- "Non, sire. Je suis heureux de constater votre ambition pour Serrig et ses habitants. Vous faites honneur à votre nom. Je m'en vais de ce pas faire les préparatifs nécessaires pour le voyage." se contenta-t-il de dire, évitant de faire une allusion directe au défunt père de Stefan. Sur ce, Talabam se raidit et inclina la tête sobrement avant de quitter le cabinet particulier, refermant la lourde porte en chêne derrière lui.
Stefan se retrouva seul. Par les volets entrouverts, il pouvait voir le village en contrebas, entendre le marteau du forgeron battant l'acier, deviner les silhouettes des habitants qui s'affairaient à leurs tâches. Une lourde charrette de foin traversait le pont de pierre qui enjambait la Sol, tiré par deux boeufs blancs. Tout ne semblait être que quiétude et chaleur douce alors que le soleil brillait dans le ciel. Les mauvais jours du domaine semblaient loin, et il était maintenant temps de choisir entre rester dans cette tranquillité pastorale jusqu'au prochain désastre, ou prendre les devants et assurer la prospérité et le développement de la seigneurie des Von Kantzow.
Une semaine passa, pendant laquelle aucun événement notable ne sembla avoir lieu. La vie à la campagne pouvait souvent se montrer monotone, et chaque jour se ressembler. La vie commençait tôt le matin, terminait tôt le soir, et faisait son cours indolent entre les deux ; travaux des champs, martèlement de la forge, et éclats de voix qui montaient du moulin à eau, quand le soleil se couchait et que les villageois se réunissaient dans la "taverne" du vieux Dietrich. Stefan s'impatientait, et les plans qui se bousculaient dans sa tête venaient toujours s'arrêter devant cette immense muraille qu'est le Temps. Sous la chaleur de midi, quand les rayons du soleil écrasaient la terre et que seules les mouches trouvaient la force de voler dans l'air lourd, le jeune noble se sentait bouillir. Il y avait tellement à faire ! Et pourtant, il tournait en rond. Il ne pouvait pas contrôler ce facteur, et après avoir tourné en rond pendant plusieurs heures dans le grand hall de la demeure familiale, il se devait d'admettre qu'il n'y pouvait rien sinon attendre d'avoir plus de cartes en main. En guise de consolation, il découvrit une collection de livres dans les tiroirs du cabinet de son père. Il y avait là trois tomes d'un traité de stratégie et de tactique écrit il y a plusieurs décennies de cela par Matthias IV, l'arrière grand-père de l'empereur Karl-Frantz lui-même. Ces vieux grimoires poussiéreux et décorés de magnifiques enluminures Les plusieurs centaines de pages semblaient suffisantes pour s'instruire et faire passer le temps plus vite. C'est dans le pavillon de chasse de la demeure familiale que Stefan aimait à s'installer pour lire, une magnifique tour de briques roses et de galets de la Söl qui se dressait sur la colline, au milieu des bois, à quelques encablures du manoir. L'endroit était d'une tranquillité sans prix, et seul le chant des geais et quelques écureuils roux venaient parfois le déranger dans sa retraite studieuse et impatiente.
Enfin, huit jours après son départ, Talabam revint avec les recrues et l'équipement. Il était environ midi et le soleil brillait haut dans le ciel sans nuages quand l'un des deux serviteurs arriva en courant à la tour au milieu des bois, haletant et s'appuyant contre le mur de brique pour reprendre son souffle. C'était un jeune garçon d'environ douze ans qui travaillait depuis quelques mois au manoir, comme son défunt père avant lui. Il déglutit, épousseta ta tunique et frappa à la porte en bois de la tour avant d'entrer. L'intérieur était très sobre : une étagère vide, une cheminée éteinte depuis des années, une table en chêne massif et un établi plat pour vider et dépecer le gibier. Stefan lisait sur l'un des tabouret, adossé au mur, dans la fraîcheur que les dalles au sol procuraient.
- "Seigneur ? Maître Talabam est de retour de Wusterburg avec une troupe d'hommes. Ils sont à quelques lieux du domaine à peine et seront ici dans environ une heure." dit le jeune garçon après avoir incliné la tête, gêné de déranger le maître des lieux, à peine plus âgé que lui fut-il.