[Darmalion] Gladiature

Fiévreux, affamé, fatigué, Darmalion tenta de renouer avec le chasseur qui était en lui. Tapis dans l’ombre, il tenta, maladroitement, de rester le plus stoïque possible afin de saisir l’opportunité parfaite pour abattre sa proie.

Le grand élan était en pleine force de l’âge. À combien de prédateurs avait-il dû échapper au cours de son existence dans les forêts d’une Norsca hostile à lui ? Il broutait paisiblement, mais il était loin de ne pas être alerte.
Un instant, il cessa de ruminer l’herbe au sol. Il leva son gros museau, et, le Minotaure en était persuadé – sa proie avait compris qu’il était ici.

L’élan se tourna à toute vitesse. Sans élégance, il détala aussi vite que sa constitution lui permettait, de grosses mottes de terre fraîche soulevées sous ses sabots. Il courut, sans demander son reste, obligeant Darmalion à bondir de sa cachette afin de donner la chasse.

Gros, malade, dans la nuit, à devoir éviter des branches d’arbres et des ronces accidentées. À devoir grimper un petit talus couvert de troncs de noisetiers et de frênes. L’élan avait décidé de bondir au-dessus de tous les obstacles, aidé de son instinct et de sa connaissance du terrain.
Mais Darmalion était porté par une sensation oppressante, plus forte que sa septicémie : Sa faim. Malgré la rapidité et la poussée de l’élan, il parvint à ne pas se faire distancer. Lentement, mais sûrement, il gagnait du terrain. Sautant au-dessus des ronces, sprintant jusqu’à l’asphyxie, il donna tout ce qu’il avait, jusqu’à atteindre le croupion de la bête.
Un vif coup de boule de côté lui arracha le flanc. L’élan réera. Il se retourna à toute vitesse, baissa sa tête, et frappa à toute vitesse sur son prédateur. Ses grosses cornes claquèrent celles de Darmalion. Il lui érafla le bras gauche, ouvrit le biceps, taillada net. Hurlant de rage, Darmalion multiplia les coups. Gauche, l’élan tomba légèrement de côté. Le minotaure ne lui laissa pas la moindre seconde de répit honorable : Avant même que l’élan ne puisse se ressaisir, le minotaure lui ouvrit la gorge. Un geyser de sang coula au sol. L’élan fuit avec ce qui lui restait de vitalité, mais elle le quittait en même temps que son hémoglobine. Martyrisé, endolori, avec des cris bestiaux de terreur et de douleur, il s’effondra de côté, Darmalion pouvant se jeter sur lui pour le dévorer – cru ou cuit, selon les goûts de l’Homme-Bête.

Il avait couru tellement longtemps, qu’il n’était plus tellement sûr d’où il avait atterrit. La course l’avait entraîné encore plus profondément dans la forêt. Il n’était pas sûr que, avec la nuit, il puisse retourner tout de suite à son abri.

Message par **Darmalion** » 15 juin 2020, 20:56

GLADIATURE

Au moment où sa proie se retourna pour fuir, il bondît d’un trait. Sa course frénétique prit alors une allure cauchemardesque quand bien même elle était aussi maladroite que celle de l’élan qui tentait de le fuir. Le cervidé était paniqué et cette même peur avait fait naître en lui un flot d’adrénaline qui lui permettait d’engager ses quatre pattes dans une cadence accélérée qui s’offrait comme son seul salut. Il laboura la terre de ses sabots endurcis en se cabrant plusieurs fois pour éviter les rondins brisés, il se rééquilibra chaque fois que sa patte glissa sur une branche en employant les autres en renforts et redémarrant de plus belle pour creuser la distance avec son poursuivant, il ignora la douleur des ronces qui écorchaient son pelage alors qu’il tentait de passer de force les obstacles qui se mettaient en travers de sa route, quand il ne parvenait pas à les franchir d’un saut carpé, et il escalada un talus en espérant que son prédateur souffrirait d’un manque d’agilité qui l’empêcherait de faire de même.

Mais chaque fois qu’il bifurquait, évitant une course rectiligne et linéaire, il pouvait voir le béotien se rapprocher de plus en plus de lui. Sa terreur devint de plus en plus intense. Il décida, en entendant les lourds pas fouler le sol derrière lui, de ne plus tenter de profiter des obstacles naturels pour casser la course du monstre qui, sans qu’il ne le sache, ne s’embarrassait guère d’esquiver ou de contourner ce qui le retenait : il défonçait tout, littéralement. Et là où l’élan avait cru bien faire en jouant sur son habileté, le prédateur avait éventré toutes les hypothèses selon lesquelles un prédateur devait être au moins aussi souple que ses proies ; somme d’une course-poursuite de l’horreur pour l’un, de l’appétit pour l’autre, un coup de cornes magistral, violent et barbare, défonça la croupe de l’animal qui dût se retourner.

« BWAHAHAHA ! TOI CROIRE GAZELLE ! TOI TROP GROS POUR GAZELLE ÊTRE ! »

Le lourd béotien bien pris son élan pour prendre son élan, et s’il eut été élancé sans doute aurait-il pu jouer à cette gymnastique nocturne. Mais il était colossal, gauche et rustique. Les poumons à l’asphyxie, son corps criblé de cicatrices et tenaillé par la faim, assiégé par la maladie qui avait gagné ses plaies, avait encore une fois fait le travail. A présent, les deux Bêtes se faisaient face, se toisaient : le symbole de la guerre face au symbole de la paix. D’un commun élan, ils se chargèrent mutuellement et leurs cornes claquèrent dans un fracas monumental. Déviant de sa trajectoire, Darmalion perdit l’équilibre ; dès lors, le gibier en profita pour enfoncer son flanc et remonta sa tête en lui arrachant les muscles du bras gauche. Biceps à vif, le Minotaure remisa mais sa réponse fut plus expéditive. La croupe de l’animal était déjà saignante et sa patte agoniste tremblotait déjà comme une feuille secouée par les vents. Il attrapa les cornes du gibier et libéra sa gorge ; frappa de plusieurs lourds coups de poing dedans, avant d’y mordre et de plonger sur le pauvre animal.

Déséquilibré, l’élan tomba. Darmalion s’affala dessus de tout son poids dessus en mordant férocement sa glotte, et tout en continuant de tenir les cornes de l’herbivore pour faire pivoter sa nuque et l’empêcher de se redresser il attendît. Son propre souffle était lourd, et son dos semblait presque se gonfler à chaque inspiration tant il avait besoin d’air ; ses nasaux expulsait une haleine chaude et nauséabonde avec des coulis de morve, mais il tenait. Sous ses énormes molaires légèrement biseautées pour pouvoir croquer la chair, il sentît l’air qui ne passait presque plus dans la gorge de l’animal. Il sentît par ailleurs les tentatives de contraction du pauvre animal qui tentait, en désespoir de cause, de trouver ses dernières forces.

C’est alors que l’animal parvint à se redresser, vaillant et brave, refusant d’abdiquer. Darmalion n’eut pas le force de la contenir mais ne vit qu’une dernière solution : serrant sa mâchoire encore plus fort, il tira férocement. La glotte de l’animal le suivît.

L’élan tenta de courir à nouveau. Mais à présent son larynx était ouvert et laissait son sang inonder le sol par litre. Il déglutît, tenta de pousser un dernier râle, mais rien ne vint. Il s’effondra, et se laissa glisser lentement vers sa fin.

Empressé, Darmalion fonça sur lui et de nouveau se blottît contre l’animal pour l’empêcher de se relever à nouveau. Mais cette fois, il ne sentît plus aucune résistance et, plutôt que de tenter une nouvelle morsure fatale, il but goulûment son sang. Puis, voyant que l’âme du pauvre animal avait expiré, il le traîna jusqu’à le mettre dans un abri sommaire. Silencieusement, il posa ses mains dessus et le caressa. La bête était grosse, pleine de muscle et de gras. Un festin, le trophée de toute une attente.

Il mordît son ventre pour le déchirer. Il laissa ses entrailles se déverser sur le sol, puis plongea sa tête dans le ventre. Il commença, enfin, à le dévorer de l’intérieur. Il dût, pour s’en délecter sans sombrer dans la folie, retirer plusieurs fois sa tête de la carcasse, car à l’intérieur l’air était vicié de gaz et peu riche en oxygène. Mais chaque fois, il s’y replongea avec délectation. Il arracha ensuite les rognons de l’animal, qu’il engloutît une par une avec un plaisir vicieux, car c’était là pour lui l’une des meilleures parties du gibier. S'il s'était agi d'une femelle, sans doute aurait-il assouvi quelques pulsions sexuelles avec le cadavre encore chaud de la Bête, mais ce ne fut malheureusement pas le cas avec ce mâle.

Une fois repus, il tenta de lui arracher la tête. Le crâne de cet élan appartenait au Seigneur des Crânes et à personne d’autre. Le Molosse en serait ravi. Mais alors qu’il tentait péniblement de faire rompre la nuque solide du gibier en désarticulant sa tête, tordant son cou en espérant entendre le fameux bruit de craquement qui lui dirait si oui ou non il pourrait tirer un bon coup pour ôter la chose du corps, il songea qu’il ne savait plus où dormir.

Son errance démarra. Il était seul dans un monde qu’il ne connaissait pas, malade, blessé, fou et plein d’ennemis.

Darmalion profitait de la juste récompense de sa chasse. Sans subtilité, sans patience, il dévora un à un les meilleurs morceaux de l’élan. Son métabolisme fatigué et fort éprouvé, resté dormant et torturé pendant quatre longues années, eut énormément de mal à absorber une viande aussi riche en aussi peu de temps. Le minotaure sentait quelques coliques lui tordre l’estomac, et un mal de tête qui empirait avec sa fièvre et sa soif.
Mais en quatre années, il n’avait jamais rien mangé d’aussi délicieux, à l’exception des quelques esclaves et pauvres victimes qu’on jetait dans son antre pour le forcer à combattre.

Les heures défilaient lentement avec son repas. Et puis, il s’était endormi, écroulé par la fatigue, éprouvé par tout ce qu’il avait dû endurer. Même sans confort, même sans sécurité, dans le froid et avachi sur la terre, il avait réussi à trouver un sommeil plus lourd et plus apaisé que lorsqu’il était enchaîné par des Hommes qui ne méritaient pas de le séquestrer.

Alors que le soleil n’était pas encore levé, il se releva sur ses guibolles, et tenta de trouver son chemin à travers la forêt, jusqu’au village où Baldr avait probablement fuit. C’était là où il souhaitait aller.

Il errait sans véritable piste ni moyen de se repérer. Mais ses instincts commençaient à redevenir bons. Alors que sa gorge était douloureuse et sa langue sèche, il eut le plaisir d’entendre, au creux de son oreille, le clapotis de l’eau. Approchant distraitement de l’objet de sa convoitise, il réussit, certainement par un miracle, à découvrir un cours d’eau cristalline dans lequel il pourrait étancher la soif qui ne cessait de le tourmenter.

En approchant, Darmalion vit au loin une petite meute de loup. Par chance, ou malchance, les bêtes décidèrent de finir de s’abreuver pour fuir le gros monstre avant qu’il ne se rapproche trop près d’eux. Aussi, le minotaure avait à présent toute cette magnifique eau pour lui tout seul, si on exceptait quelques oiseaux, des bancs de saumon, et des animaux trop minuscules pour faire perdre son temps à l’enfant de Khorne – comme ces petits lemmings qui ne cessaient de courir dans tous les sens dans des petits buissons, en creusant des terriers à toute vitesse pour échapper aux prédateurs bien plus gros qu’eux.
Darmalion pouvait boire. Darmalion pouvait se laver. Profiter d’un instant de répit. S’il était encore blessé, il allait à présent beaucoup mieux que la veille. Il pouvait peut-être songer à comment occuper sa journée, et vers quelle destination se diriger, à condition de pouvoir se repérer au milieu d’une forêt inconnue.

Puis, il eut un signe.

Enfin, un signe. Le premier depuis des années d’exil, abandonné, sans pouvoir entendre les voix des Dieux ou ouïr la pesanteur du brame.

Au loin, très loin à l’horizon, à une grande distance qui devait prendre des jours de marche, caché derrière quelques pics de montagne, il y avait une subtile colonne de fumée noire. Un voile noir produit par du bois qu'on incendie.
Un signe.

C’était le genre de feu que les Shamanes préparaient autour des pierres des hardes pour appeler leurs congénères à rejoindre la curée.

Message par **Darmalion** » 20 juin 2020, 11:48

GLADIATURE

Pendant un long moment, il se délecta de son butin sans même se soucier d’économiser son appétit ou de rationner la précieuse denrée. Il bouffa comme un goinfre en déchirant les tissus de l’élan dont la gueule s’étendait mollement sur le côté, ses yeux encore ouverts dans une expression d’horreur et de souffrance, alors que son corps était encore secoué par la Bête qui fouillait dans sa chair sans se soucier de respecter la carcasse de l’animal. Une fois repus, il partît s’allonger un peu plus loin et se lova sur lui-même en basculant sur son propre flanc pour trouver une position plus confortable. Sa nuit fut courte toutefois, troublée par la fièvre et par des maux d’estomac qui l’obligèrent à plusieurs reprises à aller se vider ailleurs. Son corps n’était pour ainsi dire plus accoutumé à ingurgiter une telle quantité de viande, mais du reste il eut la réelle sensation de regagner des forces.

L’aube se leva pour accrocher ses premières lumières là où se tenait avant elle le firmament, et Darmalion se hissa de toute sa hauteur pour évaluer son environnement. De nouveau, il prit la route toujours avec une certaine forme d’errance et marcha, l’esprit encore brumeux et l’âme fiévreuse, vers un destin inconnu. Sur son chemin, il s’arrêta à plusieurs reprises ; fit claquer de nouveau ses grosses cornes contre l’écorce des arbres en les frottant, et mangea quelques feuilles et quelques baies sauvages pour soulager son estomac, ce qui lui valut de recracher un peu de sa bile quelques instants plus tard, lavage instinctif de son estomac. Son subconscient le poussait vraisemblablement à laisser son odeur sur son passage comme s’il émettait le souhait de devenir le mâle dominant de cette forêt : son prédateur ultime. Toutefois, son but n’était pas de rester et il continua d’avancer sans même se soucier de garder cet endroit.

Que s’était-il passé la veille ? Il mit un certain temps à se souvenir du Vikti, fouillant dans sa mémoire, pour retrouver la gueule du Jarl Baldr et l’envoûtement d’Ohrein. Il se souvint qu’il avait un petit gros et une gaminer à déguster, et songea l’espace d’un court instant à ce que pouvait être devenu Ingjald. Avait-il plus le goût du Loup, ou plus celui de l’Homme ?

En parlant du genre lupus, il ne tarda pas à apercevoir l’une de leur meute au loin et s’apprêta à charger lorsque, malheureusement, l’un d’eux détecta le maladroit béotien et somma ses compagnons de fuir. Le Minotaure, insatisfait, hurla et gratta le sol avec furie, mais ne chargea pas.

« MUUUUAAAH ! »

Il cria pour se faire entendre, pour révéler sa présence à la faune alentour. Bestial, il affirmait sa position près de la source d’eau comme pour avertir quiconque qu’il serait là, à attendre qu’ils viennent boire pour se jeter sur eux, pour les pulvériser de ses cornes et de ses gros poings si d’aventures l’un d’eux s’amusait à vouloir le confronter. Un rugissement pour enfanter la terreur dans l’esprit des petites Bêtes. Puis il s’approcha du ruisseau et but à grands coups de langues, puis se roula dedans comme pour évacuer la boue et les microbes qui pullulaient sur son poil. Ressortant les muscles contractés et vivifiés par le froid, il aperçut au loin la colonne de fumée sans savoir de quoi il s’agissait ; mais quoi qu’il puisse en être, il ne pouvait l’ignorer. Quelques pas plus loin, il se roula encore dans la boue pour doter son corps d’une protection supplémentaire face aux mouches et autres parasites qui n’avaient de cesse d’abonder autour de lui, puis poursuivit son chemin en direction de la colonne de fumée.

Autour de lui, il s’attarda sur tout un tas de détails insignifiants. Les oiseaux qui s’agitaient dans les arbres, les petits rongeurs qui fonçaient dans les taillis, les mouvements de feuille et la différence des végétaux, les traces éventuelles de petits gibiers et les écorces fustigées par d’autres cornes. Tant de petites choses qui lui permettaient de retrouver peu à peu son instinct de prédateur ; mais il lui faudrait du temps, oui, du temps pour redevenir le cauchemar des bois.

La route jusqu’à la colonne de fumée serait longue. Un petit périple, qui devait le mener au fond de la forêt, en s’éloignant le plus possible des maigres traces de civilisation de la Norsca.
Ce continent n’était pas le Vieux Monde. Ce n’était pas l’obscure forêt d’Arden, ou les bois noirs de la Drakwald, péninsules de sauvagerie cernés par l’Humanité croyant vivre en sécurité derrière des enceintes de pierre et l’œil vigilant de preux chevaliers en armure. Darmalion était plus proche qu’il n’avait jamais été du Pôle Nord, du lieu où les Vents de Magie pulsent, et les Dieux font sentir plus férocement qu’ailleurs leur présence. Rien ici n’est pacifié. Même les humains qu’il avait eu le déplaisir de rencontrer au cours du calvaire de sa captivité rivalisaient en fourberie et en violence avec les plus bas instincts des Bêtes assemblées en Harde.

Trois jours et trois nuits Darmalion continua de s’enfoncer dans la forêt. Trois jours et trois nuits à offrir son corps à la forêt. Trois jours et trois nuits à chercher de maigres proies, un endroit où dormir, des arbres contre lesquels aiguiser ses cornes ou gratter son pelage. Et toujours, toujours en avant, vers cette énigmatique colonne de fumée noire qui s’élevait continuellement, de jour comme de nuit, vers la voûte céleste, perceptible malgré les branchages bourgeonnant de printemps et les hautes cimes des sommets montagneux. Trois jours et trois nuits durant lesquelles Darmalion retrouvait ses forces, observait ses blessures se cicatriser, l’atroce infection cessant petit à petit de l’handicaper autant qu’avant. Il était en pleine convalescence. Il revivait en même temps que la nature recommençait à vivre. Chaque jour, quand bien même c’était peu perceptible, l’atmosphère se réchauffait un tout petit peu plus. Des fleurs commençaient à éclore. Des prédateurs sortaient de leurs tanières.
Et dans le ciel, la lune grise brillait chaque nuit dans un croissant de plus en plus étendu. Et Darmalion avait pu voir, avec merveille, reluire la lueur moqueuse de la lune verte : Bien éloignée, trop cachée pour être considérée pleine. Mais elle approchait. Elle approchait avec toutes ses promesses d’orgie et de décadence comme chaque pleine-Morrslieb offrait aux infidèles et aux apeurés fuyant ses sombres promesses.

Enfin vint le quatrième jour. Et à présent, Darmalion quittait la forêt pour entrer dans un paysage légèrement clairsemé, afin de rencontrer le prochain obstacle qui l’empêcherait d’attendre les énigmatiques signaux de fumée ; Devant lui se dressait un paysage encore plus à pic que d’ordinaire, les buttes montantes et les collines rebondies laissant place à de véritables sommets escarpés.

Gauche et sans équipement, affronter cette étendue n’était peut-être pas une bonne idée pour le minotaure. D’autres prédateurs avaient élu résidence dans de tels paysages. Il pouvait peut-être tenter de contourner cet obstacle ; Mais le détour agrandirait certainement son trajet de plusieurs jours, voire semaines. Il se déplaçait dans un environnement qu’il ne connaissait pas, sans orientation, sans encore pouvoir compter sur ses anciens instincts endormis. Aller tout droit serait plus rapide, mais plus dangereux.

D’ailleurs, alors que Darmalion était laissé à ses réflexions, il nota quelque chose qui volait bien haut dans le ciel, son ombre dessinée par la lueur du soleil planqué derrière les sommets ; Un animal volant, bien trop gros pour être un oiseau.

C’était une manticore, comme il en avait aperçut en quittant son antre il y a maintenant plusieurs jours. Sauf que cette manticore, qui disparaissait dans un cri strident, porté par l’écho de la vallée, était pile sur le chemin que le Minotaure devait emprunter s’il souhaitait aller tout droit.

Message par **Darmalion** » 23 juin 2020, 22:11

GLADIATURE

Sa longue marche fut propice à des réflexions multiples et basiques que toute créature trop sotte pour pouvoir ascétiser son esprit pouvait avoir. Des réflexions qui le poussaient à se demander quand est-ce que le ciel lui tomberait sur la tête et pourquoi il avait été lui-même fait si gros et si fort. Continuant d’avancer en marquant son territoire comme pour dire à ceux qui le poursuivraient qu’il était passé par là, il songea lors de la première nuit à ce qu’il avait bien pu faire pour être affligé d’une telle solitude. Le Molosse était-il mécontent de lui ? N’était-il pas assez fort pour appartenir à une Harde comme les autres ? Ou les ennemis du Molosse voulaient peut-être l’empêcher de rejoindre ses forces ? Il ne le savait guère mais cela ne l’empêchait pas de rêver à d’ignobles massacres perpétrés par un fléau qu’il ne possédait plus, certes, mais qui dans ses songes lui permettait confortablement d’écrabouiller la concurrence et de s’habiller des entrailles de ses ennemis tel des colliers de fleurs, en même temps qu’il déposait leurs crânes sur des stèles dédiées à celui qui enfantait la guerre en toutes circonstances.

Chasseur instinctif, il continua de progresser et tenta à plusieurs reprises de faire la chasse à des insectes volants, croqua d’ailleurs d’autres bestioles qui ne se déplaçaient pas assez prestement pour pouvoir échapper à ses grosses pattes, et fendît quelques troncs chancelants pour le simple plaisir d’exprimer sa puissance. Il dévora toutes ces créatures autant qu’il put, souvent après les avoir réduits en bouillie et, poursuivant sa route, il s’attardait bientôt sur autre chose : une plante inconnue, un autre coléoptère face auquel le jeu dominait en l’obligeant à le prendre en chasse, un lit d’eau à travers lequel il étudiait des têtards et les araignées d’eau. Il consomma plusieurs plantes infectes qu’il flaira tout en tâchant d’associer l’odeur à son dégoût, de sorte à ne plus jamais les approcher ; son odorat remplaçait à ce titre l’intelligence qu’il n’avait pas, car il était tout bonnement incapable de se reposer uniquement sur sa mémoire pour savoir discriminer ce qui était bon de ce qui ne l’était pas. L’odeur, en revanche, était quelque chose de plus sensitif et lui permettait à ce titre d’avoir meilleure analyse. Tout ce qu’il pouvait attraper et consommer, enfin, passait de ses grosses mains à sa bouche comme s’il voulait s’empiffrer de la vie. L’esprit du béotien était cruel et barbare, impitoyable avec ses cibles ; pourtant, il était bel et bien capable de s’amuser comme un enfant.

Il continua, toujours seul au milieu de ces millions de mystères dansant autour de lui, de parcourir le trajet qui le mènerait vers la destination qui lui semblait la plus propice, à défaut d’avoir d’autres repères. Au bout du quatrième jour, sa moitié d’errance le mena jusqu’à des crêtes en altitude qui promettaient un plus rapide voyage. C’est lorsqu’il arriva sur ces paysages au-dessus du reste du monde qu’il aperçut, encore plus haut, cette énigmatique manticore qui tournoyait en planant, sans doute en rechercher de proie. Il ne se soucia pas de savoir si elle sur son chemin ou non, non, il fonça directement vers elle en tendant les bras vers les ciels, comme un quidam cherchant les bras de sa mère :

« POURQUOI MOI PAS CIEL ?! MOI AUSSI VOULOIR VOLER ! WAAAAAARH ! DONNER AILES MOI !!! »

Hurla-t-il en langue noire à l’adresse de cette créature céleste, et rêvant de déchirer ses ailes pour les mettre dans son dos.

Il retrouvait les montagnes. Il retrouvait ces monts escarpés, cette sédimentation qui déchire la terre balayée par des centaines de milliers de comètes durant l’Heure du Chaos, le moment de la naissance des Hommes-Bêtes. Quatre ans durant, il avait été prisonnier d’une arène de roche, mêlé le sang au calcaire, offert bien involontairement de la charogne à la Corneille, mais laissé son Maître – son vrai maître – se repaître du sang avalé à travers les failles de pierre de son antre.

Une Manticore surveillant une passe était habituellement un danger que l’on souhaitait éviter à tout prix. Pas un ennemi qu’on défiait en chargeant directement vers le plateau auprès duquel il scrutait une proie. Bien perché à l’horizon, aveuglant Darmalion de son ombre opposée au Soleil, le monstre regardait le minotaure charger vers son arène à lui – une arène à ciel ouvert, une arène d’herbe grasse et d’un tout petit lac montagnard ; probablement l’endroit parfait pour foncer furtivement sur une proie s’arrêtant pour s’abreuver, assoiffée de sa longue marche le long du défilé.

La Manticore aurait pu craindre le Minotaure. Elle aurait pu décider que risquer son fier pelage et ses grandes ailes ne valait pas le coût face à un monstre cornu. Elle aurait pu attendre patiemment, perchée bien en sécurité, là où jamais Darmalion n’aurait été capable de l’atteindre.
Ce n’est pas le choix que la Manticore fit.

Elle se jeta dans le vide. Battit très légèrement ses ailes, sans se presser, uniquement pour planer à travers la voûte céleste. Avec ses magnifiques membres félins, elle fondit vers le sol. Cessa son piqué peu avant l’impact, en se tournant lentement en arrière. Et, en écartant poussière et broussaille à son atterrissage, elle tomba à terre, pour faire face à Darmalion, quelque chose comme trente mètres les séparant.

La Manticore marcha lentement sur ses pattes, de côté. Et les deux prédateurs purent s’observer mutuellement. Darmalion put plus facilement contempler l’impressionnante taille et l’air racé de son adversaire.

Peut-être que Darmalion avait fait une erreur en venant jusqu’ici.

Mais la gueule de la Manticore s’ouvrit, de la salive déborda de sa gueule, coula près de ses moustaches, et alors, dans un écho qui déchira le calme de la montagne, elle rugit.

Message par **Darmalion** » 28 juin 2020, 20:26

GLADIATURE

Epreuve de la survie. Son cœur palpita dès l’instant où il vit que la créature ajustait sa trajectoire pour bifurquer vers lui, au moment où d’un rugissement bestial il l’avait provoqué ; mais ces palpitations s’accélérèrent encore au moment où elle se posa sur le sol pour s’approcher de l’Homme-Bête. Tadam. Tadam. Tadam. Si fort qu’il pouvait le sentir. Si fort qu’il pouvait l’entendre.

Le manticore était là, sa tête dansant au-dessus de ses épaules. Ses pas félins l’approchaient doucement de ce que, depuis le ciel, il avait vu comme quelconque pitance, mais qu’il découvrait en réalité être un festin extraordinaire. Le minotaure était beau, plus gros que n’importe quelle biche, plus musclé et fort que n’importe quel autre bovidé. Dans la façon qu’il s’approchait de lui, il pouvait percevoir comme une immensité de fureur refoulée qui ne demander qu’à exulter dans un pugilat sanglant. Cela nourrissait-il l’ambition du manticore ?

Darmalion, lui, n’en savait rien. Son esprit était tout conquis par l’idée de pouvoir ôter les deux ailes de cette créatures qui l’avait aguiché depuis l’azur, et qui désormais le défiait au sol. Malheur, il se rendît compte après l’avoir provoqué en toute méconnaissance qu’il ne s’agissait pas d’un volatile quelconque, mais d’un fauve qui pouvait à l’évidence déchirer son cuir. Sous son museau, un filet de bave se mélangea à son poil brun et dru, alors que ses muscles se contractaient comme pour s’échauffer avant le fracas bestial.

Deux êtres possédés par l’appétit et vassaux de leurs instincts les plus bellicistes s’étaient rencontrés, et ne demandaient qu’à s’entredévorer. Mais de ceux-là, le manticore paraissait être en meilleur état, non couvert de cicatrices comme pouvait l’être le minotaure, non fustigé par la fatigue et atrophié par la solitude et la geôle comme il avait pu l’être. Il partait d’ores et déjà conscient de ses faiblesses…

… pour autant, l’inattendu se produisît. Ce fut à cet instant où tous ses espoirs semblaient s’enfuir qu’une force inconnue assiégea son cœur. Miracle, il se sentît renouvelé, ses bras et ses pattes se fléchirent comme pour retenir cette vague de pulsions de force qui le secouait de l’intérieur. Doucement, alors que cette présence prenait une intensité incroyable, son esprit s’affaissa, se plia aux volontés les plus sanguinaires de ses instincts de tueur ; doucement, son esprit se déroba à son corps et l’enfonça plus profondément encore dans l’abîme d’une folie destructrice.

Khorne l’habitait !

« RUUUUUUUUAAAAAAAAAAH !!! »

Le monstre n’eut d’autre choix que de se soumettre à cette frénésie. Sa tête remua dans tous les sens et ses cornes, épousant ces courbes irrégulières, dessinèrent des fresques dans le vide comme s’il tentait d’éventrer des fantômes. L’ignoble bête poussa un nouveau mugissement, et chargea.

Il chargea, oui, comme s’il fonçait vers la mort non pour la rejoindre, mais pour la percuter de plein fouet et la forcer à reculer !

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Khorne n’est pas un Dieu qui nécessite beaucoup d’années de théologie pour le comprendre. Il aime le Sang. Il aime qu’il soit répandu. Qu’il souille la terre. Qu’on le verse honorablement. Assis sur son trône de crânes depuis la Citadelle d’Airain, il patiente, s’amusant des conflits des hommes qui, peu importe leurs idéaux, choisissent de donner toute leur vie et toute leur âme dans le meurtre d’autrui – au risque de leur propre perdition.

Deux gladiateurs monstrueux se faisaient face. Deux créatures impies. Manticore et Minotaure se ressemblent plus qu’elles ne l’imaginent en se faisant face ; Tous deux ne devraient pas exister dans l’harmonie terrestre. Tous deux sont nés par les sombres énergies démoniaques du Pôle Nord, qui depuis des millénaires balayent la surface de la Terre. L’apogée des énergies tortueuses et corruptrices qui changent les nations de leurs bourrasques.

Alors Darmalion accomplit la seule chose qu’il eut jamais connu de toute son existence : La hargne. Il gratta ses sabots au sol, et chargea de toutes ses forces vers un ennemi qui était bien à sa hauteur.

La Manticore bondit sur le côté. Ouvrit grand sa gueule. Elle cracha, directement dans sa direction, une gerbe d’acide qui ruissela sur le pectoral de Darmalion. Il sentait le liquide le ronger. Mêler la peau et les poils entre eux. Perforant le cuir. Le mêlant grossièrement avec des petites bulles jusqu’à le ravager. Une telle horreur aurait fait reculer n’importe qui.
Mais Darmalion était trop enragé. Il chargeait en hurlant, un cri qui à lui seul résumait tout son credo et sa ferveur religieuse : La tête baissée, il se rua sur la Manticore. Son adversaire agita ses ailes, et tenta de lui échapper à son nez et à sa barbe en volant au loin. Manticore fut bien trop lente. Elle reçut le monstre en plein flanc, rugit tout comme elle de sa gueule de félin, alors que les cornes lui rentraient dans le corps, brisaient son cartilage, perforaient du gras et de la chair. Un geyser de sang coula sur la gueule du Minotaure. L’aveugla. Entra dans ses narines et sur ses lèvres. Il avait pris une douche de rouge.

En toute réponse, la Manticore se retourna, ouvrit grand sa gueule, et enfonça ses dents dans la face de son ennemi. Les dents lui ripaient la joue. Tailladaient son arcade. Manquaient d’énucléer un de ses yeux. Sa neurotoxine pénétra à travers les artères de sa tempe pour le rendre malade.

Darmalion l’éloigna d’un coup de tête à gauche, puis à droite. Il ne toucha rien. La Manticore recula en virevoltant, avec ses ailes. Se reposa sur le côté. Attendit. Et là, elle donna, sec, un énorme coup de queue dans le bras de l’enfant de Khorne.

La douleur fut soudaine. Pulsatile. Violente. Les veines de son bras se mirent à être apparentes sur sa peau. Violacée. Tout le membre le brûlait. Il fut forcé de se contorsionner à terre, en hurlant.

Le Minotaure traça jusqu’à elle. Elle s’élança à terre et l’évita. Elle ouvrit grand ses crocs pour à nouveau le mordre, mais fut trop lente. Darmalion chargea une seconde fois, poussé par une vitesse surhumaine et insoupçonnée : Jamais de toute son existence n’avait-il était aussi rapide. Il se jeta à nouveau directement sur son ennemi, et lui rentra dans le crâne. Il lui perfora un œil, rentra dans son front, une de ses cornes ailla chatouiller le cerveau de la Manticore, qui ne put s’échapper qu’à grands cris stridents.

C’était peut-être le combat le plus merveilleux que Darmalion ait jamais vécu.

Mais il se mit à vomir du sang – son propre sang – par terre.

La lutte lui avait beaucoup coûté. Et si la Manticore en face de lui se mettait à présent à tituber, elle n’était pas encore défaite.

Message par **Darmalion** » 29 juin 2020, 15:12

GLADIATURE

Depuis l’Heure du Chaos, les créatures n’étaient nées que pour se déchirer. En cela, minotaures et manticores ne se distinguaient qu’à quelques lettres près ; mais par essence, ils étaient semblables. Deux engeances de la haine et de la fracture avortées d’une fureur luciférienne, depuis la seconde où Ils avaient décidé de les vomir. Et voilà que, des millénaires érodant la terre, ils s’érigeaient encore et perpétuellement face à face, répétant le cycle infâme de l’anéantissement de l’autre : l’usufruit de plusieurs milliers d’années d’évolution se résumait toujours à ce fracas bestial d’instincts primitifs, à cette violence de tous les instants au service d’une animalité sans bornes. Le temps, si immense qu’il fut, n’avait rien pu changer de cela.

La part humaine du gros Darmalion n’avait malheureusement jamais pu prendre le dessus, et sa bestialité souveraine l’avait précipité depuis qu’il avait atterri en ce monde dans le vortex infini d’une lutte sanguinaire tant pour sa survie que pour asséner la mort à tout va. Ces longues et épaisses cornes, ces nasaux irréguliers, cette grande gueule remplie de molaires écrasantes, ces bras striés de muscles saillants et large, ce poil hirsute, dru et ignoble, ces sabots tambours, ce regard fauve ; et surtout, cette âme toujours galvanisée par des pulsions sauvages ; la Chose était un monstre, hideux et cauchemardesque, infiniment cruel et imprévisible. Habité par de nébuleuses ambitions, l’être bâtard qui se dressait en mugissant était plus épouvantable qu’il n’y paraissait pour de bonnes raisons : non content d’être déjà bardé d’atouts meurtriers, il ne savait prédire lui-même ses propres réactions, héritier d’une confusion due à l’absolu de sa déraison. Cela suffisait à comprendre qu’il était tant un cauchemar pour les autres que pour lui-même. Pouvait-il seulement croire qu’il avait choisi son propre destin, tout guidé qu’il était par des instincts qu’il ne pouvait lui-même prévoir ?

Il y avait, dans cette fatalité, comme un amer parfum de tragique. Darmalion était une chose triste. L’orphelin délaissé de l’amour et piégé dans l’extension infâme du chaos.

Pourtant, pusse-t-il évoquer du chagrin, ce béotien s’habillait d’une histoire splendide. Splendide par sa débrouillardise. Splendide par cette volonté de vivre à tout prix. Splendide par cette puissance extraordinaire. Splendide par cette solitude qui n’était pas parvenue à le maintenir enchaîné. Splendide par cette émancipation de chaque jour nouveau. Splendide par cet acharnement constant qui l’opposait à tous les fronts. Splendide par cette charge qui continuait, inlassablement, de faire reculer la mort.

Car quelque fut sa forme, quelque fut sa manifestation, quelqu’un fut son poison ; qu’il s’agisse de manticore, de chaînes rouillées par le temps, de sarls impitoyables, de partisans de Slaanesh, de maladies insidieuses, de créatures semblables à lui-même, Darmalion se battait que pour cela : faire sans cesse reculer la mort. Une charge désespérée évocatrice de sa démentielle détermination le poussant à se dérober à son destin.

Splendide, aussi fascinant que la vie.

Bien des déboires l’avaient fustigé, et pourtant il fit encore une fois face à ce qui paraissait être l’inéluctable. Face à lui, derrière la gueule rugissante et vénéneuse de ce manticore, se dressait le néant qui ne demandait qu’à s’emparer de sa conscience pour l’enterrer dans son jardin secret.
Mais, parce que le chaos ne se répandait jamais seul, le même phénomène se reflétait en symétrie parfaite ; pour le manticore, le gros veau qui chargeait était aussi symbolique de la fin. Les ailes, l’azur et les vents ne protégeaient pas des coups de Faux qui avaient tenté, lui aussi, de le vampiriser plusieurs fois ; alors, il fallait se battre. Ecraser ce monstre à cornes qui le toisait en mugissant, griffer dans le ventre de la mort pour qu’elle se désintéresse de lui. Mordre ou piquer avec acharnement pour survivre, une fois de plus, pouvoir se délecter du festin de la chair et, à travers cela, continuer de goûter au plaisir d’avoir traversé une épreuve de plus.

Ce fut pour cette seule raison qu’elle fut la première à attaquer. Vivre était trop important. De sa gueule abjecte, la créature céleste dégueula un jet d’acide directement adressé à ce monstre qui désormais chargeait vers lui. La gerbe glissa dans les vents et sitôt qu’elle le pût se plaqua sur le poil du bovidé. Cela pourtant ne déclencha aucune réaction de sa part ; des cloques de pus germèrent, l’acide bulla en rongeant son cuir, mais ce gibier possédé par une étrange aura ne cessa guère sa progression. Il fonçait avec une frénésie meurtrière pour faire reculer les ombres, comme si de l’autre côté de la Bête ailée se tenait l’espoir ; et alors que le manticore tenta de s’envoler, le minotaure accéléra de plus belle.

« MOOOOOOOOAAAAAAARRRH !!! »

La mort recula. L’incarnant, le manticore tenta de fuir, de s’envoler pour ne pas subir cette violence inouïe. Mais il avait été trop gourmand, trop confiant dans ses propres capacités. Le monstre qui lui faisait face le lui fit vite comprendre car, dans son élan meurtrier et frénétique, il s’enfonça terriblement dans la créature volante. Impact d’une incroyable sauvagerie, la peau fut non seulement percée mais les cornes se plantèrent d’un trait en défonçant tous les tissus qu’elles heurtèrent à la faveur de cette pénétration tonnante. Le manticore encaissa douloureusement, repoussé sur plusieurs mètres alors que les gros doigts du minotaure cherchaient une prise pour l’empêcher de partir. Rares étaient les créatures peuplant ce monde capables d’une telle brutalité, et désormais le quadrupède à tête de lion ne pouvait que réaliser son erreur : ayant défié la mort, peut-être que cette dernière venait le prendre lui aussi.

Sur son trône, le Seigneur des Crânes devait exulter d’assister à un tel carnage.

Le manticore se refusa pourtant à céder. Et si le gros Darmalion était parti favori dans ces premiers instants, la cruelle créature après s’être difficilement détaché de ses cornes allait lui faire mesurer l’ampleur de son erreur. Comme s’il s’était agi d’un serpent, il joua sur la souplesse de sa nuque et se retourna en gobant la gueule du béotien ; enfonça ses crocs en faisant craquer ses pommettes et en instillant un venin fatal. La toxine déferla dans ses veines et inonda son sang, tant et si bien qu’elle sembla sceller le destin du béotien.

« AAAAH ! »

Darmalion secoua sa tête avec énergie. Dans la gueule du manticore, son cri se dispersa comme un écho dans une grotte, offrant un son étouffé qui résonna jusque dans les chairs de celui qui avait voulu le dévorer directement par le chef. S’il se débarrassa finalement de la mâchoire écrasante de la créature céleste, le minotaure en sortît passablement affaibli, avec une curieuse sensation de malaise. Pour autant, rien ne pouvait réfréner cette rage divine qui de la main de Khorne avait jeté l’emprise sur son esprit.

Il tenta encore de charger, mais cette fois le manticore avisa de ne pas être impacté. Sa patte claudicante le mettait en garde contre la folie destructrice de son ennemi. D’une vive acrobatie, soutenue par ses ailes majestueuses, il ne laissa pas à Darmalion le loisir de le toucher, et riposta en enfonçant sa queue dans le bras du béotien. Ce que le minotaure ne connaissait pas véritablement, il le découvrit à ses dépends : ce poison-là fut le plus horrible de toute son existence. Il déferla dans ses veines en les faisant grossir à vue d’œil ; bleuies et hypertrophiées, elles saillirent de son cuir et se montrèrent même derrière son pelage hirsute, comme s’il se craquelait de l’intérieur. Horreur. La douleur fut insoutenable et causa une amplification de sa déraison.

La lutte se poursuivit avec une sauvagerie sans borne. Darmalion mourrait dans une agonie bouleversante. Il parvint, à la somme de toutes ses désillusions, à perforer le crâne du manticore en assénant un nouveau coup de cornes terrible et dévastateur, défonça le crâne de la créature céleste et éventra l’une de ses orbes qui le dardaient avec férocité ; et, chantant avec elle dans des cris cacophoniques de rage, de douleur, de peur et de bravoure, ils entonnèrent le requiem de leur trépas.

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