-Bien, maintenant que je sais que tu m’obéis, et que tu es prête à honorer notre marché, du moins pour le moment, tant que ta misérable vie dépend encore de moi, je te permets et t’ordonne de me suivre. Ah, et au cas où il te prendrait l’idée de faire ta petite idiote dehors, je te rappelle que tu es maintenant aux yeux de tous une dangereuse hérétique recherchée par tous, et que les fous-furieux de ton église de malades mentaux, tout comme la quasi-totalité de la population de l’Empire, de la Bretonnie, et même au-delà, n’hésiteront pas une seule seconde à te brûler vive sans même prendre le temps de vérifier si tu es oui ou non corrompue, s’ils apprennent qui tu es. Et oui, ma petite, bienvenue dans la réalité, tu comprendras bien vite à quel point les gens sont tous des salauds en puissance, et en particulier les membres de ta secte… Et comme tu ne sais rien des sacrifices qu’il faut être prête à consentir pour survivre, surtout quand on est une jeune fille en cavale accusée d’être chaotique, je te conseille fortement de rester avec moi, si tu veux survivre.
Allez, viens, il est temps de se barrer de ce village de gros porcs pourris…
Pendant tout son discours, la jeune mère avait pris le temps de rassembler les quelques possessions qui pourraient leur être utiles, c'est-à-dire pas grand-chose, et de les rassembler dans un sac à dos en toile. Il était toutefois appréciable que la totalité de l’équipement de Sarah Lénor, y compris sa bourse, lui ait été laissée, car, quoi qu’il arrive, elle allait sûrement en avoir besoin. En prononçant cette dernière phrase, d’un ton de dégoût qui rappela à son auditrice que la femme qui l’avait si durement traitée avait dû coucher avec la moitié au moins des hommes du village, elle poussa du pied un tapis en peau et ouvrit une trappe, qui donnait sur un étroit tunnel, creusé dans la terre argileuse et humide. La péripatéticienne s’y engouffra en premier, bientôt suivie par la jeune initiée. L’ouvrage était peu sûr et pouvait s’effondrer sur les deux femmes à tout moment, mais elles n’avaient pas d’autres choix que de l’emprunter. De plus, préoccupation bien plus mineure, si elles en sortaient vivantes, elles seraient aussi souillées de terre que des paysannes bretonniennes par temps de pluie, c'est-à-dire que rien au monde, à part peut-être un seigneur sorcier, ne pourrait laver leurs habits jusqu’à les rendre à leur propreté originelle… Après cinq minutes à ramper dans le souterrain entièrement noir, Sarah entendit derrière elle le bruit du toit qui s’effondrait. La retraite n’était plus possible, mais, d’un autre côté, elle serait maintenant morte si elle était restée dans la masure. Devant elle, la femme ricana et lui déclara, d’une voix méchante :
-Hahaha… Heureusement que j’avais prévu une sortie de secours dès mon arrivée dans ce bled, pour le moment où quelque chose de ce genre arriverait, car je savais qu’un jour où un autre ça m’arriverait... Allez, du nerf, ne fais pas la difficile, ma jolie, on est presque arrivées. Quand à ces cons, on a encore au moins trois bonnes heures devant nous peut-être même plus, avant que le feu ne cesse, que les cendres ne refroidissent, et qu’ils ne découvrent l’absence de nos corps et le tunnel. Ce sera à nous de faire en sorte d’être suffisamment loin d’eux à ce moment là, car tu peux être sûre qu’ils vont se lancer à notre poursuite, et dans le même temps envoyer quelqu’un faire passer un mandat d’arrêt solide comme le roc contre nous à la ville la plus proche, avec une trentaine de témoins oculaires attestant de notre hérésie chaotique !
Le comportement de la mère pouvait certes être agaçant, mais il fallait bien reconnaître qu’elle avait raison sur le fond : on ne les croirait jamais, à deux voix contre plus d’une trentaine. Il faudrait certes encore qu’elle réfléchisse l’esprit plus calme, mais il lui semblait bien, sur le moment, qu’elle n’aurait pas d’autre choix que de devenir une hors-la-loi, et coupable d’un crime horrible dont la seule sentence était la mort.