Ainsi, elle allait directement être plongée au cœur d’intrigues politiques, au beau milieu de vampires. Si tôt, alors que même n’étant qu’une humaine, elle avait à peine effleuré ce domaine. En effet, à peine sortit de l’académie d’Altdorf qu’elle avait été envoyée en mission diplomatique, dans la ville où elle se trouvait actuellement. Elle avait que peu fréquenté la cour et ses hautes sphères, uniquement par l’intermédiaire de son père, grâce aux différents dîners qu’il organisait. Ce n’était donc que des convives, ou des gens que son père appréciait. Des gens qui ne lui voulaient pas de mal. Ombeline avait cependant rencontré la plus grande personnalité politique de la région, la comtesse Emmanuel Von Liebewitz. Mais une fois de plus, cette dernière n’avait aucune intention belliqueuse à son égard. Il paraitrait même que la comtesse électrice de Nuln lui avait fourni la chambre où elle avait logé à Altdorf. Emmanuel pouvait surement considérée comme son allié.
En y réfléchissant, Ombeline se dit qu’elle n’avait jamais encore rencontré de personnes lui voulant du mal. Peut-être les squelettes de l’avant veille. Mais elle doutait de pouvoir engager avec eux un quelconque dialogue afin d’entretenir des relations pacifiques.
En revanche, la jeune femme était persuadée que les relations entre vampires devaient être beaucoup plus tendues. Et il n’y aurait apparemment personne de bien placé pour la protéger. Vanish avait bien dit qu’il la rejoindrait, mais il s’était également qualifié de « vampire moyen », et qu’il cherchait à se faire des amis. Elle ne devrait donc pas trop compter sur lui pour se protéger. Ombeline nota soudain un détail. Son « maitre » avait utilisé le pronom « vous ». Et ce n’était surement pas pour la vouvoyer subitement. Ainsi, elle aurait de la compagnie. Mais qui donc ? Elle avisera par la suite.
Il lui fallait retenir la flopé de noms que le vampire venait de déverser.
Si elle avait bien suivit, il y avait Magnus, un Von Carstein impitoyable envers les siens. Et envers les autres ? D’ailleurs, à quelle lignée Ombeline appartenait-elle ? A condition qu’elle en ait une.
Ce Magnus a un frère, Marius, qui pour Vanish, est plus dangereux, un garde frontière de la Sylvanie si l’on peut dire, lui aussi intransigeant avec les autres vampires. C’est donc lui que la jeune vampiresse devra aller voir. A lui et à... Archibald. Un partisan de Mannfred. Encore un inconnu célèbre. Il faudra vraiment qu’elle se mette à jour sur la politique vampirique.
Ombeline se demanda sous quel titre elle serait envoyée. En tant que « fille » de Vanish, en le représentant ? Mais alors elle risquerait de s’attirer les foudres des vampires que ce dernier craignait. Et il n’avait pas vraiment été très clair au sujet du fameux « imprévu », le vampire lui ayant juste dit qu’il s’agissait d’un jeune humain. S’occuper de lui... Il y avait plusieurs manières de s’occuper de quelqu’un. Ainsi, elle pourrait éventuellement devoir le protéger. Ou bien le tuer. Ou encore le transformer en vampire. Et il lui faudrait non seulement s’occuper de l’humain, mais aussi d’un jeune vampire ? Parmi une foule de ces créatures âgées de plusieurs centaines d’années si la rumeur sur leurs immortalités était fondée.
Vanish n’en demandait pas un peu trop là ? D’ailleurs, en quoi était-elle obligée d’obéir à ses ordres ? Ombeline s’était déjà vue confier une mission. Et il fallait qu’elle la remplisse. L’Empire avait sa dévotion. Pas le vampire qui l’observait.
Elle était sur le point de lui en faire la remarque lorsqu’il se leva tranquillement, lui adressant la parole.
Elle tilta lorsqu’il prononça le mot « proie », mais elle écarta cette notion de son esprit alors qu’il lui parlait de faiblesses et d’obligations. Les rumeurs ou légendes disaient donc vrai. Les vampires avaient donc des points faibles. Points faibles qu’elle devrait s’empêcher de découvrir si elle souhaitait survivre. Et si elle partait en Sylvanie, ces connaissances pourraient toujours lui être utiles.
Il lui désigna une commode en lui intimant de s’habiller. Ombeline se contempla. Réfléchissant à tout ce que lui disait Vanish, elle avait complètement oublié le drap qui l’enveloppait. Alors qu’elle se dirigeait vers le meuble, le vampire quitta la pièce, annonçant qu’il s’occupait du petit déjeuner.
La jeune femme s’arrêta net. Le mot « petit déjeuner » s’accommodait lugubrement avec le mot « proie ». Que pouvait être la nourriture d’un vampire ? A peine avait-elle formulé la question dans son esprit que la réponse s’imposa, comme une évidence même. Du sang. Les vampires étaient connus pour s’abreuver du sang de leurs victimes. Une idée qui ne lui plaisait pas du tout. Elle caressa le doux espoir que ce fluide vital n’était pas la seule et unique source de nourriture.
De toute façon, la vue du sang lui donnait la nausée, manquant de tourner de l’œil. Elle se remémora les dissections qu’elle redoutait tant à Altdorf. Des animaux à charcuter, des lapins, des rats... la belle époque des cours de biologie. La seule idée d’un couteau fortement aiguisé s’appuyant sur la bestiole, la lame effilée tranchant les tissus de la peau, s’insinuant dans les chairs d’où jaillissait le sang la faisait défaillir. Elle avait coutume de demander à quelques galants nobliaux d’exécuter la tâche à sa place, ce qu’ils s’empressaient de faire au moindre battement de cil.
« Non, le sang, ce n’est pas pour moi » se dit-elle intérieurement alors qu’elle reprenait sa marche vers la commode.
Cette dernière semblait très ancienne, appartenant à des temps jadis vu la couleur marron foncé, tournant vers le noir du bois. Sa solidité se constatait au premier regard. Peut être du chêne.
Malgré son âge apparent, nulle trace de poussière ou de détérioration ne venaient entacher la splendeur du mobilier. Quatre pattes de dragons soutenaient le meuble de six pieds de long. De chaque côté était gravé le corps du mythique animal, dans des entrelacs d’anneaux s’acheminant à plus de quatre pieds de haut. La tête du dragon se dessinait sur la façade, au dessus des nombreuses rangées de tiroirs. De part et d’autre de cette façade avant s’élevaient deux colonnes finement ouvragées, autours desquelles s’enroulaient deux serpents, reconnaissables à leurs écailles saillantes qui donnaient du relief au bois. La commode devait surement peser le triple du poids de la jeune femme, et avait du couter très chère.
Ombeline entreprit d’ouvrir les tiroirs regorgeant de vêtements. Se trouvant dans la chambre de Vanish, bon nombre d’habits lui appartenaient. Elle trouva finalement dans le coin supérieur gauche de la commode un tiroir empli de vêtements féminin. Son premier réflexe fut de se demander à qui ils appartenaient, ou bien pour qui le vampire les réservait-il. Son choix se porta en premier sur le genre de robe blanche qui mettait en valeur ses grands yeux émeraudes et sa longue chevelure noire. Puis elle se dit qu’elle ne tarderait pas à quitter cet endroit, que ce soit pour aller en Sylvanie ou pour rentrer à Nuln. La jeune femme opta donc pour un simple pantalon de lin, et une veste de cuir souple, légère mais lui garantissant une protection minimum.
A peine venait-elle d’enfiler sa veste que Vanish fit son apparition, entrainant avec lui une jeune femme sobrement habillée. Son visage exsangue ne faisait que mieux ressortir ses longs cheveux blonds bouclés, tandis que de son regard émanait un sentiment de profonde lassitude, mêlé à la peur.
Ombeline nota qu’un détail venait de s’ajouter à la scène. Un bruit sourd, profond, comme celui d’un tambour venant d’être percuté, bruit qui lui sembla résonner dans toute la pièce. Et ce bruit se répéta, encore et encore, à intervalles réguliers, gagnant en intensité alors que la jeune vampiresse se focalisait dessus. Et elle comprit. C’était le cœur de la jeune femme qui battait au même rythme que sa respiration, battement signifiant que la jeune créature qui se trouvait devant elle vivait, gorgée de sang. Du sang ?! Alors même que Vanish lui expliquait sa première faiblesse. Celle de la soif de ce liquide rouge, soif insatiable qu’on ne pouvait étancher. Soif qui à présent devenait réalité dans l’esprit d’Ombeline, occultant toute autre notion.
Elle avait envie de boire. Vanish glissa lentement sa main des les cheveux blonds de la jeune femme, les rejetant en arrière, découvrant le creux de son cou et la blancheur de son épaule. La jugulaire était ainsi bien visible. Ombeline avait l’impression de sentir le sang circulant dans l’artère, la pression augmentant à chaque pulse envoyé par son cœur. Elle sentait déjà le liquide chaud se déversant dans sa gorge, réchauffant son corps devenu si froid.
Mais où était donc passée cette aversion qu’elle avait toujours ressentit pour l’hémoglobine ? Aversion qui lui avait toujours déplu lorsqu’elle voyait les autres étudiants s’amuser comme des fous lors des dissections, tandis qu’elle restait assise sur une chaise, le visage blafard.
Soudain, une vision ressurgie à son esprit. Elle avait déjà bu du sang, il y a de cela quelques heures. Lors de sa transformation. Perdant tout son sang alors que Vanish l’aspirait, elle s’était retrouvée au bord de l’inconscience, voir de la mort. Là, le vampire avait pratiqué une morsure dans son poignet, tranchant ses veines, et appliquant la blessure ainsi faite sur les lèvres de la jeune femme. Et alors elle avait bu. Longuement, se repaissant de ce liquide chaud qui la revigorait. Le moment venu où il avait retiré son poignet, elle en avait encore réclamé, sa soif nullement étanchée.
Elle sortit de sa rêverie. La soif était revenue, bien présente. Elle n’avait qu’à planter ses dents dans le creux bien tendre du cou de la jeune femme, à travers sa peau si blanche et si douce.
La vampire s’avança, salivant par avance au goût du sang. Mais elle s’arrêta aussitôt. Une part de son esprit refusait catégoriquement de faire un pas de plus. Son esprit qui bataillait ferme contre sa soif, luttant pour refaire surface.
Ombeline prit alors pleinement conscience du monstre qu’elle était devenue. Ce monstre sanguinaire qui n’hésitait pas à prendre une vie afin de se libéré d’une sensation aussi triviale que la soif. Car ce n’était qu’une sensation, non ?! Ca ne pouvait être un besoin réel. Un corps mort ne dépendant d’aucune nourriture ni boisson.
Vanish sentait qu’un combat faisait rage dans l’esprit d’Ombeline, un combat qu’il ne comprenait d’ailleurs pas. Comme pour la convaincre, il adressa un sourire à la jeune femme qui l’accompagnait, lui demandant si elle serait ravie de servir la nouvelle vampire qu’il venait de créer.
Et comme une marionnette, comme une créature dépourvue de tout esprit critique, de toute volonté, la jeune femme répéta par l’affirmative ce qu’il lui avait demandé.
Bien loin de rassurer Ombeline, cela ne fit que l’horrifier. On aurait dit que la jeune femme venait d’être droguée, acceptant tout ce qu’on désirait lui demander. Un vrai légume. Etait-ce une fois de plus Vanish qui jouait d’un de ses pouvoirs vampirique ? Ou les récentes saignées qu’avait subit la jeune femme, vu la blancheur de son teint l’avait vidé de tout sentiment, de toute envie de combattre ?
Ombeline se mit à la dévisager. Elle devait être belle. L’extrême blancheur de ses joues restait l’unique témoin d’un visage autrefois vivement coloré, ayant peut être une forte tendance à rougir, à présent que les nombreux vaisseaux sanguins parcourant ses paumettes avaient été vidés. La vitalité de ses yeux bleus avait été drainée en même temps que son sang, son regard n’étant plus désormais qu’une fenêtre terne et grise sur une âme malade.
Sa robe, bien que pauvre, n’était pas sale ni souillée. Peut être devait-elle souvent changer ses vêtements au fur et à mesure que les saignées tâchaient ses habits.
Combattant sa soif, Ombeline s’approcha de la jeune femme. Vanish croyant que sa « fille » allait enfin tenter d’étancher sa soif, sembla se détendre imperceptiblement, rassuré. Expression qui se recrispa bien assez vite quand il vit qu’Ombeline se saisissait de la main de la femme juste pour l’examiner.
La main était couverte de cals, signe d’un travail intense et irritant, comme pouvait être celui de fermière, ou paysanne. La peau, souvent au contact d’un râteau ou d’une charrue, victime des frottements du bois se voyait rapidement solidifiée, durcie et épaissie grâce aux cals.
La fermière devait être légèrement plus âgée que ne l’était la jeune vampiresse. A la campagne, et à cet âge, les femmes étaient souvent déjà mariées, aidant leurs maris à la ferme.
Ombeline savait que si elle succombait à la soif, il était possible qu’elle ne puisse pas résister à l’envie de l’assécher de son sang, ce qui allait la tuer. Et elle n’avait jamais été élevée pour tuer des innocents, des gens du peuple qui n’avaient fait de mal à personne. C’était exactement le contraire à quoi elle s’était destinée toute sa vie. Laisser orphelins des enfants, ou rendre veuf un homme pèseraient lourds sur sa conscience, conscience qu’elle aurait à supporter éternellement.
Non, elle ne pouvait se nourrir de cette pauvre femme.
« Je... je refuse de boire le sang de cette pauvre jeune femme. Je ne peux pas, et même si le pouvais, je n’en ferais rien. »
C’est alors qu’elle entendit de petits crissements dans les murs, sentit de minuscules corps se mouvant à l’abris des pierres. Il lui vint alors une idée.
« Pourquoi se nourrir du sang d’innocents, de quel droit les arrachons-nous à leurs vies tranquilles afin d’en faire des sortes de... garde manger ambulants, alors qu’ils nous suffiraient de nous pencher pour cueillir quelques rats et les vider de leurs sang ? »