Baissant les yeux vers le petit, Yiredan le vit regarder crânement devant lui, un air curieusement résolu pour un visage si jeune était affiché sur ses traits. Ensembles, il s'éloignèrent progressivement des ruines. Lorsqu'ils furent parvenus à à peu près six cent pas, Yiredan se retourna pour observer une dernière fois le lieu du drame. Et ce qu'il vit lui glaça le sang.
Derrière lui, approximativement à l'endroit où se situait le pentagramme, un phénomène étrange se manifestait désormais. C'était comme si un léger voile de brume s'était répandu au-dessus des corps, mais un voile de brume noir. Noir et pourtant, l'elfe parvenait cependant à distinguer au travers les arbres qui se situaient derrière encore. Un voile noir et transparent tout à la fois. L'elfe comprit que seul son don pour le domaine mystique lui permettait probablement d'observer aussi bien les détails de ce spectacle perturbant.
Le nuage de brume (mais ces mots étaient-ils seulement réellement adaptés à ce qu'il observait réellement?) se lovait paresseusement sur le sol, seuls quelques un de ses filaments semblant s'étirer plus langoureusement au gré de la brise légère qui soufflait. Mais un autre mouvement se distinguait, plus subtil. Une sorte d'oscillation semblait parcourir l'ensemble. le nuage s'assombrissait quelques instants, pour s'éclaircir un peu après. Mais il n'était jamais tout à fait aussi clair que l'instant d'avant. Et dans le même temps, à chaque fois, le nuage semblait se contracter et se relâcher, semblant grandir un tout petit peu à chaque fois, en un mouvement curieusement hypnotique. Un mouvement qui lui rappelait quelque chose, mais sans qu'il parvienne à mettre le doigt dessus...
Du moins, jusqu'à ce qu'il reprenne conscience de la main du garçonnet dans la sienne, du petit poul qui battait paisiblement en rythme avec le sien. Et soudain, un instinct mystérieux lui souffla la réponse. Ce nuage, là-bas, pulsait, vibrait, battait comme un coeur. Un coeur énorme, sombre et maléfique, corrompu et noir, prometteur d'un avenir de souffrances, douloureux contraste avec le poul que Yiredan sentait contre sa paume, jeune et généreux, si jeune et pourtant déjà blessé, prometteur d'espoir et de renaissance...
L'opposition était si saisissante que Yiredan en fut un instant prit de vertige. Puis, se secouant et reprenant ses idées, il se détourna et reprit la marche, bien décidé désormais à ne plus se retourner. Quoi qu'il en coute...
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L'humain et l'elfe avait marché durant tout l'après-midi, et l'enfant, qui fatiguait depuis un moment déjà, était désormais totalement épuisé, son visage triste couvert de la poussière du voyage, collée par la sueur de la marche. Mais ils étaient presque parvenus à destination. Yiredan et lui, en effet, se trouvaient au sommet d'une petite colline qui dominait un village situé à même pas une demi-lieue de là. Non loin d'eux, un panneau proclamait fièrement: " Moggenhaffen, 856 habitants"
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