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Chapitre I : Quenelles
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Les yeux fixés sur la lisière, à côté des fous et des mendiants, des pèlerins et des crédules, qui cherchent sous les frondaisons les visages des Fées.
Chapitre I : Quenelles
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Les yeux fixés sur la lisière, à côté des fous et des mendiants, des pèlerins et des crédules, qui cherchent sous les frondaisons les visages des Fées.
Cela faisait des années qu'Inélïa n'avait pas marché jusqu'à ces quartiers de la ville, jusqu'à l'Orée du bois qui bordait tout un pan crasseux de la cité de Quenelles. Alignés face aux frondaisons comme des oisillons apeurés, les paysans incultes et les voyageurs curieux plongeaient en frissonnant leurs regards dans les étranges couleurs du bois d'Athel Loren. Des caravanes entières avaient élu domicile dans la partie basse de la ville, à distance respectable du mur végétal, et ce grouillement humain écrasait de son bruit, de son odeur et de son agitation tous ceux qui, les yeux dans le vague, se taisaient. Colporteurs, réfugiés, bonimenteurs, artistes, jongleurs, camelots et ruffians passaient en gueulant aux abords des places, trainant qui son fourbis, qui son bagage, ahanant sous la tiédeur du soleil du midi.
Quenelles, immense cité jeté aux abords des grands bois, ruisselante de vignes sous le soleil, parée des étendards des ducs et des rois d'un pays trop martial. Quenelles connue dans le monde entier pour ses vins, ses complots, ses paysages de collines striées par l'effort de ses marauds et les galops de sa noblesse. Drôle de cité que celle où Inélïa avait pris quartier, ville si proche de la forêt et pourtant totalement tournée vers les plaines, pouilleuses dans ses quartiers et ses faubourgs mais richissime dans ses alentours, point de mire des convois, des pieux, des ambitieux et des alcooliques. On ne s'y sentait jamais vraiment chez soi, ni vraiment mal non plus d'ailleurs. Mais, malgré la forêt, malgré les vignes, malgré les plaines, c'était une ville, immense et populeuse, frémissante de l'activité conjuguée de milliers d'ambitions et d'autant de calculs, de tricheries et de désespoirs.
Le pas guerrier des milices privées, le clinquant d'une armure de nobliau, les prières à la dame, les jurons aux malheurs, à la terre et au ciel, le brouhaha incessant des animaux que l'on traîne et de la vie amassée qui se répand comme elle le peut dans les rues trop étroites de la grande ville bretonnienne; ces flux de bruits et de chaleurs venaient frapper Inélïa dans le dos, par devant, l'enveloppaient, la laissaient, et dessinaient en creux ce vent qui agite les arbres de la grande forêt et qui jamais, jamais ne descend jusqu'aux hommes des collines et des plaines.
Au fond, fermant la ville comme un rideau d'un tissu étrange, Athel Loren se déploie, hostile pour les uns, attrayante pour les autres. Elle a pour la jeune femme comme un palpitement, un rougeoiement de vie qui irise sous le soleil. Deux vieux fous, à sa gauche, qui parlaient des Fées tout bas comme si elles pouvaient les entendre s'en sont vite allés.
Inélia attendait sa mère.
Et, vue d'ici, Athel Loren ressemblait plutôt à une grosse forêt.
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La voilà. Ma chérie, tu remets ton oncle Stephan ?
Ne dis pas de bétises. Bonjour Inélïa. Nous ne nous sommes encore jamais croisés, je suis Stephan, ton oncle.
Elle t'a déjà croisé.
http://uploads0.wikiart.org/images/pier ... gSmall.jpghttp://uploads7.wikiart.org/images/pier ... gSmall.jpg
Je suis sur les routes depuis 8 ans. Fais le compte toi-même.
Bah. Tu aurais pu.
Cela n'est pas. Bonjour, ma nièce.
Remarque, pour ce genre de nouvelles, tu aurais aussi bien pu y rester, sur les routes.
... pauvre égoïste. Je le fais pour ma nièce, pas pour toi.
On ne t'a rien demandé. Ma chérie, il t'a trouvé un travail loin d'ici, il faut refuser.
Mais me laisseras-tu dire les choses proprement par tous les Dieux? Tu me fatigues déjà.
Moui. Je suis bien aise de te revoir, malgré ta barbe.
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Ne dis pas de bétises. Bonjour Inélïa. Nous ne nous sommes encore jamais croisés, je suis Stephan, ton oncle.
Elle t'a déjà croisé.
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Je suis sur les routes depuis 8 ans. Fais le compte toi-même.
Bah. Tu aurais pu.
Cela n'est pas. Bonjour, ma nièce.
Remarque, pour ce genre de nouvelles, tu aurais aussi bien pu y rester, sur les routes.
... pauvre égoïste. Je le fais pour ma nièce, pas pour toi.
On ne t'a rien demandé. Ma chérie, il t'a trouvé un travail loin d'ici, il faut refuser.
Mais me laisseras-tu dire les choses proprement par tous les Dieux? Tu me fatigues déjà.
Moui. Je suis bien aise de te revoir, malgré ta barbe.
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Autour de la table familiale. C'était, pour Inélïa, nouveau ; à quatre dans cette pièce minuscule où elle avait perdu l’habitude d'aller, tout lui semblait petit, les meubles, le toît, ses parents. Son oncle et sa barbe seuls réveillaient la pièce, la tirait de ses souvenirs d'enfance pour tout catapulter dans le présent. Lui, le marchand d'armes, allait parler. Son père se taisait, tout sourire. Sa mère servait ses hommes d'une autre part de gruau où surnageaient les herbes fortes comme elle seule osait les mettre. Les yeux noirs de l'oncle plantés dans ceux d'Inélïa.
Tu es forte et autonome. Ta mère me l'a dit dans ses lettres. J'ai traversé un village, perdu dans l'ombre d'Orquemont, mais dans une vallée tranquille où les orques ne viennent pas. Ces gens t'attendent. Tu pourras gagner ta vie là-bas, devenir quelqu'un; ces régions sont toutes autres que la lisière de Loren. Il y a des choses à découvrir, une nouvelle vie à faire.
Ils voulaient un apothicaire et je leur devais un service, alors j'ai dit que j'en trouverai un pour eux. J'ai pensé à toi en écrivant à ta mère. Je ne te force à rien, mais la place est bonne et tu dois voyager pour découvrir le monde. Songes-y, c'est un moyen, si l'endroit ne te plait pas, tu changeras. Ton père en tout cas est d'accord.
Une femme peut réussir seule, si elle est assez forte. C'est quelque chose que nous autres impériaux savons, et que les mangeurs de truffes de ce pays ne sauront jamais.
Une longue inspiration.
Tu es ma seule nièce. Ta mère m'en dit beaucoup sur toi par ses lettres, et je sais qu'elle est inquiète. J'aimerais que tu t'éloignes de cette forêt, au moins pour un temps, c'est le mieux. Pour toi, surtout, et pour nous, aussi. Et si tu veux mon sentiment, tes parents auraient du te le proposer bien avant. Claquement indignée d'une cuillère en bois contre la marmite. Mais la mère ne dit rien. Le père non plus, qui sirote son gruau. Ils l'aiment fort, tous les deux.
Ils attendent ce qu'Inélïa fera de son destin.