- Oui-da, mon gars ! Almshoven, comme j'te l'dis ! Ces gars-là, c'est pas des finauds s'ils croient qu'y a des trésors par là-bas... C'est une foutue saleté d'ruine maudite. On compte même p'us l'nombre d'idiots qu'ont essayé de fouiller l'fourbi ; sont jamais r'venus. Fais-les raquer d'avance sinon t'verras jamais le moindre Guilder. Seront crevés dans l'heure. Et surtout tu débarques pas avec, hein ? T'les laisses et tu r'pars. Pas la peine d'les attendre, non plus... M'enfin.
Alors que, perdu dans ses pensées, Surcouf regardait bêtement le fond de son godet désormais vide, Gontrant lui donna du coude et, d'un hochement de tête, lui indiqua l'arrivée de trois gaillards dans son établissement. Le premier, le seul tête nue, embrassa la salle d'un regard et, s'arrêtant sur le tenancier, s'avança dans sa direction. Il avait toutes les caractéristiques de l'aventurier en maraude : chausses de cuir et pantalon de toile épaisse, le tout bien ficelé pour une meilleure tenue et un confort de mouvement, une longue et solide tunique de cuir descendait jusqu'à mi-cuisse, deux ceintures bouclées par dessus portaient bourses, petites sacoches, outre et autre fourreau duquel dépassait la poignée d'une épée simple. Dessous sa tunique, il était vêtu d'une chemise épaisse dont les manches couvraient jusqu'à ses poignets. Sous son bras droit, il tenait une cervelière à lunettes équipée d'une protection nasale.
- C'est lui marin ? demanda-t-il au tavernier avec un fort accent que Surcouf était incapable de situer.
Gontrant hocha affirmativement la tête. L'aventurier esquissa un sourire en regardant le marin, puis hocha la tête à son tour.
- Comprend ce que je parle ?
- Oui-da, m'sieur ! L'est Bretonnien comme moi.
- Mjög gott ! Plus facile discuter ensemble... et négocier prix.
L'homme avait les yeux bleus, d'un bleu clair presque transparent, et son regard n'en était que plus perçant. Il souriait de toutes ses dents, ses lèvres fines à peine visibles sous les poils de sa moustache et de sa barbe. Ses cheveux en bataille couvraient ses oreilles et sa nuque jusqu'à effleurer ses épaules et étaient d'un blond cuivré qu'on disait « blond de Miragliano ».
Alors qu'il bavardait avec Surcouf et le patron, ses compagnons s'étaient postés de part et d'autre de la petite porte de bois à l'entrée de « l’Épave du vieux Gontrant ». L'un des deux, qui avait gardé sa capuche, donnait un air de famille avec l'interlocuteur du marin bretonnien mais était manifestement plus âgé ; le visage plus buriné, les traits plus creusés, la pilosité plus drue, plus rousse et le sourcil plus broussailleux. En plus de l'accoutrement identique à ses camarades, il avait un bouclier rond posé à ses pieds et une lance appuyée contre son épaule. Entre les mains, il tenait une corne fermée par une pièce de cuir et un lacet, et portait une gibecière et un sac en bandoulière sur l'épaule. Le dernier larron semblait moins commode. Il gardait sa hache simple solidement empoignée et son casque à lunettes équipé de maille couvant le menton, les joues et la nuque ne laissait rien voir de son visage ; pas même ses yeux cachés dans l'ombre. Il n'avait rien à la ceinture et ne portait rien d'autre qu'une lourde cape attachée sur ses épaules par une grosse boucle ronde.
- Combien pour affaire, mon ami ? demanda le premier des trois, interrompant Surcouf dans l'examen de sa future clientèle. Deux Guilders, ça va ?
Le capitaine du « Rouge-gorge » croisa brièvement le regard de Gontrant qui secoua rapidement la tête pour lui indiquer de ne pas accepter si peu. Puis, faisant mine de se gratter le menton, le patron leva discrètement quatre doigts...