« Soit, ça pourrait servir de mettre ton navire en garde…
…Ou alors ça achèverait de faire paniquer ton pilote, et en se sachant talonné par des Norses avec les deux sœurs Drakilos dans le même pétrin et sans leur père, il pourrait avoir l’idée de se casser aussitôt. Rekhilve t’as déjà trahi une fois, elle n’est loyale qu’à sa bourse, tu penses vraiment qu’elle ne pourrait pas me trahir aussitôt une nouvelle fois ?
Elle est compétente, mais trouver quelqu’un de compétent et loyal c’est illusoire. »
Elle se retourna et se prépara à nouveau à partir, lorsqu’Akisha décida de la moucher en lui parlant de la sorcière. Là, cette fois-ci, Megeth dût faire semblant de ne pas être si pressée que ça. Elle jeta un œil vers les pans de la tente, et passa ses mains l’une sur l’autre. Lèvres pincées. Sourcils froncés. Elle parla cette fois-ci avec une assurance fortement amoindrie, en traînant bien chaque syllabe, comme si elle faisait très attention à ce qu’elle dît.
« C’est une sorcière du couvent. Tu sais bien que les filleules de Morathi ont souvent des expressions un peu… Disons, bien à elles…
Sans elle je n’aurais jamais pu te retrouver, tu lui dois bien ça… Bon, de toute façon ça ne te regarde pas, n’est-ce pas ?
Va te reposer le temps que mes hommes remballent, il va falloir malheureusement marcher. »
Il n’y avait vraiment pas besoin d’être grand clerc, ou particulièrement empathique, pour voir qu’elle ne disait pas tout au sujet de la sorcière. Mais plutôt que de souffrir d’une conversation avec sa sœur, la cadette décida de s’éloigner d’un pas vif en hélant quelques corsaires qui se dépêchaient de préparer un paquetage.
On démontait la tente, on préparait des sacoches, on éteignit un feu de camp en retirant les bûches d’un gros coup de pied. Tout le monde se pressait à toute vitesse, et l’on pouvait voir tel matelot vérifier les cordes de son arbalète, un autre aiguiser sa lame ; des visages fatigués, les yeux sertis de cernes, les mains aux engelures se mettant au travail pour se préparer à fuir le plus vite possible.
Alors qu’Akisha obéissait à l’ordre de sa sœur, restant tranquillement dans un coin tandis que l’équipage se chargeait de toutes les contingences matérielles, l’état-major improvisé de Megeth quitta un par un la tente ; la sorcière, le réchauffe-lit, le guide qui baissa bien les yeux en passant devant Akisha, l’ombre qui fit comme si elle n’existait pas, et, en tout dernier lieu, Fereoth Phaeceaes.
Il était le seul à ne pas narguer Akisha. Le fou furieux s’approcha d’elle en lui tendant une pipe à tabac.
« Tu fumes ? »
Qu’elle accepte ou non, il fit scintiller son briquet à silex pour allumer les feuilles bourrées dans la petite pipe, et tira une grosse bouffée pour lui-même. Il regarda par-dessus son épaule, et, ne prenant même pas la peine de chuchoter, s’adressa à une Akisha seule avec lui.
« Bon. C’est quoi le plan du coup ? »
Il la regarda bien droit dans les yeux. Et avant qu’elle ne puisse répondre quoi que ce soit, il reprit de plus belle :
« T’as forcément un plan ! T’en as toujours un ! Alors quoi ? On trace devant ta sœur et on prend la fuite pour atteindre le navire en avance sur elle ? Tu dragues son peigne-cul pour qu’il te récupère la bague ? Tu vas t’assurer que le Kehem est dans ton camp en allant menacer cette couille-molle ?
Fait pas genre que t’as pas de plan dans ta tête, je sais que t’en as un. Allez, dis tout à tonton Fereoth. »