Les ordres que donnaient Darmalion étaient loin de l’impressionner ou de faire naître chez elle la moindre appréhension. C’est en fait tout l’effet inverse qui se produisit : Alors que le Minotaure la menaçait de mort, elle eut sur son visage une expression ravie, de la joie pure, et elle sautillait sur ses deux pieds devant le regard sévère du monstre qui aurait pu mettre ses menaces à exécution sans coup férir.
« Ouiiii ! Oui mon beau, mon tout gros, gros trop fort fort fort ! Je vis pour servir. Je vis pour servir les forts. Tu me demandes quelque chose – je te donne ce quelque chose, tout ce que tu veux, tout tout. »
Elle agita la tête comme une folle furieuse, en faisant des bruits au fond de sa gorge. Si elle vivait dans une ville des sudistes, elle aurait inspiré la pitié, et nul doute qu’elle aurait été enfermée dans un monastère pour être soignée. Mais ici, en Norsca, les folles furieuses comme elle inspiraient la crainte, la dévotion et le respect – Assez pour avoir l’oreille de jarls patibulaires, en tout cas.
Elle caressait le Minotaure, tandis qu’elle terminait de lui prodiguer de douloureux soins. Une fois le martyr des sutures cautérisantes achevé, elle sortit de sa besace en peau de loup quelques plantes qu’elle écrabouilla au pilon dans un tout petit mortier. En résulta une sorte de pâte gluante et malodorante, qu’elle appliqua au milieu des lacérations ; À présent, les blessures de Darmalion lui faisaient beaucoup moins mal, mais le démangeaient terriblement.
« Ne te gratte pas, gratte pas pas… Non non. Les plaies doivent cicatriser. Le Molosse aime le sang, il aime ton sang, mais il doit rester en toi pour l’instant. »
Elle se permettait beaucoup, beaucoup plus qu’un humain sain d’esprit ferait face à un monstre né pour écraser des crânes et des corps. Elle allait jusqu’à lui grattouiller le menton, comme elle aurait fait à un chat inoffensif. C’était pourtant la vue des têtes tranchées, des rognons d’hommes bouffés et du fléau rutilant et dégoulinant de tripes qui la faisait se lécher les babines.
« Je vais te raconter l’histoire de ce coin-là, pour que tu comprennes un peu mieux quelle est ma mission ici. D’où je viens, et qui je suis. Est-ce que tu as envie que je t’en parle ? Ça me ferait très plaisir ! »
Elle s’assit en tailleur au coin du feu, pour réchauffer ses mains. Elle avait des pognes atroces, dégoulinantes de sang et de son espèce de pâte dont elle avait badigeonné la Bête. Des mains anormalement pâles, osseuses, aux ongles fêlés.
Elle prenait une posture plus calme. Elle cessait de s’agiter dans tous les sens, et répéter les mots comme une folle furieuse. Au contraire ; Elle reprenait sa voix calme, sa voix suave et claire, comme pour raconter un conte à un petit enfant.
« Les tribus qui vivent ici s’appellent les Sarls. Bons marins, les Sarls, grands marins. Depuis des centaines de saisons, ils coupent le bois millénaire des forêts pour dresser de magnifiques bateaux, les plus beaux bateaux de toute la Norsca. Dessus, ils terrifient le monde. Parfois, ils vont chez les Sudistes, tuent leurs guerriers, rasent leurs villes, pillent leurs richesses qu’ils ramènent ici, avec nombre de sacrifices. D’autres fois, ils traquent les baleines, pourchassent des monstres terrifiants, des proies aquatiques qui sont dignes d’être chassées par les fiers matelots qu’ils sont. Mais pas que ça, malheureusement.
Les Sarls aiment la mer. Et ils vivent tout près d’un pays de Sudistes qu’on nomme le Kislev. À cause de ça, les Sarls ont pu souvent défier les Dieux. Trahir leur nature. Ils ont pu se vendre, servir de combattants pour de médiocres rois du Sud en échange d’or et d’argent. D’autres fois, ils ont choisi de commercer et d’échanger équitablement au lieu de se saisir des richesses par la force ; Ils vont dans des grands ports, et donnent des défenses d’orques ou de mammouth, du gras de baleine et des peaux de bêtes en échange d’encens, de parfums, de savons et d’armes magnifiques.
Les petits frères du Molosse apprécient. Le Corbeau aime parler toutes les langues du monde, et faire des petits jeux d’intrigues. Le Serpent, il adore le luxe, il aime se vautrer dans des draps de velours et boire des liqueurs de pays chauds.
Mais le Molosse répugne ça. Les Sarls ont pu se révéler être d’admirables guerriers sur la mer. Mais ils ont aussi su attirer sa haine et sa colère quand ils devenaient trop gras et trop douillets. Chaque fois, il a su les faire payer et les ramener auprès de lui, les arrachant aux pattes grossières de ses benêts faiblards qui lui servent de frangin. »
Tzeentch et Slaanesh ; Les Dieux du Chaos se haïssent. Si parfois il leur arrive, dans leurs jeux incompréhensibles, de pactiser, de signer des trêves et des accords secrets, ils ne durent jamais très longtemps. Seule la haine peut subsister entre les Quatre.
« Je ne suis pas née Sarl. Je suis née dans une petite tribu pas très éloignée de là où les chefferies Sarls se sont installées au cours des siècles, mais ni nos langues, ni nos manières de vivre n’ont commune mesure avec les autres Norses.
Nous nous appelons entre nous les Knoglemølle. Mais les Sarls ont un surnom pour parler de nous : Gu’nagh’phaos. »
Elle avait prononcé un mot qui sonnait parfaitement en Langue Noire, mais que Darmalion ne comprit absolument pas. « Gu’nagh » voulait bien dire « Bête », mais avec l’addition de « phaos », le mot devenait étrange.
Le surnom qu’on avait trouvé pour sa tribu devait vouloir dire quelque chose comme : « quasiment des bêtes », ou bien « des bêtes dans leurs esprits ». En tout cas, la Soigneuse afficha un magnifique sourire, espérant peut-être que Darmalion serait heureux d’apprendre avec quoi on la comparait.
« Nous vivons sur des terres montagnardes. Au milieu de cailloux et de vallées accidentées. Et nous avons dédié chaque instant de notre existence au Molosse, et à lui seul.
Personne n’a le droit de vivre dans le territoire que nous avons marqué. Les Maraudeurs Norses qui font l’erreur de venir chasser chez nous l’apprennent à leurs dépens ; Nous tombons sur eux. Nous les attachons, et arrachons leurs cœurs encore vivants, que nous offrons en sacrifice à Khorne. Le reste de son cadavre est mangé. Nous mangeons les autres hommes, et lorsque l’un de nous meurt, nous le dévorons également. C’est ainsi que nous gardons notre force et que nous honorons notre Dieu.
Les Sarls sont hostiles envers nous. Ils nous ignorent, la plupart du temps. Mais il a pu arriver qu’ils viennent jusqu’à nous pour obtenir notre aide. Car puisque nous vivons toujours en parfaite communion avec Khorne, et que nous pouvons obtenir ses faveurs, ils ont parfois besoin de nos conseils et de nos supplications pour qu’ils se fassent pardonner de leurs fautes. Sans nous, Khorne aurait depuis longtemps balayé leurs chefferies avec ses loups et ses bêtes sauvages. C’est ça que nous offrons, rarement, aux Jarls et aux guerriers d’ici. »
Elle retira ses mains du feu, et se détendit légèrement. Elle était comme devenue une toute autre personne, avec l’aisance avec laquelle elle parlait, et se tenait. Plus aucun tic sur son visage. Plus aucun spasme incontrôlé.
« Je suis née avec le Sixième Sens. Celui que tu as dû reconnaître dans ta Harde, chez les Shamanes.
En tant que serviteurs de Khorne, recevoir le Sixième Sens est tout sauf une bénédiction. Khorne déteste la magie. La magie est l’arme des lâches, elle est l’arme des faibles. C’est un mal nécessaire pour communiquer avec les hommes, mais elle est réservée aux sous-êtres, aux choses atroces bonnes à écraser. Un mage n’est utile que s’il est enchaîné en tant qu’esclave, torturé pour faire venir ses démons et bénir de runes maudites les armes qu’il offre aux méritants.
En apprenant la manière dont les Vents se révélaient à moi, ma famille a senti l’opprobre se jeter sur elle. Mon père a éclaté le crâne de ma mère avec une pierre, et a brûlé son cadavre en cendres, sans qu’il ne soit mangé. Ensuite, il a demandé à ce qu’on l’écorche vivant, afin que toutes les gouttes de son sang soient offertes en dédommagement à son Dieu. »
N’importe quelle personne saine d’esprit aurait pris un ton de colère, ou de tristesse, à ainsi raconter la mort de ses parents. Pas elle. Elle avait dit ça avec un ton hautain, et arrogant, en levant bien le menton.
Elle était fière que ses parents aient ainsi décidé de mourir. Et heureuse que Khorne ne la considérait que comme un bien corvéable.
« On ne m’a pas donné de nom. On m’a toujours appelée « Ohrein », ce qui, dans le dialecte que nous utilisons, pas si éloigné de celui des Vargs du Nord d’ailleurs, veut dire « Impure ». Et on m’a appris quel était mon devoir ici, dans le Matériel ; Guider ceux qui peuvent réellement servir le Sire Sanglant.
Tout a changé il y a quatre ans. Avec la Tempête. Un grand guerrier s’est élevé, et a reçu les bénédictions des Quatre. Tu le connais bien.
Un des lieutenants d’Archaon a bravé l’interdit qui foulait notre territoire. Il est venu nous voir, et a exigé que nous servions. Moi et les autres « Ohrein » avons confirmé cela : Khorne souhaitait que nous marchions avec lui. Tous les hommes sont partis. Seules les femmes, les enfants et les vieillards sont restés.
Ils étaient quarante-huit à partir. Un seul est revenu de la guerre. Les Knoglemølle sont au bord de l’extinction. Il est possible que nous ne survivions pas aux saisons qui arriveront.
En attendant, j’ai un devoir. Je te l’ai dit. Des Sarls sont morts en héros chez les Sudistes, mais les lâches et les opportunistes règnent aujourd’hui en maître. En tant que derniers prêtres et haruspices du Sanglant, il revient à nous de faire régner les intérêts de Khorne dans ce morceau de la Norsca. »
Elle tapa dans ses mains, et recommença à s’agiter dans tous les sens en rigolant.
« Mais parle-moi de toi maintenant ! De toi de toi ! Oui ! Je veux tout savoir ! Qu’est-ce que je dois savoir sur Darmalion ? Qu’est-ce que veux Darmalion ? Darmalion il aime détruire – Mais est-ce tout ? De quoi a-t-il besoin ? Comment le Molosse lui parle ? »