais, au moment du départ, Helmut s’est joint à nous. Helmut, un mètre quatre-vingt-quinze, la cinquantaine bien sonnée dont quarante à tuer des gens, une moustache en croc et une immense hache à deux mains sur l’épaule, une dévotion sans faille à Konrad-Iméris Adeldoch. Il a simplement énoncé de sa voix grave un performatif « j’en suis », sans s’adresser à personne en particulier. Je ne me suis pas étonné de le voir quitter son rôle de garde du corps pour se joindre à nous, parce que c’eût été inutile ; il n’y a pas vraiment d’interrogation possible avec Helmut qui a le discours compendieux et la hache solutionneuse. Sa présence signifie que, même de loin, l’œil du Chevalier Servant du Solland, son maître, nous accompagne. Pour le meilleur comme pour le pire.


***

Je n’ai pas eu à attendre le premier mort très longtemps.

Nous sommes réfugiés pour la première nuit dans une chapelle délabrée, qui semble tenir debout par les dieux seuls savent quel miracle. Comme j’ai davantage de curiosité et de raisonnement que le reste de la troupe, j’imagine que les Sœurs de Sigmar, dont le couvent n’est pas très éloigné, ont pris soin de ces vieux mur et de l’antique autel. J’observe avec intérêt les rares sculptures encore debout, dont celle de Saint Wigor -un fameux apostolique du dernier millénaire- pendant que les individus plus primaires s’assoient, barricadent les portes et entament un en-cas.

Une des particularité de Mordheim, c’est que la cité en elle-même est si corrompue, que les sculptures connaissent parfois elle-même des mutations. Je cherche avec une curiosité coupable sur Saint Wigor une trace de malformation. L’auteur du chef d’œuvre inconnu était certainement un grand amateur de beauté, car les traits qu’il a prêté à son saint me paraissent en rien compatibles avec la pureté et chasteté qui conviennent à une telle figure. Le seul fait d’avoir réalisé une statue non profane aussi charnelle indique dans quel état de corruption morale sombrait déjà Mordheim avant que la Comète ne vienne. En tournant autour de la statue, je finis par trouver ce que j’étais venu chercher ; à l’arrière du crâne de Wigor, deux excroissances augurent l’arrivée de cornes, le sombre tribut payé par la sainteté aux coutumes locales. Je me détourne et contemple ma troupe.

Emeric est assis sur une colonne jetée à bas. Même dans la lumière fausse qui s’infiltre dans la chapelle je lui trouve non sans malice un air de ressemblance avec la rayonnante statue ; la perfection qui masque une tare discrète. Malgré la fatigue que je lis dans sa posture, ses traits si fin détonnent au milieu des visages de brutes qui l’entourent. Difficile de croire qu’ils sont faits de la même matière d’homme. En l’observant encore il me semble d’ailleurs que les traits de celui que j’aime ont continué d’évoluer depuis notre départ. Ses yeux me semblent plus étirés, et je sais qu’ils basculent peu à peu d’un bleu abyssal vers le vert. Oui, la transformation est toujours à l’œuvre chez lui, et s’enfoncer dans Mordheim ne va pas améliorer les choses, hélas.

Autant profiter de sa beauté tant qu’elle nous est donnée. Tempus fugit.

Depuis quelques instants déjà que je le fixe, il ne m’a pas rendu encore mon regard ; il semble concentré sur quelque chose. Je soupire et, d’ennui, je lève les yeux à mon tour. J'aperçois alors un des soldats de Konrad en proie à un étrange exercice ; chargé du guet, il a mis la main sur une vieille échelle campanaire à moitié pourrie, et il est en train de se loger confortablement sous une grande cloche dans le campanile, dont les ouvertures doivent lui offrir un point de vue remarquable sur les environs. J’aime chez ces hommes l’inné matérialisme. Un panorama, pour eux, c’est un poste de guet. Une chapelle, un abris. Une cloche, une source de bronze bienvenue pour des canons. L’instinct de survie alimente chez eux un puissant esprit d’entreprise. Comme des fourmis, ils s’activent sans cesse, à la recherche de chaleur, de vin, de nourriture, de sécurité, de femmes. On lit dans de tels hommes à cœur ouvert. Ce sont ceux que Konrad préfère, bien sûr.

En tant que chef de l’expédition, j’aurais probablement eu à saluer l'initiative du bougre, si les choses avaient été différentes. Je n’en aurais jamais le temps. Etonné par la concentration d’Emeric, j’accroche soudain du regard le battant de la cloche, un battant qui se met lentement de lui-même en branle. Un spectateur avec une vision moins bonne que la mienne croirait à une hallucination. Comme le tambour est immobile, hormis vu du dessous c’est un mouvement pratiquement indécelable ; une cloche qui s’apprête à sonner d’elle-même, un quasi-miracle... Moi je n’en détourne pas les yeux. Je pressens le drame, comme s’il était déjà écrit. Il faut dire que la cloche est un monstre d'airain, inadapté à la taille de cette humble chapelle, à quelques centimètres seulement du soldat qui y a trouvé refuge et lui tourne le dos ; d’ailleurs caché au sein de la cloche l’oscillation du battant est lente et discrète, difficile, on sent la lutte menée contre la gravité tandis que la tige prend de l’ampleur à chaque aller-retour, si lourde, d’un alliage inhabituel peut-être -on le voit d’ailleurs à sa couleur, j’imagine que l’airain est pollué d’une bonne dose de plomb...des pensées parasites défilent en moi en un éclair, avant que le battant ne vienne finalement frapper la panse de la cloche dans un fracas terrifiant.

L’homme, assourdit, stupéfait, se retourne brutalement ; son pied dérape, glisse, et dans un long cri il vient s’écraser de toute la hauteur de la tour sur le sol de pierre froide et tesselé. Comme si cela avait été écrit.

Le tout n’a pas pris plus de quelques secondes. Un homme est mort, d’un coup de cloche.

Un grand frisson me saisit, et Emeric fuit mon regard, pâle comme la mort.

Nous ne sommes plus que neuf.


***

Je ne sais pas ce que vous feriez à ma place. J’ai vu la tête du bleu, il n’est pas d’une immense sérénité. Les autres tueurs ne sont guère enthousiastes à l’idée de rester dans la chapelle, mais il faut bien dire que c’est le seul bâtiment qui tient le coup, et l’orage menace.

Je donne l’ordre de dégager le corps, et on oublie l’idée d’installer un guetteur là-haut pour ce soir. Pour tout le monde, ce qui s’est passé est un stupide accident. Monsieur peu-importe-son-nom a glissé, et a cogné la cloche dans sa chute. Evidemment, ça n’a aucune espèce de rapport avec la réalité, mais je ne vois pas pourquoi j’irais leur expliquer ce que j’ai vu. Ils penseraient nécessairement que c’est là la faute d’Emeric.

Je m’installe pour la nuit, pas très loin d’Emeric qui me tourne le dos. Au milieu de ces hommes, pas question de dormir enlacés comme nous en avons l’habitude. Et à Mordheim, de toute façon, la coutume est de dormir tout habillé et les armes à portée de main.

Par bonheur aucune cloche ne vient déranger cette nuit peu confortable.


***

Au matin nous repartons et c’est le bal des mutiques et des tire-gueules. L’orage est parti, clouant un peu de la poussière de Mordheim au sol, et nous ne tardons pas à avoir les godillots imprégnés de boue épaisse et noirâtre. La brume ne s’est pas levée pour autant, et le peu d’entrain que la nuit au sec aurait pu nous donner se disperse bientôt dans la moiteur désagréable de la Cité des Damnés.

L’itinéraire que nous suivons n’est par ailleurs pas pour nous mettre du baume au cœur. En dépit de la direction précise qu’indique Emeric, nous sommes contraints à de larges détours, pour éviter une chaussée effondrée, ou une zone particulière que nous savons être le repaire de bandes plus dangereuses que la nôtre. A la frustration de notre lent cheminement s’ajoute celle des circonvolution et des atermoiements, peu compatibles avec un caractère fonceur et entier comme le mien. J’aimerais que nous soyons déjà arrivés. Mais pour notre sûreté, j’accepte sans discuter l’avis de la troupe dont l’expérience en ces lieux est supérieure à la mienne.

Bientôt nous débouchons sur une partie de Mordheim où je n’ai encore jamais mis les pieds ; nous sommes sur les anciens quais ouest, et ici la brume est plus épaisse encore du fait de la proximité des eaux sombres du Stir. Je n’aime ni l’odeur de cet endroit, ni la menace permanente que semble receler les murailles de volutes épaisses qui nous entourent. J’ordonne de presser le pas lorsqu’un cri m’interrompt.

Avec une belle discipline notre bande se regroupe et forme un cercle, armes au clair, tandis que les cris et les grognements se rapprochent. Multipliés et portés par le brouillard, ils paraissent venir de partout à la fois et je ne sais pas vers où pointer ma lame. L’attente ne se fait pourtant pas bien longue. Avec un ahanement l’Averlandais fond sur une silhouette qui vient d’apparaitre dans la brume et lui fend promptement le crâne. Je n’ai pas le temps de m’émerveiller devant l’instinct supérieur de cet homme qui semble sentir ses ennemis plutôt que de les voir car je suis bientôt pris à partie à mon tour.

Le combat qui s’ensuit est pour moi assez flou. Je pense que je tue mon larron sans peine, car il disparaît dans la brume et est remplacé aussitôt par un autre humanoïde d’aspect similaire. Ce sont des hommes, décharnés, hâves, couverts de vieilles frusques en lambeaux, se battant avec des armes rouillées. Je ne comprends même pas pourquoi ils nous attaquent, ni qui ils sont. Il leur suffit probablement de nous voir en bonne santé pour désirer nous tuer.

Insensiblement, le duel m’écarte de mes gens, qui semblent en découdre avec vigueur. Quelques cris de douleur traversent le brouillard, des grognements aussi lorsque nos armes mordent la chair de ces quasi-macchabés. Je devine que nous allons bientôt les repousser ; dans leur état, ils ne peuvent guère lutter pied à pied avec une équipe comme la nôtre. J’hurle quelque chose à propos de l’Indépendance, histoire de tenir mon rôle de chef. J’abats un autre de ces drôles, sans d’autre forme de procès.

Soudain un remous dans la brume livre place à un chien de guerre. Je ne comprends pas pourquoi il n’a pas aboyé ou grogné comme c’est l’ordinaire de ces bêtes-là. Elle me rappelle, furtivement, les mastards que j'élevais dans notre propriété plus au Sud de l’Empire, loin des luttes de brouillard et des combines compliquées de l’Indépendance. Mon cœur se serre brièvement, avant que d’une détente formidable le chien ne se propulse sur moi, visant ma gorge et me renversant sous son poids.

Par chance, je porte une bavière, et ses crocs en sont quitte à fouiller l’acier en vain. Mais je sens sous la pression la pièce d’armure plier, tandis que de mes deux mains je tente d’étrangler et de repousser la créature. Rien n’y fait, et impossible de lâcher la pression pour attraper ma dague, sans quoi il viendrait plonger sa gueule et ravager mon visage. Ses pattes puissantes fouettent mes bras, je ne comprends pas par quelle chance je suis encore en vie.

J’entends comme provenant de très loin d’autres aboiements. Mes gars ont aussi maille à partir avec ces saloperies. Je ne sais même pas s’ils sont venus parce qu’ils ont entendu le bruit de la bataille, ou parce qu’ils appartiennent à nos ennemis. Mourir ignorant, voilà bien la dernière des choses dont j’ai envie.

Cela fait une éternité que nous luttons, lorsqu’un cri me fait tourner les yeux, un instant. Je vois dans un trou de brume Emeric se tourner vers moi, lui et Rudolf, leurs lames dégoulinant de sang. Je lis dans les yeux d’Emeric qu’il comprend soudain ma situation. C’est dommage, le timing est mauvais ; mes bras tremblent et s’apprêtent à lâcher.

Mais sens un lourd choc au niveau de la tête de mon adversaire, qui cesse soudain de se débattre. Ma dague a finalement quitté d’elle-même ma ceinture pour aller se loger à l’arrière du crâne de la bestiole, là où je sais d’expérience qu’il est le plus tendre. Je n’ai même pas le temps de jeter un regard à Emeric avant de m’évanouir.


***

Nous ne sommes plus que six à quitter les quais. Les clébards ont bouffé sur place le tiers de mon équipe. Je comprends à peine comment j’ai pu m’en sortir, moi. Enfin si, je comprends, et à voir les regards soupçonneux que posent le reste de l’équipe sur Emeric, ils ont eux aussi leur hypothèse.

Je ne sais toujours pas qui sont ces types qui nous ont attaqué. Après examen, leurs frusques semblent de vieux uniformes, et deux d’entre eux portent encore autour du cou des colliers de fer, comme ceux des forçats dans lequel on passe la sombre cadène qui signifie leur privation de liberté. Pourquoi étaient-ils là, à Mordheim ? Pourquoi cette maigreur cadavérique ?

Selon le mot assez juste de Helmut, de toute façon, « On s’en fout pas mal et on dégage d’ici ». Alors oui, on décampe. Mais je m’interroge toujours. Dire que j’ai failli y rester, et pour rien…

Nous nous éloignons rapidement. Parmi les survivants, Gouda a l’air sacrément amoché par les crocs d’un des chiens d’attaque. Je sais qu’il serre les dents et qu’il n’en dit rien, mais la tâche rouge qu’il laisse à chaque fois qu’il s’assoit ne trompe personne.

Gouda n’est pas né de la dernière pluie. Il s’accroche parce qu'il sait très bien que dans une expédition comme celle-ci, on n’attend pas les blessés. Le mieux que je puisse faire, c’est de lui filer ma ration. De toute façon, ces temps-ci, je n’ai plus vraiment faim.


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L’Aurore pose ses longs doigts roses, qui ressemblent dans cette ville davantage à des filaments un peu louches, sur le cadavre déjà froid de Gouda. Il a saigné à mort une bonne partie de la nuit sans se plaindre. Je note un peu malgré moi qu’il n’a pas touché à mon sandwich.

Le secteur où nous nous trouvons est relativement épargné par la catastrophe. Nous avons même pu investir à notre aise une de ces hôtels à colombage qui ont fait jadis la fierté de Mordheim, et l’idée d’avoir à notre disposition un réduit facile à défendre qui ne laisse pas infiltrer l’eau et où on ne dort pas à même la pierre froide a remporté une belle adhésion au sein de l’équipe.

Le niveau de confort est si inhabituel que j’insiste pour faire un feu dans l’âtre immense qui équipe la maisonnée. Je me moque pas mal des pressentiments sinistres des autres, que j’envoie d’ailleurs en éclaireur reconnaître la prochaine piste. Car il ne s’agit plus de gaffer. Nous approchons de la Couronne, du moins d’après les visions, et ce n’est pas le moment de tout faire foirer en allant donner la tête la première dans une embuscade.

L’Averlandais part pour quelques heures en reconnaissance. Emeric l’accompagne, histoire de se rendre un peu utile, tandis que je profite de ce repos inhabituel pour visiter la maison à la recherche d’une quelconque babiole que je puisse conserver à mon usage.


***

Le feu a dévoré la maison.

Je n’ai entendu les appels de Kurt que lorsqu’il était déjà presque trop tard. Il m’a fallu me précipiter dans l’escalier, et constater que le brasier avait déjà commencé à dévorer le palier. Dans la chaleur insoutenable qui rongeait mes vêtements, je me suis jeté en avant en priant pour que les marches tiennent bon. La fumée épaisse masquait tout, mais ma mémoire est excellente et j’avais mémorisé sans mal la situation de l’entrée. Au premier étage et au second, de grandes flammes s’élancent déjà, remontant même depuis les fenêtres le long de la façade.

Je retrouve Helmut, stupéfait, à l’extérieur. Il n’a pas osé s’aventurer dans l’escalier, il s’est contenté de hurler mon nom et celui de Rudolf tant qu’il a pu, par la porte béante, sans savoir que l’appel d’air qu’il causait avait certainement accéléré la propagation des flammes le long de la cage d’escalier. Sans le vouloir.

La maison, cet abri si sûr, est désormais un véritable enfer. La chaleur est suffocante, et il nous faut bientôt quitter les environs de l’entrée, que les poutres en bois de l'encorbellement au-dessus de nos têtes rendent bien trop dangereux. Au désespoir, Kurt hurle encore, mais il se doute que si Rudolf ne répond pas, c’est que pour lui il est déjà trop tard. La dernière fois que je l’ai vu, c’était au deuxième étage. Il est bien trop tard pour lui. Je console le vieux guerrier comme je peux en lui disant que le gamin a sans doute été étouffé dans son sommeil par les fumées de l’incendie.

Quant à moi, c’est un miracle si je m’en suis sorti, un de plus. Je n’ai pratiquement pas de brûlure, et tout au plus me faudra-t-il mettre la main sur une nouvelle tunique décente. Ça n’est pas notre priorité. Même dans l'atmosphère surchargée de Mordheim la colonne de fumée va attirer l’attention. Espérons que Emeric et l’Averlandais ne tardent pas trop.


***

Ils sont revenus en hâte de leur exploration, alarmés par la colonne de fumée. Nous ne mettons pas longtemps à nous retrouver pour faire le point.

Emeric en particulier semble frappé du sort de Rudolf, et me jette régulièrement des regards effrayés que je calme comme je peux. Depuis le début de cette sombre expédition, c’est comme si une malédiction nous suivait pas à pas et éliminait l’un après l’autre ceux qui composent notre groupe. Je comprends son inquiétude. Mais ce n’est pas si près du but que nous allons abandonner. Il est temps qu’il s’endurcisse un peu.

Helmut a repris son mutique sang-froid, et semble pressé de quitter les lieux. J’ai le même sentiment. Mordheim est une chienne, mais nous avons une mission à accomplir.

L’Averlandais quant à lui contemple l’incendie avec un regard vide. Je serais curieux de savoir ce qu’il en pense. Une brute comme lui doit certainement avoir, au fond de son petit cerveau encore primate, un fond de superstition.

Est-ce que par hasard il commencerait à avoir peur ?


***

C’est avéré, l’Averlandais est un trouillard. Moi qui m’estime pourtant bon juge des hommes, je m’étais planté dans les grandes largeurs en le voyant pour la première fois, si sûr de lui.

Il vient de nous planter bel et bien, à seulement une heure de marche de notre objectif. Parti pour une soi-disant reconnaissance, dont il ne revient toujours pas après deux bonnes heures d’attentes. Tant pis, ou tant mieux. J’ai assez attendu. Je coupe court aux jérémiades d’Emeric, et nous repartons de plus belle.

La Tour d’Albe se dresse devant nous, comme la vision le laissait penser. Elle émerge, irréelle, au milieu des langues de brume, comme si elle flottait au-dessus de cet endroit, monument de clarté dans la grisaille de la ville morte. Je sens un long frisson d’excitation me parcourir l’échine. Nous ne sommes plus très loin. Quelques centaines de mètres à peine, et nous découvrons la base du bâtiment, lourdement ancrée dans le sol.

Je sais que, pour les cartes, il n’y a normalement rien à cet endroit précis de Mordheim. C’est le "champ aux folles", une vague zone plane qui ne mérite même pas le nom de place. Et pourtant, devant nous, la Tour d’Albe. En s’approchant, on peut voir que ce qui nous apparaissait de loin comme d’un blanc éclatant est tout aussi usé et perverti que le reste des couleurs de la cité. La Tour est aussi vieille que le cataclysme lui-même, bien qu’elle n’ait pas choisi de se montrer avant aujourd’hui.

A mon grand étonnement, la porte n’est pas verrouillée, et s’ouvre d’une poussée. Devant nous, une pièce oblongue, richement décorée de tentures, de tapis, de tableaux, sur lesquels le temps et les mites ont passé. Une odeur de pourriture et de renfermé nous saute aux lèvres, mais nous effaçons bien vite de nos esprits pour nous concentrer sur ce qui siège au bout de cette salle…

Le Trône de l’Ostermark.

Impossible de se tromper.

Il est là, le cheminement de tant de quêtes, de tant de vies. Mes jambes suivent ma pensée. Me voici dans la salle. Je marche, vite, très vite, vers ce que je pense distinguer sur le trône. Ma vision, d’ordinaire excellente, éprouvée par les derniers jours et les changements qu’ils ont apportés, a du mal à faire le point sur ce que je devine à peine. Mais les yeux de serpent d’Emeric sont bien plus affûtés.

« Le Comte. Par la terre, l’arbre et les os ! C’est certainement cadavre du Comte de l’Ostermark… »

La vieille exclamation de Taal et Rhya m’arrache presque un sourire. Mais je suis trop concentré sur les flux d’excitation qui pulsent en moi. Je me précipite et désormais je le vois aussi, ce vieux tas d’os rabougri, le Comte Électeur en personne, et au milieu des os et des dépouilles de son auguste habit, des reflets dorés…

La Couronne de l’Ostermark. Debout devant le Trône, je me penche et je rejette négligemment les ossements pour m’en emparer. Elle est lourde, lourde comme le prix d’une ville, ou d’une armée. Au toucher, l’or est presque chaud. Je la caresse lentement.

Enfin.

« Peut-on considérer que la mission est un succès Marquis ? »

C’est la grosse voix d’Helmut qui vient me tirer de mon triomphe. Il s’est approché lui aussi, toujours aux aguets, sa grande hache à la main, sa moustache tiraillée par la puissance de l’instant. Emeric se tient à ses côtés, il me regarde fixement, comme s’il attendait quelque chose lui aussi. Pourquoi pas de comprendre si tout cela en valait la peine.

Je lui réponds sans déplaisir.

« On peut considérer qu’elle est terminée Helmut. »

Sans même prendre la peine d’acquiescer, le soldat se penche et, d’un mouvement de balancier, fait jouer sa hache qui vient s’enfoncer avec précision dans la gorge d’Emeric, qui observait, figé, l’échange.

J’avoue que ça, je ne l’avais pas vu venir.

Déjà le garçon est au sol et se vide de son sang par une immense entaille, en bruits pitoyables, et sa langue s’agite hors de sa bouche pour la première fois depuis de longs jours. Ses petites mains viennent griffer le sol, comme pour se donner à nouveau de l’assise. Helmut dégage sa lame d’un coup de pied, et se tourne vers moi.

« Monsieur le Comte Adeldoch avait donné des instructions précises concernant le mutant lorsque la mission serait terminée, monsieur le Marquis. »

« Je vois. Et est-ce qu’il y avait également des instructions me concernant ? »

« Non Monsieur le Marquis. Seulement de vous ramener vivant avec la couronne. »

« Mmm. C’est bien dommage. »

Helmut ne semble pas avoir tout à fait saisi l’ironie du propos, alors je le ponctue d’un coup de dague. Mon bras se détend soudain, gagnant près d’un mètre de distance, et va planter directement l’arme dans la gorge de ce brave homme. J’observe avec intérêt la moustache grise se teinter de rouge tandis que ses yeux exorbités fixent mon bras droit démesurément allongé. Par réflexe de sa volonté, je sens qu’il veut tenter quelque chose, mais mon bras gauche s’allonge à son tour, pour lui comprimer le poignet, tandis que sa hache lui échappe des mains et va planer sur quelques mètres, comme de son propre mouvement.

Quelle jouissance. Exercer enfin ses pouvoirs à leur pleine mesure. Pour le plaisir, je laisse revenir la hache, qui se plante avec un bruit mat dans le propre dos du guerrier toujours immobilisé. Il s’affaisse définitivement, me laissant seul, éclater de rire. Oui, lui mort, la couronne est à moi, rien qu’à moi ! Un à un, ils sont morts, sans rien comprendre, et désormais je vais jouir. Jouir de cet artefact, de ces lieux, de leur pouvoir. Jouir de mes nouveaux talents. Devenir ce que j’ai toujours été destiné à être. Un surhomme. Un Dieu. Détaché des contraintes des mortels, des faibles, des minables.

Je sens désormais mes anciennes faiblesses disparaître. Quelque chose éclate en moi, une puissance nouvelle, une infâme liberté. Je crache ma haine sur le cadavre d’Helmut, et pour faire bonne mesure sur celui d’Emeric. Le glaviot s’écrase sur sa plaie béante ou le sang sourde lentement, non loin de ses yeux étirés par l’effroi.

Je suis libre. Je suis puissant. Le règne des Nollendorf peut commencer !

Une brusque douleur à la gorge me ramène à des considérations plus immédiates. Mes bras démesurés peinent à amener mes mains au point de douleur. Je tourne sur moi-même, et mes doigts se serrent autour d’une forme étrange, dure, poisseuse. Je l’arrache dans un cri. C’est un trait d’arbalète. Il est poisseux de mon sang.

Un second choc à l’abdomen me propulse sur le trône, où un troisième me cloue. Dans le voile de douleur, je ne comprends plus rien. Autour de moi les objets s’agitent sous ma volonté, la hache d’Helmut s’élance et va s'écraser contre un mur, mes membres élastiques s’agitent en longs spasmes, je suis incapable de me concentrer assez pour retirer de mon ventre les deux longs traits qui y sont plantés. Je ne comprends pas. Qui ?

A travers le brouillard qui envahit mes yeux, je vois une troupe s’approcher. Je reconnais l’Averlandais, et un homme à la lourde arbalète. Je reconnais Kurt, le Diplomate, je reconnais…

Iméris-Konrad Adeldoch. Comte de mes couilles, chevalier servant du Solland, et surtout fils de pute fini. Non. Non. Non !

La hache d’Helmut s’arrache du mur et voltige vers cette ordure. Je vais le finir. Je vais me le faire. Je vais être riche, puissant ! Je vais….

Iméris-Konrad Adeldoch bondit et m’enfonce avec un sourire sadique un objet pointu de plusieurs centimètres au niveau de la carotide, s’éclaboussant de mon sang. La hache retombe dans un fracas à dix centimètres de lui. Mes yeux tournent dans mes orbites, je sens la vie qui me quitte et ce salopard se penche à mon oreille.

Il me murmure.

« C’est une fourchette. »

Je ne comprends pas. Il s’en fout.

Il se retourne, et ramasse ma couronne.

Je meurs comme une merde, là.

Sa putain de fourchette en travers de ma gorge.

.
Les mutations tirées, dans l’ordre d’apparition : télékinésie, appétit pour le feu, membres élastiques, et puis, finalement, infâme.

Merci d’avoir lu :)
Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
Profil de combat :
FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

Détails permettant d'arriver à ce profil:
Profil: FOR 8/ END 10/ HAB 8/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 10/ PAR 9/ TIR/ 9/ PV 75/75
Compétences: Monte, Arme de prédilection (rapière +1 Att)
armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
Protections: mailles. Torse, dos et bras, protection de 9, encombrement de -1 HAB, ATT et PAR
Talisman de Gork : +1 For Att et END
Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges
Fr.N.

Verrouillé

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