Moins conscient que Ludwig du petit jeu de pouvoir ayant amené à cette situation, le nain s'approcha, sa gigantesque lame runique enflammée reposant sur son épaule alors qu'il demandait au dernier homme debout sur la crypte:
-"Hé bah gaillard! T'as l'air d'être solide, mais t'étais pas sensé te tirer avec le reste du groupe?"
Félix haussa les épaules et observa de côté les corps de ses anciens alliés, reposant désormais auprès de Morr. Il reporta ensuite ses yeux sur Ludwig.
-"Si tout le monde avait suivi mon idée, ils seraient en vie, pour sûr."
Le regard d'Eirminjar se fronça alors que son esprit semblait hésiter entre deux approches. Un appel interrompit la discussion: il était temps d'entrer dans les cryptes et mettre à bas la tanière maléfique qui avait logé les goules.
L'odeur était insoutenable, l'air vicié. Les parois, autrefois parcourues par des dessins pieux et des gravures nobles, étaient défigurées, couvertes de lierre, de sang sec depuis des lustres et d'autres matières moins nobles. Les escaliers s'enfonçaient dans la terre comme la gueule d'un monstre auquel on aurait juré que les gargouilles de la façade servaient de dents. La petite colonne de guerriers humains s'enfonçait lentement, marche après marche, les phalanges blanchies par leur puissante saisie de leurs armes. La voix du premier homme retentit:
-"Bordel. C't'un dédale ici, faites gaffes. Oh mais... Oh beurk..."
La lumière des torches données à chaque combattant révéla la présence au sol de nombreux ossements et chair putréfiée ça et là, à moitié dévorée. Classique. Prenant encore une fois la tête de l'expédition, le comte von Stolpe s'écria:
-"Trois hommes avec moi pour la partie gauche. Le reste, dispersez-vous mais surtout restez groupés par deux au minimum."
Arrivé en bas des escaliers après une longue marche, Eirminjar se proposa évidemment en duo à Ludwig. La première salle était relativement petite, une antichambre où avaient été renversées les gisants de deux morts aux noms effacés par des coups de griffe. A partir de là, un passage vers la gauche où le seigneur s'était engouffré avec des aides et un passage à droite, encore à visiter. Ils s'y enfoncèrent donc pendant que le dawi murmurait:
-"Je rappelle les objectifs: on vérifie les salles, on récupère ce qui peut servir, on élimine les menaces quand on peut. Si on tombe sur un truc trop vilain, on s'assure que l'autre va bien et on se tire. Compris?"
Derrière eux un autre duo, un certain Bertrand qui passait pour être un chevalier errant bretonnien dont les motivations étaient obscures et Rodolf, mercenaire kislévite tenant davantage du pilleur de tombes que du preux combattant. le couloir d'origine se divisait bientôt en un tas de salles-cercueils en épi de blé, pouvant accueillir de quatre à huit tombes selon leur longueur avec une largeur variable. Certaines tenaient du cercueil et avaient visiblement peu servi, trop étroites sans doute pour les goules, d'autres avaient l'air plus vastes et étaient couvertes d'os et de déchets à la puanteur infernale. La fouille commença, peu glorieuse: soulever les tombes, observer les squelettes poussiéreux quand il y en avait et que leurs os n'avaient pas servi d'os à moëlle aux abominations locales, vérifier ce qu'ils avaient, refermer. Ainsi Ludwig et Eirminjar récupérèrent quelques colliers en or, des torques d'argent, des bracelets de bronze ou d'ivoire, quelques pierres précieuses. La valeur marchande du lot n'était pas mirobolante mais si tous les groupes venaient à trouver la même chose alors il y aurait assez dans la pot commun pour faire quelques achats utiles. Peut-être des boucliers pour tout le monde, de nouvelles bottes ou une troupe de véritables mercenaires.
C'est pourtant dans la quatrième tombe à visiter que le destin de Ludwig devait se jouer.
Au départ, rien d'anormal. Le tombeau paraissait large, percé d'alcôves profondes où des cercueils de pierre reposaient. Le duo se divisa, entendant les échos d'autres groupes inspectant de même les lieux avoisinants. Un cercueil, deux cercueils... Puis le fidèle d'Arianka, un Sigmurd sur l'épaule, approcha la torche du troisième. L'oiseau, soudainement, se mis à piaffer, avec une panique immense. Il n'y avait qu'une seconde pour réagir.
-"Meurs, saloperie!"
Ses yeux floutés par la douleur, la fatigue et les blessures virent une lumière rouge, orange et jaune apparaître et s'enfoncer dans le flanc du monstre. Il s'évanouit en entendant:
-"Toi..."
Le jeune nulner émergea les yeux tournés vers le ciel alors que son corps subissait les mouvements d'une charrette. A sa droite le rebord de bois, à sa gauche Clovis endormi. Devant lui le charretier qui dirigeait un boeuf récalcitrant. Le monde était étrange, déformé, comme les sons qui provenaient à ses oreilles. La souffrance qu'il ressentait lui bloquait tout le corps et il avait du mal à respirer. Il ne lui fallut pas longtemps pour recoller les morceaux: sa gorge entière était entourée de bandage légèrement serrés et il était sur un chariot pour blessé, au milieu des survivants de la troupe...