La tête de loup, sinistre dans sa position dominante, embrassait du regard la pièce de ses yeux noirs vides de toute vie. Si, comme certaines superstitions aussi anciennes qu'hérétiques le disaient, les objets possédaient une âme, nulle doute que celle de la carcasse se serait gargarisée de son ascendant. Rien ne lui échappait depuis son perchoir, ni le temps faiblement nuageux visible par les hautes fenêtres, ni le feu faible qui brûlait dans la cheminée, ni les lueurs cadavériques des bougies qui parcouraient la pièce et qu'en journée on ne prenait pas soin de rallumer - c'est qu'il était encore tôt le matin. Mais, assurément, ce qui aurait attiré l'attention de l'esprit, comme de tout à chacun, était l'extrême sobriété du lieu. Fidèles à leurs croyances, leurs opinions et leurs engagement, les Chevaliers de l'Ordre de la Couvée du Corbeau ne décoraient que très peu leur intérieur, se contentant du strict nécessaire.CHAPITRE 0: LA FORÊT MAUDITE
Dans la salle de réunion, au milieu de la forteresse-monastère de Stridof, au Sud de la Sylvanie, se tenait l'assemblée quotidienne. Une vingtaine de personnes étaient accoudées à la longue table rectangulaire de bois, chacun ayant derrière eux un jeune homme debout, les initiés qu'ils étaient chargés de former. L'ordre du jour: les disparitions d'habitants dans le village de Bertridam, à quelques kilomètres de là. Signe que la situation devait être prise en main, les participants se présentaient dans leurs armures. Il y avait fort à parier qu'une équipe serait envoyée dès la fin de la discussion.
Le maître de séance, le Père Karlit, orgueilleux dans sa tenue si chère et forgée disait-on par trois maîtres-armurier nains, fit un cours rappel des faits.
Il y a toutefois deux endroits où les habitants n'ont pas osés aller. Le premier est la forêt proche du village, apparemment elle serait dense mais composée en grande majorité d'arbres non-fruitiers, de mauvaises herbes et de buissons épineux. Elle est réputée dangereuse et à part pour couper du bois, les locaux ne s'y aventurent pas. Le second est le manoir de l'ancien seigneur du village, le baron Otto Von Bertridam. Sa lignée s'est éteinte depuis trente ans et à sa mort son manoir était dans un tel état de décrépitude que même les pillards ne s'en sont pas approchés, estimant qu'il n'y avait rien à y prendre. Comme il est isolé parmi les arbres anciens et les jeunes pousses et que son apparence se rapproche plus de la ruine que de l'habitat, les paysans ont estimés que rien ne s'y cachait."
Le tuteur de Vlad, le fougueux Frère Karl, leva la main et demanda la parole, qui lui fût accordée.
-"S'ils ont cherchés partout sans succès, comment peuvent-ils croire que le coupable ne se cache pas dans ces lieux oubliés?"
Le supérieur haussa les épaules, peu intrigué par la question.
-"Sans doute soupçonnent-ils déjà tous un membre de leur village, un rebouteux quelconque. Dans tous les cas notre devoir est de recommencer ces recherches pour vérifier qu'il ne s'agit pas là d'un tour orchestré par quelque main ténébreuse."
L'inférieur se gratta sa barbe noire naissante et massa ses yeux cernés par la fatigue. Il ne devinait que trop bien la suite des opérations. Son cerveau, recouvert d'un crâne garni d'un faible pilosité noire, s'activait.
-"Frère Karl, Frère Thomas, vous m'accompagnerez pour une visite dans ce manoir, j'espère qu'il n'y a rien mais avec nos trois initiés nous devrions être capables de contrer une éventuelle attaque. Frère Ivan, Frère Marco, vous irez avec vos apprentis dans le village pour mener votre enquête. Nous partons de suite, nous devrions arriver en une heure."
Chacun se leva pour aller récupérer sa monture, ou pour les initiés de quoi tenir la bride. En passant, tous les appelés récupérèrent leurs armes, il fallait être prévoyant en Sylvanie.
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Et les voilà à marcher sous le soleil pâle caché par de fins nuages. Karl, fier sur sa monture, se penchant sur Vlad qui marchait à ses côtés et lui murmura quelques mots de réconforts.
-"Tu as de la chance aujourd'hui, il n'a pas plu depuis quelques jours et il n'y a pas de boue... Allez, je te parie qu'on sera rentré avant ce soir. Il s'agit sans doute d'un fou qui trouve drôle de tuer des gens, je prédis qu'on ne trouvera rien de magique là-dessous."
Il sourit et pouffa un moment, seul. C'était le genre de mission qu'il aimait: peu dangereuse, sans doute peu compliquée et qui permettrait de gagner l'estime de la populace qui paierait ensuite la taxe au monastère de meilleure grâce. Soudain, il sembla avoir une illumination et tendit quelques billet de plombs à son apprenti.
-"Tu te fais distrait, Vlad... Tu as oublié ta bourse à munitions dans ta cellule. Allez, range ça dans ta sacoche."
Tout près s'esquissait la silhouette fantomatique du village. Construit sur une plaine, rien ne permettait de voir ce qui se tramait derrière l'épaisse forêt avoisinante, leur prochaine destination.