Une fois de plus, la jeune femme n’obtint comme toute réponse qu’un lourd silence chargé de mépris, silence auquel elle avait toujours été habituée depuis sa transformation. Vanish se leva alors, et enjoint sa fille de le suivre, quittant la pièce et s’engouffrant dans un couloir faiblement éclairé. Si au début elle reconnut les lieux, pour les avoir fréquentés à sa première visite à Steingart, ils s’engagèrent assez rapidement dans des boyaux cachés au détour d’un angle, à l’abri derrière une porte dont Ombeline n’aurait jamais soupçonné l’existence. A croire que chaque forteresse possédait son propre lot de dédales mystérieux et de réseaux dissimulés à la vue d’éventuels visiteurs.
Le vampire la mena finalement devant une vieille porte, sortit une clef et l’introduisit dans une serrure légèrement rouillée. Le mécanisme qui semblait âgé résista quelque peu avant de s’enclencher, libérant un bruit sourd à l’ouverture du verrou qui alla se répercuter sur les parois de pierre, comme un avertissement avant d’accéder aux secrets qu’il avait si longtemps gardé. En effet, à peine la porte fut-elle ouverte que l’air parut soudainement plus oppressante, électrique, malsaine mais à présent coutumière, apportant avec elle les noires promesses d’une magie séculaire et d’une puissance sans nom.
Vanish l’invita à rentrer dans la pièce, à parfaire ses connaissances occultes. Elle s’avança alors, les yeux rivés sur les ouvrages poussiéreux, tandis qu’elle ressentit dans son dos le léger courant d’air d’une porte qui se ferme, précédant le claquement du bois contre le cadre de cette dernière. Cette fois au moins le verrou ne retentit pas à nouveau.
Le seigneur Olbricht était-il au courant de cette bibliothèque et des textes hérétiques qu’elle séquestrait ? Avait-il au moins la clef de cette pièce, ou Vanish avait-il véritablement pris le pouvoir à Steingart ?
Mieux valait que ça soit le cas, Ombeline pourrait étudier tout son saoul, tant qu’elle disposerait de temps libre, sans être dérangée pour une raison ou pour une autre. Et sans avoir la crainte d’être découverte en pleine lecture de ces écrits blasphématoires qui la mènerait sans aucun doute au bûcher.
Le bûcher… Certains disaient que l’on ne mourrait pas du feu à proprement parler, mais bien des épaisses fumées qui s’élevaient vers le condamné et qui finissaient par l’étouffer, ce qui était une fin mille fois plus enviable que de sentir sa peau se flétrir, ses chairs fondre dans une douleur dantesque sous l’effet de la chaleur intense provoquée par la fournaise.
Mais les vampires, eux, ne sont pas tenus de respirer. Ils peuvent le faire, certes, mais l’absence d’oxygène dans un corps qui n’en a pas besoin n’est pas synonyme de mort pour les Fils de la Nuit. Ils auraient ainsi tout le loisir de sentir petit à petit la chaleur montante, dévorant lentement le bois sous leurs pieds, avant que cette dernière ne devienne insoutenable. Et pourtant, rien ne pourrait être fait pour y échapper, et les premières flammes viendraient bientôt lécher leurs corps plusieurs fois centenaires, leur accordant leurs premiers lots de souffrance qui s’amplifieraient bientôt.
Les répurgateurs étaient-ils au courant de ce détail, ou n’était-ce qu’un mauvais coup du sort qui clamait que le feu avait des vertus purificatrices ?
Un frisson la surprit en plein milieu de ses pensées. Pourquoi pensait-elle à ce qui n’arrivait sûrement pas ? D’autant plus que son maitre lui avait accordé, pour une fois, ce qu’elle lui avait demandé. A savoir, intensifier ses études nécromantiques avant de pouvoir espérer user du moindre petit sortilège.
Les rayonnages et les ouvrages paraissaient assez vieux, mais toutefois moins que ceux qui occupaient la grande bibliothèque de Stirfahre. Cela n’empêchait pas la poussière d’avoir investit les lieux, signe, tout comme la serrure, que l’endroit n’avait pas été fréquenté depuis quelques temps déjà.
Ce qui emmena l’esprit d’Ombeline sur une autre piste. Vanish était-il un vampire puissamment versé dans les arts occultes ? En tant que Von Carstein, tenait-il plus de Konrad ou de Mannfred ? La présence de ces sombres ouvrages semblait plutôt opter pour la deuxième option. Quant au fait que cette pièce semblait ne pas avoir été ouverte depuis bien longtemps, cela permettait-il d’affirmer que le vampire maitrisait tout ce qui y était écrit ?
Elle verrait bien par la suite.
Puisqu’elle était là, autant en profiter, au lieu de se plonger dans le tourbillon de ses pensées qui ne nécessitait pas d’être dans une bibliothèque pour pouvoir y réfléchir. Elle se saisit d’un livre, relié fort heureusement en cuir, mais d’où suintait cependant la même énergie maléfique commune à ce genre d’ouvrage. D’où venait cette perception, elle ne le savait pas, mais la jeune femme sentait que si elle avait été aveugle ou sourde, elle aurait ressentit la même impression.
Et elle se plongea dans ces écrits interdits, approfondissant d’avantage ce qu’elle avait appris sur la Dhar. Le traité sur la Dhar que la vampiresse avait lu, elle venait de s’en rendre compte, devait avoir été écrit par un adepte de cette sombre magie, une personne qui connaissait bien ce domaine. Que c’eut été un thaumaturge ou un nécromancien, peut importe. Le livre qu’elle avait à présent entre les mains était peut-être bien moins poussé, mais il était d’autant plus facile d’accès que les termes utilisés étaient simples, ce qui lui permettait d’acquérir les bases qui lui avait manquées la première fois.
Passant à un second ouvrage, puis à un troisième, elle fit le parallèle entre toutes ces connaissances occultes, approfondit sa connaissance des huit vents de magie, la façon de les percevoir, ou de les sentir. Elle apprit que la Dhar était l’exact opposée de la Haute Magie pratiquée par les Hauts-Elfes, ceux là même qui par l’intermédiaire de Teclis avaient prodigué aux hommes leur plus faibles connaissances en la matière. Si la Haute Magie résulte d’un équilibrage parfait de différents, voir de la totalité des vents de magie, unis par un esprit fin et majestueux, la Dhar n’est qu’autre qu’un viol de ces huit énergies, une possession brutale de ces dernières pour un obtenir un certain effet par la force, en faisant usage d’une obstination agressive et bornée.
Il s’agit en réalité plus d’un acte de volonté pure, distordant les vents, que de façonner un sortilège en harmonie avec tel ou tel courant aethyrique. La manipulation de la Dhar ne réclame donc aucune véritable connaissance magique enseignée dans un des Collèges de Magie d’Altdorf, aucune finesse ni subtilité, juste une force mentale et une focalisation hors norme en plus d’un égo surdimensionné, ce qui explique pourquoi les vampires sont parmi les plus aptes à se servir de cet art sombre.
Il lui sembla que mieux connaitre l’essence même de la magie accrut son acuité à percevoir les effluves des différents vents. Comme si cette approfondissement de l’occulte lui avait permis de mettre un nom sur ce qu’elle ressentait à divers moments, de transformer ses intuitions brumeuses en quelque chose de concret.
Elle se rendit compte que ce qu’elle ressentait en présence de traités sur la nécromancie ou d’éléments tout aussi sombres, les frissons, de l’angoisse ou une sensation d’oppression n’étaient que la matérialisation physique de phénomènes immatériels. Son corps qui de par sa nature vampirique avait un contact privilégié avec la Dhar traduisait les effluves invisibles de cette dernière en émotion, ce qui permettrait de mieux catalyser cette énergie, de la ployer sous la force de sa volonté et de l’employer brutalement pour parvenir à ses fins.
Bientôt, Ombeline ne ressentira plus ces frissons glacés ou de légère panique à l’approche de cette énergie noire, mais un sentiment de puissance suprême. Son appréhension sera été altérée par la Dhar, la faisant passer d’objet d’effroi à une promesse de pouvoir.
La jeune femme regretta de ne pas avoir eu en premier lieu l’occasion de lire les livres qu’elle avait actuellement sous les yeux, pour ensuite passer à un ouvrage plus compliqué : celui qu’elle avait étudié chez Marius. Il est certain qu’elle aurait pu apprendre d’avantage de cette magie qui la fascinait, autant en étudiant son essence même qu’en découvrant les moyens de s’en servir.
Un passage occulte mentionnait tout de même un emploi bien précis de la nécromancie, celui d’aspirer la substance vitale d’un être vivant par simple contact de la main, drainant sa vitalité, son humidité corporelle, transformant la malheureuse cible en une dépravation de la nature aussi sèche que pouvait l’être une momie si le contact était prolongé.
Ce pouvait être en effet un bon usage de cet art, et la jeune femme s’empressa de garder cette fonction dans un coin de son esprit, prête à la ressortir au moment opportun. Enfin une autre alternative que sa petite dague en acier s’offrait à elle, un moyen plus subtile et ô combien plus sournois de se défendre. A condition qu’elle parvienne à maitriser cette force dont elle venait de comprendre la nature même…